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tion et d'autres qu'il avait levés en Aquitaine. Mais tous ses efforts se portaient du côté des Édues, les plus redoutables alliés de César et les plus anciens. Le spectacle de la grande lutte nationale et des hautes espérances qu'elle inspirait donna enfin une force prépondérante au parti populaire dans cette cité, et le vergobret ou magistrat annuel, qu'elle mit à sa tète aux élections du printemps, fut un homme dévoué dans le secret de son cœur aux projets de Vercingétorix. Il se nommait Convictolitanès. Forcé d'envoyer à César

Monnaie de Litaviccus.

un corps de dix à douze mille hommes de renfort, il organisa lui-même la défection de ces troupes et de leur chef Litaviccus, entraîna ses concitoyens à la révolte, et, pour compromettre la cité tout entière avec lui, fit massacrer les Romains qui se trouvaient épars sur son territoire.

D'Avaricum, le plan de César était d'aller à Gergovie (près Clermont), pour frapper l'insurrection à la tète dans la capitale des Arvernes; mais au lieu d'en prendre le chemin, il passa, au contraire, sur la rive droite de l'Allier. Les mesures de Vercingétorix portaient leurs fruits, et, après avoir épuisé les provisions d'Avaricum, l'armée romaine était sans doute affamée de nouveau. Elle se sépara. César envoya son lieutenant, Labienus, avec quatre légions, vers le nord, pour contenir les Sénons et les Parisiens, qui prenaient les armes, et luimême, avec six légions.qui lui restaient, se rapprocha de Gergovie en remontant l'Allier; mais Vercingétorix, qui le suivait sur l'autre rive, avait coupé tous les ponts, et l'empêcha longtemps de passer. César y parvint enfin, et par une marche rapide il se porta, en cinq étapes, sous les murs de Gergovie. Vercingétorix l'avait précédé, et un immense campement de Gaulois, échelonnés, suivant leur usage, par cités et par tribus, occupait et la montagne sur laquelle la ville était assise et les hauteurs environnantes.

C'était, dit César, un spectacle formidable. Chaque matin, les chefs des cités allaient se réunir sous la tente de Vercingétorix, et presque tous les jours les cavaliers et les archers de l'armée confédérée s'exerçaient par des escarmouches. César prit ses mesures pour faire un siège en règle, et commença par enlever pendant la nuit une colline importante, qui commandait les abords d'un des côtés de la ville; il y plaça deux légions, qui formèrent un petit camp communiquant par une tranchée continue avec le camp principal. Ce fut peu de jours après qu'éclatèrent les premiers symptômes de la défection des Édues. De peur que leur

contingent ne se tournàt contre lui, César alla luimême à sa rencontre avec quatre légions, qu'il fit partir en telle hâte qu'il ne leur donna pas même le temps de plier leurs tentes. Mais aussitôt Vercingétorix donna aux deux camps dégarnis un assaut furieux; les Romains ne durent le salut qu'à leurs machines de guerre, et Caïus Fabius, qui les commandait, envoya courir après César et l'avertir de l'extrème danger qui les menaçait pour le lendemain. Avec son bonheur et sa rapidité ordinaires, le proconsul put joindre les Éducs et revenir à temps.

