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Les Maillotins sortant de Paris pour recevoir Charles VI (mai 1382).- Miniature d'un manuscrit des Chroniques, à la grande Bibliothèque de Paris.

Flandre combattaient avec des succès divers le comte Louis de Måle; le grand Jack van Artevelde ressuscitait dans son fils; Gand correspondait avec Paris et Rouen.

Le duc d'Anjou eut bientôt dévoré l'argent de l'Église; sept assemblées de notables furent sourdes aux belles paroles de l'avocat Jean Desmarets; le

peuple irrité s'arma, s'organisa, tendit des chaînes à travers les rues. A Rouen, les gens des métiers, rejetant un droit arbitraire sur les boissons et les draps, nommèrent roi un gros négociant, pillèrent les agents du fisc, tuèrent dans une escarmouche le châtelain qui défendait la forteresse, et menacèrent le clergé (oct. 1384). Quatre mois encore,

les princes essayèrent en vain de lever quelques subsides; puis ils recoururent à la force. Rouen leur fut livré par la mollesse des gros bourgeois; le peuple fut désarmé en masse, les auteurs de l'émeute mis à mort, l'impôt établi. C'étaient les premières armes de Charles VI (février 4382).

Philippe Artevelde organisait alors la défense de Gand. << Tous prenoient pied et ordonnance sur les Gantois »; on disait « qu'ils soutenoient vaillamment leurs franchises ». Paris fermentait. Une tentative de perception et le cri d'une vieille femme suffirent pour soulever les balles. « Aux armes pour la liberté ! » criait la foule. Des lances, des « bâtons de guerre », des maillets, pris au dépôt de l'hôtel de ville, devinrent les instruments du massacre. Les juifs et les percepteurs furent poursuivis jusque dans les églises. Les prisons ouvertes laissèrent fuir pêle-mêle les détenus pour dettes et les malfaiteurs. Hugues Aubriot, ancien prévôt royal, victime de l'inquisition, fut tiré des cachots et proclamé capitaine général. Mais cet homme, effrayé, s'enfuit. Beaucoup de gros bourgeois et de magistrats l'imitèrent; ils se sentaient impuissants et déplacés dans cette révolte de la populace. Les ouvriers aisés ne restèrent que pour veiller sur leurs maisons. On n'était plus au temps d'Étienne Marcel, où la bourgeoisie et le haut commerce dirigeaient l'opposition. Les maillotins n'avaient aucune idée politique; peu leur importaient rois et grands, pourvu qu'ils ne payassent pas.

La cour vint en hâte à Vincennes, où l'avocat Jean Desmarets, seul magistrat resté dans Paris, apporta les réclamations et la soumission des rebelles. L'ordonnance du 46 novembre fut maintenue; mais le prévôt royal se saisit des principaux agitateurs. Le peuple ne put voir exécuter ses chefs; il menaça. Un sursis fut accordé; puis, chaque nnit, les prisonniers, cousus dans des sacs, furent jetés à la Seine; le roi n'osait rentrer dans Paris (avril 4382). Après des États rassemblés sans résultats à Compiègne, le duc d'Anjou résolut d'en finir; aussi bien était-il appelé à Naples. Il leva des troupes et leur livra la banlieue. Désolés de voir ravager leurs propriétés, les riches bourgeois amenèrent le peuple à une transaction; Jean Desmarets reçut leurs pleins pouvoirs. Moyennant une amende de cent mille francs d'or, le roi rentra sans effusion de sang dans sa capitale (mai 4382). Ainsi fut apaisée l'inutile insurrection des maillotins.

La paix établie, le duc d'Anjou, riche de tout ce qu'il avait pris, suivi d'une brillante chevalerie, s'empara de la Provence, et, sacré roi de Sicile par le pape d'Avignon, alla chercher à travers l'Italie son compétiteur Charles de Duras, meurtrier de Jeanne Ire et soutenu par le pape de Rome. C'était un oppresseur de moins en France; mais il en restait bien d'autres.

LA FÉODALITÉ TRIOMPHE A ROOSEBEKE. 1382-1389.

