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« Charles V sur son trône, ayant à ses pieds le connétable et le chancelier, et, à genoux, frère Jehan Corbechon, de l'ordre de Saint-Augustin, maitre en théologie, chapelain du roi, qui, en 1372, lui présente son livre intitulé: les Propriétés des choses, à la première page duquel est cette miniature.»>

clauses du traité de Bretigni. Loin de voir leurs priviléges reconnus, ils étaient accablés d'impositions

Cabinet de Gaignières.

nouvelles. Cinq fois les États de la province furent rassemblés à la suite de l'expédition d'Espagne, et

cinq fois ils refusèrent les subsides qui leur étaient demandés. « Et sont ceux de Poitou, de Saintonge, de Querci, de Limousin, de Rouergue, de telle nature qu'ils ne peuvent aimer les Anglois, et les Anglois aussi qui sont orgueilleux et présomptueux ne les peuvent aimer ni ne firent-ils onques, et encore maintenant moins que onques, mais les tiennent en grand dépit et vileté. » (Froissart.) Les trois plus grands seigneurs de Guyenne, le comte d'Armagnac, le comte de Périgord et le sire d'Albret, se retirerent auprès de Charles V, en protestant pour les franchises de la province, et en déclarant au prince de Galles que la suzeraineté de la couronne de France était inaliénable, qu'ils relèveraient toujours d'elle, et qu'ils allaient porter plainte contre les violations du traité de Bretigni.

Charles savait bien que leur conduite n'était pas dictée par l'amour de la France, mais par la haine de toute domination; cependant i les accueillit avec faveur et leur promit de relire le traité de Bretigni en examinant leurs plaintes. L'examen qu'il fit ne manqua pas de lui démontrer la justesse des réclamations de la Guyenne, et il osa citer le héros de Créci et de Poitiers, le terrible prince Noir, à comparaître devant le Parlement pour y répondre sur les plaintes portées contre lui. La citation, datée du 16 novembre 4368, était ainsi conçue « Charles par la gråce de Dieu, roy de France, à nostre très chier et très amé nepveu le prince de Galles, duc de Guienne, salut. Comme nostre amé et féal cousin le sire de Lebret, chevalier, ait appelé à nous et à nostre cour de Parlement à Paris, comme à seigueur souverain de la duché de Guienne et des autres pays et terres qui ont été livrées et baillées en domaine jadis à nostre très chier frère le roy d'Angleterre, vostre père, à cause de la paix, d'aucunes ordonnances et indues indictions et nouvelles exactions et autres plusieurs griefs que ledit appellant déclarera et veult déclarer par devant nous; et lesquelles choses ont esté faictes tant par vous comme par vos gens, officiers et subjets pour et en nom de vous et à vostre proufit au grand grief dudit appellant et de ses adhérens et contre les franchises, priviléges, libertés et coustumes dudit pays; pour ce est-il que nous, qui toujours voulons et devons faire justice et raison, vous adjournons et intimons par la teneur de ces présentes que vous soyez et comparez en nostre dite cour de Parlement à Paris, au second jour du mois de may prochain, venant pour respondre audit appellant, et ayez avecques vous audit jour et lieu vosdites gens et officiers à qui il peut toucher et appartenir; et en oultre vous mandons et deffendons que contre ledit appellant et sesdits adhérens ne faciez, innovez ni attemptez aucune chose en leur préjudice. »>

Après ètre resté un moment immobile d'étonnement et d'indignation, Édouard répondit aux deux audacieux envoyés qui lui avaient apporté cette signification: « Nous irons volontiers à notre ajournement à Paris, puisque mandé nous est du roi

de France; mais ce sera le bassinet en tête et soixante mille hommes en notre compagnie. » Puis il fit jeter les messagers, Jean de Chaponval, chevalier, et Bernard Palot, juge criminel à Toulouse, au fond d'une prison.

