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(aujourd'hui Perrache), il construisit un temple à cette divinité nouvelle, et y établit un collège de prétres augustaux, dont le chef fut un Édue nommé C. Julius Vercundaridubius. En face de l'autel s'élevaient les soixante cités gauloises, représentées par autant de statues, au milieu desquelles dominait une statue colossale de la patrie, la Gaule. Cet édifice et ce sacerdoce furent inaugurés par une fète pompeuse où se rendit un immense concours de peuple, et qui devait être éternelle, car Drusus ordonna que la célébration en fût renouvelée chaque année. Mais ce splendide monument ne subsista guère. Il fut renversé par les chrétiens, auxquels ses débris servirent pour la construction d'une église qui devint plus tard la célèbre abbaye d'Ainay (1).

RÉBELLION DE JULIUS FLORUS ET DE JULIUS SACROVIR. LEUR DÉFAITE.

Tibère, Caligula, Claude, Néron, Vespasien, tous les successeurs d'Auguste poursuivirent l'accomplissement de ses desseins, et l'assimilation de la Gaule se continua, tantôt accélérée par de sages mesures, tantôt arrêtée, mais peu de temps, par les souvenirs de la gloire et de la liberté passées. De faibles tentatives de révolte, étouffées à leur naissance par Auguste, reparurent plus inquié

Tibère. (Musée du Louvre; marbre.)

tantes sous Tibère. Laissons parler le grand historien des premiers empereurs, Tacite :

« Les cités gauloises, fatiguées de l'énormité des dettes (provenant de la difficulté de satisfaire à l'impôt), essayèrent une rébellion dont les plus ardents promoteurs furent, parmi les Trévires, Julius Florus, et chez les Édues, Julius Sacrovir,

() Aujourd'hui Saint-Michel, une des églises paroissiales de Lyon. On y voit encore quatre colonnes de marbre provenant du temple antique.

tous deux d'une naissance distinguée, et issus d'aïeux à qui leurs belles actions avaient valu le droit de cité romaine. Dans de secrètes conférences, où ils réunissent les plus audacieux de leurs compatriotes et ceux à qui l'indigence ou la crainte des supplices faisait un besoin de l'insurrection, ils conviennent que Florus soulèvera la Belgique, et Sacrovir les cités plus voisines de la sienne. Il y eut peu de cantons où ne fussent semés les germes. de cette révolte. Les Andecaves et les Turons (Anjou et Touraine) éclatèrent les premiers. Acilius Aviola, lieutenant de l'empereur, fit marcher une cohorte qui tenait garnison à Lyon, et réduisit les Andecaves. Les Turons furent défaits par un corps de légionnaires que le même Aviola reçut de Visellius, gouverneur de la basse Germanie, et auquel se joignirent de nobles Gaulois, qui cachaient ainsi leur défection pour se montrer dans un moment plus favorable. On vit même Sacrovir se battre pour les Romains, la tète découverte, afin, disait-il, de montrer son courage; mais les prisonniers assurèrent qu'il avait voulu se mettre à l'abri des traits en se faisant reconnaître. Tibère, consulté, méprisa cet avis, et son irrésolution nourrit l'incendie.

» Cependant Florus, poursuivant ses desseins, tente la fidélité d'une aile de cavalerie levée à Trèves, et disciplinée à notre manière; il l'engage à commencer la guerre par le massacre des Romains établis dans le pays. Le plus grand nombre resta dans le devoir. Mais la foule des débiteurs et des clients de Florus prit les armes; et ils cherchaient à gagner la forêt d'Ardenne, lorsque les légions des deux armées de Visellius et de C. Silius, arrivant par des chemins opposés, leur fermèrent le passage. Détaché avec une troupe d'élite, Julius Indus, compatriote de Florus, que sa haine contre ce dernier animait à nous bien servir, dissipa cette multitude qui ne ressemblait pas encore à une armée. Florus, à la faveur de retraites inconnues, échappa quelque temps aux vainqueurs. Enfin, à la vue des soldats qui assiégeaient son asile, il se tua lui-même. Ainsi finit la révolte des Trévires.

