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ténèbres éternelles (1). Ils lui attribuaient la formation des corps et la création du monde (2). Les âmes avaient d'abord péché dans le ciel ; ensuite elles étaient tombées au pouvoir des diverses puissances de l'air, qui les avaient enfermées dans des corps, et qui avaient réglé les conditions respectives de leur vie, selon la mesure des fautes de chacune d'elles.

Les Priscillianistes ne rejetaient pas ouvertement l'Ancien Testament, mais ils le corrompaient. Ils substituaient au Nouveau certains livres apocryphes, comme les Actes de saint Thomas, de saint André, de saint Jean, les Livres de l'ascension d'Isaïe, l'Apocalypse d'Élie (3).

Mais ils réglaient leur vie de manière à s'attirer de la vénération (4); ils professaient une sorte de haine pour le mariage; ils faisaient pénétrer jusque dans l'intérieur des familles établies cette animadversion coupable, au point que souvent ils séparèrent les femmes de leurs maris, sauf à les prendre ensuite eux-mêmes à titre de sœur et à voyager avec elles.

Si nous en croyons Sulpice Sévère et saint Jérôme, leurs mystères étaient infames; ces auteurs

(1) Leo, Epist. 15, ad Turribium.

(2) Leo, ibid.

(3) Leo, ibid.

(4) Sulpic. Sev., op. cit., lib. 11.

racontent des détails que la décence ne nous permet pas de reproduire (1). Cependant, en public, éclatait en eux une grande affectation des sentiments catholiques, qu'ils exprimaient avec parade et ostentation. Cette affectation émanait d'un sentiment peu avouable, une prudence hypocrite. On les voyait même souvent dans les assemblées chrétiennes. Ils y recevaient la sainte eucharistie, mais ils ne la consommaient pas (2); peut-être la profanaient-ils ensuite dans leurs assemblées.

Leur doctrine resta longtemps cachée. Cependant les soupçons de sacrilège se portèrent bientôt sur eux, et alors ils réglèrent leur conduite d'après ce précepte qu'ils enseignaient à leurs adeptes. Jura, perjura, secretum prodere noli.

<< Dès que Priscillien eut commencé à prêcher sa pernicieuse doctrine, il gagna par ses flatteries adroites et par ses discours persuasifs beaucoup de personnes nobles et un plus grand nombre de

Hieron.,

(1) Sulp. Sev., Hist. sacr., lib. II, in fine. Epist. XLIII, ad Ctesiph.: « Priscillianista in Hispania pars Manichæi verbum perfectionis et scientiæ sibi temere vindicantes, soli cum solis clauduntur mulierculis, et illud eis inter coïtum amplexusque decantant:

Tum Pater Omnipotens fæcundis imbribus æther
Conjugis in gremiam lætæ descendit; et omnes
Magnus alit, magno commixtus corpore fœtus. »
(Georg. 2.)

(2) Leo, Serm.

gens du peuple »> (1). Un extérieur simple et un visage composé lui attiraient le respect et la vénė– ration de tous. L'hérésie s'étendit ainsi peu à peu en Espagne; elle se glissa même dans le cœur de quelques évêques, parmi lesquels Instance et Salvien furent les plus célèbres.

L'année suivante (381), le mal était si grand, qu'un concile, composé des évêques d'Espagne et des évêques de l'Aquitaine, s'assembla à Saragosse pour le réprimer s'il était temps encore. Le premier jour de la réunion conciliaire, Instance, Salvien, Priscillien et Helpidius furent solennellement excommuniés; le dernier jour, le concile lança aussi l'anathème contre l'évêque Hygin, qui, après avoir attaqué l'hérésie, s'était rallié à elle; l'influence des hérétiques était déjà si dangereuse que les Pères du concile se firent un devoir de communiquer leur décision à tous les évêques de l'Occident.

Les Priscillianistes cependant ne se découragerent pas. Condamnés, ils prirent le chemin de Rome pour expliquer leur conduite au pape Damase. Ils passèrent par l'Aquitaine, «< où ils furent magnifiquement reçus et où ils semèrent leur hėrėsie » (2). La route qu'ils suivirent fut, sans doute, celle qui reliait la Garonne au Rhône et qui

(1) Sulp. Sev., loc. cit.
(2) Sulp. Sev., loc. cit..

passait par Carcassonne, Narbonne, Béziers, qui laissait Agde et Maguelone à droite, passait par Sextantion et Nimes, et arrivait jusqu'à Arles (1). Pour la seconde fois l'Aquitaine entendait les doctrinės dualistes; je dis pour la seconde fois seulement, car au temps de saint Hilaire elles n'avaient pas encore pénétré jusque sur ses terres fertiles. Le grand docteur des Gaules avait sans doute signalé l'hérésie orientale (2); mais évidemment il l'avait fait plutôt pour préserver ses ouailles et le pays des Gaules que pour la chasser des bords de la Garonne et du Rhône.

Le rescrit par lequel l'empereur Gratien ordonna que tous les hérétiques fussent expulsés, non-seulement des églises et des villes, mais encore de toutes les terres de l'empire, obligea Priscillien et ses compagnons à passer rapidement dans l'Aquitaine pour arriver au plus tôt à Rome. A Rome, ils corrompirent Macédonius, maître des offices, et ils obtinrent des lettres qui les rétablissaient dans leur siége: Salvien et Priscillien, en effet, avaient reçu l'ordination épiscopale. Ils rentrérent donc en Espagne; mais l'année suivante, Clé

(1) Theodulphe d'Orléans, Carm., lib. 1. Paræn. ad judic. ap. Sirmond.

(2) De Trinit, lib. iv, Constantium, lib. II, 9. in LXVII psalmum, 15.

-

Ad

12; lib. vi, 5, 10
Tract. in LVII psalmum, 3;

ment Maxime, qui s'était fait proclamer dans les Gaules, permit la convocation d'un autre concile, non pas à Saragosse, mais à Bordeaux, ville chrétienne, où il ne leur avait pas été possible de pénétrer lors de leur voyage de Rome pour s'y faire des partisans. Pour la troisième fois, Instance et Priscillien traversèrent l'Aquitaine (1), mais cette fois c'était en accusés. Ils appelèrent à l'empereur du jugement de Bordeaux. Ils comparurent devant le préfet Evode; mais Priscillien avoua «< avoir tenu des assemblées nocturnes avec des femmes corrompues et avoir eu l'habitude de se mettre nu pour prier » (2). Instance, Priscillien et quelques autres furent condamnés à perdre la vie. Sulpice Sévère ajoute que beaucoup d'autres eurent à subir chacun des peines différentes. Tertullus, Potamien et Jean furent relégués pour un temps dans les Gaules; peut-être y propagèrent-ils le dualisme et y portèrent-ils le culte de Priscillien, que les sectaires honoraient comme un martyr. Il est certain que le Priscillianisme vécut quelque temps encore dans nos contrées: Sulpice Sévère s'écriait, en parlant de son fondateur: « Cet hérétique a allumé parmi nous une guerre intestine, qu'entretiennent

(1) Idatii Episcopi chronicon, VII, ap. Sirmond., Op. var., tom. II, p. 294.

(2) Sulp. Sev., loc. cit.

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