Le prudent Charles V ne redoutait plus comme autrefois la guerre, il avait eu le temps de s'y préparer. Son application à gouverner avec une sage économie lui avait permis, dès 1367, de soulager les campagnes de divers impôts, de réduire de moitié la gabelle du sel, de supprimer le quart des aides dans les bonnes villes à la condition que les bourgeois employassent cet argent à se bien fortifier. Les Anglais avaient été redevables d'une bonne partie de leurs succès à la supériorité des archers qu'ils mêlaient à leurs troupes; Charles encouragea de tous côtés la création de compagnies bourgeoises d'archers et d'arbalétriers; la France renaissait. Aussitôt les lettres d'ajournement signifiées, toute la Guyenne s'agita; au commencement de l'année 4369, elle commença à s'insurger ouvertement, et, dans une première affaire, le sénéchal anglais de Querci fut mis en déroute près de Montauban; puis une garnison anglaise, à Réalville, fut passée au fil de l'épée. En même temps, on apprit que le parti français de Castille venait de gagner une victoire décisive. Pierre le Cruel avait été vaincu à Montiel par son frère Henri (mars 4369) et s'était rendu à du Guesclin. Les deux frères, s'étant rencontrés après la bataille, se jetèrent l'un sur l'autre et se roulèrent par terre en cherchant à se déchirer, jusqu'à ce que Henri de Transtamare enfonçât son poignard dans la gorge de Pierre. Cette mort mit fin à la guerre, et permit à Charles V de compter sur les vaisseaux de la Castille, tandis que lui-même préparait une flotte dans le port de Harfleur. En même temps, il renouvelait la vieille alliance de la France avec l'Écosse; il s'attachait le duc de Brabant et le comte de Hainaut; il mariait à l'héritière de Flandre son jeune frère Philippe, à qui Jean avait donné le duché de Bourgogne.

Quand fut passé le terme de la citation sans que le prince de Galles eût comparu, les gens du roi s'empressèrent de le déclarer felon et rebelle; la guerre fut déclarée; et comme les deux fidèles officiers qui étaient allés ajourner le duc de Guyenne étaient encore en prison, l'on envoya porter au roi Édouard III les lettres de défi par un simple varlet de l'hôtel. On n'avait même pas attendu le 2 mai pour commencer les hostilités. Dès le mois précédent, le comte de Saint-Pol et le sire de Chastillon, étant entrés dans le Ponthieu, en avaient fait la conquête en une semaine. Les choses n'allèrent pas moins vite dans le Midi. Une partie des villes de la Guyenne se håtèrent d'ouvrir leurs portes aux Français; Montauban, après avoir été retenu quelque temps par la présence de Chandos, se rendit le 26 juin, et bientôt le Querci, le Rouergue, avec une partie de l'Agénois, du Périgord et du Limousin, avaient brisé le joug de l'Angleterre.

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 16.

taient la flotte anglaise devant la Rochelle. La Rochelle redevint française en 1372, puis Saintes, Angoulême, Saint-Jean-d'Angéli, Thouars. Le vieil Édouard III, réveillé par cette suite de revers, avait voulu secourir Thouars; mais ses navires furent rejetés sur les côtes d'Angleterre par la tempête. C'est alors que, dans un moment de colère, «< ou peut-être de juste admiration pour un prince qui dirigeait la France avec tant de sagesse », il s'écria « Il n'y eut oncques roi de France qui

Le duc d'Anjou, frère du roi, accompagné de du Guesclin et d'une armée de Gascons, se rapprocha de Bordeaux; le duc de Berri, autre frère de Charles, assiégea Limoges, qui lui fut livré par l'évêque et les bourgeois. Le prince de Galles, pendant ces désastres, était alité. Édouard III fit diversion en envoyant le duc de Lancastre débarquer à Calais avec une armée anglaise, et ravagea la Picardie. Le duc de Bourgogne, Philippe, accourut à sa rencontre avec des troupes plus nombreuses; mais il avait l'ordre de refuser tout engagement sérieux, et de se contenter d'observer les Anglais, qui tentèrent vainement de brûler la flotte de Harfleur, et ne purent obtenir aucun résultat de cette campagne. L'année suivante (4370), ils recommencèrent sans plus de succès, sous la conduite de Robert Knolles, un de leurs meilleurs capitaines. La France comprenait la politique du roi, qui ne voulait plus de combats de chevalerie, et les plus braves eux-mêmes lui disaient : « Sire, vous n'avez que faire d'employer vos gens contre ces enragés; laissez-les se fatiguer tout seuls. »> De son côté, le roi d'Angleterre maudissait l'habileté de ce Charles malingre et peu guerrier qui guerroyait si bien.

