Page images
PDF
EPUB

messire Pierre; «et messire Raoul de Tibériade menja un jor avec lui. Après mengier, messire Pierre me fist lire devant luy en un romans. Messire Raoul dist que je lisoie moult bien. Après fu messire Raoul malade, et messire Pierre Chape, à la requête de messire Raoul, me manda de lire devant lui; et ainsi advint que trois mois et plus y fus, et moult me déplaisoit ce qui moult m'eût dù plaire. Messire Raoul dormoit poi et malvaisement, et quant je avoie lu tant comme il voloit, il mème me contoit moult de chozes du royaume de Jérusalem, et des us et des assises, et disoit que je les retenisse.» Philippe les retint en effet, et, après une glorieuse carrière passée à défendre, l'épée à la main, le trône des rois de Chypre, il suivit avec ardeur les assises des hautes cours d'Acre et de Nicosie, et les entretiens des «< grans plaideors » qui existaient de son temps en Chypre et en Syrie : Jean d'Ibelin, sire de Béruth; Boémond III, prince d'Antioche; le roi de Jérusalem Amauri II, dont il admirait la science; messires Guillaume Vesconte et Nicolas Antheaume; les sires de Rivet, de Baisdoin, de Sidon, et beaucoup d'autres qu'il remercie dans ses ouvrages des leçons qu'il leur doit. Outre le livre des us et coutumes des assises d'outre-mer, que nous avons cité plus haut, Philippe de Navarre avait composé des Mémoires sur sa vie qu'on n'a malheureusement pas retrouvés, non plus qu'un poëme sur la guerre que l'empereur Frédéric II fit aux Chypriotes, un traité de morale intitulé: «<les Quatre temps d'àge d'homme », enfin des poésies: «<les unes des grands folies du siècle que l'on apelle amors; et après y a chansons et rimes qu'il fict en sa vieillesse de Nostre-Seigneur et de Nostre-Dame, et des sains et des saintes. >>

Or, pour montrer ce qu'étaient dans la vie active ces graves légistes, écrivains si feconds, nous citerons un trait de la campagne faite de 1228 à 4232, contre le royaume français de Chypre, par les troupes italiennes de Frédéric II. Cette guerre, où Philippe de Navarre joua un grand et glorieux rôle, traînait en longueur, lorsque Lombards et Chypriotes se trouvèrent en présence non loin de Nicosie. Ces derniers étaient commandés par Jean d'Ibelin, sire de Béruth, qui, dans une affaire précédente, recevant la fausse nouvelle de la mort de ses trois fils, n'avait pas même arrêté son cheval et s'était contenté de répondre : « Ainsi doivent mourir les chevaliers, en défendant leur personne et leur honneur. >> En voyant les Lombards déboucher dans la plaine, Jean rendit grâces à Dieu et rangea son armée en bataille. L'avant-garde était d'ordinaire commandée par Balian d'Ibelin, l'aîné de ses fils, mais il la donna cette fois à Hugues qui était le second. Son troisième fils, Baudoin, fut chargé, avec le sire de Césarée, de conduire le corps de bataille, et lui-même se mit à l'arrièregarde avec le jeune roi. Balian se plaignit de ces dispositions: « Pourquoi, dit-il à son père, l'avantgarde que j'ai toujours commandée est-elle aujourd'hui donnée à d'autres?» Mais il se trouvait alors

sous le coup d'une sentence d'excommunication, parce qu'il refusait d'épouser une femme noble qu'il avait séduite. « A Dieu ne plaise, répondit le sire de Baruth, que des hommes qui ne sont pas dans sa grace dirigent notre armée. Jure de te réconcilier avec l'Église et de te marier, et je te rendrai ton commandement. Sinon, non; mais tu peux rester avec nous à l'arrière-garde. » Balian refusa l'une et l'autre de ces conditions; mais avec cinq chevaliers, ses compagnons d'armes, dont le premier était Philippe de Navarre, il sortit du camp et, prenant un détour, il alla se poster en un défilé aussi difficile qu'étroit, que l'avant-garde ennemie venait de franchir et dans lequel il prétendait arrêter, lui sixième, le corps principal de l'armée lombarde. Il fit, en effet, avec ses compagnons, des prodiges de valeur, et, de tous les rangs de l'armée chypriote, on criait au sire de Baruth pour aller les arracher à la mort; mais le vieil Ibelin, toujours impassible dans le combat, disait : « Laissez-le faire, Notre-Seigneur l'aidera; il n'est pas prudent de mettre en danger toute une armée pour sauver un homme. » L'avant-garde des Italiens, ne voyant pas arriver son corps de bataille, craignit quelque embûche et n'osa pas attaquer. Le passage que défendaient Balian et Philippe de Navarre finit par ètre forcé, mais leur audace avait réussi à couper en deux l'armée lombarde qui fut ensuite aisément battue.

