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à leur tour Rome et le monde. Aussi entrèrent-ils en foule dans ses armées comme auxiliaires; sa cavalerie presque entière en était composée. Il organisa même une légion uniquement formée de Gaulois, qu'il assimila par la solde, l'armement et les priviléges militaires, aux légions romaines; il lui donna seulement pour signe distinctif, à porter en cimier sur le casque, une alouette aux ailes étendues, symbole de la vigilance matinale et de la vive gaieté. On appelait cette légion l'Alouette (1), nom qui devint redoutable dans le monde romain, soit que la vieille réputation gauloise durat encore dans les souvenirs populaires, soit que les auxiliaires de César se fussent rués tout d'abord avec une impétueuse férocité sur les opulentes cités de l'Italie comme pour assouvir une tardive vengeance. Sous la conduite de César, ils passèrent le Rubicon, ils entrèrent en maîtres dans Rome, ils vainquirent sur tous ses champs de bataille, en Italie, en Grèce, en Espagne, en Afrique, et se consolèrent de leur propre défaite en l'aidant à triompher même de ses auciens collègues ou de ses anciens lieutenants, comme Labienus, et de tout le reste des Romains. Pour payer la solde de ses troupes, César ne craignit pas de porter une main sacrilege sur le trésor sacré que, depuis la prise de Rome par Brennus, la république amassait dans le temple de Saturne, afin d'etre toujours prète à faire face aux tumultes gaulois. Elle s'était abstenue d'y toucher, même dans les jours les plus terribles, au temps d'Annibal et de Spartacus. César fit des largesses avec cet or économisé par tant de scrupules, en disant « La république n'a maintenant rien à craindre; il n'y a plus de Gaulois. >> Les Gaulois en eurent leur part. Ils eurent part aussi à tous les honneurs de la république; les légionnaires de l'Alouette furent décorés en masse du titre envié de citoyens romains, et les vieux sénateurs virent avec indignation une partie des chefs barbares de la Narbonaise venir siéger au milieu d'eux. Le vainqueur de la Gaule ne se montra plus, durant le reste de sa vie, que son bienfaiteur et son ami. Une seule fois il y porta encore ses armes, et ce fut pour détruire, après un long et mémorable siége (en l'an 49 av. J.-C.), la puissance de Marseille, cette antique alliée de Rome, qui s'était déclarée pour le parti de Pompée.

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voyage au delà des Alpes, convoqua une assemblée générale des cités gauloises, et fixa ainsi l'organisation du pays (28 av. J.-C.):

Les provinces romaines se partageaient en Provinces du sénat et du peuple et Provinces de l'empereur. Les premières, contrées centrales de l'empire, et d'une tranquillité sûre, étaient régies, sans soldats, par des proconsuls tirés au sort parmi les sénateurs. Les autres étaient les provinces frontières, gouvernées sur un pied plus militaire; l'empereur y commandait par un officier revètu du titre de lieutenant impérial, révocable à volonté, et cumulant les fonctions de chef unique de l'armée, de l'administration civile et de la justice; une légitime prudence mettait seulement hors de sa portée le maniement des deniers publics, dont un homme de confiance, sous le nom de procurateur impérial, était chargé. La Gaule fut déclarée Province de l'empereur. La multitude de petites républiques turbulentes et jalouses qui la divisaient (on en comptait trois ou quatre cents avant César), et qui se tenaient toutes par des liens de voisinage, de famille, de fédération, de clientele, reçurent une nouvelle distribution géographique destinée à briser les anciens souvenirs et à faire naitre des agglomérations, des vues, des relations, des nécessités nouvelles. Les limites de l'Aquitaine, qui s'arrêtaient à la Garonne, furent reculées jusqu'à la Loire et aux Cévennes; les célebres Arvernes, les Bituriges et douze autres nations de la Celtique (Santons, Pictons, Lémoviques, etc., etc.), se trouvèrent par là devenus Aquitains. La Celtique prit le nom de Province Lyonnaise, nom entièrement nouveau. Quinze ans

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

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pagi, et chaque pagus (4) avait ses villes ou ses villages. Plusieurs nations, les, Édues, les Rèmes, même les Carnutes, reçurent la faveur de porter encore le titre de fédérés ou d'amis du peuple romain; d'autres furent gratifiées de divers priviléges qui leur assuraient, dans des mesures diverses, un peu de liberté; et quelques individus, quelques familles, l'ensemble des habitants de quelques villes, obtinrent le titre et les droits, suprème objet d'ambition, de citoyens romains. Ces distinctions variées tenaient tous les dévouements en haleine.

