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l'appel du jugement du concile. En deux jours, cinquante-quatre Templiers furent condamnés par le concile, et brûlés. La commission essaya de sauver les trois principaux défenseurs de l'ordre; mais bientôt ses membres se dispersèrent un à un, par ordre du roi; quand ils revinrent, six semaines après, le concile de Paris et les conciles provinciaux avaient rempli leur office. Les relaps étaient déjà condamnés et brùlés. L'ordre fut supprimé dans le reste de l'Europe. Les rois y disposèrent des biens du Temple, sans toucher aux personnes.

Le concile œcuménique de Vienne en Dauphiné s'ouvrit enfin (16 oct. 1312). Les questions d'ar

Philippe IV. D'après du Tillet.

gent y jouèrent un grand rôle. On parla beaucoup de croisade affaire d'argent pour les princes. Le mot de croisade n'était qu'un prétexte d'impôts; le roi eut pour sa part les dîmes ecclésiastiques pendant six ans. Restaient les deux procès de Boniface et des Templiers. Le pape déclara Philippe innocent des excès commis contre Boniface; il admit que les agents du roi n'avaient été animés que du zèle le plus pur pour la religion. Nogaret lui-même fut absous, à la condition de mourir à la croisade, si elle avait lieu, et, chose plus certaine, de faire le pape son héritier. A ce prix, il fut permis à Clément de ne pas déclarer Boniface hérétique; mais il dut révoquer la bulle qui défendait au roi de prendre l'argent du clergé. Quant aux Templiers, leur procès, simple spoliation dans le principe, était devenu un danger. Plus de quinze cents chevaliers s'étaient réfugiés à Lyon et dans les environs. Ils demandaient à se défendre,

et le concile voulait qu'ils fussent entendus. Le roi mit la main sur Lyon, et le pape, convoquant à la hâte un consistoire, supprima l'ordre du Temple, de son autorité pontificale. Les biens furent donnés aux Hospitaliers, qui faillirent être ruinés par là. Les gens du roi avaient fait de si gros mémoires, pour frais de saisie et de garde, que les Hospitaliers se trouvaient encore débiteurs. On saisissait déjà leurs biens; ils se hatèrent de donner quittance.

On ne traita au concile qu'une seule affaire d'un grand intérêt religieux. Les Franciscains réformés furent condamnés. Ces mystiques ne voulaient pas même que le moine mendiant eût la propriété du pain qu'il mange. « Il n'en a, disaient-ils, que l'usage.» D'autres allaient plus loin : par amour du prochain, par renoncement à eux-mêmes, ils mettaient en commun les biens et les femmes. Ubertino, le chef des mystiques, auteur de la première Imitation de Jésus-Christ qui soit connue, fit amende honorable aux pieds de Clément V.

Il restait dans les prisons de Paris le grand maître et trois autres chefs de l'ordre du Temple. Ils avaient tout avoué. Tout à coup, le grand maître (Jacques de Molai) et le maître de Normandie (Gui, frère de Robert dauphin d'Auvergne) rétractent leurs aveux. Les cardinaux les ajournèrent au lendemain, et les livrèrent au prévôt de Paris. Philippe se décida aussitôt à un crime inutile. Sans consulter les commissaires ecclésiastiques, et par un conseil prudent, dit un contemporain, il les fit brûler le même soir dans l'île aux Juifs, réunie aujourd'hui à la Cité, et qui occupait alors une partie de la place Dauphine et le môle du pont Neuf. « Le mestre, dit un témoin oculaire, se mit tout nu en sa chemise; oncques de riens n'ala tremblant. «Seignors, disoit-il, au >> moins laissez-moi joindre un po mes mains et fere >> m'oraison vers Dieu. En brief de temps viendra >> meschief sus cels qui nous damnent à tort: Dieux » en vengera nostre mort. » Il prit la mort si doucement que ce fut merveille pour tous. >> Ces hommes qui préférèrent la mort au déshonneur d'un aveu qui les sauvait, étaient-ils coupables? Il est difficile de l'admettre. D'autres à côté d'eux ont pu se livrer aux superstitions de l'Asie et prendre la contagion de ses mœurs; l'air d'Orient est malsain pour les hommes de l'Europe. Mais ceux qui sont morts pour sauver leur honneur, l'histoire les absout.