>> Celle des Édues fut plus difficile à réprimer, parce que cette nation était plus puissante et nos forces plus éloignées. Sacrovir, avec des cohortes régulières, s'était emparé d'Augustodunum (Autun, près l'ancienne Bibracte), leur capitale, où les enfants de la noblesse gauloise étudiaient les arts libéraux : c'étaient des otages qui pouvaient attacher à sa fortune leurs familles et leurs proches. Il distribua aux habitants des armes fabriquées en secret. Bientôt il fut à la tête de quarante mille hommes, dont un cinquième était armé comme nos légionnaires; le reste avait des épieux, des coutelas et d'autres instruments de chasse. Il y joignit des esclaves destinés au métier de gladiateurs, et que dans ce pays on nomme crupellaires. Une armure de fer les couvre tout entiers, et si elle les gène pour frapper eux-mêmes, elle les rend impénétrables aux coups. Ces forces étaient accrues par le concours des autres

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Gaulois qui, sans attendre que leurs cités se déclarassent, venaient offrir leurs personnes, et par la mésintelligence de nos deux généraux, qui se disputaient la conduite de cette guerre. Pendant ce temps, Silius s'avançait avec deux légions précédées d'un corps d'auxiliaires, et ravageait les dernières bourgades des Séquanes, qui, voisines et alliées des Édues, avaient pris les armes avec eux. Bientôt il marche à grandes journées sur Augustodunum. A douze milles de cette ville, on découvrit dans une plaine les troupes de Sacrovir. Il avait mis en première ligne ses hommes bardés de fer, ses cohortes sur les flancs, et par derrière les bandes à moitié armées. Les hommes de fer, dont l'armure était à l'épreuve de l'épée et du javelot, tinrent seuls quelques instants. Alors le soldat romain, saisissant la hache et la cognée comme s'il eût voulu faire brèche à une muraille, fend l'armure et le corps qu'elle enveloppe; d'autres, avec des leviers ou des fourches, renversent ces masses inertes, qui restaient gisantes comme des cadavres sans force pour se relever. Sacrovir se retira d'abord à Augustodunum; ensuite, craignant d'être livré, il se rendit, avec les plus fidèles de ses amis, à une maison de campagne voisine. Là, il se tua de sa propre main les autres s'ôtèrent mutuellement la vie, et la maison, à laquelle ils avaient mis le feu, leur servit à tous de bûcher. >>

LES CRIMES DE CALIGULA DANS LA GAULE.

Tibère n'exerça point de vengeances; son administration (années 14 à 37), lourde à supporter,

Caligula. (Musée du Louvre; bronze.)

s'efforça, dans la Gaule, de demeurer calme et bienveillante. Le règne court (37-44) et insensé de Caligula, son petit-neveu, n'y laissa point de trace durable, quoique ce prince, né chez les Trévires, ait résidé longtemps à Lyon. Il construisit un phare au bord de la Manche (à Gessoriacum, Boulogne?), pour diriger les navires pendant la nuit. C'est un

des rares actes qu'on ait pu trouver à louer dans son histoire. Il semblerait qu'agissant comme eût pu le faire un véritable barbare, un ennemi acharné de Rome et de l'empire, il avait résolu d'insulter à tout ce que les Romains vénéraient, et de bafouer lui-même en sa personne ce qu'on appelait la majesté impériale. La richesse des Gaules le tentant, il quitta Rome pour les piller, et prétendit d'abord porter la guerre chez les Germains. Son expédition fut ridicule. Il revint à Lyon très-vite, sans même avoir vu l'ennemi ; mais il jugea sa campagne digne d'obtenir, à Rome, les honneurs du triomphe. Malheureusement il n'avait presque pas de prisonniers germains pour orner la cérémonie. Il fit alors choisir en Gaule, dans toutes les classes de la population, même parmi la première noblesse, les hommes de la plus belle taille qu'on pût trouver, de taille triomphale, comme il disait; il leur donna des noms germaniques, les fit habiller à la germaine, les força d'apprendre quelques phrases tudesques et de se rougir les cheveux à l'ancienne mode barbare; puis il les envoya dans les prisons de Rome, comme de véritables Germains, attendre le moment de figurer, en qualité de prisonniers de guerre, dans les fètes qui devaient signaler son retour. (Suétone.)