Le prince Noir avait fini par se mettre en campagne. Il força le duc d'Anjou à la retraite, puis

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Florin du prince Noir.

le duc de Berri, et vint, porté dans une litière, camper devant Limoges, dont il avait juré par l'âme de son père de tirer vengeance. Limoges fut emporté d'assaut. « Hommes, femmes et enfants se jetoient à genoux devant lui et crioient : « Merci (pardon), gentil sire!» Mais il estoit si enflammé d'ardeur que point n'y entendoit; ni nul ni nulle n'estoit ouïe, mais tout mis à l'épée. Ni je ne sais comment ils n'avoient pitié des pauvres gens qui n'étoient mie taillés à faire nulle trahison. Il n'est si dur cœur que s'il fût adonc en la cité de Limoges et il lui souvînt de Dieu, qui n'en plorat tendrement du grand meschef qui y étoit; car plus de trois mille personnes, hommes et femmes et enfants, y furent délivrés et décolés celle journée. Dieu en ait les âmes, car ils furent bien martyrs. » (Froissart.) Ce fut le dernier exploit du prince de Galles; il revint à Bordeaux, puis alla mourir en Angleterre.

En 1374, du Guesclin, que Charles V avait nommé connétable de France, releva les armes françaises dans plusieurs petits combats. Il s'empara d'Ussel et de plusieurs autres places du Limousin et du Rouergue, pendant que les vaissaux castillans bat

Statue de du Guesclin, mort le 13 juillet 1380, à SaintDenys (chapelle de Saint-Jean-Baptiste).

moins s'armast, et si n'y eut oncques roi qui me . donnast tant à faire. »>

L'Anglais opiniàtre revint encore, en 4373, débarquer à Calais une armée de trente mille hommes commandée par le duc de Lancastre. Cette armée devait se rendre de Calais à Bordeaux en détruisant tout sur son passage. Elle ravagea, en effet, la Picardie et la Champagne; mais, constamment suivie et harcelée par du Guesclin et Philippe de Bourgogne, elle ne comptait plus que six mille hommes épuisés de fatigue et de privations en arrivant à Bordeaux. Les Anglais ne revinrent pas l'année suivante, et, en 4375, ils consentirent à une trêve d'une année, qui fut renouvelée en 4376. Édouard III mourut le 22 juin 1377, et la trêve finissait le 30. Aussitôt Charles V envoya sa flotte, commandée

par Jean de Vienne, faire une descente en Angleterre l'île de Wight, le comté de Kent, le Sussex, payent à leur tour une partie des ravages si longtemps commis sur le territoire français. En même temps, quatre corps d'armée sont dirigés sur les différentes provinces où les Anglais dominent encore, surtout en Guyenne et dans la Bretagne, où Jean de Montfort avait fait alliance avec l'ennemi. En 4380, il ne resta plus aux Anglais de toutes leurs possessions en France que Calais, Brest, Cherbourg, Bordeaux et Bayonne. Cependant une nouvelle armée d'invasion, descendue à Calais sous les ordres du duc de Glocester, pour de là donner la main aux Bretons, s'avançait dans la Beauce, après avoir traversé la Picardie et la Champagne, et les troupes françaises qui la suivaient, pour saisir l'occasion de combattre à leur avantage,

