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Seconde séance du 15 septembre 1847.

Présidence de M. RIVAULT, maire d'Angoulême.

La séance est ouverte à 2 heures 1/2.

M. de Caumont invite M. le maire d'Angoulême à présider la séance. MM. DES MOULINS, LA CURIE, DE CHANCEL, GAUGAIN, MICHON, BROMETT, DROUYN, siégent au bureau. Outre les membres présents à la séance du matin, on remarque M. Félix DE VERNEILH, de Nontron; M. DUFAU, ingénieur en chef des ponts-et-chaussées; M. FRUCHARD, grand-vicaire.

M. de Caumont présente quelques observations sur les questions qui pourront être étudiées de préférence dans une session qui ne peut durer que trois jours, et dans laquelle on ne pourra embrasser toutes celles qui ont eté préparées ; il propose de mettre immédiatement en discussion un sujet sur lequel M. Michon a demandé la parole; à savoir: si beaucoup d'églises classées dans le XI. siècle n'appartiennent pas à des temps plus anciens. M. Michon s'exprime ainsi :

NOTE DE M. MICHON.

Une opinion assez généralement adoptée en archéologie consiste à arrêter l'âge de tout monument un peu ancien, à l'an mille, et à supposer qu'il ne reste plus de vestiges de quelque importance, des monuments élevés, dans les Gaules, depuis le VI. siècle jusqu'au XIa.

Deux raisons fortes en apparence, ont donné de la valeur à cette opinion. D'abord la classification des monuments du Nord et de l'Ouest, à partir du Ve. siècle, dans laquelle on n'a compris que des édifices imités des fabriques romaines,

où la brique a été employée, cette classification, vraie pour certaines contrées, ne l'est pas pour d'autres. Dans les pays où le calcaire est presque à la surface du sol, facile à extraire et à tailler, il était tout naturel qu'on abandonnât les tra- ditions de la maçonnerie romaine, qui demandaient une grande habileté dans la manipulation des ciments, pour entreprendre des constructions, où l'on ne fît entrer que les matériaux commodes du pays. L'absence de la brique ne devait donc pas être regardée comme un caractère de non antiquité.

En second lieu, l'exagération des chroniqueurs qui racontent que les bandes dévastatrices des Normands ne laissèrent debout aucun monument, a fait croire que rien n'avait résisté à leur fureur. Ces mêmes chroniqueurs disent encore qu'après l'année mil, on se mit à démolir ce qui restait des anciennes églises, pour les construire plus vastes et plus belles. De tout cela on avait conclu, avec quelque vraisemblance, qu'il ne fallait plus chercher sur le sol de monuments chrétiens antérieurs au XIe siècle; cependant ce système est trop exclusif pour être soutenable. Il est évident qu'on ne peut pas prendre à la lettre les expressions des chroniques, sur les dévastations des Normands et sur ce zèle de reconstruction du XIe siècle.

Je trouve plus logique de supposer, même à priori, qu'il n'y a pas eu solution de constructions entre l'époque galloromaine et l'an mil; que toutes les églises construites dans les villes, dans les monastères, depuis le VI. siècle, ne furent pas démolies; que pillées, incendiées, par les Normands, elles restaient encore debout; que dans les reconstructions du XI. siècle, soit économie, soit respect, soit difficulté de démolir, on a dû laisser subsister des parties notables des édifices de l'époque précédente.

Mais ensuite, quand on parcourt nos provinces du midi, qu'on en examine les édifices avec une attention scrupuleuse,

et cette investigation de l'art, que les études toujours progressives rendent plus raisonnée et moins sujette à l'erreur. Dans quelques recoins des vieilles cités dévastées par les Normands, dans les vallons solitaires où rien n'était à piller, au milieu de quelque pauvre village qui n'avait pu tenter la cupidité des envahisseurs, on retrouve bien des débris de cette architecture primitive, qui nous apparaît, non pas avec le cachet du beau, mais avec l'imposante majesté des neuf ou dix siècles qui sont maintenant sa parure.

On remarquera d'abord que les églises consacrées au culte par l'onction que l'église compare en quelque sorte à l'onction sacerdotale, étaient protégées contre une destruction complète, par cette idée traditionnelle qu'une église nouvelle devait conserver le plus que possible de l'église primitive. Cette idée remontait au paganisme lui-même, qui avait eu une intuition si complète du temple, de ses sacrifices, de ses mystères, de ses terreurs. En étudiant les monuments de mon pays, j'ai trouvé de nombreux exemples, où l'on a suivi cette règle hiératique, au risque de jeter du désordre dans le plan des édifices et d'en détruiré toute la symétrie. Il serait puéril de supposer que cette minutieuse précaution ne fut autre chose que la pensée mesquine d'économiser quelques toises de maçonnerie, lorsque surtout l'édifice primitif était remplacé par une vaste construction, qui demandait des frais immenses. Je ne citerai ici que peu d'exemples.