Les émeutes de France, en esprit et en fait, étaient peu de chose comparées aux grandes insurrections d'Angleterre et de Flandre. Conduites par le menu peuple ignorant, tournées en massacres insensés, elles étaient détestées par les campagnes, combattues par la bourgeoisie comme par le pouvoir; enfin elles n'éclataient qu'à Rouen et à Paris. La révolte de Wat - Tyler, soulevant les masses des serfs, menaçait de passer un niveau sur les castes et les priviléges. Tous les hommes libres, bourgeois ou nobles, se rallièrent à la royauté; encore ne furent-ils sauvés que par un meurtre, de vaines promesses, et la crédulité de leurs ennemis. En Flandre, la lutte était engagée par le haut commerce, soutenue par le peuple. La féodalité combattait seule contre tout le corps communal; elle faillit périr.

Depuis 1379, le comte Louis était en guerre avec les bourgeois de Gand, alliés à Bruges, Ypres et la plupart des grandes villes flamandes. En septembre 1380, peu avant la mort de Charles V, Gand, trahi par Bruges, affaibli par la prise d'Ypres, était bloqué par une armée de soixante mille hommes. Mais, soutenus par la sympathie de Bruxelles, de Liége, approvisionnés par la Hollande, les assiégés forcerent le comte à la retraite; ils avaient, dans une sortie, pris Alost, Dendermonde et Grammont. En mai 1384, une petite division gantoise fut écrasée à Nevelle; ce qui ne fut pas tué fut brûlé dans un couvent les malheureux qui sortaient des murs embrasés « étaient rejetés au feu ». Gand se vengea par le massacre de tous ses prisonniers. Les guerres de caste sont terribles. D'ailleurs, les Flamands ne craignaient pas de verser le sang: « Un sire n'y valoit rien s'il n'étoit redouté et renommé par sa cruauté; ainsi vouloient-ils être menés; ni on ne doit tenir entre eux compte de vie d'hommes, ni avoir pitié non plus que d'hirondelles et d'alouettes qu'on prend en la saison pour manger. » Le comte était bien de son pays; après avoir pris à merci les gens d'Ypres, il en fit « décoller plus de sept cents ». Il criait aux gens des communes qui faisaient partie de son armée : << Soyez tous sûrs, si vous fuyez, que vous serez morts mieux que devant; car, sans merci, je vous ferai à tous trancher la tête »; et à son neveu le duc d'Enghien, qui avait pris, brûlé, dépeuplé Grammont (juillet 1384): « Beau fils, en vous il y a vaillant homme, et vous serez bon chevalier! >> (Froissart.) Mais, le même mois, le jeune vainqueur fut criblé de coups de pique dans une embuscade.

Gand fut plus rudement bloqué que l'année précédente. Les munitions et les provisions étaient interceptées et prohibées par le duc de Brabant et le régent de Brabant et Hollande, alliés au comte; les environs dévastés; déjà les riches se troublaient. Un homme sortant tout à coup d'un repos obscur se présente, prête serment au peuple, est fait ca

pitaine général, et, tuant de sa main deux citoyens tièdes, ranime la confiance; cet homme, il est vrai, porte un nom tout-puissant: Philippe van Artevelde. Il fit offrir la paix, mais, ne pouvant accepter les conditions du comte, il prépara la guerre. Un ordre sévère fut établi; les meurtres, les rixes, si fréquents dans ces villes passionnées et licencieuses, défendus et punis; les pauvres admis aux conseils; un jour pris pour rendre compte de l'administration et des finances; une devise et un costume imposés à tous les citoyens; une troupe d'élite formée; quatre lieutenants choisis. Bruxelles et Liége approvisionnaient la ville. Cependant, malgré les soins d'Artevelde, qui « fit ouvrir les greniers des abbayes et des riches »>, la famine était cruelle. Artevelde, supplié par son peuple, essaya encore de lui procurer la paix. Il demandait pour ses concitoyens la vie sauve, l'exil pour lui. Le comte ne daigna pas venir aux conférences assignées à Tournai; il prétendit que les Gantois de quinze à soixante ans « vinssent tous, en chemise et la hart au col, entre Bruges et Gand, où il les attendroit pour faire son vouloir du mourir ou du pardonner. » Quand il vous verra, disaient ses envoyés, «tous à genoux et mains jointes, criant merci, il aura compassion de vous, s'il lui plaît ! » (Froissart.)