La vie de Beaumanoir, plus célèbre comme jurisconsulte, n'est pas signalée par de si grands exploits. Son nom de famille était celui de Remi, nom d'un village situé à deux lieues de Compiègne, et près duquel existe encore, sur la petite rivière d'Aronde, la ferme de Beaumanoir. Philippe de Remi, son père, était bailli du comte Robert d'Artois, pour ses terres du Gâtinais, et Pierre de Remi, que Guillaume le Breton cite comme s'étant distingué à la tête des milices de Compiègne à la bataille de Bouvines, était probablement son grand-père. Dans sa jeunesse il avait visité l'Angleterre, où il paraît avoir été attaché à la fortune de Simon de Montfort, qui commandait les barons révoltés contre le roi Henri III et fut à peu près maître du royaume pendant les années 1264 et 1265. Comme Philippe de Navarre, il fit en sa jeunesse des chansons amoureuses, et de plus deux longs romans en vers: l'un, intitulé la Manekine (ou la Femme sans mains), est un roman d'aventures; l'autre, Jehan et Blonde, c'est-à-dire Jehan de Dammartin et Blonde d'Oxford, est une sorte d'épopée beauvaisine, mêlée d'épisodes curieux sur les mœurs anglaises. Robert, frère de saint Louis et comte de Clermont en Beauvaisis, l'appela en 1279 aux fonctions de bailli de sa terre de Clermont; ce fut par la volonté de ce prince que Beaumanoir, étant en charge, écrivit ses « Coutumes de Beauvaisis », qu'il termina en 1283. Du comté de Clermont il passa au service du roi et fut successivement, jusqu'à l'époque de sa mort, bailli ou sénéchal de Poitou, de Saintonge, de Vermandois et de Senlis. Il mourut en 1296,

dans son manoir du Moncel, près Pont-SainteMaxence, que Philippe le Bel acheta aussitôt pour y faire construire une abbaye de religieuses dont les bâtiments magnifiques existent encore.

Le livre de Beaumanoir sur les coutumes et usages de Beauvaisis, embrasse toutes les matières du droit coutumier. Elles y sont distribuées en soixante-dix chapitres qui traitent principalement : << des baillis, des ajournements et délais, des procureurs, des avocats, des demandes et des défenses, des visites d'immeubles, des cas réservés à l'Église, des testaments, des douaires, des tutelles, des sociétés, des biens meubles, des coutumes et usages, des chemins publics, des mesures et poids, des services féodaux, des méfaits et délits, des conventions et marchés, des preuves et témoins, des plégeries ou cautions, de la garde des églises, des fiefs, des établissements ou édits royaux, des gens de bonnes villes et de leurs droits, des créanciers, des aliénés et des hôpitaux, de mariage, des guerres privées entre seigneurs, des appels, des gages de bataille, des jugements, des usures et usuriers, des donations.»-« Ce livre, disait un vieil avocat du seizième siècle (maître Antoine Loisel), est le premier et le plus hardi œuvre qui ait été composé sur les coustumes de France; car c'est lui qui en a rompu la glace et ouvert le chemin aux autres. >> Cet éloge n'a fait que grandir à mesure qu'on a lu davantage et mieux connu ce livre, qui traite sans beaucoup d'ordre, malgré les efforts de l'auteur, des matières les plus arides et dans un langage difficile à suivre, et qui cependant enchaîne le lecteur sérieux par l'intérêt du sujet, par la logique des déductions, et surtout par la droiture et l'élévation de chaque parole, de chaque pensée de l'auteur.