En même temps, l'empereur importa dans la Gaule et lui appliqua la funeste science où les Romains excellaient, cette fiscalité habile à sucer par toutes ses veines les ressources entières d'un pays. Un recensement général de la population et des propriétés servit de base à un impôt qui parut 'excessif relativement à la solde militaire de César et à tout ce qu'on avait exigé jusque-là, mais qui cût semblé bien léger encore si on eût pu le comparer à ce qu'il devait bientôt devenir. On désarma les habitants du centre et ceux du midi, mais non ceux du nord, qui ne pouvaient rester sans défense quand les Germains se pressaient toujours menaçants à la frontière du Rhin. Huit légions, formant tout l'effectif des troupes cantonnées en Gaule, furent échelonnées sur le bord de ce fleuve, et, de plus, on peupla toute sa rive gauche, depuis l'Helvétie jusqu'à la mer, de Germains auxiliaires et de populations tudesques, avec lesquelles on colonisa toute cette longue bande de territoire, en recrutant, par un calcul assez sage, dans les envahisseurs mêmes, une barrière contre l'envahissement. C'est là l'origine du mélange de sang, en grande partie allemand, qui règne encore aujourd'hui sur toute la rive gauloise du Rhin, dans l'étroite et longue contrée qui reçut depuis le nom d'Alsace. Elle fut comprise dans deux provinces nouvelles, que l'on forma du pays rhénan la Germanie supérieure, et, vers la mer, la Germanie inférieure ou basse Germanie.

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A l'intérieur, la tranquillité était si grande que, pour maintenir l'autorité du gouvernement dans toute la Gaule, et pour les besoins de la police, douze cents hommes suffisaient. Le druidisme était le plus sérieux obstacle que la civilisation romaine dût rencontrer. Il avait paru effacé durant la guerre d'indépendance, parce que les désastres de leurs armées ne laissaient pas moins les vaincus maîtres de leurs sentiments, de leurs croyances, de leurs vieilles coutumes; mais la haine et le fanatisme se ravivèrent lorsqu'on sentit la religion et les mœurs antiques menacées par des idées étrangères et puissantes. Les historiens romains ont remarqué que les

(') D'où viennent nos mots pays, païen, péquin.

sacrifices humains reprirent faveur à cette époque. Auguste, avec son admirable modération, ne persécuta pas un culte qui lui était certainement odieux; il se borna à interdire la religion druidique aux habitants de la Gaule qui avaient droit de cité romaine, et à défendre l'immolation de victimes humaines, lors même qu'elles seraient volontaires; car l'aspiration à la mort était toujours un trait caractéristique de la Gaule, et l'empereur dut transiger avec ce sentiment. Il défendit aux prètres de tuer, mais il leur permit de faire encore l'offrande du sang sur leurs autels, pourvu que le supplice n'allàt pas au delà d'une simple blessure ou d'une incision.

