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pour les plus braves. Or, pendant que les Romains tiennent, les uns pour Vespasien, les autres pour Vitellius, écrasons-les tous ensemble. » (Tacite.)

Comme Civilis consolidait ainsi ses forces, deux autres légions vinrent l'attaquer. Le Batave fit bonne contenance; il plaça en tête de ses lignes les drapeaux pris sur l'ennemi, et, suivant l'antique usage des barbares, il fit venir les femmes et les enfants de ses hommes, avec sa propre mère et ses sœurs, et les plaça derrière, pour faire à tous les siens de la victoire une nécessité. Abandonnées par la cavalerie auxiliaire qui devait les soutenir, les légions furent encore une fois battues et firent retraite dans un vieux camp à demi ruiné, où elles eurent à soutenir un long et terrible siége.

Ces succès constants et d'autres avantages partiels firent accourir dans les rangs des Bataves des bataillons de toute la Germanie, qui s'anima tout à coup d'un enthousiasme extraordinaire. Une prétresse inspirée, la fameuse Velléda, de la nation des Bructères (Munster, Osnabruck, Minden), et dont les paroles étaient des oracles, annonçait la chute de Rome. Les Gaulois, de leur côté, commençaient à refuser aux officiers romains tout subside d'hommes et d'argent. Leurs druides et leurs bardes se réveillaient, quittaient leurs refuges et proclamaient, dans leurs chants prophétiques, la naissance d'un empire gaulois. L'heure était venue, suivant eux, où la possession des choses de ce monde devait échapper des mains romaines et passer aux nations transalpines. Les Gaulois de la Belgique surtout se laissaient séduire par ces espérances. Les Trévires, entièrement gagnés, à l'exemple de leurs chefs Julius Classicus, Julius Tutor, se tournèrent, comme les Bataves, contre les légions qu'ils devaient servir. Les Lingons firent de même, quoiqu'ils eussent envoyé depuis peu en présent, aux troupes qui avaient tenu garnison sur leur territoire, deux mains d'or entrelacées, vieux symbole gaulois des liens affectueux de l'hospitalité.

Peu à peu, tous les corps composant les huit légions romaines du haut et du bas Rhin, disséminés, découragés par leurs revers, ne sachant plus qui était l'empereur et où se trouvait l'autorité, envahis eux-mêmes par l'esprit de révolte, furent réduits à l'impuissance, défaits, désarmés l'un après l'autre. Les Gaulois les pressaient tantôt par l'intimidation, tantôt par des pourparlers à l'amiable où les soldats des deux armées, habitués à la fraternité militaire, se mêlaient d'un camp à l'autre et discutaient les événements publics. Le légionnaire romain, passant presque sa vie entière attaché au même cantonnement, n'était plus un étranger dans le pays qu'il habitait, et l'on comprend qu'il ait pu faiblir lorsque les Gaulois lui demandaient de ne point accepter le choix d'un empereur imposé par des armées inconnues et ennemies placées à l'autre extrémité de l'empire, de partager leur espoir et leur destinée, de devenir enfin leur frère, après avoir été si longtemps leur compagnon d'ar

mes. Ces discours, chaque jour renouvelés, ébranlaient les vétérans, sans que leurs chefs pussent retenir dans le devoir cette armée qui leur échappait. Leur malheureux général, Dillius Vocula, perdant toute autorité, malgré son énergie, on lui conseillait de fuir; mais il monta sur son tribunal et dit à ses soldats : « Jamais, en vous parlant, je n'ai été plus inquiet sur votre sort et plus tranquille sur le mien. Vous préparez ma perte; je l'ai appris sans regret. Au milieu de tant de désastres, j'attends une mort honorable comme la fin de mes misères. Mais je rougis pour vous et je vous plains, car on ne songe pas à vous combattre à la chance des armes et suivant le droit de l'ennemi; le Trévire Classicus espère faire par vos bras la guerre au peuple romain, et il fait luire à vos yeux l'empire des Gaules et le serment qui lui a été prêté. Que de fois, cependant, nos légions n'ont-elles pas mieux aimé mourir que de reculer d'un pas! Souvent nos alliés mêmes ont péri, eux, leurs femmes et leurs enfants, sous les ruines de leurs villes embrasées, sans attendre, pour prix de leur mort, d'autre récompense que la renommée et l'honneur d'avoir été fideles..... Si je vous déplais, vous avez d'autres chefs; vous pouvez mème choisir pour vous commander un centurion ou un soldat. Qu'on ne dise pas, du moins, à l'étonnement de toute la terre, que vous avez servi de satellites à Civilis et à Classicus pour envahir l'Italie. Si les Germains et les Gaulois vous conduisent sous les remparts de Rome, tournerez-vous vos armes contre la patrie? La seule pensée d'un si grand forfait m'épouvante. Des sentinelles romaines veilleraient pour le Trévire Tutor! Un Batave vous donnerait le signal du combat! On compléterait de vos rangs les cohortes germaines! Quel sera enfin le résultat de votre crime, lorsque d'autres légions marcheront contre vous? Deux fois transfuges et deux fois traîtres, irez-vous, maudits des dieux, vous égarer de parjure en parjure? Et toi, Jupiter très-bon et très-grand, toi que pendant huit cent vingt ans nous avons honoré au milieu de tant de triomphes; toi aussi, Quirinus, père de Rome, je vous invoque et vous supplie, si vous voulez qu'un autre que moi maintienne cette armée dans le devoir et dans l'honneur, de ne pas souffrir qu'elle soit avilie et souillée par Tutor et Classicus.» (Tacite.)

