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nisme apparaissent dans les écrits d'admirables philosophes, tels que Sénèque (ann. 2 à 68), Épictète, Papinien, Marc Aurèle lui-même. Le christianisme eut cependant trois cents ans de lutte et de persécutions cruelles à soutenir avant de se faire ouvertement accepter, parce qu'avec ses doctrines de charité et de fraternité, auxquelles toutes les âmes aspiraient avec ardeur, il apportait des dogmes nouveaux, des mystères inconnus, et l'adoration en la personne du Christ, contre laquelle l'orgueil humain se révoltait.

LA GAULE AU TROISIÈME SIÈCLE.

Après les Antonins, éclata le malaise moral qui minait sourdement l'empire. L'adoucissement des mours; l'émancipation des fils de famille, des afranchis et surtout des esclaves; l'encombrement des villes et le délaissement des campagnes; l'appauvrissement des terres; les exigences du fisc croissant à mesure que croissait la gène des propriétaires et des cultivateurs; l'indiscipline des soldats, gens besoigneux, toujours avides et menaçants; le changement continuel d'empereurs, victimes, pour la plupart, du fer ou du poison; la terreur des Barbares assiégeant toutes les frontières

de l'empire, quelquefois repoussés, quelquefois pénétrant jusqu'au cœur des provinces, et toujours laissant des ruines et des flots de sang sur leurs traces; toute cette série de faits compose une chaîne providentielle dans laquelle on voit les maux présents expier le grand abus du passé, l'esclavage, et préparer l'amélioration de l'avenir. La Gaule eut sa large part de souffrances, surtout depuis le moment où l'empereur Antonin Caracalla, en 212, effaça les anciennes distinctions d'alliés ou de sujets de Rome, et donna le droit de cité à tous les habitants de l'empire. Tous les hommes libres furent désormais des citoyens; mais ce fut par une mesure de fiscalité, non d'équité, dont le but était d'abolir les priviléges des cités alliées en matière d'impôts.

La Gaule traversa ces temps durs à supporter en y retrouvant quelque chose de son esprit national. qui ne cessa de se réveiller par intervalles. Sa position géographique y contribua autant que ses antiques souvenirs; car, liée d'un côté à l'Espagne, de l'autre aux îles Britanniques, elle formait, avee ces deux annexes, le noyau d'une agglomération de peuples unis par de nombreuses sympathies de races et par des intérêts communs. Ces penchants se manifestèrent, aussitôt après la mort de Commode (493), par la tentative de Clodius Albinus.

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chef des légions de Bretagne, qui vint en Gaule disputer l'empire à Septime Sévère. Albinus fut appuyé par les Gaulois, entra triomphant à Lyon; mais il fut défait et tué dans les plaines de Trévoux (197). La mort du vaincu, le meurtre cruel de sa femme et de ses enfants, égorgés et jetés au Rhône, ne suffirent pas à payer pour lui; ses principaux partisans, c'est-à-dire les plus notables habitants des cités de Gaule et d'Espagne, furent mis à mort, et leurs biens servirent à récompenser les amis du nouveau règne. Un demi-siècle après, l'empereur Valérien ayant été fait prisonnier par les Perses, et Gallien, son fils, s'étant montré indigne par son incapacité, sa mollesse et son indifférence pour les malheurs publics (1), les légions gauloises déférérent le titre impérial à Posthumus, soldat de fortune qui s'était élevé, par son seul

() Voy. plus haut, p. 17, col. 2.

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exclusivement militaire. Enfin, pour faire cesser l'instabilité perpétuelle qui, en changeant si souvent le chef de l'État, bouleversait sans cesse l'empire, il partagea les provinces en quatre régions et s'associa trois collègues qui devaient mutuellement se porter secours, se suppléer et maintenir le jeu régulier des pouvoirs, sans jamais laisser place au fléau des interregnes. L'une de ces quatre régions fut la Gaule, jointe à la Bretagne et à l'Espagne, et le chef qui lui fut choisi (292) était un grand prince, Constance Chlore, père de Constantin.

ELLE

Monnaie de Constance Chlore.