Un jour, visitant le petit camp pour inspecter les travaux, César s'aperçut que les abords de la ville étaient dégarnis de troupes de ce côté, tandis qu'elles étaient si nombreuses les jours précédents qu'à peine pouvait-on voir le terrain. Il s'en étonne et en demande la raison aux transfuges qu'il recevait chaque jour en grand nombre. Il apprend que le plateau de Gergovie, également élevé de toutes parts, est à peu près plat; mais que du côté opposé à celui qu'il occupe, le passage est resserré et couvert de bois, en sorte que, les Gaulois craignant de se voir à peu près cernés s'ils perdaient encore quelque position de ce côté, Vercingétorix faisait travailler toutes ses troupes à le fortifier. Aussitôt César, dirigeant une fausse attaque vers ce point vulnérable, lance ses légions à l'escalade du côté de la ville qui faisait face à ses camps, et qui présentait une pente d'environ douze cents pas en ligne droite, mais coupée par les sinuosités de la route, et défendue vers le milieu par un mur de six pieds de haut, derrière lequel se trouvaient les campements gaulois. En un clin d'œil, le mur est envahi et les premiers camps enlevés. La célérité fut telle que le roi des Nitiobriges, Teutomat, qui faisait la sieste sous sa tente, eut à peine le temps de se sauver, n'ayant que ses braies pour tout vètement. Les Romains continuèrent leur route et touchèrent bientôt les murs et les portes de Gergovie. Déjà les cris de frayeur emplissaient la ville; les femmes jetaient, du haut des remparts, leurs habits et de l'argent, les bras tendus vers les soldats, qu'elles conjuraient de ne pas les tuer, comme ils avaient fait des femmes et des enfants d'Avaricum; quelques-unes se laissaient même glisser en bas des murs, tandis qu'en s'aidant les uns les autres, les Romains commençaient d'y pénétrer.

Pendant ce temps, les troupes gauloises, précédées de leur cavalerie, accouraient de toute leur vitesse, et, refoulant les assaillants les plus avancés, prenaient position devant les remparts. Tout l'avantage du terrain, cette fois, était pour elles; et les Romains soutenaient le choc à grand'peine, quand déboucha sur leur flanc le corps des auxiliaires édues que César avait envoyés pour concourir à l'assaut. Les Édues s'étaient mis le bras droit nu jusqu'à l'épaule, suivant leur usage, pour montrer de loin aux Romains qu'ils venaient en amis; mais ceux-ci craignirent quelque ruse, et l'apparition inopinée de cette nouvelle masse gauloise jeta la

panique dans feurs rangs. Ce fut une déroute complète. César, qui était resté en bas pour appuyer l'assaut avec sa légion favorite, la dixième, recula sur les hauteurs les plus voisines, et là put rallier les fuyards. A l'en croire, il aurait perdu dans cet assaut malheureux sept cents hommes seulement et quarante-six centurions; mais ce qui accuse des pertes énormes, c'est qu'il leva le siége le surlendemain et se hâta de repasser l'Allier.

A cette nouvelle, la Gaule tressaillit; la position de Labienus dans le nord devint très-critique; les Édues jetèrent tout à fait le masque, et leur contingent, conduit par les deux chefs Éporédorix et Viridomar, quitta César sous un prétexte.

Une des villes éduennes, Noviodunum (Nevers), située dans une forte position sur la Loire, était le dépôt général de l'armée romaine. César y avait rassemblé tous les otages de la Gaule, une grande partie de ses bagages et de ceux de l'armée, le blé, le trésor public, un grand nombre de chevaux qu'il avait fait acheter, pour la guerre, en Italie et en Espagne. Éporédorix et Viridomar, à peine échappés avec leurs hommes des mains de César, le gagnèrent de vitesse, entrèrent à Noviodunum, égorgerent la garnison romaine avec tous les Romains qui se trouvaient dans la ville, s'emparèrent des chevaux, de l'argent, des bagages, jetérent à la Loire tout le blé qu'ils ne purent emporter, et se retirerent après avoir brûlé la ville, ne se croyant pas en état de la défendre. Ils avaient placé en même temps des vedettes et des garnisons le long des rives de la Loire, qui paraissait d'ailleurs infranchissable par suite d'une crue extraordinaire, et montraient leur cavalerie sur tous les points pour effrayer les Romains, leur couper les vivres et les forcer à rétrograder vers la Narbonaise.

César, enfermé ainsi sans approvisionnements entre l'Allier et la Loire, plutôt que de s'exposer au danger de s'engager dans les Cévennes et à la honte d'abandonner Labienus, manoeuvra pour rejoindre son lieutenant. Il parvint à trouver un gué dans la Loire, et fit passer ses soldats, ayant de l'eau jusqu'aux épaules et tenant les bras en l'air pour soutenir leurs armes. Il put alors se ravitailler, et se dirigea vers les quartiers de Labienus, qui étaient à Agendicum (Sens).