Bien que ne l'attaquant pas de front, l'administration romaine fit tous ses efforts pour refouler le druidisme, et le plus général comme le plus actif des moyens dont elle usa fut d'assimiler aux personnages de la mythologie grecque et romaine les divinités inférieures que le druidisme avait admises comme agissant dans l'univers au-dessous du Dieu suprême. Les types secondaires et les objets accessoires de la religion envahissent à la longue les premières places dans la foi populaire; c'est l'un des signes de la décadence religieuse, et les druides s'en aperçurent. Ils avaient permis qu'on adorat au-dessous d'Ésus, le vrai Dieu, un dieu de la guerre et du courage, Camul; une déesse des forèts, Arduinna; un dieu de la lumière physique et de la lumière intellectuelle, Belen; un dieu du commerce et du succès, Teutatès: les Romains couvrirent la Gaule d'autels à Mars - Camul, DianeArduinna, Belenus-Apollon, Mercure-Teutates, et à d'autres divinités. Par de pareilles assimilations, ils ménageaient à la masse ignorante le plus facile passage des austérités druidiques aux pompes du paganisme. Ils ne dédaignaient pas non plus de rendre hommage aux divinités spéciales et purement gauloises, afin d'en accommoder le culte à leur guise ainsi Auguste lui-même éleva un temple au dieu Circius, en gaulois le dieu Kirk, personnification du redoutable vent du nord. La république romaine avait toujours procédé avec la même habileté et toujours ouvert ses temples aux divinités étrangères, afin de ne rendre aucun peuple inconciliable avec le joug. Le territoire de la Gaule se remplit bientôt de monuments élevés aux divinités du paganisme; mais c'est aux règnes des premiers empereurs qu'appartiennent ceux qui offrent ces bizarres combinaisons des deux cultes, et dont le plus célèbre est l'autel de pierre qu'on découvrit en 4744 en creusant sous le chœur de l'église Notre-Dame de Paris, pour y construire un caveau destiné à la sépulture des archevêques.

Ces précieuses sculptures, conservées aujourd'hui au Musée de Cluny, appartenaient à un monument religieux dédié sous le règne de Tibère, comme le prouve l'inscription suivante dont elles sont accompagnées : « Sous Tibère César Auguste, >> la compagnie des mariniers parisiens (nautæ » parisiaci) a publiquement élevé cet autel à

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Autel gallo-romain découvert dans les fondements de Notre-Dame de Paris, en 1711, et conservé aujourd'hui au Musée de Cluny,

et placé, la hache à la main, près d'une forêt; une divinité au front chauve armé de deux cornes (CERVUNNOS OU CERNUNNOS); une sorte d'Hercule terrassant un monstre (SIVIER...os); un taureau représenté dans un bois, couvert d'une étole sacrée et accompagné de trois oiseaux (TARVOS TRIGA

RANVS); etc. Sauf cette dernière, qui semble devoir être traduite le taureau aux trois grues, ces diverses inscriptions sont enveloppées dans l'obscurité qui voile encore les origines celtiques, et n'ont pu être jusqu'à ce jour convenablement expliquées. Un singulier mélange des emblèmes reli

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gnent de la complaisance mutuelle des deux cultes vainqueur et vaincu : tels sont l'autel de Bapteste, près Poitiers, le monument de Mavilly (Côte-d'Or),

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Bas-reliefs gallo-romains découverts dans les fondements de Notre-Dame de Paris, en 1711, et conservés
au Musée de Cluny.

et l'autel du dieu gaulois accroupi entre Apollon | populations extravagantes et fanatiques de presque et Mercure, à Reims (1).

Les travaux d'Auguste dans la Gaule durèrent bien des années; durant six ans il ne quitta presque pas Lyon, dont il affectionnait le séjour. Son beaufils, Drusus, fut appelé par lui pour terminer le recensement, et ce jeune homme, doué de qualités rares, apporta dans cette opération délicate une douceur et une sagesse qui empêchèrent le mécontentement de déborder. Drusus couronna son œuvre par une solennité grandiose (an 40 av. J.-C.), qui dut rendre en effet les vieux Gaulois muets d'étonnement, et que nous comprenons bien moins encore aujourd'hui, mais à laquelle était obligé peutêtre un prince qui, parmi ses sujets, comptait les

() Voy. ce dernier bas-relief dans le Magasin pittoresque, 1847, p. 164.

tout l'Orient. Drusus institua le culte de Rome et Auguste, dieux tutélaires de la Gaule. A la pointe de la presqu'île où se marient la Saône et le Rhône

ROMETAVC

Revers de la médaille représentant l'autel de Rome et
Auguste, à Lyon.

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