Les armes en main, ou sans armes, il fallait mourir. Artevelde, de retour, propose l'alternative au peuple; Gand s'arme. Et cependant il y avait là trente mille têtes» qui n'avaient pas mangé de pain depuis quinze jours. Le 4er mai 4382, cinq mille hommes, avec trois cents canons et quelques munitions, sortent de la cité désespérée, et s'établissent auprès de Bruges; le 3, ils sont attaqués par une cohue de quarante mille hommes; ils placent, par une habile conversion, le soleil dans les yeux de leurs adversaires, et les troupes du comte, canonnées à bout portant, sont envahies, dispersées, poursuivies au cri de Gand! Tel fut le combat de Beverhout. La prise de Bruges, d'où Louis de Male s'échappa déguisé, l'alliance de presque toutes les grandes communes, en furent le prix. Artevelde, liberateur de la patrie, sauveur de Gand, regent de Flandre, battit monnaie avec cette légende: La liberté gantoise restaurée par Artevelde», et commença d'étaler un luxe princier. Liége, Paris, Rouen, voyaient dans le triomphe de Gand la victoire de leur propre cause. « Partout les menues gens e flattoient que la ruine des grands étoit proche. »

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Le comte était encore redoutable; il tenait Lille et défendait Oudenarde; il avait pour gendre le duc de Bourgogne, pour allié le corps entier de la féodalité, menacée dans sa personne. Les seigneurs français assemblés à Compiègne déciderent la guerre et en fixèrent l'époque. Le jeune roi, joyeux « d'aller en Flandre abattre l'orgueil des Flamands », et d'exterminer des hérétiques partisans du pape de Rome, prit l'oriflamme. Artevelde essaya en vain de transiger avec la France

et de s'allier avec l'Angleterre. Vers la fin d'octobre 4382, la masse des barons, ravageant le plat pays, quitte Arras, passe la Lys sous les ordres de Clisson. Des nuées de pillards se jettent sur Comines, Verwick, Varneton. La terreur des grandes communes, séparées de leur armée qui assiége Oudenarde, sert le plan habile du connétable. Ypres et la Flandre occidentale se rachètent du pillage par un tribut de cent mille écus d'or, et l'abandon des champs et des bestiaux. Cependant Bruges et le Franc n'étaient pas ébranlés. La France s'agitait; les Parisiens avaient repris les armes et projetaient de démanteler Vincennes. Reims, Châlons, Orléans, Blois, Rouen, n'étaient guère plus calmes. La féodalité devait vaincre en avant, sous peine d'être écrasée en arrière. Une imprudence d'Artevelde hâta l'issue de la campagne. I quitte son camp retranché devant Oudenarde, court à Gand, rassemble cinquante mille hommes et vient couper la route de Bruges à l'ost féodal. Le roi sort d'Ypres et rencontre les Flamands près de Roosebeke. Ceuxci, fiers de leur nombre et de leur artillerie, laissent une excellente position défensive, marchent en un seul corps, «roides et durs, si fort entrelacés ensemble qu'on ne les pouvoit ouvrir»; ils enfoncent à coups de piques le centre de l'ennemi; mais, «< encloués » par les ailes françaises, ils s'étouffent les uns les autres, « perdent force et haleine, ne peuvent ravoir leurs bras », tombent par monceaux. Tous les Gantois, au nombre de neuf mille, étaient morts; le cadavre du noble Artevelde « fut pendu à un arbre » (27-28 nov. 1382).

L'orgueil de la noblesse victorieuse égala la consternation des communes flamandes et françaises. Le roi tenait peu de compte de son allié, et mettait les villes à feu et à sang; si Louis de Måle fit obtenir merci à sa ville de Bruges pour cent vingt mille francs, il ne put empêcher la destruction de Courtrai, caprice sanguinaire d'un enfant de quatorze ans, qui prétendait venger le désastre ancien de Robert d'Artois. Les Parisiens se sentaient destinés à une semblable justice; mais l'irrésolution des masses, la froideur des riches, le prestige de la royauté triomphante, désarmèrent Paris. Que ne prenait-il exemple sur cette forte cité de Gand qui, repoussée dans ses prières après Roosebeke, fermait ses portes et se préparait à la défense?

