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pour la chercher et la sauver, en lui faisant connaître sa véritable origine; touché de ses plaintes, le Dieu suprême, l'avait envoyė, lui Simon, pour accomplir cette œuvre de miséricorde.

Cette explication de l'histoire d'Hélène contenait toute la pensée des Gnostiques sur la chute et sur la délivrance de l'âme. Manès s'en empara, et nous la retrouverons chez les Albigeois.

Simon ne croyait pas que Dieu s'abaissât jusqu'à former des corps. Sa maxime était celle de Platon : l'être éternel ne peut faire que des êtres éternels comme lui; les êtres temporels sont produits par des intelligences subalternes (1). De là il concluait que le vrai Dieu n'est pas le créateur du monde. Aussi, quoique, d'après les Recognitions (2), Simon ait souvent protesté qu'il ne reconnaissait qu'un seul Dieu, il est probable qu'il admettait deux principes. La XIX Clémentine (3) semble contenir l'expression véritable de sa pensée : « Le méchant, y dit-il, le prince du mal est-il éternel ou a-t-il été produit? S'il a été produit par le Dieu qui a fait

Lodberg, Disquis. histor. de Valentino et Valentinianis, Copenh. 1695. G. Hooper, De Valentin. Hæres., Londres, 1711. — Rossel, Das Syst. des Gnost. Valent. 1847.

(1) « Ab æterno æterna sunt; a corruptibili temporalia et caduca. » (Recog., lib. III, 29.)

(2) Lib. II, 3. (3) Paragr. 4.

toutes choses, il faut, ou que ce Dieu l'ait tiré de lui-même, ou qu'il l'ait tiré d'ailleurs. Si c'est de lui-même, ou bien il l'a engendré comme un animal engendre un autre animal, ou bien il l'a produit par une émanation de sa propre substance, à laquelle il a donné un corps. S'il l'a tiré d'ailleurs, il faut qu'il l'ait formé d'une matière animée. Que s'il n'a pas été fait par le créateur de toutes choses, il faut qu'il soit de lui-même sorti du sein de cette matière qui a eu la force de le produire. Que si l'on dit qu'il a été tiré du néant, ce n'est plus un être réel. De ces manières d'exister choisissez celle qui vous plaira. Ou le démon est éternel, ou il faut lui donner quelqu'une de ces différentes origines. >>

Les sentiments dualistes de Simon ne peuvent pas être l'objet d'un doute, puisque son interlocuteur lui dit aussitôt : « Mais si la matière est égale à Dieu, et pour la durée et pour la puissance, comme elle est ennemie de Dieu, elle produit d'elle-même des forces qui s'opposent à ses volontés. >>

C'est le principe dont s'emparera Manès (1).

(1) Le savant Jacob Thomasius, qui a honoré par sa science l'université de Hall, l'attribue positivement à Simon le Magicien : « E gentilium certe, dit-il, sed imprimis tamen e principio magorum Zoroastris scholâ, Magus iste (Simon) duos sibi adversantes Deos accepit, Bonum et Malum. » (Wolff, op. cit.)

Mais Basilide, Marcion et Bardesane, plus encore que Simon, nous paraissent avoir ouvert les voies dans lesquelles il entrera bientôt (1). C'est une vérité que l'erreur a sa logique et ses progrès naturels. L'histoire que nous avons entrepris d'écrire nous en fournit un des exemples les plus frappants.

Basilide était syrien d'origine (2); mais il résida longtemps à Alexandrie (3). Il mourut, selon les uns sous Adrien, selon les autres sous Antonin.

Il écrivit sur les Évangiles un Commentaire qui comprenait vingt-quatre livres (4). C'est du vingt-troisième livre qu'est extrait l'unique fragment qui nous reste de cet ouvrage et qui a été conservé par Hégémonius. Ce fragment nous donne le principe des doctrines de Basilide (5). « Cessez, dit Basilide, de vous amuser à la vaine et curieuse recherche des diverses opinions des hommes sur

(1) Voir Théodoret, évêque de Tyr, lettre à Eusèbe d'Ancyre.

(2) Voir sur Basilide Clem. Alex. Strom, passim.; -Justin., Dialog. cum Tryph., no 35; - Iren., 1, 24. Epiph., adv. Hær.

(3) Lipsius, dans Ersch et Gruber, p. 271.

(4) Euseb., Hist., lib. IV, 7.

(5) Hégémonius traduisit en grec les Actes de la dispute d'Archélas, qu'il publia en ajoutant plusieurs détails dont Archélaüs n'avait pas parlé. Voir sur Basilide : J.-H. Jacobi, Basil. phil. gnost. ex Hippol. libro zzzż TXTOV XipÉTIOV, nuper reper. Berol. 1852. - G. Uhlhorn,

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la cause et l'origine du bien et du mal. Examinons plutôt ce que les barbares ont pensé là-dessus; car quelques-uns de leurs philosophes ont dit qu'il y a deux principes de toutes choses et que d'eux procèdent les biens et les maux principes qu'ils disent être éternels, qu'ils appellent la lumière et les ténèbres, et qui existent par euxmêmes. Ces deux principes subsistaient à part, chacun d'eux menant la vie qu'il voulait et qui lui convenait. L'un et l'autre étaient contents de leur partage, parce que chacun aime ce qui lui est propre et que nul être ne peut croire qu'il soit le mal même. Mais enfin, ces deux principes s'étant connus l'un et l'autre, les ténèbres n'eurent pas plutôt aperçu la lumière qu'elles conçurent de l'amour pour elle, comme pour une chose plus excellente, et commencèrent par faire effort pour se mêler avec la lumière. »

Basilide admettait un Dieu suprême; mais il imagina au-dessous de lui des Eons ou émanations divines. C'étaient l'Intelligence, le Verbe, la Prudence, la Sagesse, la Puissance, l'Esprit, le Silence, la Vérité. Ces huit Eons s'appelaient la première Ogdoade sacrée; ils avaient produit trois

Das Basilid. System, Gætting., 1855. A. Hilgenfeld, Das System des Gnostikers Basilides. Tüb. Theolog. Iahrb. 1856. P.-Ch. Baur, Das System das Gnost. Basilid.

cent soixante-cinq autres Eons, qui formaient comme autant de degrés par lesquels l'être divin descendait dans le monde.

On sait que la doctrine des Eons fut très-répandue pendant les deux premiers siècles: elle répondait à certains besoins d'esprits inquiets et troublés, tels qu'il s'en trouve aux époques de transition. Dieu, en effet, est un être simple et une parfaite unitė. Il ne peut donc émaner de lui, disait Basilide, qu'un être semblable à lui. Les Éons, comme nous l'avons déjà remarqué, furent imaginés comme des êtres intermédiaires. Basilide leur attribuait la création du monde, qui avait été, disait-il, comme la suite d'une lutte survenue parmi eux. Les Eons ou les anges mauvais, pour se venger des anges bons, avaient formé la matière. Le Créateur, qui n'était autre que le Dieu des Juifs, était le plus turbulent des anges, il avait excité des séditions et des révoltes (1). II était le plus fier, le plus ambitieux, le plus superbe, le plus arrogant, le plus méchant de tous les anges (2).

Parce que le Créateur était le Dieu des Juifs, Basilide repoussait l'Ancien Testament, qu'il regardait comme l'œuvre de cet ange mauvais, créateur du monde. Il avait un acharnement particu

(1) Tertull., de Præscript., cap. XLVI. (2) Epiph., Irres., XXIV.

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