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(en 225), l'un des brenns qui commandaient, Concolitanès, se voyant pris, gagna un endroit écarté, et là, tua de sa propre main ceux des siens qui l'entouraient encore, puis se trancha la gorge. En l'an 448 (av. J.-C.), une peuplade gallo-ligure des Alpes Maritimes, les Stones, s'étant laissé surprendre par les Romains et n'ayant plus d'espoir ni dans la résistance, ni dans la retraite, les guerriers mirent le feu à leur village, égorgèrent femmes et enfants, et se jetèrent eux-mêmes dans les flammes; ceux qui furent pris, même loin du combat, se laissèrent mourir de faim plutôt que de survivre à leur tribu.

Peu soucieux de la dépouille mortelle, qui rentre dans la matière tandis que l'âme prend d'autres chemins, ils marchaient sur les cadavres ou les abandonnaient sans sépulture, avec une indifférence dont leurs ennemis avaient horreur, mais qui contenait un hommage tacite rendu à l'immortalité.

Derrière ces superbes contempteurs du trépas, apparaissent leurs prêtres qui les inspiraient, les druides, héroïques instituteurs s'il est permis de les juger par le fruit de leurs doctrines. Vénérés dans leur patrie, les prètres gaulois ont reçu, même de la part des écrivains de l'antiquité, des marques de respect. Aristote enseignait que la philosophie, c'est-à-dire l'étude des abstractions et des choses invisibles, avait commencé parmi eux, et que, sous ce rapport, les Celtes étaient les premiers maîtres de la Grèce. Un autre génie plus ancien qu'Aristote et non moins célèbre (Pythagore, sixième siècle avant J.-C.) les avait déclarés « les plus élevés de tous les hommes par l'esprit ». La religion druidique, en effet, enseignait, comme la-pure tradition du peuple hébreu, l'adoration d'un Dieu suprême, inconnu, souverain créateur de toutes choses, Ésus, que les Romains assimilaient à Jupiter ou à Mars. Les druides admettaient en outre, dans un ordre inférieur, diverses personnifications spéciales des attributs divins, par exemple un dieu de la guerre, de l'industrie et de l'intelligence, nommé Teutatès (Mercure), et un dieu de la lumière, Apollon, qu'ils appelaient Bélénus.

Le principal attribut d'Ésus, ou le symbole sous lequel on le figurait, était le chêne. « Les Celtes, disaient les écrivains du paganisme, adorent Jupiter; mais le Jupiter celtique est un grand chène. »> Il n'y avait point d'idoles; l'arbre majestueux et puissant faisait assez entendre l'idée de force, d'élévation, de grandeur, et le Gaulois était glacé de crainte, lorsqu'il pénétrait dans la retraite redoutable de ses forêts. « Il avait peur de rencontrer le seigneur du lieu. » Cet arbre jouait un si grand rôle dans la liturgie, que les prètres gaulois en avaient pris leur nom; le mot druides, en gaëlique comme en plusieurs autres langages de l'antiquité, signifie « les hommes du chène ». Les druides se couronnaient de son feuillage, et la Gaule ne connaissait rien de plus sacré que l'excroissance

végétale, le gui, poussant parfois sur les branches du chêne dépouillées par l'hiver. A certaines époques déterminées par le cours de la lune, astre qui occupait une place importante dans leur liturgie, les druides se rendaient processionnellement dans les forêts consacrées pour y cueillir la plante divine. A la suite d'un repas solennel, parmi les chants et les sacrifices, un prêtre, armé d'un couteau dont la lame d'or avait la forme d'un croissant, détachait le gui, qu'on recevait sur une pièce de lin, blanche et vierge de tout usage; la plante, mise en infusion, donnait un breuvage aux propriétés merveilleuses, qui procurait la fécondité et servait de remède à tous les maux. Peut-être aussi se liait-il avec le dogme de l'immortalité, puisqu'il était le trait caractéristique du culte, comme l'immortalité était le trait caractéristique de la croyance, et peut-être la liqueur du gui étaitelle, pour ceux qui la buvaient, un remède contre le plus cruel des maux, qui est la mort, et une promesse de la vie future garantie par cette sorte de communion avec Dieu. Le gui, en effet, est l'un des végétaux les plus singuliers de la nature et les plus rares; sa verdure ne meurt point; mais il ne se développe qu'à la condition d'ètre sustenté par un végétal plus puissant. Or quel est le sens de cette image, où l'on voit un être procédant d'un autre, en recevant toute sa vie, formant par lui-même cependant une substance distincte, bien que secondaire et postérieure, et malgré le changement des temps toujours en pleine vitalité, pourvu que la communication bienfaisante, sans quoi il n'est rien, ne lui fasse pas défaut? N'estce pas une image parfaite de la séve et de la grâce venant de Dieu, et s'infiltrant sans cesse dans l'homme pour lui donner la vie? Lors même que les druides n'auraient qu'entrevu obscurément une vérité si profonde, il n'en est pas moins admirable qu'ils aient été conduits par le point culminant de leur liturgie à une figure qui exprime aussi clairement le rapport ineffable entre la personne de Dieu et celle de l'homme. (J. Reynaud.)