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au palais; le duc d'Anjou demanda, par l'organe de l'avocat général Desmarets, jusqu'à l'époque fixée par Charles V lui-même, la régence et la tutelle. Le chancelier, Pierre d'Orgemont, défendit les volontés du feu roi. La discussion faillit devenir une querelle armée. Enfin, la tutelle et la garde du roi furent dévolues aux ducs de Bourgogne et de Bourbon. Le duc d'Anjou eut le titre de régent jusqu'au sacre, et le trésor de Charles V, dont il avait déjà dérobé les joyaux «< sans nombre ». Sa régence d'un mois fut agitée. Les soldats, qu'il ne payait pas, se nourrirent aux dépens du peuple; le peuple, qu'il accablait d'impôts et qu'il laissait piller, se révolta. En Picardie, les percepteurs furent chassés; à Paris, l'abolition des subsides fut demandée à grands cris. Des promesses n'apaisèrent pas l'esprit populaire; il y eut des réunions nocturnes, des projets sinistres. Le duc d'Anjou signala ses derniers jours d'autorité souveraine par le vol audacieux de nombreux lingots que Charles V avait cachés dans les murs du château de Melun. Après cette opération, il rejoignit à Reims son pupille, qui l'attendait pour le sacre.

La cérémonie fut pompeuse. Le jeune roi avait fait son entrée avec tous ses oncles et grandsoncles, « bien accompagné de noblesse », précédé « de trente trompettes qui sonnoient si clair que merveille ». Il fut, le 4 novembre, «< sacré et béni de la sainte ampoule, dont monseigneur saint Remi couronna Clovis, premier roi chrétien »>; l'église « étoit si pleine de nobles qu'on ne savoit où tourner son pied ». (Froissart.) Les grands officiers servirent le roi dans un grand banquet; on remarquait parmi eux le nouveau connétable, Olivier de Clisson, nommé selon les intentions de Charles V.

Les princes, sans entrer dans aucune ville où il eût fallu accorder une diminution d'impôts, ramenèrent Charles VI à Paris. Il y fut splendidement accueilli; mais, les fêtes terminées, le peuple s'assembla au Parloir aux Bourgeois, s'arma, el vint avec le prévôt des marchands proférer des menaces contre le duc d'Anjou. Les troupes, sans solde, se débandaient; la révolte couvait dans la foule parisienne. Le pouvoir ne pouvait résister; il promit le retrait des subsides, des octrois, des droits sur les transactions. En attendant qu'une ordonnance consacrât ces promesses, les auteurs de la manifestation se répandirent dans la ville. Les bureaux des gabelles furent envahis, l'argent jeté dans la boue. Nobles et vilains pillèrent les maisons où les juifs, protégés par les rois, entassaient des trésors d'usure, qui retournaient en partie au fisc. Quelques juifs furent égorgés; mais, dès le lendemain, des gens de guerre réinstallèrent le reste. Enfin l'ordonnance fut publiée à son de trompe, le 46 novembre; elle supprimait « toutes impositions, aides, gabelles, fouages, et autres choses mal prises, dont le royaume étoil blessé ». Le système fiscal de Philippe le Bel était renversé; la royauté, réduite aux revenus du do

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gouverneur du Languedoc, conclurent à ne pas recevoir le duc de Berri, trop connu pour ses exactions. Charles VI, furieux de leurs prétentions, eut une colère d'enfant, et alla, « par permission d'Anjou », prendre l'oriflamme à Saint-Denys. Le duc de Berri, battu à Revel, tint cependant la campagne et dévasta le pays. Le comte Gaston, sacrifiant << au bien commun son intérêt particulier », renonça au gouvernement du Languedoc, et fit la paix avec le duc de Berri; triste paix, signalée à Nîmes et à Béziers par des noyades et des pendaisons! Les gens d'armes continuèrent de désoler les villages; et les paysans se réfugièrent dans les Cévennes, pour faire à leurs oppresseurs une guerre de représailles. On les nomma tuchins.

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Le Nord était plus tranquille; mais, sauf dans les pays frontières exposés aux incursions anglaises, les grandes villes refusaient tout subside. Le duc d'Anjou avait pourtant toujours besoin d'argent. Associé avec le pape d'Avignon, Clément VII, le laissa, moyennant une dime sur les revenus de l'Église, usurper et vendre les collations de bénéfices, saisir l'argent et le mobilier des évêques morts, s'emparer des régales. L'Université n'échappait pas à ces exactions; elle se retira de l'obédience de Clément VII, et mit en avant l'idée d'un concile général pour extirper le schisme. Le pape

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