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caractère spécial, celle des bords du Rhin se relie à celle de la Lombardie. C'est surtout à l'époque romane que ces caractères s'observent d'une manière frappante.

M. l'abbé Crosnier a la parole pour développer ses idées à cet égard.

Avant le XI. siècle, dit-il, les caractères de l'architecture sont à peu près les mêmes, et les différences que l'on observe peuvent être attribuées au climat et à la nature des matériaux. Mais à partir du XI. et surtout du XII. siècle, les églises monacales paraissent construites sous l'inspiration de deux écoles bien distinctes. Les moines dirigeaient alors les arts, et les abbayes de Cluny et de Citeaux forment comme deux académies, obéissant à des principes différents. Les moines de Cluny recherchent l'élégance et le luxe des ornements; tandis que le grand saint Bernard, de l'ordre de Citeaux, combat cette tendance et exige la plus grande sobriété dans les églises monacales, laissant le luxe de l'ornementation aux grandes paroisses, aux cathédrales. Il combat ainsi les tendances des moines de Cluny et arrive à la sévère ornementation du XIIIe. siècle.

C'est ainsi que l'église de Vézelay présente une ornementation splendide à côté de l'église de Pontigny, d'une belle et noble simplicité. C'est l'école de Cluny qui a produit le luxe de l'architecture bourguignonne, tandis que dans l'ouest de la France l'école de Citeaux est dominante.

Dans le midi, on remarque moins de hauteur dans les édifices, mais plus de perfection dans l'ornementation. L'influence des monuments romains, dans cette région de la France, ne doit pas être étrangère à cette particularité.

On ne trouve pas, dans les édifices antérieurs au IX. siècle, ces moulures et ces décorations bizarres que présentent les monuments postérieurs. A ce sujet, M. l'abbé Crosnier fait observer que, dans le VIa. siècle, l'ornementation des églises

consistait principalement en mosaïques, statues et autres décorations de tradition romaine. Lorsque les iconoclastes abattirent dans les églises d'Orient les peintures et les statues dont elles étaient ornées, cette destruction se répandit avec leurs doctrines jusque dans l'Occident, et les évêques eux-mêmes empêchèrent le développement de l'iconographie.

Au X. siècle, les terreurs répandues dans la chrétienté empêchèrent le développement de la belle architecture, et ce n'est qu'avec le XI. siècle que reparut l'ornementation des églises, non plus, comme au VIo. siècle, par des mosaïques, mais par des sculptures, des moulures délicates et des statues symboliques. Au XII. siècle apparaissent dans l'ornementation les plantes orientales, qui rappellent si bien les événements de l'époque à laquelle elles se rapportent.

M. Bulliot, d'Autun, a la parole pour lire un travail sur les rapports qui ont fréquemment existé entre les comtes d'Autun et l'Eglise de Sens. Ces deux villes, sœurs d'origine, n'ont jamais cessé de conserver entre elles d'étroites relations, aujourd'hui encore elles se livrent, d'un commun effort, à la recherche de leur antique origine et de leurs anciens monu

ments.

NOTE SUR QUELQUES COMTES D'AUTUN,
SAINTE-COLOMBE DE SENS ;

Par M. BULLIOT, d'Autun.

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et

Au milieu des vicissitudes variées qui marquèrent l'existence des établissements religieux durant tout le cours du moyen-âge, un fait constant se renouvelle à chaque page des chroniques, c'est l'effort persévérant de la féodalité à s'introduire dans les bénéfices ecclésiastiques. Cette tendance, à proprement parler, s'était manifestée avec l'invasion Germanique, mais elle avait trouvé dans les papes et les évêques

gallo-romains une courageuse résistance, et fut combattue avec un succès plus ou moins heureux jusqu'au commencement du VIII. siècle. A cette époque, Charles- Martel, obligé par ses guerres continuelles, de recourir sans fin au secours des Leudes, ne put s'assurer, sans de riches récompenses, une fidélité qui n'avait pour mesure que l'intérêt, il établit alors contre les biens d'église un vaste plan d'exploitation. Les évêchés, les monastères payèrent les vainqueurs de Poitiers; l'église doublement victime acquittait ainsi les frais de la guerre après en avoir subi les premiers désastres.

Ce fut l'époque où arrivèrent à Autun, à la suite du passage d'Abd'el Rhaman, l'Abdérame des chroniques, ces comtes enrichis à si peu de frais par Charles-Martel; à leurs prérogatives féodales ils unissaient sans peine celles de l'église; presque tous, en se battant contre les Arabes, les Saxons ou les Normands, étaient abbés d'un ou de plusieurs monastères; et, dans ces étranges occupations, l'abbaye de Sainte-Colombe, de Sens, fournit d'intéressants épisodes.

