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Lorsque la ville fut ornée de théatres, de machines allégoriques, fournie de fontaines où coulaient l'hypocras et le vin, Louis fit son entrée en robe de soie blanche, sous un dais fleurdelisé. Le menu peuple s'écrasait dans les rues; « les gouttières étaient pleines » de spectateurs, et « les fenêtres se louaient cher.» (Duclerq.) Ainsi le nouveau roi, << saillant de mendicité en plénitude de souhaits, reçut couronne et sceptre en toute haute prospérité de fortune. » (Chastellain.)

Louis avait assez donné à l'ostentation; il se retira sans pompe et sans maison dans l'hôtel des Tournelles. Tandis que son bel oncle exposait en des pavillons de velours ses trésors de bijoux et d'orfévreric, et montrait à tout venant la tapisserie symbolique de Gédéon et de la Toison d'or, il «< subtilisoit nuit et jour de nouvelles pensées ». Un jour que le comte de Charolais, fils du bel oncle, avait donné un brillant tournoi, un rude Allemand, « avec son écu et son cheval couvert de la peau d'un daim » (de la Marche), battit les splendides champions. Le roi, qui l'avait payé, se réjouissait de leur déconfiture; c'est ainsi qu'il se donnait des fêtes secrètes, et qu'il s'excitait à son œuvre ambitieuse. Dans la force de l'àge et la maturité de l'esprit (4464), Louis XI saisissait le pouvoir pour le garder et l'accroître. Il rèvait un grand nivellement social, un trône solidement assis sur l'égalité devant les impôts et la loi, une couronne illustrée par le rétablissement ou l'acquisition de nos frontières naturelles. Il voulait écarter de lui et diviser entre eux les princes apanagés, détruire le prestige de la noblesse par un appel à la bourgeoisie, et seul, impartial despote, être roi comme les tyrans antiques. Ses modeles admirés étaient Venise et Sforza; c'est dire qu'il ne confondait pas la morale avec la politique; l'utile était sa loi. Les historiens vertueux ont souvent flétri son caractère et ses actions; évidemment Louis XI ne se propose pas en exemple aux enfants. Disons donc une fois pour toutes qu'il voyait dans la fourbe heureuse le dernier degré du talent, et dans la ruse, mème sans succès, la seule voie d'un sage esprit.

Louis XI eut voulu ètre populaire; ses premières lettres furent un appel aux notables des grandes villes; il autorisa la révision du procès de Jacques Coeur; il s'entoura de «gens de moyen état >> (Commynes); mais ses grands desseins, le rachat des villes de la Somme, la séduction des grands et de leurs conseillers, ne lui permirent pas d'affaiblir la charge des impôts qui pesait uniquement sur le peuple. Or les tailles étaient le seul grief des villes contre son père; Charles VII, si l'on en croit Duclerq, « fut aimé par tout son royaume ». L'ordre sévère établi dans les troupes, qui «n'osaient rien prendre à autrui », la justice assurée qui saisissait les malfaiteurs dès la frontière de Picardie, permettaient au marchand de voyager sans crainte, « eùt-il porté par les champs son poing plein d'or ». Mais si l'on échappait aux bri

gands, nul n'évitait l'impôt, « que tous payaient s'ils n'étaient clercs, nobles ou privilégiés. » Les espérances que les contribuables fondaient sur le nouveau roi furent renversées par l'établissement d'un droit sur le vin. Reims, Angers, s'agitèrent; mais les émeutes, sourdement étouffées par des soldats déguisés, s'éteignirent avant que les seigneurs eussent pu les exciter. D'ailleurs Louis flatta aussitôt les Bourguignons; il laissa nommer par le duc des conseillers au Parlement, conseillers qui resterent sans siége; il donna au comte une pension de trente-six mille livres et le gouvernement de la Normandie, pension et gouvernement d'ailleurs assez illusoires.