Labienus avait triomphe de la coalition des Parisiens, des Aulerques et des Bellovaques. II avait assuré sa retraite par la bataille de Vitry, près Paris, où une armée gauloise, plutôt que de reculer d'un pas, s'était fait tuer tout entière avec son général, vieux guerrier nommé Camulogène. Le proconsul romain et son lieutenant purent opérer leur jonction sans obstacle.

Vercingétorix triomphait. Le sénat des Édues lui envoya une députation pour le féliciter et l'inviter à venir s'entendre avec eux sur la continuation de la guerre; Vercingétorix y consentit. Une assemblée générale de la Gaule fut convoquée à Bibracte (près Autun), et confirma tous les pouvoirs

du généralissime, non sans quelque indignation des Édues, qui prétendaient à la direction suprême et qui se voyaient déchus de leur rang. Tous les peuples de la Gaule s'étaient fait représenter à cette réunion solennelle, à l'exception des Trévires, des Rémes et des Lingons; les Trévires, parce qu'ils étaient trop éloignés et serrés de trop près par les Germains; les Rèmes et les Lingons, parce qu'ils restaient les seuls amis de César.

Poursuivant l'exécution de ses plans, Vercingétorix envoie de nouveau soulever de gré ou de force les tribus de la province romaine; il lève un nouveau contingent de quinze mille hommes de cavalerie, et, avec les nombreux bataillons dont il dispose déjà, il se fait fort de continuer son système et de triompher des Romains en les affamant et les harcelant.

César, en effet, plia de nouveau. Se voyant entouré d'une multitude d'ennemis qui accouraient de toute la Gaule, il prit le parti de se retirer dans la province romaine où le danger devenait pressant. Il était chez les Lingons, et passait chez les Séquanes pour gagner l'autre côté du Rhône. C'était une seconde retraite. Vercingétorix pensa que sa proie lui échappait. Il vint se poster en vue des Romains, assembla les chefs de sa cavalerie, et leur dit : « Les ennemis fuient vers la Province et abandonnent la Gaule: c'est assez pour avoir la liberté du moment, mais non pour la paix et la tranquillité de l'avenir; car ils reviendront avec des forces plus nombreuses et recommenceront la guerre. Il faut donc attaquer leur cavalerie embarrassée de la garde des équipages; pas un de leurs escadrons n'osera affronter les nôtres. Le jour de la victoire est arrivé. » Ceux auxquels il s'adresse répondent par des cris d'enthousiasme, et s'engagent, par le serment le plus sacré, à ne point rentrer dans leurs maisons, à ne point revoir leurs enfants, leurs parents, leurs femmes, qu'ils n'aient traversé deux fois les rangs ennemis.

Peut-être Vercingétorix ignorait-il que César avait appelé des rives du Rhin de nouvelles bandes de cette cavalerie mercenaire, mais redoutable des Germains, qu'il avait prises à sa solde. La bataille se donna le lendemain. Elle dura la moitié du jour. Les Gaulois s'étaient formés en trois corps dont deux assaillirent la droite et la gauche des Romains, pendant que le troisième se présentait de front et leur barrait le passage. César disposa de même sa cavalerie en trois colonnes; mais les légions étaient derrière pour les soutenir et les rallier, tandis que la cavalerie gauloise combattait seule. Longtemps le succès resta douteux. César, qui le laisse entendre, néglige de rapporter dans ses Mémoires qu'il fut pris un instant par un gros de cavaliers arvernes, et que son épée, restée entre leurs mains, fut portée en triomphe dans un de leurs temples. Mais la cavalerie germaine, étant parvenue à s'emparer d'une hauteur importante, culbuta l'aile gauche des Gaulois, et les poursuivit jusqu'aux lignes d'infanterie de Vercingétorix.

Craignant d'être enveloppée, l'infanterie recula, et Vercingétorix ne rallia les siens qu'en essuyant des pertes considérables.