Mais de tels changements, qui ébranlaient, par un nouveau régime, ce grand corps malade de la société romaine, dans l'espoir de guérir ses douleurs, avaient pour premier effet de les rendre plus cuisantes. Dans l'administration civile organisée par Dioclétien, la présence et le nombre des agents fiscaux furent ce qui frappa surtout le peuple. Un écrivain du temps (Lactance) nous en a laissé une peinture terrible : « Le nombre des employés, ditil, devenait plus grand que celui des contribuables. Les forces manquaient aux laboureurs, les cultures se changeaient en forêts. Les agents du fisc ne connaissaient que condamnations, proscriptions, impositions, non pas fréquentes, mais perpétuelles, et accompagnées de mille outrages. On mesurait les champs par mottes de terre; on comptait les arbres, les ceps de vigne; on inscrivait les bêtes, on enregistrait les hommes; on n'entendait que les fouets, les cris arrachés par la torture; et quand les malheureux cédaient, vaincus par la douleur, on écrivait ce qu'ils n'avaient pas dit. Point d'excuse pour la vieillesse ni pour la maladie; on apportait les malades, les infirmes; on estimait l'àge de chacun on ajoutait des années aux enfants, on en ôtait aux vieillards. Encore ne s'en rapportait-on pas à ces premiers agents; on en envoyait toujours d'autres pour trouver davantage; ceux-ci ne trouvaient rien, mais ils surchargeaient les gens au hasard, pour ne pas paraître inutiles. Cependant les animaux diminuaient et les hommes mouraient, mais l'on ne payait pas moins l'impôt pour les morts. >>

LES BAGAUDES.

Les serfs, les colons, les petits propriétaires ruinés, sans armes, mais affamés et poussés à bout, s'insurgèrent contre la société. Ils ne réussirent qu'à doubler les maux et amonceler les ruines. On les appelait et ils s'appelaient eux-mêmes bagaudes

(vagabonds?). Ils s'étaient choisi deux chefs, deux chrétiens, dit-on, nommés Amandus et Elianus, qui prirent les titres, l'un d'Auguste, l'autre de César, et firent frapper des monnaies à leur effigie. Pendant de longues années ils désolerent la Gaule entière et même l'Espagne, en faisant la guerre aux riches, en se jetant sur les maisons de campagne, en forçant et brûlant les villes. L'énergie du désespoir animait ces socialistes dont la révolte avait aussi le caractère d'une réclamation des chrétiens impatients. En quelques lieux, le peuple leur tendait la main et leur ouvrait ses cités; ailleurs, il résistait. L'antique ville des Édues, qui voulut les repousser, fut emportée d'assaut. Les bagaudes la détruisirent de fond en comble; leur rage se déchaînait principalement sur les splendides édifices, et ils mirent en poussière les célebres écoles d'Autun, ses bains, ses palais, ses temples. Dioclétien fit aussitôt marcher ses armées contre eux (286). Vaincus à plusieurs reprises, les deux chefs de la bagaudie gagnèrent les environs de Paris avec ce qui leur restait de partisaus, et se retranchèrent dans la presqu'ile formée par un circuit de la Marne, au point où cette rivière va se jeter dans la Seine. Ils s'y défendirent courageusement et furent exterminés; Amandus et sou compagnon Elianus périrent les armes à la main. Le camp des bagaudes conserva ce nom pendant plusieurs siècles, et ce fut sur ses ruines que s'établirent l'abbaye (vers 630), puis le village de Saint-Maurdes-Fossés. L'insurrection, étouffée cette fois, prouva plus tard qu'elle n'était pas anéantie, et se prolongea sous la forme de brigandages. Quant aux chrétiens, ils partagèrent avec elle les conséquences de la défaite; ils furent cruellement persécutés. De nobles martyrs scellerent de nouveau leurs croyances par le sang saint Firmin, à Amiens; saint Quentin, dans la ville à laquelle il a laissé son nom; saint Crespin et saint Crespinien, les deux cordonniers de Soissons; saint Rieul (Regulus), à Senlis; les enfants nantais, Donatien et Rogatien; saint Victor, à Marseille; sainte Foi, à Agen; une foule d'autres encore (226-290).

CONDITION PLUS HEUREUSE DE LA GAULE SOUS CONSTANTIN.

Constance Chlore, qui adoucit le sort des chrétiens et détourna, par sa tolérance, l'effet des édits portés contre eux, mourut dans la Grande-Bretagne, à York, le 23 juillet 306. Les soldats proclamèrent à sa place son fils Constantin, qui devait faire asseoir le christianisme sur le trône. Les premières pensées du nouvel Auguste se tournèrent contre les barbares, Franks et Allemands, qui continuaient à désoler les frontières de la Gaule. En vain les princes et les généraux romains, après d'éclatantes victoires, accordaient la paix à ces nations de tueurs et de pillards; en vain celles-ci acceptaient-elles la paix et les traités; elles se jouaient des serments et recommençaient sans cesse leurs incursions. Les Gallo-Romains, exaspérés,

