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toujours à la veille de s'évanouir, il s'organisa dans les contrées danubiennes, parmi les Slaves où il trouva une pleine sûreté. Encore une fois les Slaves ne repoussèrent pas une religion qui, au fond, était la leur. Dans tous les cas, la guerre ne fut pas un obstacle. Anastase, qui ne portait qu'une médiocre attention à leurs incursions dans les vallées du Danube, les laissa longtemps en paix; et quand Constantinople elle-même fut menacée, il ne trouva, pour défendre sa capitale, d'autre moyen que celui de faire construire à treize lieues de ses remparts un mur de fortification, dont on voit encore des traces, et d'asseoir par là Constantinople sur un isthme, que baignaient au midi la Propontide, au nord la mer Noire, et que le Bosphore séparait de l'Asie. Ce mur ne fut pas du moins un obstacle aux doctrines dualistes. Il est certain que les efforts d'Anastase ne furent pas vains. Sous son règne et même après lui, elles éclatèrent avec une effervescence nouvelle. Les idées de sévérité et de répression firent même place aux idées de tolérance. Il est vrai qu'en 523, Justin voulut chasser les Manichéens et condamner à mort ceux qui resteraient. Il est vrai qu'en même temps, Cabades, roi des Perses, prenait contre eux les mêmes mesures (1). Mais ces

(1) Miscel., lib. xv.

mesures n'eurent point de suite. Le cardinal Maï a publié les Disputes du manichéen Photin avec le chrétien Paul (1). Ces discussions eurent lieu sur l'ordre de Justin et de Justinien (527), qui pourtant travaillaient à réagir contre les idées de tolėrance de plus en plus répandues!

Ces Disputes, en même temps qu'elles nous font constater l'état des esprits au vie siècle, nous montrent, entre autres choses, qu'au vi° siècle la doctrine ne différait point de celle du 1°, et qu'elle était appuyée sur les mêmes livres, avec les mêmes procédés d'interprétation.

L'enseignement manichéen donné aux Slaves, d'abord sur les rivages de la mer Caspienne et de la mer Noire, puis sur les bords du Danube, jeta ainsi des racines profondes au milieu de ce peuple naturellement constant et même tenace. Aujourd'hui encore, en lisant les immortels écrits de Tacite, ceux de Procope et de Jornandès, éclate d'une manière frappante la ressemblance des Barbares du Danube du 1°, du ive et du v° siècle, et de ce peuple nomade, venu, lui aussi, des contrées danubiennes, que nous rencontrons à la porte de nos

(1) Elles formaient un vieux manuscrit du Vatican. La première dispute fut sur la création des âmes; la deuxième, sur les deux principes du Manichéisme; la troisième, sur les écritures du Nouveau Testament. Bibliotheca nova,

II pars.

villes, qui n'ose pas, pour ainsi dire, se mêler à notre civilisation, et qui pour nous représente la barbarie sous l'aspect le plus hideux et le plus repoussant. Comme leurs ancêtres, ces hommes vivent dans la misère et la saleté (1). Leurs maisons, ce sont des véhicules, qui ressemblent plutôt à des tanières de bêtes féroces (2); là, pullulent les enfants dans une complète promiscuité, vivant nus à l'intérieur des cabanes, et au-dehors se couvrant à peine de la dépouille des bêtes, ou des lambeaux d'une étoffe noirâtre tissée par les femmes. Ces hommes ne semblent-ils pas attester la vérité de ce que Tacite disait des Barbares du Danube, qu'ils se barbouillaient de suie de la tête aux pieds en guise de vêtements? (3)

Si ce peuple était donc si tenace dans ses habitudes et dans ses mœurs, auxquelles il n'a rien changé malgré la civilisation moderne au milieu de laquelle il vit, combien ne dut-il pas être plus tenace dans ses préjugés religieux ! Le catholicisme lui avait été prêché au temps de Justinien (4).

(1) Prokop., Bell. Goth. III, 14 « Vitam victu arido incultoque tolerant, sordibus et illuvie semper obsiti. » (2) Jornand., Bell. Geth. 5.- Prokop., Bell. Goth, III, 4. (3) Tincto corpore ». (Tacit. Germ. 43.)

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(4) « Si autem alias etiam ecclesias inveneris, quæ principales et per se sunt capita, ut Bulgariam, Cyprum, Iberiam, ne mireris. Bulgariæ enim Archiepiscopum

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Mais les principes dualistes étaient aux origines mêmes de ce peuple; et nous ne sommes pas encore à la veille du jour où l'enseignement de l'enfant, acheté par la veuve chez laquelle Buddas s'était retiré, n'aura plus de disciples.

honoravit Justinianus. » (Theod. Balsam., in Synod. Constantin., p. 315.).

CHAPITRE VI

Le Manichéisme du VII au X° siècle.

Les Pauliciens, — Les

Bogomiles troisième et quatrième forme du Manichéisme.

Le Manichéisme ne fit pas du Danube, en effet, les limites de son expansion et de son développement. Nous l'avons vu partir de la Perse, avancer vers la mer Caspienne et s'étendre jusque dans le pays du Balcan. Mais ce ne fut pas la seule direction qu'il prit en partant toujours de la Perse, il entra dans le chemin de l'Arménie. Pierre de Sicile atteste que, sous l'empereur Constant, fils d'Héraclius, le bourg de Mananalis, voisin de la ville de Samosate en Arménie, était principalement habitė par les Manichéens.

C'est à Samosate, en effet, que vivait un certain Constantin, esprit inquiet, subtil, disputeur et ambitieux, qui se mit à prêcher les erreurs de Valentin et de Basilide, qui parcourut la plupart des villes du pays, et qui répandit presque partout l'enseignement de Manès. ́

Toutefois, à l'époque de l'invasion de l'Arménie par les Sarrasins (653), les disciples de Manès

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