Les Gaulois étaient découragés d'une défaite aussi inattendue. Ils levèrent aussitôt leur camp, et Vercingétorix les conduisit sous les murs d'une place voisine, qui, par sa forte position au milieu des montagnes, semblait devoir être inexpugnable. C'était Alesia. César, suivant ses habitudes, ne laissa pas à son adversaire le temps de respirer. Il abandonna ses équipages à la garde de deux légions, et suivit sans trève les troupes effarées de Vercingétorix. Celui-ci avait gagné Alesia en une étape. César y fut le lendemain et commença aussitôt un siége dont les travaux furent tellement vastes, que sans doute Vercingétorix ne les avait pas cru possibles. Les ingénieurs romains y dépensèrent toutes les ressources de leur art, et les soldats toute leur énergie. Les lignes de César s'étendaient sur une circonférence de onze mille pas, ondulant sur des terrains escarpés qu'il fit défendre par vingt-six redoutes. Il avait conçu le gigantesque dessein de bloquer et de réduire, avec soixante mille hommes, l'armée gauloise qui se trouvait dans Alesia ou sous ses murs, et qui en comptait plus de quatre-vingt-dix mille; Vercingétorix, en effet, se vit plus étroitement resserré chaque jour en vain fit-il des sorties désespérées, en vain sa cavalerie livra-t-elle encore un combat furieux; rien ne put débusquer les assiégeants. Avant que l'investissement ne fût complet, Vercingétorix prit le parti de renvoyer pendant la nuit toute sa cavalerie. Il ordonna aux hommes qui la composaient de se rendre chacun. dans sa cité, et d'envoyer au secours d'Alesia tous les citoyens en état de porter les armes. Le salut de la Gaule, le sien, celui de quatre-vingtun mille hommes d'élite qui restent avec lui, dépendent de la stricte exécution de cette mesure extrême, et il n'a que pour trente jours de vivres.

Ce cri de détresse retentit dans toute la Gaule, et réunit dans une mème pensée de patrie et de vengeance tous ces peuples naguère si divisés. Un grand conseil national décida de faire exécuter, non pas la levée en masse que Vercingétorix demandait, car une pareille multitude eût été trop lente à rassembler, puis impossible à gouverner et à nourrir, mais d'imposer à chaque cité un contingent à fournir sur-le-champ. Voici comment la répartition en fut fixée. Les Édues avec leurs vassaux Ségusiaves (Feurs, Forez), Ambivarètes, Brannoves et Aulerques brannoviques, trente-cinq mille hommes; trente-cinq mille aussi les Arvernes joints à leurs clients, tels que les Cadurques indépendants, les Gabales et les Vellaves; les Séquanes, les Sénons, les Bituriges, les Santons, les Rutènes, les Carnutes, chacun douze mille; les Bellovaques, dix mille; les Lémoviques autant; les Pictons, les Turons, les Parisiens et les Helves, chacun huit mille; les Suessons, les Ambianes (Amiénois), les Médiomatriques (Metz),

les Petrocores (Périgueux), les Nerviens, les Morins, les Nitiobriges, cinq mille; les Aulerques cénomans (habitants du Maine), cinq mille; les Atrébates (Artois), quatre mille; les Veliocasses (Vexin), les Lexoves (Lisieux), les Aulerques Éburoviques (Evreux), trois mille; les Rauraques et les Boïens (Bàle et Berne), trente mille; les États armoricains voisins de l'Océan, c'est-à-dire les Curiosolites (Quimper), les Rhédons (Rennes), les Ambibares, les Calètes (pays de Caux), les Osismes (Tréguier, Karhez), les Venètes (Vannes), les Unelles (Coutances), et autres, six mille en tout. Par un fol orgueil, les Bellovaques seuls refusèrent de fournir leur contingent, en déclarant qu'ils feraient la guerre aux Romains pour leur propre compte, et que personne n'avait rien à leur commander pour cela. Ils consentirent seulement, sur la demande d'un guerrier illustre qui était leur hôte, l'Atrébate Comm, à donner deux mille hommes. Il restait encore le cadre d'une armée de deux cent soixante-quinze mille combattants. On parvint à en réunir deux cent cinquante mille, dont huit mille cavaliers. Ces troupes furent comptées et passées en revue sur le territoire des Édues. Le commandement en fut partagé entre l'Arverne Vergasillaune, cousin de Vercingétorix, les Édues

Monnaie de Vergasillaune. (Verga.)

