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sur les animaux, les plantes, les productions minérales et chimiques. Jean de Saint-Amand, chanoine de Tournai, composa un traité général de thérapeutique sous ce titre : « Des vertus et des effets des médecines simples et complexes. »

Gilles de Corbeil, qui vivait à Paris à la fin du douzième siècle et au commencement du siècle suivant, est l'auteur de plusieurs livres de médecine, tous écrits en vers latins et néanmoins trèsremarquables par le fond. L'un est intitulé: De Urinis, l'autre est relatif au pouls, le troisième est un traité « Des Médicaments » ( De virtutibus et laudibus compositorum Medicaminum), en six mille vers, dans lequel il détaille les salutaires effets que produisaient ou devaient produire tous les onguents, baumes, antidotes et autres remèdes connus de son temps. Il écrivait moins d'après ses propres recherches que d'après les travaux d'un de ses confrères qui avait exercé la médecine à Paris avant lui, et dont le nom, Musandin, nous semble être la forme corrompue du nom de quelque docteur arabe; mais du moins Gilles de Corbeil savait-il donner une forme élégante aux idées d'autrui, et ses poëmes, qui ont été fort répandus, sont loués même par des auteurs modernes pour leur harmonie et leur correction (1). Son surnom vient probablement de ce que Corbeil était sa ville natale. Cependant il enseigna la médecine à Montpellier; il enseigna aussi les arts libéraux; et, de retour à Paris, il s'adonna aux études pieuses, devint docteur en théologie aussi bien qu'en médecine, et fut nommé chanoine de la cathédrale. Il était l'un des médecins de Philippe-Auguste.

Rigord, le religieux de Saint-Denys qui a laissé une Histoire du même prince, était également son médecin. Nous avons cité Roger de Fournival, qui prit soin aussi de la santé de Louis VIII et de Louis IX. On connaît quatre autres médecins ou physiciens de saint Louis: Geoffroi de Clavi, chanoine de Tours; Robert ou Roger de Provins, chanoine de Paris; Jehan Pitard; et Dudon, qui le traita pendant sa dernière maladie, à Tunis. Jehan Pitard fut premier physicien et chirurgien des rois saint Louis, Philippe le Hardi et Philippe le Bel. Ce Pitard, non plus qu'Eudes, abbé de Saint-Victor qui exerçait la médecine à Paris vers le même temps, et plusieurs autres dont on n'a conservé que les noms, n'a point laissé d'écrits; mais il bien mérité de son art en fondant, avec l'aide de Jehan Passavant son confrère et d'un célèbre chirurgien milanais, appelé Lanfranc, qui vint enseigner à Paris en 1295, la confrérie des maîtres chirurgiens. En l'an 1304, par ordonnance du roi, «< furent semons tous li barbiers qui s'entremectent de cyrurgie, et leur fut deffendu sus peine de corps et d'avoir que ilz ne ouvrent de l'art de cyrurgie devant ce qu'ilz soient examinez des mestres de

(') Son traité des Médicaments commence ainsi :
Quæ secreta diu noctis latuere sub umbra
Clausa, verecundi signo celata pudoris,
Gesta sub involucris mentis, clarescere quærunt.

cyrurgie savoir so ilz sont suffisans au dict mestier faire. » Six maîtres chirurgiens, sous la présidence de Jehan Pitard, furent chargés de former le jury d'examen de la corporation nouvelle, à l'aide de laquelle on espérait que les barbiers, les charlatans, les femmes mêmes qui pratiquaient la petite chirurgie sans le moindre contrôle, seraient écartés d'une pratique plus sérieuse. Mais, dix années après, le roi fut obligé de renouveler son ordonnance contre les « meurtriers, larrons, faux monnoyeurs, espions, voleurs, abuseurs, alquemistes et usuriers qui se mêlent de cyrurgie, mettant des bannières à leurs fenêtres comme les vrais cyrurgiens, et pansant ou visitant les blessés. »>