Voici un exemple de sa manière. C'est le chapitre 48 de la coutume de Beauvaisis, dans lequel il examine s'il y a des exceptions possibles à l'édit par lequel il était défendu aux «< hommes de poeste >> (de potestate), c'est-à-dire aux serfs, de posséder des biens féodaux, par la raison qu'ils ne pouvaient en remplir lés devoirs militaires :

<< Selonc l'establissement du roi, li houmes de poeste ne puevent ni ne doivent tenir fiefs, ni eux accroistre en fief, et néanmoins nous i voyons quelque remède comment ils puevent avoir fief et si n'est pas, pour ce, l'establissement brisié. Car l'entention des establissemens si n'est pas pour enlever autrui droit, mais pour che que les choses soient fetes selonc raison, et pour les mauvèses coustumes abatre et les bonnes amener avant.

» La première raison comment li houmes de poeste puevent avoir terre de fief, si est des fiefs que ils avoient avant que li establissement fust fais, et ches fiefs si ne leur sont pas ostés, car li establissemens ne leur enlèvent pas che qui estoit jà fait, mais fu fais pour che que ils ne le fissent plus, car li bourgeois et li houmes de poeste si attiroient moult de fiefs à eux, si que au loin aler li princes peussent avoir moindre serviche des

gentixhoumes. Se li bourgeois ou li homs de poeste qui tient fief de devant l'establissement le veut mettre hors de sa main, il convient que il le mette en main de gentilhoume, si autre gràce ne li est faite dou roi ou dou comte de qui li fief meut; et tant comme il le tient, convient il que il le deserve en la manière que li fief le doit, et que il devroit se il estoit en main de gentilhome. Il ne sied pas à nul gentilhoume dessous le roi à souffrir de nouvel que bourgeois s'accroisse en fief, car il feroit contre l'establissement qui est fait dou roi pour le pourfit des gentixhoumes en général par tout le roiaume; mais quant li rois fait aucun establissement espéciaument en son demaine, si barons ne laissent pas pour che à user en leurs terres selonc les anchiennes coustumes; mais quant li establissement est généraus, il doit courre partout le roiaume, et nous devons croire que tels establissemens sont fais par très grant conseil et pour le quemun pourfit.

» La seconde raison par quoi li homme de poeste peut tenir fief, si est quant il a gentilfame espousée, la quele tient fief de son hirétage, car il n'est pas raison que la gentilfame perde son droit pour che que ele se marie en plus basse persoune; et en tels cas, li houme de poeste ne tient pas le fief comme sien, mais comme celui sa femme; et néanmoins si il a enfans de la gentilfame, ils en puevent estre hirétiers, tout ne soient ils pas gentilhoumes de par le père, par quoi ils puissent estre chevaliers; car la gentillesce par laquele l'en fait chevaliers meut de par le père, comment que la mère soit gentilfame ou fame de poeste; et néanmoins si la mère estoit serve et li père fust gentixhoms et chevaliers, si ne nous accordons nous pas que il puissent estre chevaliers, pour che que ils sont serfs par la raison de la mère.

» La tierche raison comment li houmes de poeste puevent tenir franc fief, si est par especial grace qui ils ont dou roi ou dou prinche qui tient ledit fief en baronie.

>> La quarte raison, si est se il a gentilfame espousée et aucun dou lignage à la fame a vendu franc fief qui soit de la ligne à la fame, li homs de poeste qui l'a espousée le peut recouvrer, car autrement perdroit il la droiture que ele a en l'hirétage (1).

>> La quinte raison comment li homs de poeste peut tenir fief, si est quant il lui écheoit comme au collateral plus prochain.

>>> La sixiesme raison, si est par la raison de garde ou tutelle, si comme se quelque enfant sous-aagé vient en sa tutelle par raison de prochaineté de lignage, ausquiex enfant quelque fief apartiengne de son droit. >>

Comme on peut le voir par ce court exemple, le livre de Beaumanoir est une source inépuisable de renseignements pour l'histoire des idées, des

(') Il s'agit ici du retrait lignager, en vertu duquel, si un de vos parents vendait un immeuble, vous pouviez évincer l'acquéreur en lui remboursant le prix.

