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fardeaux qui pesaient sur le peuple, le renvoi des gardes suisses, au nombre de six mille, qu'entretenait à grands frais le feu roi; enfin l'intention où l'on était de subvenir désormais aux dépenses personnelles du prince avec les revenus de son domaine; mais aussi la nécessité qui l'obligeait, pour les dépenses relatives à la garde et à la sûreté du royaume, de recourir aux impôts. Quand les États, dit-il en terminant, auront pourvu à ce dernier point, le roi prêtera l'oreille à leurs cahiers et doléances, et réformera les abus en suivant les préceptes de

la justice, « et en lui donnant pour compagnes des vertus toutes belles et royales: la gravité, la majesté, la tempérance, la constance, la circonspection; et n'y manqueront pas la continence, la vérité la patience, la science, la pureté de la conscience, et le sacré collége des autres vertus. >>

L'assemblée, présidée par l'abbé du monastère de Saint-Denys, un des élus de Paris, se partagea en six nations ou bureaux : 4o la France (comprenant Ile-de-France, Picardie, Champagne, Orléanais, Nivernais); 2o la Bourgogne; 3o la Norman

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die; 4o la Guyenne et Gascogne; 5o le Languedoc, avec le Roussillon, la Provence et le Dauphiné; 6o la Langue d'oui, comprenant la Touraine, Berri, Auvergne, Saintonge et Lyonnais. La première question qui s'offrit au début des délibérations fut celle de la formation du conseil du roi, par lequel se décidaient toutes les grandes affaires. Les princes l'avaient composé de leurs propres personnes et s'étaient adjoint quinze des anciens conseillers de Louis XI. L'abbé de Saint-Denys proposa que les Etats fissent choix dans leur sein même de neuf conseillers nouveaux. Mais des réclamations s'élevèrent. «Quelques-uns opinaient que l'autorité suprême du royaume était échue aux États; qu'ils ne devaient recourir aux supplications que pour la forme», et que par eux devait être institué le conseil tout entier. Les partisans des princes s'écrièrent aussitôt que les États n'avaient aucun droit à s'im

miscer dans le gouvernement, et ne devaient s'occuper que de la levée des impôts; que quand le roi ne pouvait exercer sa propre volonté, le pouvoir appartenant à la famille royale, c'était aux princes du sang que devait être remis le soin de la « chose publique ». Alors se leva un orateur dont les paroles durent faire une impression profonde. C'était un seigneur bourguignon, Philippe Pot, sire de la Roche, homme puissant dans sa province, et qui parla comme un républicain des temps antiques.

« Comme l'histoire le raconte, dit-il, et comme je l'ai appris de mes pères, le peuple souverain créa, dans l'origine, des rois par son suffrage, et il préféra particulièrement les hommes qui surpassaient les autres en vertu et en habileté. En effet, chaque peuple a élu un roi pour son utilité. Les princes sont nos princes, non afin de s'enrichir aux dépens du peuple, mais pour, oubliant leurs inté

rêts, l'enrichir et le faire prospérer du bien au mieux. S'ils font quelquefois le contraire, certes ils sont tyrans et méchants pasteurs qui, mangeant eux-mêmes leurs brebis, acquièrent les mœurs et méritent le nom de loups plutôt que de bergers. Il importe donc extrêmement au peuple quelle loi, quel chef le dirigent; car si le roi est bon, le peuple est bon; s'il est mauvais, le peuple est pauvre et dégradé. Les flatteurs seuls attribuent la souveraineté au prince. N'avons-nous pas lu souvent que l'État est la chose publique? La chose publique n'est que la chose du peuple; c'est lui qui l'a confiée aux rois. Ceux qui l'ont possédée de toute autre manière n'ont pu être réputés que des tyrans ou des usurpateurs du bien d'autrui. Il est évident que notre roi ne peut gouverner la chose publique par lui-même; mais elle ne doit point revenir aux princes: elle appartient à tous. C'est au peuple qui l'a donnée que la chose du peuple doit revevenir; et j'appelle peuple, non point la populace ou seulement les sujets du royaume, mais les hommes de tous états, même les princes. » Ce discours était-il l'énergique expression d'une conviction forte et sincère, ou n'était-ce qu'une manoeuvre dirigée contre le duc d'Orléans, ou bien encore n'était-ce qu'une vaine réthorique? On l'ignore; l'assemblée passa outre; mais de telles vérités ne sont pas impunément jetées au vent.