Ces belles paroles, où l'on voit quels ennemis pleins de grandeur étaient du moins les Romains, ne ramenèrent personne. Un soldat déserteur vint assassiner Vocula; ses lieutenants furent mis aux fers, et toute l'armée romaine du Rhin prêta serment à l'empire des Gaules. Quelques détachements coupables d'avoir résisté furent massacrés par les Germains; les principaux prisonniers furent envoyés en présent à Velléda, qui avait prédit cette ruine des légions; quant à Civilis, il coupa ses longs cheveux roux, qu'il avait juré, en commençant la guerre, de laisser croître jusqu'à ce qu'il eût triomphé. Alors aussi, pour célébrer la résurrection gauloise, fut frappée une médaille représentant

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Pendant que ces choses se passaient sur le Rhin, l'idée d'un empire gaulois marchait d'un pas moins sûr au cœur mème de la Gaule. Les Lingons avaient, parmi leurs principaux chefs, un personnage vanileux, nommé Julius Sabinus, qui se vantait de descendre de César par un adultère de sa bisaïeule, dont la beauté avait été célèbre du temps de la guerre de l'indépendance. Sabinus, voyant dans ce qui se passait une circonstance favorable, après avoir partagé les projets de Civilis et de Classicus, se fit lui-même proclamer empereur des Gaules par ses Lingons, et se jeta avec eux sur les terres de leurs voisins les Séquanes, pour enlever leur adhésion. Mais les Séquanes résistèrent, et Sabinus, complétement battu, puis abandonné de tous les siens, en fut réduit à se faire passer pour mort. Sa femme seule partagea le secret de sa retraite. Cette femme est la célèbre Epponine, dont le dévouement sublime a été tant de fois célébré par les artistes et les poètes. Elle passa neuf ans enfermée avec son mari dans un souterrain, et y donna le jour à deux enfants, qu'elle éleva comme une lionne au fond de son antre. Cette famille digne de pitié fut enfin découverte et conduite à Rome. Epponine se prosterna avec ses enfants aux pieds de l'empereur, en demandant la grace de son mari. « Vois, César, dit-elle à Vespasien, je les ai engendrés et nourris dans les tombeaux, afin que nous fussions plus de suppliants à t'implorer. » Mais Vespasien fut inflexible et ordonna le supplice de Sabinus. «Fais-moi donc mourir aussi, s'écria la Gauloise en se redressant; car j'aime mieux la nuit de la tombe que la lumière du jour en face de toi!» Et elle suivit son époux à la mort.

Les Lingons venaient d'être défaits, lorsqu'on apprit dans les Gaules que Rome pacifiée faisait de formidables préparatifs, et que des armées nouvelles se portaient sur le Rhin. Deux légions arrivaient de l'Espagne, une de la Grande-Bretagne; quatre autres, envoyées d'Italie, traversaient les Alpes sous la conduite de Domitien, fils de l'empereur, et de deux généraux illustres, Annius Gallus et Petilius Cerialis. Au bruit de dangers si proches, les cités gauloises, plus naturellement portées à la modération que les Germains, envoyèrent des députés à Reims, pour se concerter. Il s'agissait de prendre un parti et de décider si l'on voulait maintenir l'indépendance de la patrie ou

rentrer dans l'obéissance. Les Trévires parlèrent avec emportement pour continuer la guerre; les Rémois, les vieux amis de Rome, leur répondirent. La plupart s'effrayaient des rivalités de cité à cité, des discordes fatales qui renaissaient déjà. Quelle cité conduirait la guerre? A qui demanderait-on les ordres et les auspices? Où placerait-on, en cas de succès, le siége de l'empire? Suivant l'antique usage de la forfanterie gauloise, ils vantaient avec colère, les uns leurs alliances, les autres leurs richesses et leurs forces, ou l'antiquité de leur origine. Bien avant de tenir la victoire, ils étaient déjà presque ennemis. Enfin l'assemblée découragée préféra conserver les choses sur leur ancien pied, et elle écrivit aux Trévires, aux Lingons et aux autres cités soulevées, pour leur enjoindre, au nom des Gaules, de déposer les

armes.