Ce féroce plaisant soumit la Gaule à des exactions inouïes, auxquelles personne n'échappait; après avoir exigé des contributions exorbitantes, il poursuivait des conspirations imaginaires et tuait sans pitié, pour dépouiller en même temps. Un jour, il jouait aux dés et il perdait; il quitta la table, se fit apporter les registres des taxes de la province, et désigna pour la mort quelques-uns des Gaulois les plus imposés, puis il revint à ses compagnons de jeu, leur disant : « Vous autres, vous vous donnez grand' peine pour quelques drachmes; moi, je viens d'en amasser cent cinquante millions d'un coup (75 000 000 de francs)!» Un complot éclata contre lui, mais à Rome; ses deux propres sœurs s'y trouvaient compromises. Il fit vendre sur la place publique, à Lyon, où il était alors, tous les meubles qui leur appartenaient, y compris les esclaves et même les affranchis. Cette vente produisit des sommes considérables; l'empereur y assistait et poussait lui-même les enchères. Encouragé par ce bénéfice, il fit venir tout ce qu'il y avait de vieux ustensiles et de vieux meubles au fond de ses palais d'Italie, et présida lui-même à la vente en détail. « Je veux meubler les Gaulois, disait-il; c'est une marque d'amitié que je dois aux braves alliés du peuple romain. » Et, à la vue même du temple d'Auguste, il employait tous les artifices de son éloquence pour faire acheter le plus cher possible à tout venant la défroque des divins Césars. « Ceci, criait-il, appartenait à Germanicus, mon père. Voilà qui me vient d'Agrippa. Ce vase est égyptien, il servait à Marc-Antoine; c'est à la bataille d'Actium qu'Auguste s'en empara. » La peur faisait monter les enchères, et des sommes prodigieuses affluaient dans les coffres de l'empereur, qui les dépensait

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non moins follement en fètes publiques et en largesses. (Suétone et Dion Cassius.)

Caligula ne quitta Lyon que pour aller trouver la mort à Rome. Ceux qui l'entouraient l'étranglerent. Les gardes de l'empereur, cette tourbe qu'on appelait les prétoriens, aimaient un prince. qui les gorgeait d'or et demandèrent avec menace le nom de son meurtrier. « Plût à Dieu que ce fût moi!» leur dit un des conjurés. C'était un Gaulois de Vienne, nommé Valerius Asiaticus; il échappa au danger qu'il bravait en parlant ainsi, et, plus tard, fut deux fois consul.

L'EMPEREUR CLAUDE DONNE AUX GAULOIS LE TITRE DE
CITOYENS ROMAINS ET PERSECUTE LES DRUIDES.

L'empereur Claude, que les soldats proclamèrent malgré lui, et qui était l'oncle de Caligula, avait reçu le jour à Lyon. Laid, gauche, bègue, tenu loin des affaires par ses prédécesseurs, vieilli dans l'étude solitaire, Claude, pendant tout son règne (44-54), fut antipathique aux Romains et ridicule à leurs yeux. Mais il les choquait surtout par ses idées larges et généreuses. Auguste et Tibere avaient beaucoup ménagé le sentiment, qu'ils avaient hau

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Fragment du discours de Claude inscrit sur une table de bronze. (Musée de Lyon.)- D'après Alph. de Boissieu.

tement eux-mêmes, de l'orgueil romain; Claude était plutôt, comme Jules César, un ami des provinciaux, des vaincus et des pauvres, des affranchis et des esclaves. Il se déclara le protecteur de ces derniers et défendit aux maîtres de les tuer, pouvoir dont ils avaient toujours usé jusque-là.

Claude accorda le droit de cité à une multitude de Gaulois et d'autres sujets de Rome; s'il eût vécu, il l'eût donné à tout l'Occident. Il ouvrit aussi aux habitants de la Gaule chevelue revêtus du titre de citoyens romains l'entrée du sénat et l'accès à toutes les dignités de l'empire. Cette décision fut rendue malgré une vive opposition des patriciens de Rome, dont l'égoïsme voyait déjà «< ces nouveaux venus engloutir avec leurs richesses toutes les places, eux dont l'aïeul ou le bisaïeul avait

commandé des tribus ennemies, taillé en pièces des armées romaines, tenu le divin Jules César assiégé autour d'Alesia. » (Tacite.) L'empereur répondit par un discours plein de sagesse, dont Tacite nous a conservé une analyse fidèle qui se termine en ces termes : « Regrettons-nous d'avoir pris à l'Espagne ses Balbus (Balbus était l'ami intime de César), et à la Gaule Narbonaise tant d'hommes non moins illustres? Leur postérité subsiste encore, et son amour pour la patrie commune ne le cède point au nôtre. Pourquoi Sparte et Athènes sontelles tombées, malgré la gloire de leurs armes, si ce n'est pour avoir toujours exclu de leur sein les vaincus, tandis que notre fondateur, bien plus sage, vit la plupart de ses voisins, le matin ses ennemis, devenir ses concitoyens le soir. Des étrangers ont

régné sur nous, des fils d'affranchis ont été magistrats; et ceci ne fut point une innovation, comme on le croit faussement, ce fut un usage fréquent des premiers siècles. Mais les Sénons nous ont fait la guerre! Apparemment les Volsques ne nous ont jamais livré de batailles. Les Gaulois ont pris Rome! Nous avons livré des otages aux Toscans