L'abolition de la Pragmatique sanction fut à la fois un affront aux seigneurs, une atteinte au sentiment populaire, un outrage à la mémoire de Charles VII, une avance au pape, un retour au roi des élections ecclésiastiques. En présence du comte de Charolais et du Parlement, Louis « admira, baisa la bulle papale, ordonna de l'enfermer parmi ses trésors dans un coffret d'or, et d'en répandre des exemplaires par toute la France. » Il poussa plus loin la comédie sacrée : non content d'avoir installé l'église gallicane, il « outragea, autant qu'il était en lui, les cendres et le tombeau de son père; Charles VII, damné pour la Pragmatique, fut publiquement absous à Saint-Denys, et Louis XI, dit Duclerq, « pleura tendrement » sur son âme. Le pape ou la cour de Rome tira d'abord tout le profit de cette mesure; les collecteurs du saint-siége reprirent la vente, un moment interrompue, des bénéfices et des évèchés; les secours stipulés pour Jean de Calabre, prince d'Anjou, prétendant au trône de Naples, furent donnés par Pie II au bàtard d'Aragon. L'abolition de la Pragmatique eut des résultats plus fàcheux encore; elle irrita la noblesse et surprit le peuple, qui n'en vit pas la portée (nov. 4461).

Louis ne resta pas longtemps à Paris; couronné en août 4464, il était en décembre à Amboise, près de sa mère, dont le triste abandon l'avait jadis aigri contre son père. Il reçut l'un après l'autre, à Tours, le comte de Charolais et le duc de Bretagne; tous deux furent accueillis et honorės; si le premier eut le gouvernement de la Normandie, l'autre emporta le titre de lieutenant du roi entre Loire et Seine. Le roi pensait diviser ses deux puissants vassaux par la rivalité de deux charges qui semblaient s'exclure. Il ôta au duc de Bourbon, son beau-frère, neveu de Philippe le Bon, le gouvernement de la Guyenne. « J'ai bien et loyalement servi », disait le duc mécontent, sans faire dommage à la couronne; il plut à monseigueur votre père de me donner sa fille; si vous nous êtes ainsi dur, vous nous donnerez petite occasion de vous aimer et encore moins de vous servir. Da, beau-frère, répondit le roi, il sembleroit que vous nous cherchez noise; mais quand on y viendroit, on en feroit le mieux qu'on pourroit. » Et il donna au comte du Maine, frère du

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roi René, ce qu'il enlevait au duc de Bourbon; il favorisait ainsi en France, comme en Italie, et bientôt en Angleterre, la. maison d'Anjou. D'ailleurs la Guyenne n'était réellement confiée qu'à une créature du roi, le båtard d'Armagnac, comte de Comminges, gouverneur du Dauphiné, maréchal de France. Les Armagnacs étaient, en effet, les alliés les plus nécessaires à gagner dans le Midi; aussi ne furent-ils pas oubliés l'un, chef de la famille, criminel de lèse-majesté, fut tiré de prison et réintégré dans ses domaines; un autre fut créé comte de Nemours.

LE ROUSSILLON EST REÇU EN GAGE.

Les anciens conseillers, Brézé, Cousinot, Dammartin, furent écartés ou emprisonnés. En choisissant ses amis, le roi se faisait de graves ennemis; mais il crut avoir tout gagné s'il détachait des mécontents son frère Charles, jeune homme faible et avide, prêt à leur servir de chef et de

dupe; le prince eut une pension et le duché de Berri.

Vers la fin de l'année 4 464, Louis XI entreprend un voyage dans le Midi; il visite, en habit de pèlerin, seul, mais suivi de loin par une armée, les frontières de Bretagne; de Nantes, par la Rochelle, il arrive à Bordeaux. La Guyenne et la Gascogne, assez mal vues de Charles VII, reprennent leurs priviléges perdus par la révolte; un parlement est institué à Bordeaux, au détriment du ressort immense de Toulouse. Bayonne devient un port franc. Ainsi Louis XI effaçait les traces des Anglais en France; mais à quoi lui servait l'armée qu'il traînait avec lui? Pourquoi son artillerie était-elle << toute à la Réole », tandis qu'une flotte anglaise appareillait contre la Normandie?

