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J'ai vu au musée des antiques à Paris, plusieurs médailles exactement semblables: personne n'a pu m'en donner une explication quelconque. La seconde est un Gallien à peine reconnaissable (an 260); au revers, on distingue une femme tenant une lance d'une main, une branche d'olivier de l'autre, avec les lettres PAX AVG., Pax Augustorum. La troisième est d'une belle conservation: on lit autour de la tête de Constantin-le-Jeune (an 338) Constantinus jun. nob. C. (Junior, nobilis, Cæsar); au revers, une tour avec ces mots : Providentiæ Cæs. (Cæsarum) au bas P T R, Percussum Treviris, suivant l'interprétation la plus plausible. La quatrième est un Antonin-le-Pieux on lit autour de la tête, Antoninus Aug. Pius, pater patriæ, Trib. pot. XII (duodecimum). Au revers, on voit un éléphant: il est impossible de lire l'inscription.

M. Sachot, au faubourg St. -Didier, possède une médaille de Faustine mère, que l'ouvrier qui exploite la Motte-du-Ciar m'a dit avoir été trouvée par lui au milieu des débris. J'ai vu cette médaille qui est parfaitement conservée. M. Sachot a eu l'obligeance de me donner une médaille de Domitien, moyen bronze, beaucoup moins bien conservée que la précédente, mais qui, m'a-t-il assuré, offre cette particularité remarquable qu'elle se trouvait enchâssée dans le mortier d'un moellon extrait de la Motte-du-Ciar.

Jusqu'à présent, aucune découverte semblable, soit médailles, soit de marbres ou sculptures, n'a eu lieu dans le reste de la grande enceinte. Seulement, auprès de l'angle du mur démoli au couchant de la Motte-du-Ciar, M. Prou a trouvé un fragment d'aigle romaine en terre cuite, qu'il suppose avoir été autrefois destinée à fermer, à l'extrémité des toits, l'ouverture formée par les tuiles semi-circulaires qu'employaient les Romains. On y a découvert aussi, enfouie

en terre, une pierre plate d'un côté et taillée de l'autre en courbe, comme les pierres qui servent à former la partie supérieure des parapets. Une pierre semblable a été aussi remarquée le long de la saillie du milieu du mur du levant.

Tels ont été, Messieurs, jusqu'à présent, les résultats des travaux entrepris sur la partie du terrain de la commune de Sens, appelé le champ de César.

Il serait prématuré peut-être de vouloir désigner, dès aujourd'hui, la destination de ces constructions antiques, car la continuation des fouilles pourrait bien donner un démenti à nos conjectures. Toutefois, il paraît déjà très-probable que nous avons là, sous les yeux, les restes d'un camp prétorien. Ces camps, destinés à recevoir des troupes en quartier d'hiver et à loger les empereurs avec leur suite dans les courses nécessitées par la guerre ou par l'administration des provinces, se trouvaient toujours placés à proximité de villes importantes. Celui-ci, outre qu'il était très-rapproché de Sens qui s'étendait alors, suivant toute apparence, dans le quartier St.-Paul, occupait une position très- favorable à la défense. Protégé au nord par la Vanne, au couchant et au midi par la rivière d'Yonne qui, à en juger par les ondulations du terrain encore reconnaissables sur les lieux et dont on peut suivre la trace sur les plans du cadastre, était beaucoup plus rapproché qu'aujourd'hui de la Motte-duCiar, ce camp était en outre défendu, dans la partie ouverte du levant, par un triple retranchement. La présence d'un fragment d'aigle romaine, quel qu'en ait pu être l'usage et la matière, est à elle seule l'indication d'une station de guerre. La médaille de Constantin-le-Jeune, dont la forme au revers indique qu'elle a été frappée dans un camp, était portée sans doute par un soldat romain. Dans cette hypothèse, la Motte-duCiar aurait été le suggestus, le pretorium du camp, le lieu

où le général romain siégeait pour rendre la justice à ses soldats, où l'empereur faisait sa demeure. On conçoit facilement qu'il ait été déployé quelque luxe dans les ornements d'un semblable édifice et qu'on y rencontre parmi des marbres très-communs, gris, blancs, noirs, servant de marches, d'autres marbres plus rares, tel que le marbre vert d'Afrique, destinés aux décorations intérieures. Il se peut même qu'une partie des constructions de la Motte-du-Ciar ait servi de Théâtre. Qu'on ôte les deux massifs rectangulaires du levant et du couchant, le reste représente exactement le plan d'un théâtre antique avec le carré long où était la scène et la partie circulaire destinée aux gradins et aux spectateurs. Cette portion du théâtre aurait été, comme partout, en plein air, et l'on s'expliquerait facilement alors la présence de ces espaces vides où l'eau s'absorbe: ils étaient destinés à recueillir les eaux du ciel qui disparaissaient ensuite peu à peu dans les entrailles de la terre.

