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M. Drouyn fait remarquer qu'il a observé dans plusieurs sculptures de ce genre, que les figures indécentes étaient suivies de diables; ce qui indiquerait une idée morale. — On répond que le fait n'existe pas en Limousin.

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M. de Verneilh dit qu'il est possible que, par les représentations d'une indécence exagérée, on ait voulu inspirer l'horreur des actions qu'elles représentent.

M. de Caumont ne pense pas qu'il en ait été ainsi. Il fait remarquer d'ailleurs que les objets indécents se retrouvent autre part que dans la sculpture des églises; ainsi, dans la bordure qui encadre la tapisserie de Bayeux, attribuée à la reine Mathilde, on trouve de pareilles obscénités.

M. Lecointre pense que peut-être les artistes ont voulu imiter tout simplement certains monuments romains qui paraissent avoir été nombreux dans le pays.

M. Texier cite un monument qu'il n'a pas pu s'expliquer: il est de la fin du XII. siècle; ce sont deux bas-reliefs, dont l'un représente un guerrier; l'autre un personnage en bénissant un second; au-dessus est un cartouche qui contient ces inots: Petrus Arberto.

M. de Caumont engage la Société archéologique de Limoges à faire dessiner les divers monuments du XII. siècle qui existent dans le département.

La séance est levée à 10 h. 172.

Le secrétaire, LEYMARIE.

Seconde séance du 21.

La séance suspendue le matin à 10 heures 172 a été reprise le soir à 2 heures, dans les salons de l'évêché, sous la présidence de Mgr. Buissac, qui avait engagé les membres du Congrès à venir visiter la cathédrale.

Après quelques mots chaleureux dans lesquels Mgr. exprime toutes les sympathies que lui inspirent les travaux de la Société française et ceux de la Société archéologique, et le regret qu'il a éprouvé de n'avoir pu assister aux séances du Congrès, Mgr. Buissac donne la parole à M. Charles Des Moulins.

M. Des Moulins lit un mémoire sur l'église et le tombeau de St.-Junien.

RAPPORT SUR L'ABBATIALE DE SAINT-JUNIEN ;

Par M. DES MOULINS.

MONSEIGNEUR, MESSIEURS,

Votre rapporteur doit aujourd'hui se garder des écucils. Vous lui enjoignez de vous redire ce que vous avez vu il y a quelques jours à peine; et ce que vous avez vu est, certes, au nombre des choses qui ne s'oublient pas, surtout quand on sait voir comme vous. Vous lui enjoignez de le dire à ceux qui n'ont pas fait avec vous le pélerinage archéologique de St.-Junien, mais qui l'ont étudié maintes fois, à loisir, avec patience et maturité, dans la vue de décrire ce vaste et magnifique écrin qui renferme le plus précieux joyau de la province; j'ai presque dit, en son genre, de la France entière. Vous voulez que je parle de St.-Junien après le brillant écrivain qui ne s'éloigne de Paris que pour s'attaquer comme autrefois Tarquin, aux sommités les plus saillantes, aux plus éclatantes fleurs du champ archéologique de la patrie, les pierres de Gavr'Innis, les fresques de St. -Savin, la tombe que vous avez vénérée avant hier. Vous voulez que j'en parle devant le jeune et savant ecclésiastique qui vit sous son ombre, qui lui consacre tous les loisirs de son saint mi

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nistère, s'inspira de son étude, et qui vient de la décrire avec la plus irréprochable fidélité........ Vraiment, Messieurs, c'est déjà trop exiger de moi, et j'oserai presque vous demander si ce n'est pas trop attendre de nous. Oiseaux voyageurs, oserons-nous, en effet, chanter aux races sédentaires la saveur de leurs fruits, la fraîcheur de leurs bosquets ?.... Mais hélas ! il y a là un despote qui parle et qui veut être obéi c'est l'usage invariable de vos réunions nomades. Il veut, ce despote, qu'un souvenir spécial demeure attaché à chacune de vos excursions, et répande parmi nos confrères absents les enseignements que vous êtes venus demander aux œuvres de nos ayeux. Hormis des cas très-rares, où la possibilité d'une controversé doit assurer aux plus longues études le droit de faire écouter leurs résultats, il veut même que le rapporteur soit choisi parmi les voyageurs, afin de recueillir de préférence ces impressions primesautières dont l'accoutumance n'a pas eu le temps d'émousser la vivacité, et qui, privées de la maturité de l'étude, font éviter l'écueil des longueurs, comme elles permettent une excuse à quelque inexactitude.