C'est qu'une guerre acharnée, dont il pensait profiter, ensanglantait la Catalogne. Don Juan, roi d'Aragon, avait empoisonné son fils du premier lit, Carlos, héritier de la Navarre par sa mère; le peuple soulevé assiégeait dans Girone la marâtre qui

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avait poussé Juan au crime. L'état de l'usurpateur était désespéré; Louis XI était sollicité contre lui. D'autre part, le gendre de l'Aragonais, le comte de Foix, qui par le meurtre succédait aux droits de Blanche, sœur et héritière de Carlos, demandait pour son beau-père l'appui de la France. Louis s'avançait avec son armée, laissant les deux partis dans le doute, prêt à vendre un secours. Don Juan offrit d'engager le Roussillon, et fut pris au mot; il espérait faire l'emprunt sans remettre le gage. Mais il ne connaissait pas son prêteur; s'il regagna son trône, il perdit la Cerdagne et le Roussillon, qu'il ne put jamais payer. Ce marché complétait notre frontière méridionale (mai 4462).

Lorsque la flotte anglaise parut en vue des côtes normandes, le roi était revenu dans le Nord; les villes étaient gardées et prètes à la défense. L'amiral ennemi, Warwick, dut se borner à une des

cente inutile en Bretagne. Il avait de secrètes intelligences avec Louis XI.

Le Roussillon acheté, le roi crut trouver l'occasion de racheter Calais. Les vicissitudes sanglantes de la guerre des deux roses ébranlaient la puissance anglaise. La branche d'York, issue d'Édouard III, prétendait avoir acquis par mariage un droit d'aînesse sur la famille de Lancastre. L'idiot Henri VI, renversé par Richard d'York, rétabli par sa femme, Marguerite d'Anjou, venait d'être détrôné. Édouard, fils de Richard, proclamé roi et vainqueur à Towton, avait forcé Marguerite à fuir (1461); la reine déchue trouva des alliés en Écosse, en Bretagne, en France. Tout en se ménageant auprès d'Édouard IV l'influence toutepuissante de Warwick, surnommé le Faiseur de rois, Louis XI accueillit la fugitive; il séduisait le vainqueur, il exploitait le vaincu. Marguerite

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la ville et le château de Calais; sitôt que le roi d'Angleterre aura recouvré ladite ville, il y établira capitaine... notre aimé cousin Jean de Foix, comte de Kendale, qui jurera de la remettre dans l'année aux mains de notre cousin de France. >> Louis ne se brouillait pas d'ailleurs avec Édouard; il laissait Marguerite agir seule, et si des troupes françaises descendaient en Angleterre, elles étaient malgré lui, ou du moins sans son ordre, levées par Brézé, son ennemi. Il pensait, au milieu du trouble, intimider Calais par une armée et par la signature de la reine; mais il échoua par la précipitation; ses demandes de troupes et de navires effrayérent le duc de Bourgogne. Le secret de la trahison transpira. Marguerite, dépopularisée, fut repoussée par Warwick, qu'Edouard IV soupçonnait déjà.

Louis avait l'oeil » non-seulement sur Calais, mais aussi sur Gênes, où les Spinola tenaient son parti contre les Frégose; il y envoya Dunois, comme Brézé en Angleterre, disait-on, pour en être quitte.»> (Chastellain.) Juan d'Aragon excitait Perpignan à la révolte; Louis accourut (4463), ressaisit le Roussillon, et donna au roi de Castille, Henri, un morceau de la Navarre. L'entrevue de la Bidassoa est restée célèbre; Henri l'Impuissant était chamarré d'or, entouré d'une brillante noblesse; Louis XI, pauvrement vêtu d'un habit court et d'un manteau gris, achetait la cour de Castille et faisait l'aumône au roi. Partager la Navarre, c'était irriter le roi d'Aragon contre la Castille et le détourner du Roussillon. Carcassonne fut donnée au comte de Foix, dont l'héritage se trouvait entamé. Gênes et Savone, possessions contestées, payèrent l'alliance de Sforza. Le duc de Savoie était beau-frère du roi. La sécurité du Midi permettait de commencer au Nord des négociations qui pouvaient amener une guerre.