Charles VI reçut à Saint-Denys, où il déposait l'oriflamme, une députation qui lui annonçait la tranquillité de Paris; le lendemain, 44 janvier, vingt mille Parisiens en armes vinrent au-devant du roi vers Montmartre, sans dessein de le combattre, mais pour lui « montrer la puissance de Paris ». Il est jeune, disaient-ils, il ne l'a jamais vue, « et ne peut savoir, s'il ne la voit, comment il en seroit servi. » (Froissart.) Cette manifestation orgueilleuse et irrésolue indisposa le pouvoir. Ordre fut donné aux bourgeois de rentrer en ville et de déposer les armes; les portes abattues servirent de marchepied; le roi, foulant aux pieds « l'insolence

des mutins », passa sur les deux battants de la porte Saint-Denys. Trois cents bourgeois furent arrêtés, pendus, décapités, noyés; parmi eux, Nicolas le Flamand, vieil ami de Marcel, et Jean Desmarets, serviteur fidèle des deux derniers règnes, médiateur habile entre le peuple et le pouvoir, « homme qui ne devoit rien de ses honneurs à la fortune >> (Religieux de Saint-Denys). La prévôté des marchands, le greffe de la ville, les corporations, les chaînes des rues, la milice bourgeoise, furent supprimés; les gabelles et les subsides rétablis. Le 4er février 4383, se joua dans la cour du palais une déplorable comédie: le roi sur son trône entendit d'abord le chancelier lui prouver que tout Paris méritait la mort; puis, ses oncles à genoux le supplièrent de prendre en pitié son peuple coupable. Le pardon coûta aux prisonniers et aux suspects 960 000 francs d'or, qui n'entrèrent ni dans le trésor, ni dans les mains des soldats, mais furent dissipés par les princes. La farce avait réussi. Les ducs de Berri et de Bourgogne étendirent leur coûteuse clémence à Rouen, Reims, Orléans, Châlons, Troyes, Sens. Le Languedoc paya huit cent mille francs. Aussi le nombre des tuchins doubla; il fallut les faire exterminer par une armée.

Gand tenait toujours. Les Anglais se disposaient à le secourir. L'interruption du commerce, la haine de la France, n'étaient pas les seules causes de leur intervention. Urbanistes comme les Flamands, ils venaient combattre des hérétiques. Urbain VI avait fait prêcher la guerre sainte; les dîmes et les aumônes avaient donné deux millions de francs d'or. Les croisés débarquent à Calais sous les ordres d'un légat romain. La logique religieuse les poussait vers l'Artois, province clémentine; la logique du pillage les conduit en pleine Flandre. Ils prennent Dunkerque; une forte garnison et la prompte arrivée des Français délivrent Ypres assiégée (août 1383). Les soudards clémentins achèvent les ravages des urbanistes, et la formidable armée de Charles VI, occupée au pillage, laisse les Gantois surprendre Oudenarde. Une trêve générale fut conclue; Louis de Mâle n'y voulait pas voir compris ses sujets rebelles; mais il mourut le 9 janvier 4384, soit de maladie, soit d'un coup de couteau que lui porta dans une discussion le duc de Berri. La trêve fut signée le 26.

Louis de Måle, dernier comte de la maison de Flandre-Dampierre, laissait à sa fille, duchesse de Bourgogne, la Flandre, l'Artois, la Bourgogne comtale, Nevers et Rethel; dès lors le duc de Bourgogne, presque roi de France, fut un des plus puissants souverains de l'Europe. Sa femme était nièce et héritière de la duchesse de Brabant; son fils ainé et sa fille épousèrent les enfants du régent de Hainaut, Hollande, Zélande. Il maria ensuite son neveu Charles VI avec la funeste Isabeau de Bavière, alors charmante fille de quatorze ans ; c'était un triste présent. Le roi, pris pour elle d'une passion subite, l'épousa quatre jours après la première entrevue (47 juillet 4385).