Cependant les Romains s'avançaient vers le Rhin, et Cerialis, après un heureux combat favorisé par la défection des cohortes romaines qui marchaient sous l'étendard des Gaules, parvint à s'emparer de la capitale des Trévires. Les soldats demandaient à grands cris le pillage de cette ville, patrie de Classicus et de Tutor; mais Cerialis les calma, et, ayant convoqué une assemblée des principaux d'entre les Trévires et les Lingons, il leur tint ce langage, d'une vérité profonde : « Les Romains ont envahi jadis votre territoire et le reste de la Gaule, mais non par ambition; car c'était à la prière de vos ancêtres, fatigués des dissensions qui les entraînaient à leur perte. Les Germains, appelés par eux comme alliés, avaient également asservi amis et ennemis. Ce n'est pas seulement pour protéger l'Italie, mais bien pour empêcher qu'un nouvel Arioviste (1) ne s'empare de l'empire des Gaules, que nous avons occupé les rives du Rhin. Croyezvous être plus chers aux Germains d'aujourd'hui que vos pères ne l'étaient à leurs aïeux? Les mêmes causes, la cupidité, l'avarice, le besoin de changer de place, les entraîneront toujours chez vous. Ils mettent en avant, pour prétexte, la liberté et d'autres noms spécieux, mais ils quitteront volontiers leurs marais et leurs solitudes pour s'emparer de votre sol fertile et de vous-mêmes. La Gaule n'a eu que la guerre et des tyrans jusqu'au moment où elle a reçu nos lois. Combien de fois nous avezvous bravés? Et nous n'avons exigé pourtant, en vertu des droits de la victoire, que ce qu'il fallait pour maintenir la paix. Nulle part, en effet, il n'y a de paix sans armées, d'armées sans solde, de solde sans tribut. Tout le reste est commun entre nous. Souvent vous commandez nos légions, vous gouvernez ces provinces et d'autres encore. Il n'y a ni privilége ni exclusion, et, quoique éloignés, vous jouissez comme nous des bons princes, tandis que les mauvais pèsent sur nous seuls, qui sommes auprès d'eux. Peut-être espérez-vous, sous le règne de Tutor et de Classicus, un gouvernement plus

(') Voy. p. 32.

doux ou la réduction des impôts destinés à payer l'armée qui vous protégerait contre les Germains. En effet, si les Romains étaient chassés (puissent les Dieux nous préserver de ce malheur!), qu'arriverait-il, sinon une guerre universelle entre toutes les nations? La fortune et le travail ont, pendant huit cents ans, consolidé ce colosse, qui ne peut être détruit qu'en écrasant ceux qui le détruiraient. Le plus grand péril est pour vous, qui avez l'or et les richesses, cause première des guerres. Aimez donc et respectez la paix et Rome, qui, vainqueurs ou vaincus, nous reçoit tous, à titre égal, au rang de ses citoyens. » (Tacite.)

Les Gaulois s'attendaient à la colère des lieutenants de l'empereur, mais non pas à tant de raison. Ils reprirent la tranquillité avec la confiance, et les cités rebelles firent leur paix. Ceux qui avaient encore les armes à la main, et Civilis luimême, mieux convaincus par plusieurs défaites, ne tardèrent pas à les imiter. Tout rentra dans l'ordre les Germains demeurèrent sur la rive droite du Rhin; leur temps n'était pas encore venu. Quant à la Gaule, elle avait reconnu que ses destinées étaient inséparables de celles de l'empire; elle avait compris que le retour à son antique liberté, aux mœurs, au gouvernement, à la religion de ses pères, n'était plus possible, et qu'il n'était pas même désirable. (Ann. 70.)

REGNE DES ANTONINS. - LES BEAUX-ARTS DANS LA GAULE ROMAINE AUX DEUXIÈME ET TROISIÈME SIÈCLES.