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

mours et de la vie intime au moyen àge. Et c'est aussi, chose rare, un manuel de légiste qui élève l'ame et ennoblit les questions. En traitant de « l'Office aux baillis », par lequel il entre en matière, il commence en disant :

« Il nous est avis que cheli qui veut estre loyaux baillis et droiturier doit avoir en soi dix vertus, en lesquelles l'une est qui doit estre dame et maistresse de toutes les autres, et cielle vertu si est appelée Sapience. La seconde, si est que il doit très durement amer de tout son cœur Dieu, nostre père et nostre sauveur, et pour l'amour de Dieu sainte Église. La tierche vertu que li bailli doit avoir, si est que il doit estre dous et débonnaire, sans félonie et sans cruauté; la quarte, que il soit souffrans et escoutans sans soi courrouchier ne mouvoir de riens; la quinte, que il soit hardi et vigoureux, sans nulle paresse; la sizime, si est Largesse, et de chette vertu descendent deux autres, courtoisie et netteté. La septime vertu qui doit estre en bailli, si est que il obéisse au commandement de son seigneur en tous ses commandemens; mais l'obéissance que il doit, si doit estre entendue en droit faire et en loial justiche maintenir, ne li baillis ne seroit pas excusé vers Dieu qui dou commandement son seigneur feroit tort à son escient; néanmoins le bailli n'a pas à juger si le commandement que son sire li fait pour meubles ou hirétages soit bon ou mauvais, mais doit obéir : si la partie contre qui le commandement est fait se plaint, elle peut aller au seigneur et obtenir que droit li soit fait; mais en cas de mort d'homme ou de mutilation, si le commandement est exécuté, il ne peut plus estre amendé, et pour che n'accordons nous pas aux baillis que ils obéissent à tels commandemens, mais qu'ils laissent le serviche se li sire ne veut son commandement rappeler, car li sire n'est mie bon à servir qui plus prend garde affère sa volenté que à droit et justiche maintenir. L'uitiesme vertu qui doit estre en cheli qui s'entremet de baillie tenir, si est que il soit très-bien connoissant le bien dou mal, le droit dou tort, les paisibles des melleux, les loyaux des tricheurs, les bons des mauvais; la neuviesme, si est que il ait en soi subtil engin et hàtif de bien esploiter la terre de son seigneur sans faire tort à autrui, et de bien savoir compter. La disiesme, si est la meilleure de toutes les autres, ne sans elle ne puevent les autres rien valoir; et chette vertu si est appelée Loiauté. »

ARTS AU TREIZIÈME SIÈCLE.

L'ogive et la légèreté, avons-nous dit, n'appartiennent pas au douzième siècle (p. 295), mais au treizième. C'est, en effet, le temps de saint Louis qui nous offre ce que l'art chrétien a produit chez nous de plus élégant et de plus pur. Par une coincidence qui n'est certainement pas fortuite, ce temps est celui où se rencontrent, comme au point culminant du moyen âge, les plus beaux caractères

de pieux guerriers, les chroniques les plus vivantes, les plus grands traités de jurisprudence, la langue la mieux faite et les plus admirables églises.

L'ogive, c'est-à-dire l'arcade dont le cintre est brisé au milieu de sa course et prend une forme élancée, était connue et employée dès le douzième siècle (1); mais les architectes ne s'en servaient alors qu'en la mariant timidement au plein cintre. C'est ainsi qu'on a vu, plus haut (p. 294), la façade de l'église Notre-Dame de Poitiers entièrement couverte d'arcatures ou de fenêtres cintrées, excepté aux deux côtés de la porte principale, où sont figurées, à droite et à gauche, deux fausses portes en ogive, dans chacune desquelles sont inscrites deux petites arcades, cintrées encore, pour mieux atténuer l'innovation. On cite encore comme présentant aussi ce caractère de monuments de transition l'église célèbre de Saint-Denys, les cathédrales de Laon et de Noyon, Saint-Remi de Reims, les belles églises de Pontigni (Yonne), de Saint-Germer (Oise), de Civrai (Vienne), de la Charité-sur-Loire (Nièvre), de Nonant, Mithois et Trévières (Calvados), de Lilliers (Nord), de Fontenai (Côte-d'Or). Après avoir été employée concurremment avec le plein cintre pendant le cours du douzième siècle, l'ogive finit par l'emporter, et dans le Nord de la France, elle régna sans partage jusqu'à l'époque de la Renaissance. Dans le Midi et sur les bords du Rhin, le roman de transition persévéra jusqu'à la fin du treizième siècle.

