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Charles VII reçoit, dans la Sainte-Chapelle, à Bourges, les députés du concile de Bâle apportant les premiers décrets de la Pragmatique sanction. Miniature d'un manuscrit des Archives générales (lettre K, fol. 125).

tise et d'ingratitude, soupçonné mème d'imbécillité, fit preuve d'un discernement inconnu depuis Charles V, et déploya soudain, dans la guerre et dans la paix, des talents jusqu'alors enchaînés par la débauche. Il avait trente-cinq ans lorsqu'il commença de mériter ses surnoms, Charles le BienServi, Charles le Victorieux.

Des conférences ouvertes à Gravelines sur les bases du traité rompu à Arras n'eurent pas de résultat (janvier-septembre 1439). Il fut heureux pour la France que l'influence belliqueuse de Glocester eût enlevé Henri VI au parti de la paix, car le cardinal de Winchester eût accepté, pour en finir, la Guyenne et la Normandie. La prise de Meaux par Jean Bureau (août 4439) releva les espérances du roi; il fit preuve d'une résolution forte. Il voulait saisir le pouvoir, vaincre l'anarchie, et con

quérir son royaume avec des armées disciplinées. Il remplit ce triple but en convoquant, au mois d'octobre, de vrais États généraux. L'assemblée d'Orléans fut toute autre que ces réunions presque annuelles, incomplètes, découragées, qui accordaient en gémissant de faibles subsides; les députés furent nombreux, bien choisis, énergiques. Tous avaient horreur des Anglais; tous détestaient les écorcheurs. Ils se rappelaient << les pauvres laboureurs, pris et tués par le fer, la faim, le feu; les dents arrachées une à une; l'argent gagné à coups de baton; les pères et les maris torturés devant leurs femmes et leurs filles outragées; les villages entiers taxés, brûlés ou noyés, et toutes les tyrannies que souffrait le peuple de ceux qui le devaient garder. » Aussi accueillirent-ils avec enthousiasme les mesures de répression, d'organi

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aventuriers, la nécessité d'une armée nationale pour chasser l'étranger, la parfaite logique des propositions royales, cachérent aux États généraux le danger de l'impôt permanent. Il est vrai que le chiffre en fut déclaré invariable; mais les puissants avaient violé tant d'engagements, et il est si facile au pouvoir même le plus honnête de tourner les difficultés! On peut croire que le tiers état, l'ordre le plus menacé par la taille, l'accordait seulement jusqu'à l'expulsion des Anglais. Il en fut de même pour l'armée; l'idée était trop nouvelle pour être comprise. Jamais la société demi féodale du quinzième siècle n'a songé à constituer une force perpétuellement acquise au roi, qui en nomme les chefs, et peut l'employer à la délivrance ou à l'oppression de son peuple. Charles VII se

(') Niel, portraits des personnages français.

Sa signature, d'après une quittance de 1448.

hata de consacrer les décisions des États par l'ordonnance d'Orléans (2 nov. 1439); c'était une arme contre ses ennemis et ses sujets. Il tenait enfin le pouvoir absolu; la taille invariable le dispensait de rappeler les États généraux tant que le chiffre resterait le mème; l'armée le délivrait des milices feodales. Les seigneurs sentaient bien que la ruine des écorcheurs les frappait d'impuissance; forcés par le cri public d'adhérer aux volontés du conseil, ils avaient signé l'ordonnance. Mais dès que le roi fit mine de nommer les capitaines, de leur donner « l'argent, le trait et l'artillerie >> (Berri), qu'il fit chasser « pages, femmes et valets, et toute cette coquinaille » inutile au combat, àpre au butin, et réduisit le nombre d'archers et de serviteurs que traînait après lui l'homme d'armes, le duc de Bourbon, Dunois, Alençon, Vendôme, quitterent la cour. Ils étaient, d'ailleurs, jaloux

du conseil, ou dominaient de vieilles femmes comme la reine Yolande, un bourreau comme Richemont, des parvenus, de vils roturiers. N'y avaitil pas une insulte pour eux dans les armes parlantes du grand argentier: « A vaillant cœur riens impossible»? et dans ce proverbe, glorieux pour l'artillerie: «Bureau vaut écarlate? »

LA PRAGUERIE.