Obéissons donc, Messieurs, à cette loi déjà antique pour nous, puisqu'elle date de l'origine de la Société française; et si vous avez trop présumé de mes forces, il me reste du moins cette confiance que vous n'avez pas trop présumé des vôtres car vous étiez assez nombreux à St.-Junien; tout y a été mis en commun, enseignement, observations, objections, tout jusqu'au doute instructif qui provoque l'examen et amène la lumière; et c'est ici une de ces occasions trop peu fréquentes (hélas ! je le sais bien), où il est permis et ordonné au geai de se parer des plumes du paon.

Arrêtons-nous d'abord devant la sévère façade de la basilique (et ce sera d'autant plus volontiers aujourd'hui que nous sommes à l'abri des torrents de pluie qui nous inondaient samedi). Voici déjà la discussion qui s'engage.

M. Mérimée est tenté de prêter à l'architecte le projet primitif de deux tours de façade ; mais les deux jolies tourelles à toit conique en pierre qui flanquent celle-ci, n'accompagnent-elles pas, d'une manière noble et proportionnée, l'exhaussement qui porte la première coupole à une hauteur si notable? Et la base de tour octogone qui supporte la flèche n'exclut-elle pas l'idée de deux autres tours si voisines ? De cette hypothèse de M. Mérimée, est née une idée assez singulière, celle du remaniement de la façade. Elle n'aurait conservé de primitif, selon lui, que son mur et sa fenêtre cintrée centrale. Tout le reste, tourelles, portail à quadruple archivolte torique en retrait, à colonnettes grêles, à baies ogivales géminées, fenêtres ogivales du premier étage et tout le clocher, moins la flèche, tout cela, dis-je, serait de la fin du XIIo. siècle. Mais tout cela, Messieurs, vous l'avez judicieusement remarqué, c'est à vrai dire la façade elle-même, et remanier ainsi, ce serait reconstruire à fond.

Mais est-il prouvé que cette façade porte le caractère de la fin du XII. siècle ? Vous n'avez pas pensé qu'il en fût ainsi, et les lourds piliers de St.-Pierre-du-Queyroy sont trop près de St.-Junien pour qu'on voie, dans les colonnettes grêles du portail de cette abbatiale, un acheminement inévitable vers l'élancement gracieux du XIIIe. siècle, décidément ogival. L'art roman sut aussi, dans le dernier siècle de sa vie, se faire svelte et dégagé; il ajoutait ainsi, grâce aux intraitables matériaux du Limousin, le mérite de la difficulté vaincue à celui de ses proportions élégantes; et l'ornementation de détail étant nulle sur le portail dont nous nous occupons, n'offre aucun argument victorieux contre l'opinion que vous avez adoptée. On peut le noter en passant : le XIII. siècle, lorsqu'il ne s'élança pas de prime-abord dans la voie franchement ogivale à laquelle l'art chrétien dut sa plus grande splendeur, le XIII. siècle, dis-je, se fit bien

plus lourd, bien plus massif que le roman tertiaire auquel il succédait ; et si vous voulez que je ne me borne pas à citer les énormes piliers de St.-Pierre-du-Queyroy, j'appellerai entre autres, à l'appui de mon assertion, leurs frères qu'on voit en Beauce, dans l'église si complète et si curieuse de Thoury. Je reviens à St.-Junien: sa consécration date du 21 octobre 1100; et nul doute qu'on n'attendit pas que les trois quarts du XIIe siècle fussent écoulés, pour achever une façade si simple. La tour et la coupole qu'elle surmonte furent contemporaines de la façade ; c'est ainsi que vous en avez jugé, et elles furent édifiées après le transept et la nef.

Il faut dire un mot de cette coupole du porche d'entrée : elle se distingue de celle du transept par quelques caractères qui prouvent une ancienneté moins grande, tels que l'absence des fenêtres dans le mur octogone qui la supporte, l'ouverture ronde et non polylobée de son cerveau, et surtout le cordon en tore et non en simple tailloir qui forme le rebord de sa base. Certes, si quelque chose pouvait faire reporter la coupole aux approches du XIII. siècle, ce serait assurément cette moulure si étonnante pour nous, qui habitons le centre de la région des coupoles: mais M. de Caumont a dit, et c'est la loi, qu'un caractère isolé ne peut servir à établir une date; ce privilége n'appartient qu'à l'ensemble, et l'ensemble est en faveur du jugement que vous avez porté. Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, que l'achèvement de St.-Junien est bien voisin du commencement de l'ère des coupoles, et si leur cordon normal se retrouve à la coupole plus ancienne du transept, on peut présumer que la forme du cordon n'était pas encore passée en loi, au point d'empêcher, comme depuis, l'essai presque contemporain d'une combinaison différente.

Or, Messieurs, les caractères d'antériorité que vous avez reconnus dans le transept, le commencement du chœur et la partie orientale de la nef, ne rejettent pas la construction de

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