La fortune, si favorable au duc de Bourgogne, avait abandonné le duc d'Anjou. Mal reçu des populations napolitaines, vaincu par les maladies et trois campagnes sans résultat, le rapace aventurier était mort dans la misère (automne 4384). Charles de Duras fit prendre par le Génois Spinola possession de la Provence soulevée; mais sa mort (1386), et le secours de cinq cents lances françaises y relevèrent le parti angevin. La trêve de Flandre avait expiré le 4er mai 1386, et la prostration du peuple encourageait aux guerres extérieures. Une altération des monnaies, une aggravation d'impôts, subvinrent à peine à la guerre, et largement aux dissipations des seigneurs. L'amiral Jean de Vienne ravagea les côtes du Northumberland; le duc de Bourbon débusqua les Anglais de leurs forteresses en Guyenne, en Saintonge; l'armée royale reprit Dam aux Gantois. Le duc de Bourgogne dépeuplait ses États; il s'en aperçut, et offrit une paix honorable: tout était oublié, les franchises conservées, les bannis rappelés. La ville de Gand d'une part, le duc et la duchesse de l'autre; et, comme garants, Bruges, le Franc, Ypres, Malines, Anvers, la duchesse de Brabant, le régent de Hainaut, les principaux seigneurs de Flandre, scellèrent le traité solennel qui mit fin à la guerre et rouvrit aux navires les ports de Dam et de l'Écluse.

Cette paix ne concernait pas l'Angleterre. Encouragé par les succès de son amiral, par les discordes de ses ennemis, poussé par les conseils de Clisson et par sa propre fureur de batailles, le roi fit rassembler, approvisionner et dorer dans le port de l'Écluse une flotte de mille navires. De nouvelles taxes furent levées sur le peuple épuisé, de nouvelles troupes lancées à travers les pays dévastés, pour remplir cette ville de mer qui devait mener les princes à la conquête de l'Angleterre. « Toutefois, tout vint à néant »; l'arrivée tardive du roi et du connétable, l'automne orageux, le mauvais vouloir du duc de Berri, payé peut-être par les Anglais, prolongèrent les préparatifs jusqu'au cœur de l'hiver. L'expédition fut remise; mais, tandis que les soldats licenciés s'en allaient comme ils étaient venus, pillant et ravageant, les Anglais coulèrent et brûlerent la flotte merveilleuse.

Ainsi se perdaient en vaines démonstrations, en absurdes magnificences, les richesses des villes et des champs, du bas clergé et de la petite noblesse. Les Valois cependant, au milieu de la détresse publique, menaient à grand fracas une heureuse existence. La mort les délivrait en ce moment de leur plus cruel ennemi, Charles le Mauvais, l'assassin endurci, qui termina sa vie par un supplice digne de ses crimes; il se brûla dans des draps imbibés d'eau-de-vie, où les médecins le réchauffaient (4 janv. 4387).

L'hiver passé, la guerre recommença. Des troupes soutinrent le roi de Castille contre les prétentions du duc de Lancastre, qui se rembarqua; l'Aragon et la Navarre, neutres jusqu'alors, se dé

clarèrent clémentins. Jean de Vienne et Clisson armaient, pour reprendre l'expédition avortée, des flottes à Tréguier et Harfleur. Cette fois encore la guerre fut arrêtée. Jean de Montfort, duc de Bretagne, haïssait Clisson; lorsqu'il vit le connétable racheter le fils aîné de Charles de Blois et lui promettre sa fille, il crut sa couronne menacée. Clisson, attiré sous prétexte de devoirs féodaux, jeté dans la grosse tour du château de l'Hermine, eût été tué ou noyé sans les prières de son beau-frère, le sire de Laval; trois de ses châteaux et cent mille francs d'or payèrent sa liberté. Il vint en deux jours à Paris, alla droit au Louvre, offrit sa démission et obtint des promesses de vengeance. Mais le duc était cousin germain de la duchesse de Bourgogne, et les princes n'aimaient pas Clisson, dont ils redoutaient l'influence. Sans l'opinion publique, le duc n'eût pas été mandé; sans la rude guerre que lui faisait le connétable, il n'eût pas obéi. Les places furent remises en dépôt au sire de Laval, la rançon restituée; mais l'attentat, mais la rupture de l'expédition, ne furent pas punis. Le roi reçut gracieusement, en juin 4388, l'hommage de Jean de Montfort. Il était d'ailleurs tout entier à une insulte personnelle.

Le duc de Gueldre, fils du marquis de Juliers, irrité de l'appui que prêtait Charles VI aux prétentions de la duchesse de Brabant sur quelques villes de la Meuse, l'avait défié par des lettres insolentes. Le roi, furieux, assembla contre tout conseil et toute raison quinze mille lances et quatrevingt mille hommes, envahit et dévasta la Gueldre, mais ne put combattre et reçut une réparation assez impertinente. Le duc de Gueldre désavouait quelques mots offensants, mais restait allié de l'Angleterre, et gardait le droit de défier le roi. Le retour fut désastreux, et l'immense armée regagna misérablement la Champagne.