Les princes rebelles avaient gagné le Dauphin, jeune homme spirituel et corrompu, qui détestait les conseillers et les maîtresses de son père. Il était loin des idées étroites qui inspiraient ses alliés. Celui qui devait être Louis XI ne se faisait sur la noblesse aucune illusion; il trouvait dans une révolte, quelle qu'elle fût, la chance de conquérir une large place dans le gouvernement du royaume. Un autre ambitieux plus dangereux encore, c'était la Trémouille, qui se hata d'entrer dans le complot.

Le connétable faillit être arrêté à Blois, où il était entré sans défiance, courut au roi qui l'attendait à Amboise : « Prenez les champs, lui dit-il; qu'il vous souvienne du roi Richard II; ne vous laissez enfermer ni en ville ni en place. » Charles VII avait autour de lui son conseil, Gaucourt, Xaintrailles, le comte du Maine son beau-frère, et Richemont, la sagesse et la force. Les révoltés furent vivement poursuivis. Alençon et Dunois, atteints en Poitou, se soumirent les premiers; le duc de Bourbon, abandonné de ses vassaux en Auvergne et en Marche, demanda son pardon, et avec lui le Dauphin (juillet 4440). Le roi les reçut en grâce, mais, malgré les prières de son fils, ne voulut pas revoir la Trémouille; et comme le Dauphin mécontent parlait de se retirer, il lui dit avec colère : « Louis, les portes sont ouvertes, et si elles ne vous sont assez grandes, je vous ferai abattre quinze ou vingt toises des murs pour vous faire passage. » Il l'envoya gouverner le Dauphiné.

Le triomphe de Charles VII fut béni par tous les villages et par toutes les villes. Paris surtout, qui voyait dans le roi « l'origine aux larrons de chrétienté », se réjouit de voir expulser les écorcheurs qui tenaient Corbeil et Vincennes, ces impies qui « mangeoient chair en carême, fromage, lait et œufs, comme en autre temps », ces voleurs d'enfants aussi terribles que les loups en hiver, brigands toujours excusés par leurs chefs. «Si c'étoient les Anglois, disaient ceux-ci, vous n'en parleriez pas tant; il faut qu'ils vivent.» (Bourgeois.) La race des écorcheurs exista encore plusieurs années, et la révolte faillit être ranimée par l'arrivée en France du duc d'Orléans; Philippe le Bon l'avait généreusement racheté, non sans intention. Quoique le rusé duc de Bourgogne eût refusé d'entrer dans la révolte des princes, il n'eût pas été faché de voir se perpétuer l'anarchie; c'est pourquoi il avait à tout hasard rendu à la France un prince élevé dans la guerre civile. Le

roi, déliant et jaloux, fit peu d'accueil à son consin, et regarda de mauvais il l'envoi de la Toison d'or au duc de Bretagne et au duc d'Alençon. Mais il n'avait guère à craindre du poète Charles d'Orléans, qui demandait simplement à jouir du beau ciel de France. La praguerie proprement dite, comme on nomma bien mal à propos cette rébellion féodale, fut terminée, en 1441, par la soumission du comte de Saint-Pol et l'exécution de l'exécrable batard de Bourbon. Ce dernier ne put être sauvé par le peu de sang royal qui coulait en lui; le connétable le fit noyer par Tristan l'Ermite. Le procès récent du maréchal de Retz venait de venger en Bretagne des crimes plus inouïs que ceux des chefs de bande; ce grand misérable avait tué de ses mains et brûlé plus de cent quarante enfants, dont on retrouva les ossements calcinés dans ses châteaux. Il les sacrifiait à certains démons qui devaient lui donner l'or et la science. Une frénésie de vice et la passion des ogres, l'amour de la chair fraîche, s'étaient emparées de ce seigneur élégant et lettré. La vue du sang, les plaintes des mourants étaient pour lui pleines d'une sauvage volupté. Il fut condamné au feu, mais seulement grillé, et son corps fut mis en terre sainte. Retz croyait fermement aller au paradis; il avait toujours accompli les pratiques extérieures du culte, et n'avait jamais voué formellement son âme au diable.