Viridomare et Éporédorix, puis Comm l'Atrébate. Ce dernier était un ancien ami des Romains; mais tel fut alors, dit César, l'empressement unanime des Gaulois à reconquérir leur gloire militaire et la liberté, que le souvenir des bienfaits ni l'amitié ne pouvaient rien sur eux, et qu'ils se jetaient les yeux fermés dans cette lutte avec tout ce qu'ils avaient de courage et de ressources. Ils partirent pour Alesia remplis d'enthousiasme et de confiance, et ils regardaient tous comme impossible qu'on pût seulement soutenir l'aspect de leur multitude.

Pendant ce temps, les Romains ne cessaient pas leurs immenses travaux ; ils pressaient les assiégés, ils fortifiaient leurs lignes à l'extérieur pour repousser l'armée de secours; et les défenseurs d'Alesia, dans l'ignorance la plus profonde de ce qui se passait au dehors, souffraient à la fois des atteintes de la famine et de celles du désespoir. Le jour fixé pour l'arrivée des secours était passé et les vivres épuisés. On tint conseil. Les uns parlaient de se rendre; d'autres voulaient faire une dernière sortie. Un Arverne de haute naissance, nommé Critognat, émit l'avis le plus énergique « Parce qu'ils ne sont pas arrivés au jour dit, doutez-vous, s'écria-t-il, de la constance

et de la fidélité de nos amis et de nos parents? Quel courage leur restera-t-il si quatre-vingt mille hommes qui sont ici ont péri quand ils viendront? Quoi done? pensez-vous que ce soit sans raison que les Romains travaillent tous les jours à fortifier leurs lignes extérieures? Si vous ne pouvez être rassurés par des messages, puisque tout accès est fermé, croyez par ce témoignage-là que les secours approchent, et que c'est la crainte qui les fait passer le jour et la nuit au travail. Quel est donc mon avis? De faire ce qu'ont fait nos ancètres dans la guerre des Kimris et Teutons, qui fut moins terrible que celle-ci. Refoulés dans leurs places de guerre et tourmentés par la famine, eux aussi, ils soutinrent leur vie en mangeant les corps de ceux que la faiblesse de leur àge rendait impropres à la guerre, et ils ne se rendirent pas. Et nous n'aurions pas cet exemple que j'estimerais glorieux pour nous de le commencer et de le transmettre à nos descendants. » La proposition ne fut pas rejetée, mais remise seulement pour être exécutée si, le retard des secours se prolongeant, les souffrances devenaient plus intolérables encore. Par une mesure un peu moins horrible, mais non moins inhumaine, on chassa de la ville ses habitants, leurs femmes, leurs enfants, toutes les bouches inutiles. Ces malheureux se présentérent mourants devant les lignes romaines, s'offrant pour esclaves et demandant en échange un peu de nourriture; mais ils furent impitoyablement repoussés d'un côté comme de l'autre.

La grande armée gauloise était en marche. Bientôt les défenseurs d'Alesia, passant du désespoir à la joie, virent ses colonnes apparaître sur les sommets d'alentour et s'établir à mille pas tout au plus des Romains. Dès le lendemain, le combat s'engagea par une vive attaque que fit l'armée de secours secondée par une sortie de la garnison d'Alesia. On se battit avec un égal acharnement depuis midi jusqu'au coucher du soleil ; et l'impétuosité gauloise paraissait avoir l'avantage, lorsqu'une dernière charge de cette cavalerie germaine, qui avait été déjà si souvent funeste, vint culbuter les assaillants et les forcer à rentrer dans leurs campements. Un assaut de nuit n'eut pas plus de succès. Les Romains perdirent encore beaucoup de monde; mais sur aucun point leurs prodigieux retranchements ne purent être forcés.