A Angoulême, lorsque, au XIIe. siècle, l'illustre Gérard II construisit la cathédrale à primo lapide, dit la chronique, il laissa subsister, de la vieille cathédrale, la coupole occidentale tout entière et tout le bas de la façade jusqu'au premier étage, où commence une longue et étonnante série de sculptures, pendant que le reste conserve la nudité des façades du XIe siècle.

A Blanzac, on ne touche pas au clocher de la fin du XIo.

siècle ou du commencement du XII., on le laisse avec ses quatre lourds piliers au centre de l'église à la jonction du chœur et des transepts. Ces piliers trop rapprochés, sont disgracieux; ils contrastent avec un sanctuaire absidal de la plus grande magnificence, de style roman de transition, du commencement du XIIIe. siècle. Mais dans l'idée du temps, l'édifice devra rester; il était peut-être le chef-lieu de la puissance abbatiale, comme le donjon, celui de la puissance du haut baron. Tout devra céder à une loi qui domine toutes les autres, à l'opinion, au principe reconnu et consacré par elle.

A Bassac, à Gourville, à Ruffec, mêmes dissonnances, mais aussi pareille inflexibilité dans l'application de la règle; elle passe même dans la construction des édifices séculiers. Le château d'Angoulême fut élevé par le comte Jean, aïeul de Francois Ier, sur les bastions et avec une partie des épaisses murailles du château féodal des Lezignons.

On comprend donc comment ce respect religieux, cette règle hiératique a dû conserver beaucoup de fragments des églises du roman primaire, dans celles qu'on éleva postérieurement à l'an mil. C'est une des études les plus curieuses à faire, que celle d'éliminer successivement par la pensée en entrant dans une église 1°. Toutes les restaurations faites à diverses époques, avec les additions en contreforts, en fenêtres, en portes latérales; 2o. Tout le travail principal de l'édifice qui remonte, soit au XII., soit au XIo. siècle; pour retrouver alors, soit une partie de nef, soit une abside, soit une base de coupole centrale, soit une partie des murs latéraux de la nef, qui soit d'un temps encore plus reculé, avec un peu d'habitude de juger, par la comparaison de diverses constructions du même pays, de date certaine, on arrive bientôt à retrouver ce qui, par son appareil, la nature des matériaux, les moulures, la forme des sculp

tures, la profondeur du trait qui cisèle, l'agencement général des parties indique un faire spécial, un cachet d'individualité, ce type de barbarie qui tient à une époque et non pas à la maladresse de quelques constructeurs.

En me servant de cette méthode, il m'a été facile de classer en Angoumois les fragments les plus importants de cette architecture romane primaire, produit du génie barbare de l'époque.

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Ce style a évidemment son cachet spécial. Voici les caractères dominants qui peuvent servir à le distinguer: 1°. Pour le plan, nefs très-étroites, piles intérieures à forte saillie, contreforts intérieurs très-peu saillants, quelquefois absence totale de contreforts; grande irrégularité dans les mesures des parties semblables;

2o. Appareil exactement semblable à celui des châteaux forts des IX. et Xe. siècles; les angles, les contreforts, les pilastres en pierre de taille d'appareil moyen, les parties lisses intermédiaires ou en moellon grossier noyé dans le ciment, ou en très-petit appareil bien régulier; voûtes en moellon; arcs doubleaux avec forte saillie ;

3o. Règne exclusif du plein-cintre, quelquefois des cintres exhaussés ou soubaissés, mais jamais d'arc roman brisé. Chez nous cet arc roman légèrement aigu se montre dès le XI. siècle;

4°. Absence fréquente de modillons, quelquefois absence des archivoltes;

5o. Bases des colonnes composées de boudins superposés, souvent jusqu'au nombre de trois. Chapiteaux dont le tambour est droit, dont l'astragale va se perdre à angle droit dans le mur où le chapiteau est engagé, sculpture des chapiteaux peu profonde; dessin des objets assez semblable à celui des monnaies des deux premières races. Tailloirs de chapiteaux très-épais et très-saillants;

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