Philippe en était venu à ses fins. Il ne lui restait plus qu'à voir sa maison déshonorée et à mourir d'une mort imprévue et étrange. Le diable, disaiton, avait livré à un moine les trois belles-filles du roi. En outre, deux chevaliers de leurs maisons avouèrent, dans les tortures, il est vrai, que depuis trois ans ils vivaient avec elles. Les chevaliers périrent d'un supplice atroce et obscène. Louis le Hutin fit étrangler sa femme, Marguerite de Bourgogne, à son avénement au trône. Charles le Bel laissa la sienne mourir religieuse à l'abbaye de Maubuisson. Quant à l'épouse de Philippe le Long,

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dont il eût fallu rendre la dot, la Franche-Comté, si son mariage eût été rompu, elle fut hautement déclarée innocente et pure par un arrêt du Parlement.

MORT DU PAPE ET DU ROI.

Clément V mourut l'esprit troublé par la condamnation des Templiers et par les derniers mots

suprématie des papes; vivant au milieu des légistes, il devait rechercher le pouvoir absolu et l'unité administrative. Ces légistes sont des Romains du temps de l'empire, qui, en politique ne comprennent que le despotisme, dans la société civile veulent l'égalité. Un seul maître, une seule loi, une administration uniforme et envahissante; audessous, une foule où tous sont égaux. Ils vivent dans un temps où la souveraineté est partagée entre le roi et les seigneurs, où la loi varie suivant les lieux et les personnes, où l'administration est entièrement locale. Que leur faudra-t-il pour changer la face du monde? Ils enlèveront aux seigneurs leur part de souveraineté. Le roi est suzerain. Il ôtera donc l'un après l'autre à ses vassaux tous leurs droits le droit de faire la guerre et ceux de rendre la justice sans appel, de battre monnaie, de lever des impôts. Les vassaux seront transformés en sujets; le despotisme sera fondé, avec le despotisme l'unité nationale: une société à moitié romaine remplacera la société barbare.

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Statue de Philippe IV, à l'abbaye de Saint-Denys (1). du grand maître, qui l'avait, disait-on, ajourné à comparaître avant un an devant Dieu; les Gascons qui l'entouraient au lit de mort l'avaient laissé là, comme furent abandonnés tant d'autres agonisants, pour courir au butin, sans s'occuper de sa sépulture. Sept mois après, Philippe le suivit dans la tombe, à l'âge de quarante-six ans (nov. 1314).

Les détails de sa mort sont peu connus. On dit qu'il mourut à la chasse, blessé par un sanglier, ou porté contre un arbre par son cheval. On rapporte encore qu'il s'éteignit sans maladie apparente. Il y a du mystère dans la fin comme dans le caractère de cet homme, qu'on ne connaît que par ses actes. Nous n'avons de lui aucun de ces mots qui échappent à un roi et le font connaître. Il semble qu'il n'ait parlé que dans ses ordonnances : on y voit du moins la pensée de son règne.

Son œuvre est le commencement de celle de Louis XI, la ruine de la féodalité. Élevé par un dominicain de race gibeline, il devait repousser la

(1) Parmi les statues rétablies à Saint-Denys, il y en a peu qui soient aussi bien conservées que celle de Philippe le Bel.... Le visage ne justifie pas complétement le surnom du prince.» (Guilhermy.)

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Sceau de Louis X.

qui affranchit les serfs du Valois, il avait nié les droits des seigneurs sur leurs hommes: << Toute créature humaine, y disait-il, doit généralement être franche par droit naturel. » Il condamnait «<ce joug de la servitude qui est tant haineuse, et fait qu'en leur vivant les hommes sont réputés ainsi comme morts, et, à la fin de leur douloureuse et chétive vie, ne peuvent disposer ni ordonner des biens que Dieu leur a prestés en ce siècle. » Les seigneurs allaient engager la lutte contre Philippe le Bel, pour reconquérir leurs droits et défendre

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Le roi de Navarre (depuis Louis le Hutin) recevant de Joinville le manuscrit de l'Histoire de saint Louis; fac-simile des premières lignes du manuscrit. - D'après la miniature du manuscrit n° 2016 des Mémoires de Joinville (grande Bibliothèque de Paris).

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Tombeau d'Enguerrand de Marigny dans l'église d'Écouis. (Millin, Antiquités nationales.)

cienne féodalité. Louis refusa en s'appuyant sur les Établissements de saint Louis.