Deux fois repoussés après avoir attaqué avec leur confiance et leur légèreté habituelles, les Gaulois commencèrent à chercher les moyens d'opposer quelque combinaison stratégique à la défense savante de l'ennemi. Les chefs de l'armée extérieure se firent alors expliquer par des gens qui connaissaient les localités la position des forts qui dominaient la ville, et la manière dont ils étaient défendus. Il y avait au nord une colline qui n'avait pu être entièrement enveloppée d'ouvrages, à cause de son étendue; à cet endroit, on avait été forcé d'établir le camp sur un sol en déclivité. Instruits de ces circonstances, les généraux choisissent

soixante mille hommes d'élite que Vergasillaune, chargé de les commander, fait partir au commencement de la nuit pour gagner secrètement cette position. Vergasillaune arrive un peu avant le jour, laisse son armée reposer cachée sur le revers de la montagne, puis à midi ses troupes fondent sur l'ennemi. C'était l'heure convenue pour un assaut qui devait se douner en même temps dans une direction opposée. A la vue de ces mouvements, Vercingétorix comprit que le moment suprême était venu; il s'élance hors de la ville avec toute la garnison portant des perches, des fascines, des faux, tous les autres faibles moyens dont elle pouvait disposer pour monter à l'assaut, et sur presque toute leur étendue les lignes romaines sont assaillies par une multitude furieuse. Le nombre des Romains, les forces de chacun d'eux, la quantité de leurs projectiles, suffisent à peine pour tant d'ennemis. Vergasillaune, dans sa position avantageuse, parvient enfin à entamer les retranchements du nord; Vercingétorix porte aussitôt ses efforts du même côté, et quoiqu'il eût au contraire à gravir la colline, il comble les fossés, parvient aux tours romaines, en chasse les défenseurs; il a fait brèche enfin. Labienus, le redoutable lieutenant de César, qui contenait Vergasillaune, se voit alors pris à dos; mais César lui-même, averti du danger, arrive en hate avec toutes les troupes qu'il a sous la main. A la vue de son long manteau rouge bordé d'or, vêtement de général qu'il portait dans les jours de combat, les deux partis le reconnaissent et redoublent d'énergie pour cette lutte terrible, où près de cent mille hommes s'abordaient à l'arme blanche. Cette fois encore tout ce que la valeur personnelle et le désespoir peuvent enfanter d'héroïsme succomba devant quelques bonnes dispositions militaires. César parvint à faire tourner par un corps de cavalerie les Gaulois de Vergasillaune, qui, enveloppés de toutes parts, furent presque entièrement massacrés. Soixante-quatorze étendards furent apportés au vainqueur, et Vergasillaune eut le malheur d'être pris vivant. En voyant cette déroute, les assiégés rentrèrent dans leur Alesia, et l'armée de secours, à bout d'espérances, se dispersa dans toutes les directions. (4)

Le lendemain, Vercingétorix assemble une dernière fois le conseil. Il rappelle à ses compagnons « que ce n'est point dans son intérêt, mais pour la >> liberté commune qu'il a entrepris cette guerre, » et termine en disant que, puisqu'il faut céder à >> la fortune, il se remet entre leurs mains, afin » qu'ils décident lequel ils préfèrent, ou de donner >> satisfaction aux Romains par sa mort, ou de le >> livrer vivant à César. » On envoie aussitôt des députés pour traiter de la reddition, et l'ordre mandé par le proconsul est de livrer d'abord les chef's

(') Pendant dix siècles on a regardé le village et le monticule d'Alise-Sainte-Reine (Côte-d'Or) comme étant l'antique Alesia. Il paraît aujourd'hui démontré que c'est une erreur, et qu'Alesia est un village de Franche-Comté appelé Alaise (Doubs), près Salins:

et les armes; puis il se place sur une éminence, en avant de son quartier général, pour recevoir la soumission des vaincus et prononcer solennellement sur leur sort. Vercingétorix n'attendit pas qu'on le trainat devant le tribunal de César. Il revêtit la plus riche de ses armures, sauta sur son cheval, orné comme un jour de bataille, et sortit de la ville au galop. Arrivé subitement aux pieds de César, qui n'attendait pas cette brusque apparition, il tourna en cercle autour du tribunal, descendit de son cheval, puis jeta l'un après l'autre son casque, son épée, toutes les pièces de son armement, et resta debout, avec le calme de sa belle et martiale figure, sans proférer une parole. C'était la vivante image de la Gaule. A l'aspect d'une si grande et si noble infortune, les spectateurs, ces durs soldats romains, se sentaient émus. César ne le fut pas; il éclata en accusations, en invectives; il parla au fils de

