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séduisirent le jeune Augustin, et que celui-ci, à son tour, engageant à tout propos des disputes incessantes sur les matières religieuses, devint un actif propagateur de l'hérésie (1), et entraîna dans ses erreurs trois grands esprits, Honorat, Romanien, Alype (2). Ils se montraient familiers et doux, surtout avec les jeunes gens; et quoiqu'ils ne reconnussent point le mystère de la Sainte Trinité, ils avaient sans cesse à la bouche le nom de Dieu, du Sauveur et du Paraclet (3), comme s'ils voulaient ménager la légitime crainte de fidèles trempés dans l'énergique foi de Tertullien et de saint Cyprien. En peu de temps, ils s'organisèrent en auditeurs et en élus.

Leurs assemblées cependant furent bientôt proscrites, comme dans les autres provinces de l'empire (4). Saint Augustin nous fait entrevoir pourquoi, en Afrique plus que partout ailleurs, les Manichéens se signalaient tristement par des mœurs infâmes. Il faudrait citer ici le livre tout entier qu'en a composé le grand Docteur. Il nous les représente envieux, avares, querelleurs, faciles à la bonne chère, livrés aux passions les plus honteuses, assidus aux spectacles les plus divertissants,

(1) Conf., lib. III, c. 12; IV, c. 1.

(2) Conf., lib. vi, c. 7.

(3) Conf., lib. III, c. 4.

(4) Par une loi expresse de Valentinien de l'an 372.

où ils prenaient toujours « parti pour les farceurs et les cochers >> (1). Leur conduite dissolue ouvrit enfin les yeux à plusieurs de leurs disciples. Constance, homme riche et puissant, se sépara d'eux; Augustin, à son tour, après neuf ans de profession manichéenne, renonça à la secte infâme.

Depuis quelque temps déjà cette révolution se préparait dans son esprit. N'avait-il pas entendu, à Carthage, les discussions précises et savantes du catholique Elpide (2)? Celui-ci avait cité contre les Manichéens plusieurs des passages du NouveauTestament qu'ils admettaient, sans qu'ils pussent répondre, se contentant de dire, après la discussion, que les passages cités étaient apocryphes. Cette conduite avait paru plus qu'étrange au loyal Augustin.

Il avait été impressionné de même par l'argument de Nébride (3), qui demandait, avec infiniment de raison, comment la nation des Ténèbres, dont les Manichéens faisaient le principe du mal, avait pu causer quelque mal à Dieu, inviolable et incorruptible? Cet autre argument, qu'une substance absolument mauvaise ne saurait exister (4), l'éclaira de même sur les erreurs dualistes.

(1) De morib. Man., cap. 19.
(2) Conf., lib. v, c. 11.
(3) Conf., lib. vII, c. 2.
(i) De morib. Man. c. 8.

Au reste, saint Augustin crut avec raison que la vraie religion, si elle ne fournit pas l'explication scientifique des faits de l'ordre naturel, ne doit rien enseigner qui leur soit manifestement contraire. Ainsi, dans son esprit, se posa de bonne heure la question des rapports des sciences et de la foi. Il demanda donc aux Manichéens de lui donner la raison des quelques phénomènes naturels que la philosophie essayait alors de comprendre les solstices, les équinoxes, les éclipses. En vain en appelèrent-ils aux études de Fauste, un de leurs savants les plus éclairés (1); Fauste ne leva aucune des erreurs de Manès. Aussi saint Ambroise, pour être compris d'Augustin, n'eut qu'à énoncer le principe du procédé catholique, à savoir que la raison doit croire avec soumission ce qu'elle ne peut démontrer avec évidence (2).

Après sa conversion, saint Augustin travailla à éclairer ses anciens coreligionnairss. Il écrivit d'abord le livre De l'utilité de la foi, qu'il adressa au manichéen Honorat, autrefois son ami, pour lequel << il ressentait une extrême crainte qu'il ne restât dans l'erreur. » Il composa le traité Des deux âmes, pour démontrer que dans l'homme il n'y a qu'une seule âme. Son traité contre Adimante

(1) Conf., lib. v, c. 3.
(2) Conf., lib. VI, c. 5.

nous permet de constater la diffusien, en Afrique, des livres manichéens. Nous avons dit qu'Addas ou Adimante, le célèbre disciple de Manès, avait réuni un ensemble d'extraits de l'Ancien et du Nouveau Testament, pour les mettre en opposition. C'est ce livre que les Manichéens s'efforçaient de mettre entre les mains de leurs amis. Saint Augustin en fit une réfutation éloquente, en montrant le parfait accord des passages cités.

Letraité De la nature du bien, du même docteur, nous permet aussi de constater la diffusion de la secte dualiste, non-seulement en Afrique, mais en Asie-Mineure, dans la Paphlagonie et dans les Gaules (I). C'est peut-être la publication de cet ouvrage, dans lequel il mettait à découvert les abominations de la secte, qui lui valut une lettre indigne du manichéen Secondinus. Celui-ci l'accusa d'avoir quitté la secte par crainte des malheurs auxquels ses membres étaient exposés, et de rester dans l'Église par amour des honneurs de l'épiscopat. Le saint se contenta de répondre avec cette modestie, cette élévation de pensées, ce calme et cette dignité qui ont fait de lui le plus noble caractère.

Il ne cessa cependant de poursuivre les Manichéens dans une multitude d'autres écrits, trop connus pour qu'il soit besoin de les nommer. Il

(1) De nat. Bon., cap. 47.

les combattit encore dans ses prédications et dans plusieurs conférences publiques. Une des plus célèbres fut celle qu'il eut avec Fortunat.

Fortunat était un prêtre manichéen, astucieux et instruit, qui, dans la ville même d'Hippone, avait séduit plusieurs chrétiens, et qui acquérait de jour en jour une telle influence, que non-seulement les Catholiques, mais encore les Donatistes, prièrent le saint d'engager avec lui une discussion publique, à la suite de laquelle ils pensaient bien que son crédit serait ruinė.

Le 28 août de l'année 392, la conférence s'ouvrit dans une des immenses salles des bains de Sosie. La foule des Manichéens et des Catholiques était considérable (1). La conférence dura deux jours. L'évêque s'attacha à développer l'argument qui avait autrefois dessillé ses yeux. Il prouva que la nation des Ténèbres, imaginée par les Manichéens, ne pouvait avoir fait aucun mal ni à Dieu ni aux âmes; qu'elle ne pouvait même pas exister; car le mal a son explication et sa cause dans la volonté seule. Fortunat, confondu, quitta de dépit la ville d'Hippone, mais il y fut remplacé par un autre prêtre de la secte, Félix probable

ment.

Pendant six ans, celui-ci resta caché et instruisit en secret les sectaires opiniâtres; mais au bout de (1) Possid. Vit. Aug.

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