Après la réaction, la vengeance. La victime fut Enguerrand de Marigni. Chambellan et trésorier de Philippe, capitaine de la tour du Louvre, et dans les dernières années du règne coadjuteur et recteur du royaume, Enguerrand semblait un second roi; tout se faisait à sa volonté. Le peuple le

haïssait comme l'inventeur de l'impôt sur les ventes, et la noblesse comme le conseiller et le bras droit de Philippe le Bel. Charles de Valois manda à tous, pauvres et riches, auxquels Marign avait fait tort, qu'il vinssent faire leur plainte et qu'il leur serait fait droit. Il fit accuser Enguerrand devant le roi, et l'empècha de se défendre. Louis aurait voulu sauver le conseiller de son père

en l'exilant dans l'ile de Chypre. Mais Charles de Valois fit accuser la femme d'Enguerrand de maléfices commis contre le roi à l'instigation de son mari. Une accusation de sorcellerie, au quatorzième siècle, était un arrêt de mort. Enguerrand fut pendu à Montfaucon, au gibet des voleurs. La foule, << merveilleusement joyeuse», suivait la charrette qui le portait. << Bonnes gens, criait ce malheureux, priez Dieu pour moi. » Deux ans après, son corps fut descendu du gibet et enseveli dans le choeur des Chartreux de Paris. Louis le Hutin légua dix mille livres à ses fils, et Charles de Valois, à son lit de mort, fit distribuer des aumônes en demandant aux pauvres leurs prières pour sa victime.

Le désordre était partout. Les guerres privées recommençaient; les barons fabriquant de la fausse monnaie, le roi fut obligé d'ordonner que la monnaie des seigneurs n'aurait cours que chez eux. Il essaya de faire de l'argent en vendant la liberté

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Monnaie de Louis X.

aux serfs de ses domaines : « Nostre royaume, disait-il, est nommé le royaume des Francs; voulant que la chose en vérité soit accordant au nom, nous avons ordené que par tout notre royaume la servitude soit ramenée à franchise, et franchise soit donné à tous, à bonnes et convenables conditions. Ces conditions étaient le rachat à prix d'argent; on croyait que les serfs et les hommes de poeste avaient tous de l'argent caché. Mais soit qu'ils fussent trop pauvres, soit qu'ils n'eussent pas confiance dans ceux qui leur offraient la liberté, fort peu répondirent à cet appel, et le roi fut obligé d'imposer aux serfs le rachat. Ceux qui voulaient demeurer « en la chétivité de servitude au lieu de venir à l'état de franchise » furent taxés « si grandement comme leur condition et richesse le pouvoit bonnement souffrir. » Toutefois, l'ordonnance ne fut exécutée que partiellement.

Après une campagne en Flandre, qui débuta par un manifeste menaçant les Flamands d'esclavage et d'extermination, et dont le roi s'en revint « inglorieux et sans rien faire », dans la boue et sous la pluie qui suffirent à lui faire perdre beaucoup de monde, Louis le Hutin mourut à Vincennes, le 5 juin 1316, à l'âge de vingt-six ans. S'étant échauffé au jeu de paume, il était descendu dans une cave, où il but sans mesure du vin frais. Il laissait sa femme enceinte et une fille vivante.

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Statue de Jean Ier, à Saint-Denys.

Philippe assembla les barons, qui exclurent Jeanne de la succession de son père, au nom de la vieille loi franke qui refusait aux filles la terre salique. La couronne de France, disait Philippe, est un trop noble fief pour tomber en quenouille. Cependant partout les filles héritaient et les fiefs devenaient féminins. Cette exception unique, établie pour les rois de France, donnait à la famille royale un caractère de perpétuité. Elle assurait, avec l'unité de la race royale, la persistance dans les plans politiques. En outre, le royaume allait s'accroître de génération en génération des dots apportées par les reines.

PHILIPPE V, LE LONG. L'ADMINISTRATION ROYALE SE DÉVELOPPE.

Le règne de Philippe le Long est surtout remarquable par le progrès du droit public et de l'administration monarchique. La réaction féodale qui marque le commencement du règne de Louis le Hutin n'avait pas atteint le Parlement. Philippe régla l'organisation du conseil d'État; il réglementa le Parlement; il étendit la surveillance de la Cour des comptes sur quiconque avait le maniement des deniers publics; les trésoriers rendirent leurs comptes deux fois l'an. Les recettes furent centralisées, et on dut en désigner la provenance; les

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