Le sacerdoce druidique ne séparait pas ceux qui en étaient revêtus du reste de la nation. Ils étaient magistrats, instituteurs, savants, autant que prêtres. La jeunesse la plus distinguée des Gaules se pressait dans leurs forêts pour les entendre. Tout l'enseignement se faisait par la parole; ils défendaient de rien écrire. Ceux qui aspiraient aux degrés suprêmes de l'initiation étaient obligés d'y consacrer une partie de leur vie; l'instruction pouvait durer vingt ans : aussi le sacerdoce était le seul motif admis pour être affranchi du service de la guerre. Aux druides était attribuée la connaissance d'une partie des procès civils, les contestations sur la propriété foncière et les causes criminelles. La plus haute idée de leur justice était inculquée dans tous les esprits, et les historiens parlent de guerres et de luttes intestines arrêtées par leur influence et leurs sages négociations. Ils disposaient des mêmes peines qu'on trouve écrites dans la plupart des législa

tions, et d'un châtiment particulier par lequel ils réduisaient à l'obéissance jusqu'aux hommes revètus des dignités publiques : c'était l'interdiction du sacrifice religieux, une véritable excommunication, châtiment d'une extreme gravité parmi les Gaulois, et qui faisait fuir par tous leurs concitoyens, comme étant des scélérats, ceux qui en étaient frappés.

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Le sacerdoce gaulois embrassait encore l'art de la médecine, de l'astronomie, de la poésie et de la musique ces deux dernières études étaient le partage des bardes. Le caractère proprement sacerdotal, c'est-à-dire les fonctions de sacrificateurs, les menus détails de la religion et les connaissances pratiques appartenaient à une classe intermédiaire entre les bardes et les druides : c'était la classe des ovates ou évhages. « Chez toutes les nations gauloises, disaient les anciens, ces trois classes d'hommes sont honorées d'une considération singulière : les bardes chantent, avec les douces modulations de la lyre, les grandes actions des hommes illustres mises en vers héroïques; les évhages, scrutant la nature, s'efforcent d'en découvrir les enchaînements et les sublimités; les druides, qui sont les plus élevés par la science, sont voués à l'étude des choses abstraites et profondes. >>

Le corps druidique élisait pour toute la Gaule un chef suprême, nommé à vie, et dont l'élection était souvent une occasion de troubles. Il avait chaque année dans la Beauce, vers Chartres, une assemblée solennelle où se réunissaient tous les druides de la Gaule, et où se traitaient les grandes affaires.

de quinze mètres hors de terre; celui de Locmariaker, dans le Morbihan, en avait vingt. Quelquesuns sont dégrossis par le haut, comme si on avait voulu tailler une sorte de tête à ces géants; quelques-uns aussi semblent avoir servi de limites géographiques entre divers territoires; les autres, beaucoup plus nombreux, sont appelés dolmen; ils sont ordinairement composés de deux pierres qui en supportent une autre posée en manière de table ou d'autel, et en effet quelques antiquaires considèrent ces monuments comme ayant été des autels druidiques; d'autres, avec plus de probabilité, les regardent comme étant des tombeaux dépouillés aujourd'hui du monticule de terre dont ils

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MONUMENTS CELTIQUES.