La disposition générale des églises romanes ne se transforma point par suite de l'introduction de l'ogive; mais elles changèrent de physionomie. Les arcades et les fenêtres, prenant un aspect plus svelte, appelèrent le même mouvement dans les colonnes, qui devinrent de minces colonnettes s'élançant vers la voûte, et la voûte elle-même, prenant aussi la forme ogivale, sembla gagner encore en hauteur. L'édifice ainsi allégé et aminci n'offrait plus les mêmes garanties de solidité; ce n'était plus qu'une cage de pierre et de verre : la nécessité fit naître alors un trait hardi et charmant du nouveau style. On projeta au plus haut les voûtes de la nef dans toute sa longueur, en laissant les bas côtés d'une hauteur beaucoup moindre; les piliers destinés à renforcer les parois à l'extérieur, de distance en distance (voy. p. 295, col. 2), se trouvaient ainsi ne plus soutenir que les murailles des bas côtés : les architectes osèrent lancer du sommet de ce pilier jusqu'au haut du mur de la nef où reposait le grand comble une sorte de pont aérien, un gracieux arc-boutant qui, accompagné

(') C'est ainsi que le nom d'ogive est entendu dans l'usage vulgaire et que nous devons par conséquent l'employer pour être entendus nous-mêmes. Mais les archéologues protestent contre l'inexactitude de cette expression, qui, jusqu'au commencement de ce siècle-ci, où l'erreur a été commise, n'avait jamais désigné que les nervures de deux voûtes qui se croisent, quelle que soit d'ailleurs la courbure de ces voûtes. C'est un mot qui a fait fortune justement parce qu'on n'en connaissait pas le sens.

[merged small][merged small][graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small]

que commencée à la fin du douzième siècle, appartient presque tout entière au treizième. L'élégance y est encore imposante, et la légèreté n'y dégénère pas, comme à l'époque suivante, en affectation. Sa façade se divise dans sa hauteur en trois zones. La zone inférieure est percée de trois larges portes en ogive du plus beau dessin, au-dessus desquelles règne une suite d'arcades, au nombre de vingt-quatre, dans chacune desquelles était la statue d'un roi de France. Au-dessus de cette galerie règne la seconde zone, dont l'ornement principal est une vaste rose ou rosace ornée de vitraux peints d'un effet admirable et flanquée de deux grandes fenêtres en ogive. La zone supérieure est une belle galerie composée de colonnettes percées à jour, dont la légèreté forme transition entre les parties inférieures et les clochers qui des deux angles de la façade s'élèvent dans les airs. Ces trois divisions longitudinales du plan sont encore plus marquées sur les murs latéraux et sur l'abside; elles forment trois étages en retraite l'un sur l'autre, et qui marquent d'une manière tranchée les chapelles placées autour du chœur, les tribunes élevées sur les bas côtés, et le sommet de la nef. Une balustrade à jour couronne le grand comble, d'immenses fenêtres à vitraux éclairent l'intérieur, et aux deux extrémités des transepts s'ouvrent de grandes portes latérales rivalisant de richesse avec celles de la façade. Le portail du transept méridional de Notre-Dame est dû à un architecte nommé Jean Chelles et date de l'année 4257.

La Sainte-Chapelle du Palais, construite dans l'intervalle des années 1242 à 4248, par l'architecte Pierre de Montreuil, pour saint Louis, passe à juste titre pour le chef-d'œuvre de l'art de son regne (p. 353). Elle se soutient sans contre-forts extérieurs malgré sa grande hauteur (37 mètres sur 9 de large), et se divise en deux étages. L'étage inférieur, dédié à Notre-Dame, était destiné aux habitants de la cour du Palais, et l'étage supérieur, ou chapelle de la Sainte-Croix, était réservé an roi et à ses officiers. Il y avait dans ce plan un type nouveau et très-remarquable; mais il trouva peu d'imitateurs.