Il serait plus difficile de déterminer l'époque de la construction de ce camp. S'il est vrai que la médaille de Domitien ait été trouvée dans l'épaisseur même du mur et perdue dans le mortier, il s'ensuit que cette construction ne pourrait remonter au-delà de la fin du Ier. siècle de l'ère chrétienne, Domitien ayant régné de l'an 81 à l'an 90. D'un autre côté, elle ne saurait être postérieure à l'élévation des murailles de la ville de Sens, car alors il était devenu inutile d'établir un camp à côté d'une ville fortifiée, où Julien pouvait placer ses troupes en quartier d'hiver. I faudrait donc l'attribuer au II. ou au III. siècle peut-être est-elle de l'époque où Trajan, Adrien, les Antonin illustraient l'empire par leurs victoires et par leur administration. Il n'est pas inutile de remarquer que sur les six médailles qu'on y a trouvées, deux sont précisément de cette époque, celles d'Antonin et de sa femme Faustine.

Peut-être la continuation des fouilles jettera-t-elle quelque nouveau jour sur l'origine et sur la destination de ces constructions remarquables. En attendant, Messieurs, permettez-moi de répéter qu'elles sont vraiment dignes de toute votre attention, et de convier chacun de vous, sur ce sujet, à des recherches qui, contrôlées par la critique de tous, ne pourraient que tourner à l'honneur de notre Société.

A l'occasion des médailles gauloises trouvées dans les fouilles de la Motte-du-Ciar que M. Lallier à communiquées à la Société, M. Crosnier annonce qu'il en a trouvé un grand nombre du même genre du côté d'Entrains.

M. de Caumont remercie M. Lallier de l'intéressante communication qu'il vient de faire au Congrès, mais il ne croit pas, après le rapide coup-d'œil qu'il a pu donner aux ruines de la Motte-du-Ciar, pouvoir partager son opinion sur la destination de cet édifice. Il serait bien plus disposé à y voir des bains qu'un camp prétorien. Les bains de Dioclétien, à Rome, ont avec les ruines de Sens une analogie frappante et des dimensions à peu près semblables. Généralement les palais des empereurs étaient isolés des camps, tandis qu'ils étaient fréquemment accompagnés de bains et autres établissements publics. Le luxe déployé dans la construction de la Motte-du-Ciar, les restes de marbres et de statues, cette large façade indiquée par trois murs parallèles destinés probablement à supporter un portique, tout semble indiquer, dit M. de Caumont, un riche monument, bien plutôt qu'un camp prétorien. Celui de Rome n'y ressemble nulle

ment.

Il est difficile, sans doute, d'émettre un avis décisif avec le peu de renseignements que l'on a pu recueillir jusqu'à ce jour, mais il faut espérer que des fouilles ultérieures permettront de reconnaître la distribution intérieure de l'édifice, et d'établir sur sa destination une opinion certaine.

Il n'est pas rare de trouver les palais romains accompagnés de vastes dépendances et même d'absides circulaires comme celui de la Motte-du-Ciar. Les palais reconnus à Lyon et à Trèves, rappellent ces dispositions ainsi que beaucoup d'autres.

Il est probable, ajoute M. de Caumont, que l'ancien Agendicum s'étendait jusqu'à la Motte-du-Ciar, et se trouvait ainsi trois ou quatre fois plus considérable que la ville actuelle. On ne peut pas présumer, en effet, qu'un édifice aussi important fût séparé de la ville dont il dépendait, et il est bien plus naturel de croire qu'il en formait la limite. M. Lallier rappelle, à l'appui de cette opinion de M. de Caumont, que toutes les fouilles opérées entre les murs de la ville actuelle et la Motte-du-Ciar ont constamment fait découvrir des fondations de murs dirigées dans tous les sens, des médailles, des poteries, etc.

M. de Leutre fait observer que si la Motte-du-Ciar était un camp romain, à peine une cohorte aurait-elle pu s'y placer. Une légion, dans le système de campement adopté par les Romains, occupait en effet une superficie très-considérable. Un tacticien fort habile le général Baraguay d'Hilliers, qui a visité beaucoup d'établissements romains en Afrique, pense comme M. de Caumont, que la Mottedu-Ciar devait appartenir à des thermes bien plutôt qu'à un camp romain.

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M. de Caumont demande si l'on a conservé des documents sur l'état ancien de ce monument. On ne possède rien à cet égard, mais M. Lallier pense que l'on pourrait trouver quelques renseignements dans les titres de propriété de l'abbaye de St.-Paul, dont la Motte-du-Ciar dépendait probablement. Ces titres de propriété se trouvent, comme ceux des autres anciennes communautés, aux archives de la préfecture d'Auxerre.

M. l'abbé Pichenot cite, d'après un almanach de Sens pour

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