Claude. (Musée du Louvre; marbre.)

et nous avons subi le joug des Samnites. Encore, si nous parcourons l'histoire de nos guerres, verrons-nous que nulle autre ne fut aussi promptement terminée que la guerre contre les Gaulois. Depuis ce temps, la paix a été solide et constante. Croyez-moi donc, sénateurs, consommons cette union de deux peuples dont les mœurs, les arts, les alliances sont communes. » L'avis de l'empereur fut adopté, et son discours tout entier, gravé sur des tables de bronze, fut exposé devant le temple d'Auguste, à Lyon. Un fragment de ce monument précieux a subsisté jusqu'à nos jours, et se voit au Musée de Lyon. (Voy. p. 63.)

Le seul acte que les Romains fouèrent dans le règne de Claude est, à nos yeux, la plus grande tache qui souille sa mémoire. Il persécuta cruellement les druides. Comme savant et philosophe, il ne comprenait pas leurs dogmes; comme homme, il avait horreur de leurs sacrifices sanguinaires, et comme empereur, il voyait en eux des fauteurs de rébellion. Prètres, bardes, eubages ou médecins, il en fit mettre à mort un grand nombre. Les autres se réfugiérent, pour la plupart, dans les contrées où se trouvait l'élite des adeptes et le suprême collège de la religion, au fond de la Grande-Bretagne et sur les rives de la mer d'Irlande. Claude alla les forcer lui-même dans ce dernier asile, et commença (en 43) contre les vieilles populations gaëliques accumulées depuis tant de siècles au delà de la Manche une guerre terrible, dont il vit seulement les premiers épisodes, et qui ne se termina

par la soumission de ces peuplades belliqueuses que trente ans après lui.

LA GAULE SOUS NÉRON. LE COQ GAULOIS.

Un grand projet signala le règne suivant, celui de Néron (54-68); mais il fut abandonné par la crainte qu'eut son auteur, Antistius Vetus, gouverneur de la Germanie supérieure, que la jalousie impériale ne conçût de l'ombrage contre celui qui aurait mené à fin une entreprise aussi utile. Il s'agissait d'unir l'Océan à la Méditerranée en creusant un canal de la Moselle à la Saône.

Lyon ayant été en partie dévoré par un incendie (64), Néron fit remettre à ses habitants quatre millions de sesterces (environ 820 000 francs). Il ne signala guère son administration dans la Gaule que par cette libéralité et par la continuation de la guerre que son prédécesseur avait faite au druidisme; mais il n'est personne qui ne connaisse le nom de Néron comme celui d'un scélérat couronné voué à l'exécration de la postérité pour. ses débauches et ses crimes. De la Gaule partit l'orage qui le renversa: il fut réveillé, dit un de ses historiens, « par le chant des coqs. » C'était un jeu de mots de la langue latine, dans laquelle Gallus signifie coq, aussi bien qu'il signifie Gaulois. L'adoption faite plusieurs fois par la France moderne d'un coq pour son emblème national n'a pas d'autre fondement qu'une plaisanterie empruntée à l'antiquité, car jamais le coq n'a figuré sur les anciens étendards de la Gaule; c'est au sanglier qu'appartenait cet honneur (4); mais ce jeu de mots plaisait aux Romains, qui voyaient chez les Gaulois de leur

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Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

talent et de résolution, monta un jour sur son tribunal, entouré de ses officiers, de ses amis, d'une foule de peuple, et prononça publiquement un long discours dans lequel il retraçait la vie infame de Néron; il termina en proclamant un nouvel empereur, Sergius Galba, général des légions can

SALI

Monnaie gauloise de Galba.

tonnées en Espagne. Cette proclamation, à laquelle on était préparé, fut accueillie avec enthousiasme. L'empereur fut obligé bientôt de se rendre justice en se tuant lui-mème; mais les vainqueurs ne purent s'accorder. Les armées de l'Espagne, du Rhin, de l'Italie, de l'Illyrie, de l'Orient, prétendirent chacune nommer à l'empire: Vindex, Galba, Othon, Vitellius, des milliers d'autres avec eux, trouvèrent la mort au milieu de cette sanglante anarchie, qui s'arrèta seulement au triomphe de Vespasien.