L'ornementation des églises suivit les voies où l'architecture était entrée. Les sculpteurs romans avaient orné leurs églises de riches moulures, de tètes saillantes, de perles, de galons, de palmettes, de cordons nattés, enroulés, dentelés, de fleurs et de feuilles de convention arrangées dans le goût byzantin. Au treizième siècle, la sculpture, lors même qu'elle reproduit encore ces divers sujets, le fait d'un ciseau si fin et si délié qu'on ne peut la confondre avec celle de l'âge précédent. En second lieu, les artistes habiles qui décorèrent nos églises ogivales trouvèrent dans l'étude des végétaux indigènes des ressources infinies pour leur art. Les fleurs de nos champs, nos arbrisseaux les plus vulgaires, l'ortie, la ronce, le chardon, fournirent à leur ingénieux ciseau les motifs les plus

gracieux, dans une telle abondance que des botanistes se sont occupés de les étudier et de les classer. Ainsi, à la cathédrale de Reims, ils ont compté onze espèces de plantes employées dans la sculpture de l'intérieur, et dix-neuf à l'extérieur, toutes différentes l'une de l'autre.

La statuaire fit en même temps de grands progrès, et ses ouvrages se multiplièrent à profusion, surtout aux portails des églises. On plaça des rangées de statuettes jusque sous la voussure des porches (p. 444), et les pilastres des contre-forts eux-mêmes reçurent des niches garnies de grandes statues. Ces ouvrages, très-intéressants en ce qu'ils nous ont conservé des modèles achevés du costume civil, militaire ou religieux de l'époque, sont encore empreints d'une certaine gaucherie, qu'on peut aisément nommer naïveté; cependant les draperies en sont ordinairement fort belles. La représentation du corps humain dans sa nudité y est encore à peu près inconnue, ou si quelque artiste la tente, il y échoue complétement. Il ne faut pas non plus, au treizième siècle, chercher de portrait avec l'idée de fidélité parfaite que nous exigeons aujourd'hui pour ce genre de travail.

Les mains assez exercées pour exécuter cette jolie flore murale dont nous parlions tout à l'heure auraient pu, sans doute, nous transmettre de bons portraits; mais le besoin d'exactitude n'allait pas encore jusque-là, et l'on se contentait presque toujours d'une ressemblance générale d'aspect, de costume et d'attitude. Ainsi, sur les sceaux, qui sont l'un des meilleurs produits de l'art du treizième siècle, beaucoup de rois et de princes, et au premier rang les rois de France, tels que saint Louis et Philippe le Hardi, sont gravés avec une grande finesse (p. 354 et 380); ces sceaux donnent jusqu'à la coiffure et aux traits du visage; ils sont en même temps imités les uns des autres de manière à montrer que le graveur était capable de copier avec beaucoup de fidélité cependant ce ne sont que des portraits d'ensemble, ce qu'on pourrait appeler des portraits du genre Roi. De même, dans les miniatures des manuscrits, certaines formes consacrées sont affectées aux diverses classes d'individus qu'elles doivent faire reconnaître; et s'il s'agit de représenter divers chevaliers, par exemple, l'artiste reproduira bien le genre d'un homme de guerre, mais toujours le même homme. Il en est de même pour les belles statues sculptées sur les tombeaux princiers et pour les figures, moins splendides, quoique riches encore, qu'on gravait sur les dalles tumulaires. Les statues tombales, déjà très-employées au douzième siècle, devinrent abondantes au treizième. Ce genre de tombeau se composait ordinairement d'une sorte d'autel ou de cippe plus ou moins orné, sur lequel la statue était couchée. Saint Louis fit exécuter ainsi, à l'abbaye de Saint-Denys, les tombeaux des rois ses prédécesseurs. Nos églises sont encore pleines des grandes dalles de pierre blanche sur lesquelles on gravait la figure du défunt, en inscrivant autour son nom avec la date de sa mort, et

[ocr errors]
« PreviousContinue »