Charles VII avait pacifié la Champagne; mais les Anglais avaient profité de la guerre civile pour reprendre Harfleur en Normandie et pour menacer Paris. La prise de Pontoise et d'Évreux par les Français arréta leurs succès. Le roi était en personne au siége de Pontoise; il entra dans la ville par la brèche que lui ouvrit Jean Bureau, laissa tuer les Anglais, mais sauva les habitants; ses sujets furent toujours sacrés pour lui; sa clémence était poussée parfois jusqu'à l'indifférence. Il avait aisément pardonné à l'Université et au Parlement de Paris, et leur avait déjà réuni son Université et son Parlement de Poitiers. Peu lui importait que les juges de la Pucelle restassent honorés et bien payés; il oubliait aisément tout ce qui était passé (1441).

Une petite praguerie, dont la Trémouille était l'àme, attira durant l'hiver les armes royales en Saintonge et en Limousin; les abus, les brigandages d'une foule de petits seigneurs furent réprimés et punis. Les princes, doutant du succes d'une révolte, se réunirent à Nevers sous la présidence du duc d'Orléans; ils étaient sous main encouragés par Philippe le Bon à cette démonstration. Leurs doléances remises au roi reçurent une habile réponse. Ils durent rester loin du pouvoir, et se contenter de concessions insignifiantes. Le duc d'Orléans fut d'ailleurs séduit par une récep tion bienveillante à Limoges, un cadeau de cent soixante mille francs et une pension de dix mille livres (4442). Une heureuse expédition en Gascogne enleva aux Anglais Dax, la Réole, Ton

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G.. 15.

neins, et fit respecter par la libre féodalité du Midi la suzeraineté du roi. L'année suivante, la succession du comté de Comminges fut adjugée à la couronne, et il fut défendu au comte d'Armagnac, fils du fameux Bernard, de se nommer comte « par la grace de Dieu ». Le Dauphin, qui, réconcilié avec son père, venait de faire lever à Talbot le siége de Dieppe, retomba sur le Midi, et en plein hiver poursuivit les Armagnacs; il les prit tous par la douceur et les remit au roi. Le jeune prince montrait dans ces deux campagnes ses talents variés; il avait vaincu en Normandie par la force, dans le Midi par l'adresse.

La maison de France avait repris par ces succès son ancien rang à la tête des monarchies; et, quand Winchester et ses amis, Somerset, Suffolk, eurent réussi à faire tomber en discrédit le protecteur Glocester, Henri VI demanda la paix. Une trêve lui fut accordée à Tours. Les positions étaient bien changées; l'Angleterre s'humiliait, et son roi sollicitait la main de Marguerite d'Anjou, princesse sans dot, fille du roi René. Ce n'était pas ainsi que Henri V contractait ses mariages. La trêve consentie en juin 1444 devait durer vingt-deux mois. Les Anglais l'eussent voulue à perpétuité.

TRÊVE AVEC L'ANGLETERRE.

Lorsque Suffolk reparut à la cour d'Angleterre et qu'il eut fait connaître les conditions du traité, le parti national lui en fit un crime. Marguerite d'Anjou ne fut pas mieux accueillie; le roi ne l'obtenait qu'en cédant à René d'Anjou, c'est-àdire à la France, deux provinces, le Maine et l'Anjou. Qu'apportait en échange la fille de la Provence? Une animation déplacée en Angleterre, une beauté faite pour lui attirer des accusations calomnieuses, un langage et un cœur français, ennemis. D'argent, point; de terre, aussi peu ; d'honneur, guère plus. Elle était de sang royal, mais son père n'avait pas de royaume. Marguerite devint le centre du parti de la paix; mais elle le rendit plus odieux encore à l'orgueil anglais. Tous ses actes furent incriminés. On attribua sans cause à ses légèretés la faveur de Suffolk et de Somerset. L'emprisonnement et la mort de Glocester en firent une empoisonneuse; il était cependant notoire que le protecteur était atteint de maladies incurables. Glocester tendait à usurper le trône et le sceptre. Sa mort fit place à un prétendant légitime, Richard d'York; le peuple se souvint que les York descendaient de Clarence, second fils d'Édouard III, et que leur droit à la couronne primait celui des Lancastre. Winchester survécut peu à Glocester (1447); il était le chef de l'Église, le prêtre tout-puissant; la défection de tous les évèques suivit sa mort. Ainsi la maison régnante que Henri IV avait assise sur le clergé perdait sa base et son soutien; elle s'éteignait, d'ailleurs, et n'était plus représentée que par le roi et le comte

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le continent, força la garnison du Mans à rendre, selon le traité de 4444, la ville à Charles VII, et demanda une prolongation de trêve.