Le résultat de la discussion fut que le conseil du roi se composerait des princes ses parents, des anciens conseillers de son père et de douze personnes choisies par l'assemblée parmi ses membres. On s'en remit d'ailleurs de toutes les affaires au roi, pourvu qu'il agit de l'avis de ce conseil qu'il devait présider. A son défaut, la présidence et le pouvoir exécutif qu'elle conférait devaient appartenir au duc d'Orléans, après lui au duc de Bourbon, puis au sire de Beaujeu; les autres princes du sang avaient seulement place au conseil et voix délibérative.

On lut ensuite les cahiers des remontrances; ils étaient surtout relatifs aux choses ecclésiastiques, à la noblesse, au commun des villes et des campagnes, à la justice et à la marchandise, c'est-à-dire au commerce. En ce qui touchait l'Église, on réclamait la stricte observance de la Pragmatique sanction, qui mettait obstacle aux exactions papales. Les gentilshommes réclamaient contre la fréquence des convocations militaires; ils voulaient qu'on n'assemblat plus le ban et l'arrière-ban sans leur payer << raisonnablement leurs gages »>, et qu'on ne confiat plus à des mercenaires et à des officiers étrangers, comme avait fait Louis XI, la garde des places importantes. Les plaintes du commun portaient sur la lourdeur des impôts et la misère du peuple, << jadis nommé Franc et maintenant de pire condition que le serf». La rapacité de l'Église excitait surtout ses récriminations; il demandait encore la révocation des aliénations du domaine faites par Louis XI, la diminution des gages des officiers royaux, la réduction de la gendarmerie à

l'état où elle était du temps de Charles VII, l'abolition des jugements expéditifs qui prononçaient militairement sur le sort des soldats sans les garanties des tribunaux ordinaires, la séparation des attributions judiciaires et administratives que cumulaient les baillis et sénéchaux, l'achèvement des coutumes, dont la rédaction avait été ordonnée dès l'an 1454, l'abolition des travers et péages qui gênaient le commerce, le bon entretien des ponts et chaussées publics. Enfin les États généraux terminaient par leur demande habituelle et la plus instante de toutes: ils déclaraient que le roi devait, pour le bien et la réformation du royaume, les convoquer régulièrement de deux en deux années.

Les cahiers furent portés au conseil du roi pour y être l'objet d'un de ces longs examens qui se réduisaient ordinairement à d'inutiles paroles, et il ne resta plus à délibérer que sur la levée des nouveaux subsides. L'assemblée demanda un état des recettes et des dépenses publiques, afin de pouvoir juger des besoins auxquels elle avait à satisfaire. La cour et les généraux des finances fournirent des comptes dont la fausseté était manifeste. La Normandie, par exemple, y était portée comme fournissant 50 000 livres, et elle en payait 600 000.

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Argent; gros de Pise.

Il fallut se contenter de ces indications mensongères; mais l'assemblée ne vota que 4 200 000 livres (environ 6 000 000 de francs) pour l'année courante et autant pour l'année d'après, plus 300 000 livres accordées au roi pour droit de joyeux avénement. Elle confia à une commission de dix-huit députés, trois par nation, le soin de poursuivre auprès du conseil la vaine discussion des cahiers, et se sépara (le 45 mars) sans être arrivée à d'autre résutat; mais c'était véritablement quelque chose que de mettre en mouvement des idées de réforme et des maximes républicaines.