Tandis que Louis régnait avec une si fiévreuse activité, la cour de Bourgogne était troublée par des discordes où il n'était pas étranger. Les seigneurs de Croy, ses affidés, et le comte de Charolais, son ennemi, se disputaient le vieux duc. Il profita d'une maladie grave qui affaiblit son « bel oncle», en 1162, pour envahir sourdement ses

États; il y introduisit les gabelles royales, y fit des bourgeois. Le président du Parlement de Bourgogne vint se plaindre et fut retenu prisonnier ; un des Croy fut envoyé, et n'eut que cette réponse : « Quel homme est-ce que le duc? Est-il d'autre métal que les autres princes? » (Duclerq.) Charolais, après avoir soigné son père, reprit auprès de lui quelque influence, obtint la mort d'un valet qui voulait l'empoisonner, accusa judiciairement son cousin, Jean de Nevers, comte d'Étampes, << d'avoir fait faire, pour l'envoûter, des images de cire à Bruxelles » (Duclerq), tenta de s'approprier la Hollande, et d'arracher des aides extraordinaires à l'Artois et à la Picardie. Les Croy se défendaient; << en prévision du temps futur, ils avaient pris partout des terres, des richesses, des alliances. » Leur centre était le Hainaut, pays « qui répond à ceux d'alentour, comme le milieu à la rondesse du cercle »; ils en gardaient toutes les places frontières. De là, ils rayonnaient de tous côtés en Flandre, en Brabant, en France. Ils avaient à la cour de Bourgogne << autant d'offices qu'ils en désiraient pour eux et pour les leurs. » Le chef de leur maison, Antoine, ministre du duc, maître de la maison du roi, devint « sénéchal de Normandie, capitaine de Rouen, gouverneur de Champagne et des terres de la Somme; il pouvait avoir du roi vingtquatre mille francs par an, sans ce qu'il avait du duc et du sien.» (Chastellain.) Dès les premiers mois de 4463, ce puissant seigneur était venu remplir son office à la cour de France; il fuyait Charolais. Louis se servit de lui pour conclure avec les Anglais une trève d'un an (oct. 1463); par le don des comtés de Guines et de Châtelleraut, il le détermina à demander au duc le rachat des villes de la Somme. Charolais s'était retiré en Hollande, et son conseiller, le comte de Saint-Pol, était gagné par le roi de France. Le duc, retombé sous la tutelle des Croy, céda; Louis imposa ses peuples, pilla les trésors déposés à Notre-Dame, réunit les quatre cent mille écus d'or stipulés par le traité d'Arras, et reprit Saint-Quentin, Péronne, Amiens, Abbeville; il y mit des gens à lui, des parents des Croy, et bientôt le comte d'Étampes, ennemi mortel de Charolais. Celui-ci avait, en juillet, traité avec le duc de Bretagne; le roi le savait, et cita devant lui le comte de Saint-Pol, qui servait d'intermédiaire à ses deux ennemis.

Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, membre de la famille qui avait livré Jeanne Dare, « étoit, dit Chastellain, le plus extrêmement dissolu sur femmes par multitude, que nul à peine son pareil, et orgueilleux outre bord envers ses supérieurs. Il avoit grand sens et parole aiguë; belle personne, fort et roide, très à redouter, digne, par sa mine, de porter couronne et sceptre, il n'acquit cependant ni grâce, ni faveur, ni autorité. Puissant de terres et de seigneuries plus que nul en France », nous le verrons, ambitieux d'un État indépendant en Picardie, « vivre longtemps neutre » entre Louis XI et Charolais qu'il trahissait tour à

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