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croire que, sous l'influence de leur enseignement, Pythagore fut incliné à placer la cause du mal dans la matière, substance imparfaite, combattue en elle-même, agitée par la lutte des parties, lutte qui engendre la dualité, d'où provient le mal. 11 est si vrai que telle a été la pensée de Pythagore, qu'Empedocle, son disciple, plaçait au-dessus des quatre éléments deux principes qu'il appelait, l'un la Discorde (Nexos), l'autre l'Amour (Þılıa). La Discorde émanait de la matière, et l'Amour de Dieu (1).

Ces doctrines, tant qu'elles restèrent à l'état de spéculations philosophiques, n'exercèrent pas une action bien directe sur les peuples de la Grèce et de l'Italie. En Orient, au contraire, elles se présentèrent sous le couvert de la religion; elles eurent le caractère de doctrines religieuses: le dualisme resta toujours à la base des systèmes théologiques. Mais après la venue de Jésus-Christ, en) Occident, les spéculations philosophiques de Pythagore et d'Empedocle, enrichies des principes de l'Orient, prirent dans certains esprits, chrétiens d'abord, mais hérétiques plus tard, une forme nouvelle. Ce fut un mélange monstrueux des doctrines enseignées par les mages, des spéculations des philosophes et des révélations de l'Évangile.

(1) Il est si vrai qu'Empedocle a admis les principes dualistes, que Socrate, l'historien, a cru pouvoir dire qu'il· était le père du Manichéisme (lib. 1, 17., Bâle, 1578).

A côté de l'Église du Christ, une autre, orgueilleuse et audacieuse, tenta de s'élever et d'organiser le culte que l'homme doit à Dieu. Le plus grand péril pour l'Église ne vint plus seulement de la puissance des empereurs, des attaques des philosophes ou de la haine du peuple (1), mais de l'aveuglement de quelques-uns de ses enfants, qui, infidèles et ingrats, s'élevèrent contre elle. Après les révélations du Messie attendu par les nations, après les prédications des Apôtres et la diffusion du livre des Évangiles, au moment où saint Paul, par l'enseignement de ses immortelles Épitres, établissait l'existence d'un seul principe, cause de tous les êtres, par qui tout se meut et agit; au moment où saint Jean, dans son Apocalypse, racontait sa sublime vision des élus prosternés dans le ciel devant le trône de l'Agneau, chantant sa gloire et proclamant les ineffables dons du Dieu trois fois saint; en ce moment, dis-je, quelques téméraires osaient se poser à l'encontre de ces révélations, nier la vérité de ce principe unique, et expliquer, comme les Orientaux, l'existence du mal. On a prétendu que quelques-uns de ces prédicants s'étaient laissés conduire par d'honnêtes sentiments (2) afin de justifier la Providence, ils

(1) Mgr. Freppel, les Pères apostoliques.

(2) Beausobr., Hist. de Manichée et du Manich. Amst.,

auraient rejeté la cause du mal sur un principe matériel. Nous n'avons pas à juger les intentions; Dieu les a récompensés des services qu'ils ont cru rendre. Seules, les spéculations qui s'élaborèrent durant les deux premiers siècles autour de la question de l'origine du mal, nous intéressent; par elles il nous sera facile de mieux constater plus tard les singularités des erreurs albigeoises.

Aussi bien, il est curieux de suivre le travail des doctrines orientales pendant les premiers siècles chrétiens et de rechercher les traces de l'influence qu'elles s'efforçaient d'acquérir en Occident, com me poussées par un secret instinct que l'Occident allait devenir le cœur et la tête du monde. L'Orient jouissait d'une grande renommée de savoir: n'était-ce pas de l'Orient que devait se lever le roi attendu et désiré? L'opinion populaire ne se trompait pas en effet. Mais le grand Révélateur avait déjà apparu; et par une étrange méprise, cent ans après sa venue, tout esprit inquiet ou ambitieux souriait à la gloire d'être le révélateur promis. C'est une des raisons qui expliquent la fécondité de l'erreur au 1er et au re siècle, fécondité si prodigieuse que l'historien se perd dans la seule nomenclature de ses chefs.

