Page images
PDF
EPUB

les villes des côtes; et bientôt s'éleva à l'est le premier grand empire des Slaves: Samo réunit les Bohémiens et les Slovènes des pays alpins et des bords de l'Elbe, et battit les Avares aussi bien que les Francs.

Vers la moitié du vir siècle, la colonisation slave de la péninsule du Balcan était à peu près terminée. Il ne fut plus dès-lors parlé d'incursions au-delà du Danube et de la Save: pas un coin du pays qui ne fût, pour ainsi dire, occupé par eux.

Les Serbes habitèrent les pays arrosés par la Save et les côtes de l'Adriatique; ils s'étendirent jusque dans l'Albanie. La contrée qui s'étendait plus à l'est fut occupée par les Slovènes, plus tard appelés Bulgares.

Quant à l'ancienne population indigène, romaine et thraco-illyrienne, elle fut en partie refoulée dans les montagnes, et en partie soumise par les Slaves. Les deux races se mêlèrent et s'allièrent même; la langue slave conserve encore de nombreuses traces de mélange. C'est ainsi que les Slaves devinrent maîtres de tout le pays, à l'exception des îles de la côte.

Mais bientôt ils ne se contentèrent plus de la domination sur la terre ferme. Ils apprirent à naviguer sur mer et entreprirent des courses lointaines. En 641, des Slaves, venus vraisemblablement de l'Épire, abordèrent à la côte italienne

près de Seponte et pillèrent l'Apulie. Vers l'époque de l'empereur Constantin Pogonat (668-685), des pirates slaves, venus sur des barques faites avec des troncs d'arbres creusés, parcoururent la mer fonienne et la mer Égée, visitèrent l'Épire, l'Achaïe, la Thessalie, même les Cyclades et les rivages de l'Asie-Mineure. Ces excursions, d'autres voyages entrepris pour le commerce firent connaître ce peuple dans tout l'Orient. Al-Achtal, écrivain arabe du viIe siècle, fait mention des Slaves << aux cheveux clairs », et les regarde comme un peuple bien connu de ses lecteurs (1).

Telle est dans son ensemble l'histoire de l'établissement et de la domination des Slaves sur le Danube. M. Jirecek la résume ainsi : « La colonisation slave, dit-il, commença au Ie siècle et dura presque quatre cents ans : une émigration de cinquante et même de cent ans n'eût pas pu produire une si grande révolution ethnographique. D'abord, les Slaves s'établirent à titre de colons parmi les Traces-lllyriens, les Roumains et les Grecs. Ils ne tardèrent pas à prendre les habitudes de la vie du citoyen romain, et donnèrent à Byzance non-seulement d'excellents capitaines, mais aussi d'énergiques empereurs. C'est à la fin du ve siècle que commença l'émigration en masse et à main

(1) Cité par M. Jirecek.

armée. Safarik est donc dans l'erreur lorsqu'il croit que les Slaves n'avaient pas pénétré en masse et par les armes dans la Mésie et les pays voisins, mais seulement par famille et sans faire une guerre qui les eût privés des fruits du paisible travail des champs. S'ils prirent les armes, ce ne fut pas seulement pour se défendre. Les Slaves, lorsqu'ils occupèrent les montagnes de la Thrace, de la Macédoine, de la Mésie et de l'Illyrie, étaient le même peuple, toujours guerrier, que celui qui, durant tout le moyen-âge, combattit les Byzantins, et qui, de nos jours, a plus d'une fois montré son courage contre les Turcs (1).

Voilà ce qui se passait sur les bords du Danube pendant que le Manichéisme y cherchait un refuge et qu'il travaillait à s'y répandre. Il est temps maintenant de revenir sur les premières années de sa propagation, pour montrer comment il s'établit au sein de la race slave; il est temps de quitter le Danube et de nous rapprocher du Volga et de la mer Caspienne.

Le lecteur n'a pas oublié que Manès s'était fait de nombreux disciples dans les contrées situées à l'ouest de la mer Caspienne. De retour sur les bords de l'Euphrate, il avait eu garde d'abandonner le premier siège de son apostolat; il avait envoyé,

(1) M. Jirecek, op. cit., capit. III.

en effet, deux de ses principaux disciples dans ces mêmes contrées, pour y maintenir et y répandre même son enseignement. Et à la vérité, nous n'avons pas de peine à croire que sa secte fit de grands progrès dans la vallée du Volga, sur les bords de la mer Caspienne, où la présence des Slaves, au ir siècle, est constatée par les géographes Ptolémée (1) et Denys (2). Le Slave, en effet, avait toujours admis et reconnu deux principes, qu'il appelait, l'un blanc, l'autre noir; le premier était le principe bon, le second le principe mauvais (3). La prédication manichéenne ne l'étonna donc pas; au contraire, elle eut l'avantage de maintenir et d'accréditer ses préjugés religieux, en leur donnant une base nouvelle et une forme puissante. Quelquefois uni au Hun terrible, il avait fait avec lui des expéditions en Perse, où le dualisme était universellement enseigné. Mais il avait souvent été maltraité par ses alliés. Le Slave donc, sans lien national jusque-là, toujours courbé sous le joug de maîtres étrangers qui le méprisaient et se servaient de lui (4), accueillit avec

(1) III, 5.

(2) v, 730.

(3) Divinité noire et divinité blanche. « Malum Deum sua lingua Zeerneboch, id est nigrum, Deum appellant. > (Hermold, Chron. 1, 53). Cf. Gebhardi, Geschichte der Slaven, p. 21 et 24.

(4) Amédée Thierry, Attila.

reconnaissance des hommes qui semblaient oublier le vainqueur du Nord, le Hun du Dnieper, pour s'attacher à lui, par dévouement, à cause des qualités de son esprit, et par le lien le plus fort, le lien de la religion.

Aussi quand les Goths de la Scandinavie, descendant à travers les plaines des Slaves, arrivèrent et s'établirent pour quelque temps à l'embouchure du Dnieper, ils y trouvèrent les doctrines dualistes. Au milieu du Ive siècle, en effet, si les peuples du Dnieper connaissaient le Christianisme par Ulfila, Romain de naissance, il s'était élevé aussi au milieu d'eux plusieurs hérésies qui avaient cours, parmi lesquelles nous devons signaler celle d'Audæus, Mésopotamien de nation, qui enseignait, comme Manès, que Dieu avait un corps d'une substance matérielle, mais céleste (1).

Quand commença la colonisation des Slaves sur les bords du Danube, les Slaves de la mer Caspienne s'ébranlèrent à leur tour. Au reste, les relations entre la mer Caspienne, le Dnieper et le Danube étaient faciles et fréquentes Une route qui courait à une petite distance de la mer Noire reliait le Danube à la mer Caspienne. C'est cette route que suivaient les marchands romains, qui allaient jusqu'aux contrées de la mer Caspienne

[ocr errors]

(1) Théodoret, IV, 10. Épiph., Ilæres. 70. Hier., Chron. Cf. Tillemont, Mém., tom. vi.

« PreviousContinue »