La religion des druides défendait que l'on mft leurs enseignements par écrit et que l'on fabriquàt des images de Dieu; elle défendait aussi qu'on élevât d'autres monuments à la divinité que des blocs de pierre non taillés. Le sol de l'Europe est encore semé de ces pierres énormes que le ciseau n'a pas touchées, mais que la main de l'homme a évidemment poussées, dressées, transportées. Quelques savants anglais et danois ont cru voir dans ces roches singulières l'ouvrage d'une race primitive antérieure aux Celtes; mais l'opinion la plus accréditée est qu'elles appartiennent aux cultes antiques de l'Asie et, dans notre Occident, aux Gaulois. Ces monuments, si ce n'est pas leur accorder un nom trop pompeux, ces vastes pierres isolées qu'on voit encore assez souvent debout dans nos campagnes, en Bretagne surtout, et que les gens simples appelaient autrefois pierres du diable ou pierres des fées, ne manquent pas, malgré leur grossièreté, d'une certaine grandeur. On leur donne généralement aujourd'hui les noms qu'elles ont dans la langue bretonne. Les unes ont la forme allongée d'un obélisque ce sont les menhirs ou peulvans (pierres longues, pierres debout, hautes bornes), blocs d'un seul morceau, s'élevant parfois à plus

Menhir de Penmarch (Finistère).

avaient été recouverts dans l'origine. Lorsque ce monticule existe encore, et il s'en trouve une grande quantité en France et dans les pays voisins, on l'appelle spécialement du nom latin tumulus (tombeau); quand, au lieu d'une vaste motte de gazon, c'est un amas de pierres qui recouvre la sépulture, on le désigne, en Bretagne, sous le nom de galgall. On a à peu près abandonné aujourd'hui, comme dénuée de toute preuve, l'opinion des antiquaires qui jadis voyaient dans les dolmens des autels, et dans les inégalités ou les trous de la pierre des cavités pratiquées pour retenir l'eau des libations ou le sang des victimes. D'autres pierres druidiques présentent cette disposition singulière d'une roche massive posée en équilibre, mais mobile, sur une base fixe et solide; ce sont les pierres branlantes ou tournantes, qui servaient, à ce que l'on croit, aux épreuves judiciaires l'accusé était réputé coupable lorsqu'il ne

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hirs, au lieu de s'élever solitaires, sont souvent groupés avec des intentions diverses dont le sens nous échappe, mais qui n'en sont pas moins manifestes. Ils sont disposés tantôt en alignements, c'està-dire de manière à former de longues files en ligne

Pierre tournante ou mouvante d'Uchon, dans l'arrondissement d'Autun.

droite, tantôt en cercles ou en demi-cercles, en ellipses, en carrés longs; il en est qui se composent de lignes doubles, de cercles concentriques, de dolmens et de menhirs réunis; il en est aussi qui sont entourés d'un fossé ou d'un rempart de terre. Tous ces monuments, qu'on appelle en breton des cromlechs, semblent être des enceintes sacrées, des

temples sans toit, dignes de purs adorateurs d'Ésus et de contemplateurs des astres. Il en existe un grand nombre et des plus compliqués en Angleterre; mais le plus remarquable de tous est celui de Carnac, en Bretagne, sur le bord de la mer, près la fameuse presqu'ile de Quiberon. Il se composait de onze files de pierres brutes qui avaient jusqu'à vingt pieds de haut, et formaient dix avenues parallèles, larges d'environ cent mètres et longues de quinze cents. A l'une des extrémités de ce monument extraordinaire se développait un demi-cercle de pierres semblables, qui partait de la première file et revenait achever son contour à la onzième. Tous ces blocs ont été apportés de loin. Il y a quelques années, on en comptait encore douze cents; mais au siècle dernier il y en avait trois mille. On voit en quelle prodigieuse quantité a dû se dresser autrefois cette armée de masses brutes, incompréhensible pour nous, mais dont les restes mutilés suffisent encore à frapper d'étonnement.

Il faut que les anciens n'aient pas éprouvé le même sentiment de surprise, soit par suite des préoccupations étroites qui leur faisaient mépriser des monuments d'où l'art était absent, soit plutôt parce que, de leur temps, ces monuments étaient trop nombreux et trop communs pour être l'objet d'une remarque. En effet, les dolmens et les menhirs qu'on voit figurer, ainsi que les forêts de chènes, dans les plus antiques souvenirs religieux de la terre, notamment dans l'histoire d'Abraham, se retrouvent encore aujourd'hui sur les points les plus divers du globe, en Espagne, en Allemagne, dans la Scandinavie, la Grèce, la Judée, l'Inde, jusque dans la Chine et sur le continent américain. Cependant ni Jules César, qui vit les alignements de Carnac, lorsqu'il fit la guerre aux Bre

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Typ de J. Best, ruc St-Maur-St-G., 15.

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État ancien de l'alignement de Carnac (Morbihan). D'après Fréminville et l'Archæologia.

lons, ni aucun autre des écrivains grecs ou romains, qui se sont occupés pourtant de la Gaule

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avec une certaine curiosité, ne nous ont laissé un seul mot sur nos pierres druidiques.

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