finirent par traiter les prisonniers en criminels. Dės le commencement de son règne, Constantin, ayant encore une fois fait l'épreuve de leur perfidie, porta dans le pays des Franks, chez les Chamaves, les Chéruskes, les Bructères, une guerre d'extermination, et à son retour de ce côté-ci du Rhin, il livra tous ses captifs aux bêtes féroces, dans l'amphithéâtre de Trèves. Deux ans après, en 308, puis en 310, en 313, en 320, les Franks se remuèrent de nouveau, et avec leurs mouvements recommencèrent des représailles terribles. Constantin ne cessa pas de fortifier la frontière du Rhin, de garder une glorieuse offensive et de braver la rage des Barbares en donnant leurs rois et leurs meilleurs soldats en påture aux tigres et aux lions. Le sentiment public applaudissait à ces vengeances, et le peuple, rendu cruel par la souffrance, célébrait avec joie les jeux franciques, fètes solennelles destinées à rappeler les désastres des Franks, et dans lesquelles le supplice des vaincus formait une partie du spectacle.

La Gaule retrouvait donc des jours florissants.

Constantin se plut à relever et à embellir ses principales cités, Arles, Autun, surtout Trèves, devenue la capitale de l'Occident. Il modéra les impôts. A Autun, par exemple, il fit remise entière à la population de cinq années d'arriéré, et réduisit de plus d'un quart le chiffre de la capitation ou impôt personnel. Il y avait sur le territoire éduen vingt-cinq mille contribuables assujettis à l'impôtpersonnel (outre la jugération ou impôt foncier que les propriétaires payaient à part); Constantin réduisit leurs vingt-cinq mille parts à dix-huit mille. Dans la capitation romaine, en effet, l'impôt était divisé en parts et non établi par têtes, de façon à n'éprouver aucune diminution dans le cas où les habitants diminueraient de nombre. Les femmes ne payaient que moitié; l'on en réunissait deux pour percevoir d'elles une part entière. Plusieurs empereurs permirent, lorsque les gens étaient trop pauvres, qu'on en réunit de même deux, trois et même quatre. Les personnes de condition libre et d'àge adulte étaient seules soumises à la capitation. Ces diverses exceptions

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rendent très-incertains les calculs par lesquels on pourrait chercher, au moyen de ces vingt-cinq mille parts d'impositions existant dans le pays éduen, dont les limites sont à peu près celles de notre Bourgogne, à apprécier la population d'alors. On l'a fait cependant, et l'on a pensé, en évaluant à trente et quelques mille le nombre des Édues ou Autunois qui payaient la taxe personnelle, que les habitants libres de la Gaule, au commencement du quatrième siècle, pouvaient s'élever au nombre environ d'un million. Le reste, qu'on évalue à huit ou neuf millions, était esclave ou colon, c'est-à-dire cultivateur forcément attaché à la terre. La capitation ne frappait que les hommes libres; mais, à leur tour, ceux-ci la répartissaient entre leurs serfs, et c'était une charge si lourde, qu'à la fin du siècle de Constantin chaque part de cet impôt s'élevait à la somme de 25 pièces d'or (336 francs de notre monnaie). L'impôt foncier était fixé par un cadastre qu'on vérifiait tous les quinze ans, et qu'on appelait indiction (fixation, ordonnance).

L'indiction enlevait à peu près le tiers du produit de la terre, et quelquefois l'empereur la chargeait de superindictions, c'est-à-dire de sommes additionnelles. Le fisc percevait en outre les

revenus de terres qui composaient son domaine propre; les impôts levés sur le commerce et l'industrie par les douanes, les marchés, les péages; l'impôt indirect sur les objets de consommation; l'impôt des successions et des legs, qui s'élevait à 5 pour 400; enfin, les dons volontaires offerts aux premiers empereurs lors de leur avénement et qui devinrent immédiatement une charge obligatoire et des plus lourdes. Constantin signala tout son règne par ses efforts pour alléger les maux des populations et pour adoucir, au moins dans les formes de la perception, ces obligations presque intolérables. Voici l'un de ses nombreux décrets : « Il ne faut pas que personne ait à redouter la prison, ni le fouet aux lanières garnies de plomb, ni les poids aux pieds ou autres supplices inventés par la dureté, la perversité ou la colère des juges dans les poursuites exercées contre les débiteurs. La prison est pour les condamnés, c'est-à-dire pour les coupables et pour les agents du fisc qui n'obéiront pas à la présente loi. Quant aux contribuables, qu'ils passent en paix devant la prison. Cependant, si quelqu'un est assez insensé pour abuser de cette indulgence, qu'il soit arrêté, mais pour être mis dans la prison militaire, qui est le mode d'emprisonnement public

et d'usage commun. S'il persiste obstinément dans sa mauvaise volonté, ses concitoyens auront le droit de s'emparer de toute sa fortune, et alors ils s'acquitteront pour lui de ses devoirs. La facilité que nous accordons nous fait croire que tous se håteront de payer ce qui est demandé, au nom du salut commun, pour les besoins de notre armée. Donné le 1er février 320. »

