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saurait trop regretter la déplorable préoccupation qui a dicté, trois ans plus tard, un ouvrage grave dont le résultat historique serait de déplacer l'honneur de la découverte des reliques. Le procès-verbal authentique, fait et signé par les magistrats et par les hommes les plus savants et les plus respectables de la ville de Saintes, fera foi pour l'histoire et restituera à M. l'abbé La Curie l'honneur qui lui revient pour sa pieuse sollicitude, en attachant son nom à cette heureuse découverte. Ce procès-verbal a sa place parmi les documents. officiels qui composent le recueil des pièces de l'information. canonique, et il aurait dû avoir aussi la première dans le livre dont j'ai parlé et que son absence rend incomplet et fautif. Cependant l'erreur se propage dans un grand nombre d'esprits, par la publicité très-étendue donnée à l'ouvrage privé, comme par celle, trop restreinte, qu'a obtenue le recueil des pièces authentiques; et c'est cette pensée qui m'a fait un devoir de devancer en vous parlant, Messieurs, le jour où l'erreur sera redressée aux yeux de tous par le jugement sur pièces que ce fait historique obtiendra de l'avenir.

Ce n'est pas la Société française qu'il est besoin d'entretenir de l'importance historique et monumentale de la cité des Santons; déjà vous y avez tenu plusieurs séances solennelles, et il est permis d'espérer que ce ne seront pas les dernières; déjà vous y avez étudié vous-mêmes les imposants débris des constructions antiques qui couvraient le sol de cette métropole, et les magnifiques édifices qu'y éleva l'art chrétien. Je me renfermerai donc strictement dans l'objet de mon rapport, et je ne vous parlerai que de Saint-Eutrope; mais, pour comprendre la nature et l'importance des travaux exécutés par M. l'abbé La Curie pour la restauration de la crypte, il est nécessaire d'avoir sous les yeux un état des lieux. Or, si notre savant collègue, M. Moufflet, nous a donné, dans le XI. volume du Bulletin monumental, une

description excellente et approfondie des Arènes, les publications de la Société ne contiennent rien d'assez détaillé sur les églises supérieure et inférieure du monastère de SaintEutrope, pour que je ne croie pas devoir vous en offrir une description méthodique.

A mille mètres environ de l'arc de triomphe irrévocablement détruit aux yeux de la science, de l'art et de la vérité, au pied du capitole de l'antique Mediolanum et sous les murailles méridionales de la métropole, s'étend un étroit et riant vallon qui vient aboutir au fleuve. L'amphithéâtre est assis dans sa partie supérieure et renferme dans son enceinte la fontaine, disposée par les Romains pour obtenir l'ascension de ses eaux, et que consacre depuis quinze siècles le nom gracieux et vénéré de sainte Eustelle. Au midi, sur la chaîne de coteaux qui borde l'amphithéâtre et le vallon, s'élève isolée une haute et élégante tour, que soutiennent huit contreforts étagés, que couronne une flèche courte, mais aiguë, flanquée'de quatre clochetons. C'est là un lieu célèbre et vénérable dans la Gaule chrétienne. C'est là que l'Apôtre de la Saintonge, Eutrope, arraché de l'obscure retraite où, sur l'autre rive du fleuve, il avait fondé l'autel du vrai Dieu et assis sa chaire pontificale, fut livré à la corporation des bouchers de la ville et mis à mort pour le nom de JésusChrist. C'est là qu'une pure et fervente néophyte, Eustelle, donna courageusement la sépulture au corps glorieux du pontife. C'est là que la tête virginale d'Eustelle roula dans la poussière, sur l'ordre de son père selon la chair, pour avoir honoré les restes de son père dans la foi, et pour être demeurée fidèle à son céleste époux. C'est là que, trois siècles plus tard, un successeur du saint martyr, un autre saint, Palladius, bâtit une église en son honneur, et tirant de la terre son corps vénéré le replaça dans la tombe de pierre où il repose encore, au fond d'une crypte

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dont les constructions n'existent plus. Elle était grande, cette basilique élevée par saint Palais, car il y avait érigé treize autels; mais elle devint trop étroite pour contenir la foule des fidèles que le grand nom d'Eutrope attirait sans cesse auprès de son tombeau. La crypte surtout, le martyrium où reposaient ses ossements sacrés, ne pouvait suffire à l'affluence des pélerins dans ces âges de foi. La basilique primitive fut remplacée, au XI. siècle, par la belle collégiale dont la nef subsiste encore. Son autel majeur fut consacré par le pape Urbain II, ce consécrateur infatigable de cathédrales françaises; et peu de jours après, le 3 novembre 1096, l'évêque Ramnulfe II procéda à une seconde et solennelle translation du corps de saint Eutrope, dans la crypte aggrandie par l'ouvrier Benoist, Benedictus, peritus artifex, qui avait construit en même-temps l'église haute. Cette crypte que Benoist nous a léguée, est celle que M. l'abbé La Curie vient de restaurer et que je vais décrire.