Les États n'avaient attribué à la fille aînée de Louis XI aucune place au pouvoir. Ils s'étaient bornés à la confirmer avec son mari dans «< le gouvernement de la personne du roi, tant qu'il seroit jeune, en suivant la volonté du feu roi Loys. »> Anne de Beaujeu, maîtresse de cet enfant qui la craignait, et non moins maîtresse des volontés de son mari, homme débonnaire, indolent et borné,

montra bientôt ce dont elle était capable. « Fine femme et déliée », comme dit Brantôme, elle fit agir et parler son frère à son gré. Charles VIII présida régulièrement le conseil, de manière à écarter le duc d'Orléans; le duc d'Orléans dégoûté, le duc de Bourbon retenu par ses infirmités, Charles Jaissait ordinairement la place au sire de Beaujeu. Dès lors le conseil était entièrement entre les mains de « Madame », qui disposait à sou gré des finances, des grâces, des fonctions, de toutes les ressources de l'État, et laissait les princes complétement effacés. Louis d'Orléans, jeune, brillant, ami de la guerre, des tournois, des galanteries chevaleresques, excité d'ailleurs par l'ambition de ses cousins les comtes d'Angoulême et de Dunois, ne pouvait se résigner longtemps à cette usurpation. Ses amis et lui, après s'être répandus en protestations, après avoir invité sans aucun fruit les bonnes villes et le Parlement à faire mieux respecter la volonté des États, se jetèrent dans les intrigues et cherchèrent à renouer une ligue féodale semblable à la ligue du bien public.

Leur point d'appui était en Bretagne, auprès du due François II, le seul haut baron de France qui jouît encore du plein exercice de la souveraineté féodale; ils exciterent, à l'intérieur du royaume, tous ceux qu'ils pouvaient rattacher à leur cause, surtout les seigneurs de Foix, d'Albret, de Comminges; au dehors, le duc de Lorraine, le duc de Savoie, le roi d'Angleterre, le duc d'Autriche Maximilien; et ils prirent les armes (1485). Anne de Beaujeu fit face à tous ses ennemis. Contre Maximilien, elle fit alliance avec les Flamands révoltés, et leur envoya le sire d'Esquerdes à la tête d'une armée; contre le roi d'Angleterre, Richard III, elle aida un prétendant, Henri Tudor, comte de Richemond, qui devint Henri VII; elle fit alliance avec une partie de la noblesse bretonne qui s'agitait sous le duc François; elle apaisa le duc de Lorraine, acheta le comte d'Angoulême, et, comblant les vœux de son frère, dont la jeune tête était remplie déjà de rêveries chevaleresques, elle le mit à la tête des troupes royales et l'envoya menacer le Midi. Personne n'osa tenter la moindre résistance, et tout se soumit au seul nom du roi. Le duc d'Orléans et les partisans qui lui restaient ne trouvèrent de retraite qu'en Bretagne.

Mais l'armée royale, toujours conduite par Charles et par le capitaine auquel sa sœur l'avait confié, le sire de la Trémouille, jeune guerrier de vingt-sept ans déjà célèbre, se hâta de prendre le même chemin ; et la lutte commençait à prendre un caractère sérieux. La fille de Louis XI voyait la nécessité d'écraser dans son dernier refuge cette aristocratie toujours insatiable et menaçante; le parti aristocratique sentait venir l'heure de ses derniers combats. Le duc de Bretagne, quoique mal soutenu de ses sujets, résolut de ne point faillir à son rôle. Il arma, et chercha des alliés en offrant de tous côtés la main d'Anne de Bretagne, sa fille. Il lui vint quinze cents lansquenets envoyés par l'un

des prétendants, Maximilien d'Autriche, déjà veuf de Marie de Bourgogne, quelques milliers de soldats anglais ou gascons, et l'armée bretonne se trouva presque égale à celle des Français, qui comptait douze mille hommes. L'armée bretonne avait pour chef le duc d'Orléans; elle se porta bravement à la rencontre de l'ennemi, qu'elle joignit à SaintAubin-du-Cormier; mais elle fut entièrement défaite. On se battit avec un acharnement extrême; le tiers des Bretons demeura sur le terrain; un autre tiers resta entre les mains du vainqueur; le due d'Orléans était au nombre des prisonniers (22 juillet 4488). La Bretagne entière fut bientôt à la discrétion de l'armée royale, et le duc François se trouva contraint de signer, le 20 août, un traité par lequel il s'engageait à faire sortir de ses États et à ne jamais recevoir à l'avenir les ennemis du roi de France, à ne marier sa fille que du consentement du roi, et à remettre, en garantie de ses promesses, les quatre principales places de son duché.