Dioclétien ne s'était pas trompé lorsqu'il avait persécuté le christianisme; la religion nouvelle ruinait déjà l'édifice politique qu'il avait si savamment construit. La Gaule, devançant l'avenir, protégeait les chretiens par la main de ses princes; mais dans les autres parties de l'empire, la persécution redoublait de fureur. Peu à peu Constantin fut amené à revêtir le caractère de chef officiel des novateurs. Il fit ajouter la croix du Christ sur ses monnaies, sur ses étendards, et prit les armes pour résister aux entreprises de ses collègues. Tout ce qu'il y avait d'énergique et de vivace encore dans l'empire lui était acquis; il avait aussi les fortes légions du Rhin; il avait enfin tous ceux qui souffraient, et qui, mettant leur espoir dans le triomphe de ce christianisme si doux et si pur alors, accompagnaient ses armes des vœux les plus ardents. Constantin fut vainqueur et entra triomphalement dans Rome (29 octobre 312). A partir de cette date célèbre, le christianisme fut admis et honoré dans tout l'empire. En 323, Constantin devint le maître unique du monde romain par la mort du dernier de ses collègues, et en 325 il convoqua dans la ville de Nicée, en Asie Mineure, le premier concile universel de la chrétienté, qu'il présida lui-même. Ce n'était pas comme croyant qu'il agissait ainsi; il n'embrassa même le christianisme que peu de temps avant sa mort; mais il agissait en politique. Il voyait dans le christianisme un foyer de vie nouvelle et de régénération pour les populations de l'empire. Il espéra y trouver le salut de la civilisation romaine avec celui du monde, et, afin de compléter son œuvre, il abandonna définitivement Rome, qui ne représentait alors que la vieille république païenne, pour fonder une nouvelle capitale tout ouverte aux nouvelles idées, et défendue contre les barbares par la nature et par son éloignement. Ce fut Constantinople.

MAGNENCE ET SYLVANUS. — RÈGNE DE JULIEN.

Constantin réussit, par ces innovations, à prolonger pour onze cents années encore l'existence de l'empire en Orient; mais il en hâta la ruine dans l'Occident. Ses fils et ses neveux, entre lesquels il avait partagé sa succession, se firent, aussitôt après sa mort, une guerre acharnée, et s'exterminèrent mutuellement. A la faveur de leurs sanglantes discordes, d'autres prétendants surgirent, des flots de Barbares traversèrent le Rhin, et les querelles religieuses qui avaient signalé le christianisme dès le premier jour de son triomphe, au concile de Nicée, commencerent à déchirer l'Église naissante. Un

Gaulois, nommé Magnence, prit la pourpre à Autun (350); un général de l'infanterie romaine, Sylvanus, Frank d'origine, se fit couronner à Cologne (355). Constance, le dernier vivant des

PAR

Monnaie de Magnence.

fils de Constantin, et celui qui recueillit tout l'héritage impérial, triompha successivement des deux usurpateurs et envoya le jeune Julien, son cousin, refouler les Barbares; mais il alimenta lui-même les dissensions théologiques par son zèle pour l'hérésie des ariens, qui niaient la divinité du Christ.

Les Franks et les Allemans, appelés comme alliés par les fils de Constantin eux-mêmes, pour prendre parti dans leurs luttes intestines, avaient, selon leur usage, changé ce rôle en celui de dévastateurs. Ils occupaient, sur une lisière de quinze lieues de large, toute la rive gauche du Rhin, et, se conformant aux préceptes de leurs ancètres habitués à regarder comme glorieux pour un peuple d'étre environné de déserts qui démontraient sa férocité, ils avaient saccagé tout le pays à trente lieues plus loin, et détruit de fond en comble une foule de lieux habités, parmi lesquels on comptait quarantecinq villes. Julien était un jeune philosophe, naguère étudiant aux écoles de la Grèce, et passionnément épris de l'antiquité, dont il admirait la grandeur. Il était digne des modèles qu'il aimait. Avec une petite armée de treize mille hommes, il

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entra dans les Gaules (356), rassura les habitants par sa ferme attitude, et, malgré l'extrême infériorité du nombre, balaya devant lui toutes les hordes franques et allemanniques. Il leur reprit vingt mille Gaulois prisonniers. Toutefois, s'écartant de la politique de Constantin, il traita les vaincus avec douceur, et permit aux Franks d'habiter paisiblement dans l'île des Bataves (358).

Le règne de Julien, malheureusement trop court, rendit à la Gaule un peu de repos. On rapporte qu'un jour il jeta à terre, avec indignation, un édit nouveau par lequel le préfet du prétoire or

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