LE BOIEN MARICK CHEF D'UNE INSURRECTION GAULOISE. SON SUPPLICE.

L'idée de la patrie gauloise avait été complétement étrangère à ce mouvement, conçu dans des vues toutes romaines; mais au même moment un homme du peuple, un Boien, nommé Marick, se mit à parcourir les campagnes de son pays, les bords de la Loire et de l'Allier, osant provoquer les armes romaines, et se donnant pour un envoyé divin. Il prenait les noms de Libérateur des Gaules et de Dieu lui-même, et il était parvenu à rassembler huit mille hommes. Déjà les villages de l'Autunois commençaient à s'agiter, lorsque les citoyens de cette contrée, aidés de quelques cohortes romaines, parvinrent à dissiper cette foule peu redoutable. Marick, pris dans le combat, fut condamné à ce supplice dont les Romains avaient fait un jeu : on le livra aux bétes féroces, sur le théâtre de Lyon. Mais les animaux refusèrent de le dévorer, et le peuple commençait à crier au miracle et à le proclamer invulnérable, lorsque les gardes de l'empereur Vitellius, qui était présent, terminerent cette scène en le massacrant. Les détails de cette sédition, vraiment sortie des entrailles du peuple, et de ces bruits mystérieux qui annonçaient la venue prochaine d'un dieu vengeur, auraient été précieux pour nous; mais l'historien latin n'en dit pas davantage, et il s'excuse auprès de ses lecteurs de s'etre arrêté un instant à parler d'un homme de rien.

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Une émotion analogue grondait en même temps dans le nord, mais avec un caractère bien autrement grave et fécond en enseignements. Les Bataves, nation germanique, colonisée depuis peu d'années vers les bouches du Rhin, fournissaient aux Romains leurs meilleurs auxiliaires; c'étaient d'intrépides soldats, qui le cédaient aux légionnaires dans l'habileté des grandes manœuvres, mais qui leur en imposaient en fait de courage. Un d'eux, nommé Civilis, chef d'une cohorte de sa nation, et nommé citoyen romain pour les services qu'il avait rendus, osa concevoir le projet de profiter des divisions qui affaiblissaient l'empire pour exciter la Gaule à s'affranchir du joug, et s'emparer luimème de tout pouvoir sur les deux rives du Rhin. Tandis que les légions rhénanes couronnaient Vitellius, et que la meilleure partie d'entre elles suivaient leur élu en Italie pour le soutenir, d'autres préparaient l'élection de Vespasien, alors gouverneur de la Syrie. Les menées pratiquées pour favoriser ce changement donnèrent le premier éveil aux pensées ambitieuses du Batave. Aussi rusé qu'entreprenant, il renferma dans son cœur ses vastes desseins, et prit avec ardeur le rôle d'un partisan de Vespasien. Il n'eut pas de peine à soulever d'abord ses compatriotes et leurs voisins, les Caninéfates (Utrecht) et les Frisons. A la tète de leurs forces réunies, il attaqua deux légions et les défit entièrement. (Ann. 69.)

Cette victoire étonnante fut répandue avec éclat; la Germanie et la Gaule l'exaltèrent comme leur gloire, et elle enflamma tous les esprits. Civilis s'attacha surtout à gagner la faveur des Gaulois : il rendit la liberté à ceux d'entre leurs chefs qui avaient été faits prisonniers parmi les auxiliaires des deux légions vaincues; les soldats reçurent la permission de partir aussi ou de rester avec les Bataves; ceux qui restaient obtenaient un grade honorable; à ceux qui préféraient s'en aller, on donnait quelque part de la dépouille des Romains. Civilis s'ouvrait même avec eux dans des entretiens secrets. Il leur rappelait les maux qu'on avait soufferts pendant tant d'années dans une servitude rigoureuse, déguisée sous le nom de paix. « Les Bataves, ajoutait-il, bien qu'ils soient exempts de tributs, se sont armés contre l'ennemi commun, et dès la première rencontre ils l'ont mis en fuite. C'est sous ses propres forces que, dans les occasions précédentes, la Gaule a succombé. Les Germains et elle ne forment plus maintenant qu'un seul parti fortifié par la connaissance de toute la discipline romaine. La Syrie, l'Asie, l'Orient, accoutumés à des rois, sont faits pour l'esclavage; mais dans la Gaule vivent encore un grand nombre de citoyens nés en un temps où, parmi vous, on ne payait d'impôts à personne! La nature a donné la liberté à tous, même aux animaux; mais le courage est l'attribut de l'homme, et les dieux sont

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