Trois semaines après, le duc François II n'était plus. Le mariage de sa fille devait décider la question de savoir si la Bretagne continuerait quelque temps encore de faire obstacle à la royauté absolue au nom des principes féodaux, ou si elle allait compléter de suite le grand corps uni et compacte de la monarchie française. L'Angleterre, l'Autriche, l'Aragon, savaient combien il importait pour elles que la Bretagne conservât son indépendance; mais elles voyaient, en même temps, qu'il eût fallu d'immenses efforts pour la disputer à la France, et elles se bornèrent à quelques vaines démonstrations, à l'envoi de quelques troupes insuffisantes. Dans la Bretagne même régnait l'arnarchie : les soldats étrangers ravageaient la contrée; les Français avaient repris l'offensive à la mort du duc, et tous les partis déchiraient cette malheureuse province. Par l'influence du comte de Dunois, l'un de ses tuteurs, la jeune duchesse, âgée de treize ans à peine et séduite par l'espoir de porter le titre d'impératrice, avait promis sa main à Maximilien d'Autriche. C'était donc des bords du Rhin que la Bretagne attendait sa délivrance. Mais Maximilien, loin de pouvoir la secourir et traverser la France à la tête d'une armée, pouvait à peine se défendre lui-même contre les Flamands; il se contenta d'envoyer épouser Anne par procuration. Ce fut le comte de Nassau qui vint en Bretagne accomplir cette cérémonie, par laquelle le procureur plaçait solennellement sa jambe dans le lit de l'épousée après les bénédictions de l'Église, mais qui ne constituait pas un lien définitif (novembre 4490).

Cependant Anne de Beaujeu, avec une rare sagesse, laissait peu à peu son frere prendre possession de lui-même et de son pouvoir. Depuis la bataille de Saint-Aubin, elle avait fait retenir le duc Louis d'Orléans dans une étroite prison; mais elle trouva bon que Charles VIII le délivrat de son propre mouvement et s'en fit un ami (mai 4 491). Elle fit comprendre au jeune roi l'importance de la réunion de la Bretagne à la couronne, et elle

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une armée anglaise vint débarquer à Calais, une armée autrichienne envahit l'Artois; le roi d'Espagne se préparait à passer les Pyrénées; Charles VIII, au lieu de repousser tous ces ennemis, aima mieux acheter d'eux la paix. Il l'acheta des Anglais au poids de l'or; à Maximilien, il rendit le Charolais et la Franche-Comté; à Ferdinand le Catholique, la Cerdagne et le Roussillon. Charles VIII avait cependant la tête pleine de projets belliqueux, mais dirigés ailleurs. La possession précieuse de quatre provinces déjà françaises à demi ne valait pas, à ses yeux, les conquêtes éclatantes que méditait son imagination jeune et enthousiaste.

Louis XI s'était gardé de faire valoir les droits éventuels qu'il tenait de la maison d'Anjou sur la couronne de Naples. Charles VIII y voyait, au contraire, une occasion de se rendre illustre comme un nouvel Alexandre, et toute sa noblesse, qui n'avait plus de guerres féodales pour repaître sa turbulence, s'associait à ses projets et brûlait de fondre sur l'Italie comme sur une proie riche et facile.

D'ailleurs cette belle Italie, endormie au sein de sa mollesse opulente, féroce pour ses propres enfants dans ses haines intestines, et timide avec les oppresseurs étrangers, appelait elle-même les Français. Ludovic Sforza, dit Ludovic le More, s'était emparé du duché de Milan au détriment du duc JeanGaléas Sforza, son neveu, et, pour se maintenir dans son usurpation que voulait punir le roi de Naples, allié de Jean-Galéas, il implorait l'appui du roi de France. Le roi de Naples, prince de la maison d'Aragon, n'était soutenu que par le pape; les Vénitiens, la puissance italienne alors prépondérante, promettaient leur neutralité; Florence était indécise; la conquête de l'Italie méridionale semblait aisée et sûre. D'ailleurs les peuples légers de l'Italie commençaient, dit Commynes, « à prendre cœur pour les François, désirant voir choses qu'ils n'eussent vues de longtemps. » Mais ce n'était, pour l'ambition de Charles VIII, qu'un premier pas. Naples ne lui devait fournir qu'une base d'opérations ce qu'il rêvait, c'était d'expulser les

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

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