Tandis que les dissensions de famille et les haines populaires ébranlaient le gouvernement anglais et compromettaient la puissance extérieure par une guerre civile imminente, Charles VII pré ́ludait à la délivrance du territoire par la fondation d'un ordre durable. Les trente ou quarante mille routiers que l'exécution incomplète de l'ordonnance d'Orléans et les désordres de la praguerie n'avaient pas encore permis d'expulser furent envoyés, sous les ordres du Dauphin, au secours des impériaux assiégés par les Suisses. Il s'agissait de délivrer Zurich; une bataille suffit. Quinze cents Suisses osèrent, dans un lieu nommé Saint-Jacques, disputer à la multitude des écorcheurs le passage d'une petite rivière; ils furent écrasés jusqu'au dernier; mais chacun d'eux avait, en moyenne, tué trois hommes. « Le Dauphin Louis, qui ne se trouvait point en personne » à cette affaire, se réjouit doublement. La bataille était gagnée, et huit ou neuf mille pillards avaient dispart. Il eut un moment l'idée d'entrer à Bàle et d'en chasser le concile, qui, nous le verrons, n'était plus pour l'Église qu'un élément de discorde. Cependant les Suisses avaient levé le siége de Zurich (août 1444); l'empereur remerciait vivement son allié dont les troupes pillaient çà et là,

rapportant de grandes proies », ou trouvant «< de dures rencontres ». L'hiver approchait; Louis rejoignit son père à Nancy, avec l'amitié de ceux qu'il avait combattus.

L'expédition d'Allemagne était purement d'aventure, et l'amitié de l'empereur y était pour fort peu de chose. Charles VII avait trouvé dans cette guerre lointaine un moyen de décimer avec honneur les bandes armées qui encombraient ses provinces; une autre ambition le poussait lorsqu'il envahit en personne la Lorraine, et voulut ranger « sous la souveraineté de la couronne » la ville impériale de Metz. Le désir de donner au royaume des limites naturelles, que la tradition reculait jusqu'au Rhin, était la vraie cause de son entreprise, et non les réclamations du roi René, qui, débiteur de la commune de Metz, refusait de la payer. Depuis longtemps, Metz échappait aux maîtres qui alléguaient des droits anciens; à l'empereur, elle se disait dépendante « du royaume de France »; au roi, « sujette de l'empereur ». Les lettres et les armes furent impuissantes; elle ne subit pas de joug. Le roi dut se contenter d'une indemnité considérable. Il serait bien, de dépit, tombé sur la Bourgogne; René devait encore une partie de sa rançon au duc, et ne voulait pas plus le payer que Metz. La duchesse de Bourgogne accourut à Châlons et détourna la guerre par quelques concessions. Des joutes, des fètes galantes célébrèrent l'arrangement, et chacun rentra dans ses États.

La destruction presque totale des écorcheurs sur les frontières du Barrois, de l'Alsace et de la Bourgogne, permit enfin de constituer l'armée permanente. Quinze capitaines furent élus, avec des ordres et des instructions sur la discipline; des garnisons furent désignées. Les soldats n'eurent ni oiseaux de chasse, ni femmes, ni broderies d'or ou d'argent; en aucun lieu ils ne furent assez nombreux pour pouvoir faire les maîtres sur les bourgeois aussi les peuples se prirent-ils à les aimer, et priaient-ils le roi de tenir les hommes de guerre au pays où ils recevaient leur solde. »> En effet, la simplicité introduite dans les habitudes militaires faisait du cavalier un homme riche et solvable. L'armée eut des payeurs spéciaux, des inspecteurs qui passaient de fréquentes revues; elle fut sagement soumise à la justice civile, pour tout délit commis contre les particuliers. Les cadres remplis, le rebut fut renvoyé, sous peine de vagabondage, aux métiers et au labourage; et une ordonnance rigoureuse (4447) soumit à une justice sommaire, qui concluait toujours à la corde, les mendiants, épieurs, joueurs de faux dés, ravisseurs et recéleurs.

Toutes ces mesures n'étaient pas sans danger pour l'avenir, mais le temps les exigeait; rien ne le prouve mieux que leur succès. «< En deux mois, le royaume devint plus sûr qu'il n'avait été depuis

trente ans. >>

L'institution des francs archers (1148) compléta

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