Nous ne croyons pas devoir compter, parmi les hérétiques qui ouvrirent les voies à Manès, Ménandre, Saturnin et Carpocrate. Clément

d'Alexandrie, qui a si bien connu les erreurs de son temps, ne parle pas des deux premiers. Quant aux principes de Carpocrate, ils prirent un caractère tellement odieux, qu'ils furent, je crois, admis de lui seul.

Quel est donc le premier qui a tenté d'introduire le dualisme dans l'Église de Jésus-Christ?

Quelques auteurs du xvII° siècle (1) ont attribué cette étrange entreprise à Simon le Magicien.

Rien n'est plus piquant, en effet, que l'histoire de l'Hélène de ce premier des hérésiarques. Cette femme, qu'il avait amenée de Tyr, disait-on, n'aurait été, dans sa pensée, que le premier fruit de l'entendement, c'est-à-dire le premier des Eons (2).

(1) Wolff, op. cit.

(2) Voir sur Simon le Magicien, parmi les Pères : Iren., lib. 1, 22-23; - Epiphan., Hares., 21; - Cyrill. Hiero. Catech. vi, 24, 25; - Theodor., Hær. Fabul. lib. 1, 1; v, 9; Tertul., de Anima, cap. 34; - Orig., cont. Cels. v, 62; Hieron., Comment. in Mat., cap. 24;Clem. Alex., Strom. II, 25; Recog. 1, 72; II, 7-14; Justin., Apol. 1, 26, 56; Euseb., Hist. II, 13;

Philosophumena, VI, 7-20;

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Arnob., adv. Gent. 11,

Aug., de Hares. I.

12; Ambr. Hexameron, IV, 8; Philastrius, de Hær. 29; Theodor. I, 1; v, 9. Epist. 36, ad Casulan.

Parmi les modernes : A. Simson, Ueber Leben und Lehre Simon, des Magiers, Zeitschrift von Illgen, 1841, livrais. 3; - J. Grimm, Die Samariter, 1854; - Baur,

Quelques auteurs ont interprété dans un sens symbolique l'histoire de cette Hélène. Pour eux, Hélène, dans la pensée de Simon, c'est l'âme, particule de l'esprit infini. L'âme aurait été surprise par les Anges, créateurs des corps, qui l'auraient enfermée dans la matière, et qui, par cette captivité, l'auraient empêchée de retourner au ciel. Afin de la retenir indéfiniment captive,/ ils la faisaient passer d'un corps dans un autre, et c'est ainsi qu'elle était tombée dans le corps humain, où elle était maintenant, comme dans une maison de prostitution, liée irrésistiblement à la matière par la génération : brebis égarée, elle n'avait plus le moyen de rentrer au bercail. C'est, en effet, à l'âme captive que les Valentiniens appliquaient la parabole de la brebis perdue (1). Simon était venu

Die trei ersten Jahrhunderte;

logie;

Molher, Die Kosmo

Kunstmann, Feuil. hist. et pol., tom. 47.

A côté et à la suite des doctrines de Simon se formèrent

diverses sectes:

1. Celle de Dosithée. 11; Euseb. IV. 22; Saturnin d'Antioche.

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cratites. Orig. de Orat., cap. 24, Philosoph. VIII, 16.40 celle d'Hermogènes. Tertul., adv. Hermog. 5o celle des Elkésaïtes. Epiph. Hær. LIII; Euseb. VI, 38; - Philosoph. ix, 15-17.— 6o celle des Pérates.— Philosoph. v, 12-17.- Rud. Basmann, Die Philosoph. (1) Voir sur les Valentiniens: Tertul., adv. Valent. — Iren., lib. I et II. - Clem. Alex. Strom. II, 8, 20.—Jac.

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