L'origine de ces comtes n'avait rien à envier à la généalogie des rois. Ils appartenaient à la famille des Childebrand et des Nibelung, qui occupa Autun sous Charles-Martel, Charlemagne et Louis-le-Débonnaire. Leur nom célèbre dans les anciennes traditions épiques des Burgondes et dans les poèmes du midi, avait reçu une consécration non moins illustre sur les champs de bataille; leurs coups d'épée étaient restés populaires en tombant sur les Sarrasins. Childebrand, le premier d'entre eux, frère de Charles-Martel, et Nibelung, son fils, soucieux des souvenirs héroïques de leur famille, faisaient écrire dans l'abbaye de Fleury-sur-Loire les gestes des Francks(1). Heuard,

(1). Usque nunc inluster vir, Childebrandus comes avunculus regis Pippini bene historiam vel gesta Francorum diligentissimè scribi procuravit. Abhinc ab inlustre viro Nibelungo, filio ipsius Childebrandi item que comite succedat auctoritas. (Fredegarii scholastici continuat. Apud D. Ruinart, p. 686.)

leur descendant, abbé de Sainte-Colombe, comme nous le verrons, léguait, en mourant, des livres de chroniques à Anségise, archevêque de Sens. Les héritiers de Childebrand occupèrent Sainte-Colombe comme une propriété de famille; trois fils de ce premier comte d'Autun, frères de CharlesMartel, le possédèrent successivement ou plutôt s'en partageaient conjointement le produit.

Dans la série des abbés de ce monastère, le Gallia Christiana nomme Heuard sans désigner son origine. Il était fils de Childebrand, comte lui-même dans le pagus augustodunensis et fixé dans l'Autunois; ce seigneur ne gouverna jamais cette contrée, mais il y séjourna presque constamment. Héritier des traditions de la cour karlovingienne, il avait puisé sans doute aux écoles du palais la culture de l'esprit et un sentiment de recherche, d'élégance même qui jettent un grand jour sur l'intérieur de ces siècles, qu'on se représente trop facilement comme voués à une barbarie sans mélange. La demeure d'Heuard, à en juger par son curieux testament (1), ressemblait à un musée plutôt qu'à l'habitation d'un Franck, dont les ancêtres, quelques siècles auparavant, se livraient à la guerre et à la chasse dans les forêts de la Germanie. Les débris de l'art grec et romain, les ouvrages capricieux des Arabes, avec lesquels, soit dit en passant, les comtes d'Autun furent plus d'une fois en parfaite amitié, ornaient les salles de son palais. C'étaient des vases d'or et d'argent, des dyptiques, des tables sarrasines, des anneaux d'or, des pierres précieuses, des camées, des amulettes antiques, des cachets où étaient gravés des sujets fantastiques, des croix d'or, des calices, des ornements brodés; en un mot, une énumération de richesses, qu'on croirait une fiction, si l'on n'en avait sous

(1) Férard, chartes de Bourgogne, passim, donne plusieurs chartes d'Heuard.

la main la preuve authentique. Les manuscrits occupaient dans ces trésors la place de choix qui leur était due, et la composition de cette singulière bibliothèque peut éclairer l'état intellectuel de la fraction lettrée des Leudes Karlowingiens. Elle renfermait des livres de piété, des pères, des ouvrages d'agriculture et d'astrologie, pour ne rien omettre, et surtout des chroniques. C'est parmi ces dernières que Heuard choisit, pour les léguer à l'archevêque de Sens, l'histoire des Gestes des Lombards, et deux livres de la Chronique de Grégoire de Tours. Anségise, à qui il faisait ce don, n'avait pas eu, du reste, avec Heuard, que les simples rapports, suite nécessaire de la possession de Sainte-Colombe par le comte. Cet archevêque, partisan de Charles-le-Chauve et son ambassadeur à Rome en 875, eut avec Autun et l'évêque Adalgaire, autre serviteur dévoué de ce prince, des relations nécessaires. Adalgaire fut envoyé de même à Rome par ce prince, trois ans après Anségise, et rapporta pour lui la couronne impériale et le pallium pour son évêché.

Bernard, frère d'Heuard, dont il parle dans son testament, fut aussi abbé de Sainte-Colombe, ainsi que leur troisième frère Théodoric, comte d'Autun. Dans une de ces alternatives de prospérité et de revers amenée par l'instabilité des Leudes et l'ambition des princes, Heuard, qui tenait sans doute le parti de Charles-le-Chauve, fut subitement troublé avec ses frères dans la possession de son abbaye de Sens.

En 858, Wénilon, archevêque de cette ville, attaché à Louis de Germanie, saisit habilement la position embarrassée de Charles-le-Chauve. Il obtint de son compétiteur des lettres, qui dépossédèrent Heuard et Théodoric, et se mit en possession de Sainte-Colombe. Louis était alors appelé par la ligue puissante des Leudes Franks unis secrètement à ceux d'Aquitaine contre Charles-le-Chauve. Le clergé lui-même mécontent du peu de protection que l'église rencontrait contre les dépré

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