DESCRIPTION DE L'ÉGLISE HAUTE.

Quatre siècles ont laissé leur empreinte sur le monument. Le premier a bâti, le second et le troisième ont remplacé et augmenté, le quatrième a détruit et gâté : il va sans dire que c'est le nôtre.

De l'édifice de 1096, il reste la nef entière, ses bas-côtés et deux absidioles rayonnantes autour du chevet. L'abside centrale a été refaite et allongée en 1602. Nous devons au XVe siècle le clocher, la chapelle qui le supporte ét celle qui lui fait face à l'autre extrémité du bas de la nef. Le XIX®.

est venu qui, en 1831, a remplacé la coupole romane du clocher primitif par une coupole à sa guise. Avant, en 1803, un des piliers, un seul, de l'église des catéchumènes, naçait ruine; pour ne pas le réparer, on détruisit en entier

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cette église, sorte de porche immense qui s'étendait à l'ouest de la nef dont il était séparé par le clocher primitif, et on ferina la nef par un mur. Ce mur, dont l'ornementation n'est complètement ni égyptienne, ni grecque, ni romane, ni ogivale, ni moderne, mais un peu de tout cela, peut être considéré comme le bilan de l'ignorance et de l'impuissance en matière de constructions religieuses, qui ont caractérisé le premier tiers de notre siècle. Je ne m'étendrai pas davantage sur sa description : j'ajouterai seulement qu'on y a ménagé trois ouvertures par lesquelles on pénètre dans l'église.

Contemporain de la collégiale, le porche ou église des catéchumènes occupait un vaste carré presque égal en surface à la nef; maintenant c'est un parvis planté d'arbres. Je les aime ces arbres, ils voilent la façade de 1839; c'est une manière de feuille de vigne. Il ne reste, de cet immense porche, qu'un pan de mur en bel appareil moyen, relevé d'une colonne engagée dont le chapiteau, lourdement et largement galbé, montre ces volutes et ces grandes feuilles d'eau dont le XI. siècle fut si prodigue. Au-dessus de ce chapiteau, type de son époque, s'élève une colonnette plus mince entre deux arceaux légèrement ogivaux, dont l'occidental renferme une fenêtre cintrée ébrasée, sans autres ornements que deux colonnettes.

J'ai été assez heureux pour effectuer mon récent voyage à Saintes en compagnie de notre collègue M. Léo Drouyn, inspecteur de la Gironde; sa complaisante amitié et son zèle pour l'illustration du Bulletin monumental sont venus en aide à mon travail, en me fournissant le moyen d'y joindre une image fidèle de la crypte, son plan exact et le fragment ci-dessous, seul témoin qui subsiste encore de l'existence de l'église des catéchumènes. Ce dernier m'a semblé important à publier, en ce qu'il donne une idée précise de sa décoration, plus sobre, plus large et plus sévère que celle de la

nef. En second lieu, il montre une différence entre la décoration intérieure au XI. siècle, en Saintonge, et celle qui

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FRAGMENT DE L'ÉGLISE DES CATÉCHUMÈNES.

était alors en usage dans une province voisine, le Périgord; car le mur n'est pas orné d'arcatures cintrées. Ces arcatures se montrent, il est vrai, au premier étage, au-dessus du cordon; mais, ainsi placées, elles semblent destinées uniquement à encadrer les fenêtres; elles sont légèrement ogivales, comme les grandes arcatures qui partent de la base du mur, au XII. siècle, en Périgord; et c'est là encore un nouveau témoignage de l'avance d'un demi-siècle au moins, que prend la Saintonge sur les provinces environnantes, avance déjà démontrée par tant d'autres faits. En troisième lieu, ce pan de mur appartient à un genre de monuments religieux fort rares en France je n'ai vu du moins que le porche de Moissac, dont les fortes dimensions puissent l'assimiler en quelque sorte à notre église des catéchumènes. On sait de plus sur le

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