Le règne sévère de Vespasien (70-79) ouvrit pour l'empire une période de grandeur, de calme et de prospérité, qui dura plus d'un siècle, et fut telle que les annales du monde n'en ont jamais offert un second exemple. Les historiens ont appelé cette époque l'àge d'or du genre humain. Il faut passer sous silence le second fils de Vespasien, Domitien (84-96), empereur cruel et débauché; mais son frère aîné Titus (79-81), Nerva, successeur de Domitien (96-98), puis Trajan (98-117), Adrien (117-438), Antonin le Pieux (438-164) et Marc-Aurèle Antonin (164-480), formèrent une admirable série de souverains qui réalisèrent l'utopie d'un despotisme bienfaisant. La pourpre impériale appartenait aux plus dignes, qui se la transmettaient de main en main par le moyen de l'adoption. Pendant toute cette période, les annales de la Gaule sont vides; c'est-à-dire que les peuples, vivant en paix, n'eurent ni guerres ni désastres qui aient attiré l'attention des écrivains. C'est le temps de la culture intellectuelle et des beaux-arts. Les écoles de Marseille, de Lyon, d'Autun, de Bordeaux, sont florissantes. Les Gaulois enrichissent de leur prose et de leurs vers la littérature latine. Les arcs de triomphe, les temples, les aqueducs, les théâtres, tous les grands monuments publics; les thermes, les fontaines, les palais, les somptueuses maisons de campagne (ville); les autels et les statues de marbre ou de métaux précieux, ornant jusqu'aux

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sur tout le sol des Gaules, jusque dans ces cantons du nord qui semblaient naguère hérissés de barbarie, ce génie de la grâce et du beau, inné chez les Grecs et naturalisé à Rome. La durée de ces édifices, et la persistance de plus en plus affaiblie du goût et de la science qui les avaient élevés, se prolongèrent longtemps après le siècle des Antonins, et jusqu'au cœur du moyen àge.

Lorsque l'habitant des campagnes quittait sa retraite pour se hasarder au loin, le pavé des grandes routes romaines était un premier indice qui lui révélait la proximité des villes. Telle était la solidité des voies de communication que les Romains savaient construire, qu'il en existe encore des débris dans presque toutes nos provinces. Elles sont formées de plusieurs couches de pierres encaissées dans une tranchée profonde d'environ deux mètres, battues dans du mortier et recouvertes d'un parement de gros blocs de granit ou de pierres volca

(')« Aux mânes de l'enfant Septentrion, âgé de douze ans, qui, sur le théâtre d'Antipolis, dansa deux jours et sut plaire.» (Magasin pittoresque, 1857, p. 352.)

niques, taillés irrégulièrement, mais parfaitement | cées faites dans le roc, toujours affectant la ligne joints. Les voies romaines sillonnaient les plaines droite.

Colonne milliaire de Frenouville (Calvados).

en s'exhaussant légèrement au-dessus du sol, franchissaient les ravins et les marécages sur de hautes levées, et traversaient les montagues par des per

De mille en mille pas s'élevaient, sur ces routes, les bornes milliaires marquant les distances, et qui, plus élevées que les nôtres, formaient des colonnes ou d'autres petits monuments sur lesquels on gravait des inscriptions contenant, outre l'indication des distances, les noms des empereurs qui avaient fait construire ou réparer la voie. Il reste dans nos musées beaucoup de ces bornes, et quelques-unes dans nos champs. Avec ces voies, plus parfaites que ne sont les nôtres, les armées impériales se transportaient rapidement aux frontières, et le simple soldat, muni du livret sur lequel étaient marquées les étapes, rejoignait aisément les villes de garnison ou les campements échelonnés sur la route.

Si la voie romaine traversait un fleuve, ou même un torrent, les ingénieurs gallo-romains jetaient d'une rive à l'autre un hardi pont de pierre, d'une seule arche si la traversée n'était pas trop longue. Quelques-uns de ces ponts d'une arche subsistent encore, élégants et solides, notamment un sur l'Ouvèze, à Vaison (Vaucluse), et un autre à Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône), où il est orné à ses deux extrémités de deux portes monumentales d'un trèsbel effet. D'autres sont des ponts d'une plus grande longueur et d'un aspect plus imposant, tels que celui de Boisseron (Basses-Alpes), qui compte cinq arches, et celui de Sommières (Gard), qui en a dix-sept. Ce dernier paraît dater du règne de Tibère.

Sur les hauteurs, dans les sites gracieux, s'élevaient les habitations de campagne des riches citoyens du pays, construites sur le modèle des villas d'Italie, et ornées, comme elles, de peintures, de bronzes, de mosaïques, et de toutes les recherches du luxe. On a retrouvé par toute la France les traces d'un grand nombre de ces maisons de l'époque romaine. L'une d'elles, déterrée (1847) à Saint-Médard des Prés (Vendée), portait encore sur ses mu

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1

A, galerie ou promenoir long de 30m,04 et large de 3m,74. D, atrium à portiques entourant un impluvium E, que termine un hémicycle F. C, J, G, H, salles traversées par des conduites d'eau ou de vapeur. eff, décharge des eaux de l'impluvium. Entre K et M, salle dont la mosaïque est ornée d'une figure de Neptune. "M, salle également ornée d'une tête de Neptune de grandeur colossale, presque effacée. - P, Q, salles sous lesquelles existaient des appareils de chauffage.

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