Cette déconvenue souleva le peuple contre les princes. Charles, cette fois, prêtant l'oreille aux vieux conseillers de son père, remercia ses oncles, qui le suivirent en vain à Paris et rentrèrent dans leurs États; le duc de Bourbon conservait seul son crédit. La guerre fut confiée à Clisson et au Bègue de Vilaines; la justice et les finances au président Arnauld de Corbie, aux sires de Nogent, de la Rivière, de Montagu. L'administration fut régularisée, les fonctionnaires changés, la taille supprimée; un garde de la prévôté des marchands, Jean Jouvenel des Ursins, donné à Paris; une trève de trois ans conclue entre la France, l'Angleterre, et leurs alliés (1389-92). Tout aunonçait une ère de paix et de réparation. Le peuple fit des rêves de bonheur.

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contrôle à ses vices, il est fastueux, absolu, débauché, colère jusqu'à la frénésie; son luxe et sa tyrannie sont funestes à son royaume, ses excès à luimême. Il aime la chevalerie à la manière du roi Jean, pour l'éclatante prodigalité dont elle est le prétexte, mais non pour la défense des opprimés qui en est le principe. Ses sujets sont sa proie; il est seigneur féodal, et non roi. Il exploite, il ne gouverne pas. Si ces considérations ne suffisent pas à indiquer les malheurs qui s'amoncellent, prêts à crever sur la France, qu'on y ajoute la dégradation de la féodalité entraînée par l'exemple royal, de l'Église déchirée par le schisme, pillée par le pouvoir; le tableau sera complet: roi enivré, près d'ètre fou; nobles pillards et assassins; prètres corrompus et corrupteurs; peuple tondu, misérable et plein de haine !

Les nouveaux conseillers sont sages; ils cherchent à rétablir l'ordre, ou plutôt à modérer le désordre. Mais ils en sont aux expédients : le Parlement se fait défendre d'obéir aux lettres royales qui interrompaient le cours de la justice. Nogent remplace la monnaie dans le trésor par des lingots; il ne s'en vide pas moins vite. L'année 1389 est pleine. de fètes. En mai, les deux princes d'Anjou, dont l'aîné a onze ans, sont faits chevaliers à Saint-Denys, avec l'antique cérémonial. Un tournoi splendide, où les dames distribuent les prix, couronne la solennité; durant trois jours d'orgie et de fètes, le roi donne l'exemple à sa cour, la plus brillante de l'Europe. Il eut ensuite l'idée extravagante de refaire les funérailles de du Guesclin; sa fantaisie lugubre fut exécutée avec un grand sérieux et le plus grand succès; l'oraison funèbre, prononcée par l'évêque d'Auxerre, fit pleurer les assistants. On revint à des plaisirs plus doux. Paris dut se préparer à recevoir Isabeau, qui n'était encore ni couronnée ni sacrée, et Paris se pavoisa. La détresse profonde du peuple fut vêtue et couverte « de drap de fin azur, semé de fleurs de lis d'or »; abreuvée de fontaines de lait et de vins parfumés où de belles « jeunes filles, très richement ornées», puisaient, en chantant, avec « des hanaps d'or »; égayée par le combat du roi Richard << contre Saladin et ses Sarrasins », par des mystères et des moralités; narguée par le fumet des banquets où chantaient les ménestrels, exaspérée enfin par un surcroît de gabelles et une altération des monnaies. (Froissart.)

Un voyage en Languedoc vint fort à point varier les divertissements royaux; quarante mille administrés du duc de Berri avaient déjà émigré en Aragon; ceux qui restaient ne cessaient d'implorer Charles VI. De festins en joutes, la cour, à travers le Nivernais et la Bourgogne, parvint à Avignon; le roi honora son pape, à qui d'ailleurs « il baisa le pied, la main, la bouche » (Grandes Chroniques), de fêtes fort galantes qui suivirent le couronnement de Louis II d'Anjou, et s'entendit avec lui sur l'Immaculée conception. La mort d'Urbain VI donnait à Clément VII quelques espé

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

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