Keltill de ses bienfaits méprisés, lui reprocha son amitié d'autrefois; puis il fit signe à ses licteurs de le garrotter et de l'emmener. Vercingétorix entendit et souffrit tout en silence. Il fut conduit à Rome et jeté dans un cachot, où durant six années il attendit que son vainqueur eût abattu à leur tour Pompée, Caton, Labienus et cent autres ennemis, c'est-à-dire tout ce que Rome et les barbares avaient alors de plus habiles guerriers, pour figurer dans la pompe triomphale au bout de laquelle il trouva la hache du bourreau. Ainsi mourut, martyr de la patrie, en l'an 46 avant J.-C., le héros de l'ancienne Gaule.

Les principaux amis de Vercingétorix subirent le même sort. Quant aux défenseurs d'Alesia, quant à tous les autres soldats gaulois qu'on avait pu saisir, ils furent partagés comme esclaves entre les soldats romains, à titre de butin. Seulement,

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Femmes et enfants gaulois captifs. - Sculpture du sarcophage de la vigna Ammendola.

César fit grâce aux Edues et aux Arvernes, espérant par la clémence regagner l'amitié de ces deux peuples puissants.

DERNIERS EFFORTS DE LA GAULE INDÉPENDANTE.

Après une si longue et si rude campagne, les légions croyaient passer l'hiver dans le repos. Mais la Gaule n'était pas encore domptée; cette grande défaite sembla seulement donner raison à ceux qui pensaient qu'au lieu de réunir toutes leurs forces pour les opposer en masse à l'ennemi, les cités gauloises devaient le harasser et le décourager en combattant chacune pour leur compte, et en suscitant sur tous les points du territoire des soulèvements partiels. On recommença donc de tous côtés les conciliabules et les préparatifs de guerre. César ne leur donna pas le temps de prendre consistance; il partit de Bibracte dans la nuit du 1er janvier de l'an 54 (av. J.-C.), et tomba inopinément chez ceux dont les menées avaient donné l'éveil; c'étaient les Bituriges. Ces malheureux furent pris sans résistance, ou poursuivis chez leurs voisins, traqués et forcés de revenir dans leurs champs et de se soumettre. Au bout de trente jours, César était de retour à Bibracte; mais il n'y était pas depuis trois semaines, que les Bituriges envoyèrent lui demander assistance contre les Carnutes, qui se jetaient sur eux pour les punir d'avoir accepté le joug des

Romains. César repartit pour le pays des Carnutes, qui laissèrent saccager leur territoire et se cacherent dans les contrées voisines ou dans le fond des bois, plutôt que d'accepter une paix plus dure encore que ces extrémités. Il était temps; l'organisation de la résistance prenait déjà dans le nord un caractère plus sérieux.

Ce n'était point une simple bravade si les Bellovaques avaient refusé leur concours à Vercingétorix, en disant qu'ils feraient eux-mêmes la guerre avec Rome. Leurs dispositions parurent assez importantes pour que César, de Genabum (Orléans), où il était, marchat contre eux à la tête de cinq légions; et quand il eut passé quelques jours devant leurs lignes, qu'il ne crut pas prudent d'attaquer, il fit venir quatre autres légions à son aide. Un chef populaire des Bellovaques, nommé Corrée, les avait réunis avec les troupes des Ambianes, des Calètes, des Aulerques, des Véliocasses, dans une position formidable; Comm l'avait rejoint avec ses Atrébates et cinq cents cavaliers germains qu'il était allé enrôler de l'autre côté du Rhin. Longtemps les deux armées se tinrent mutuellement en échec, sans oser s'aborder autrement que par des escarmouches, et César reconnut que, loin de combattre avec sa légèreté habituelle, l'ennemi se montrait plein d'habileté. Un jour Corrée eut la joie de surprendre la cavalerie des Rèmes, les plus fideles alliés des Romains, et de la tailler en pièces

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