Philippe le Bel eut encore deux autres médecins : Henri de Mondeville, qui a laissé un cours de chirurgie, et Ermengard de Montpellier, traducteur de traités médicaux des Arabes. On a conservé des œuvres plus importantes d'un praticien célèbre nommé Bernard Gordon, qui était natif du Rouergue et exerçait vers la fin du treizième siècle; ses deux principaux livres sont un traité « De la Conservation de la vie », et « le Lis de la médecine, ou l'art de guérir presque toutes les maladies ». Mais le savant le plus illustre de la fin du treizième siècle et du commencement du quatorzième fut Arnauld de Villeneuve; c'était un homme de la trempe de Bacon, un médecin capable, par l'étendue de son érudition, de citer dans leurs diverses langues les médecins arabes, grecs ou israélites, et capable de les discuter en s'appuyant sur l'autorité de sa propre expérience. Il fit à Paris des cours qui attirèrent la foule, mais il n'échappa point à l'accusation de sorcellerie. Obligé de cesser ses leçons, il quitta la France et trouva un asile à Naples, auprès du roi Charles II d'Anjou, dont il devint le médecin.

En dehors des formules pharmaceutiques, la chimie, au treizième siècle, était encore l'alchimie, comme l'astronomie était la prétendue science de lire dans le cours des astres celui des destinées humaines. Il serait injuste cependant de ne pas mentionner avec honneur les travaux mathématiques et astronomiques auxquels se livra le moyen âge pour calculer le temps et fixer la chronologie. Jusqu'à la fin du neuvième siècle on n'avait daté les actes publics qu'en indiquant l'année du règne du souverain en possession du trône au moment de la rédaction de l'acte; on y ajoutait ordinairement l'année de l'indiction, pur souvenir de l'empire romain dont nous avons parlé plus haut. Au dixième siècle et dès la fin du neuvième on y ajouta un nouvel élément qui devint bientôt le principal; on data les actes de « l'an de l'Incarnation de JésusChrist », c'est-à-dire de l'année à laquelle on se trouvait en comptant à partir de l'origine du christianisme; et pour mieux assurer l'authenticité des actes, comme aussi pour montrer leur science, les scribes, du onzième au quatorzième siècle, accumu lèrent dans la date des chartes qu'ils rédigeaient les indications tirées de la connaissance du cours

du soleil et de la lune, la mention de cycles solaire et lunaire, de nombre d'or, de réguliers, de concurrents, d'épactes et d'autres secrets astronomiques dont la difficulté était compliquée par l'usage, qui dura jusqu'en 4582, de commencer l'année avec le jour de Pàques, mais dont le jeu était parfaitement connu de la plupart des clercs. Aujourd'hui, la profusion des almanachs, jointe au discrédit des fêtes de l'Église, a relégué la science du comput dans les attributions d'un très-petit nombre de savants, et c'est un point, le seul peutêtre, sur lequel on peut dire que les hommes du moyen âge étaient moins ignorants que nous.

Dans un siècle organisateur de la puissance administrative comme celui de Philippe-Auguste et de saint Louis, la science qui devait trouver son plus complet épanouissement était la jurisprudence. Nous avons vu plus haut la grossière législation des Barbares (p. 446), puis celle des capitulaires (p. 499), s'implanter sur le sol de la Gaule et refouler dans les provinces méridionales ce qui restait des traditions du droit romain. Au treizième siècle, l'autorité des lois barbares et des capitu. laires était complétement effacée, et leurs dispositions n'avaient plus de pouvoir qu'à la condition de s'être fondues dans les sources nouvelles auxquelles la société féodale puisait les notions de droit, savoir le droit canonique, la coutume, les édits on établissements des souverains, et, comme autorité de raison devant laquelle on aimait à s'incliner toutes les fois que l'usage national n'y était pas contraire, la législation romaine.

Les chefs-d'œuvre de style, de clarté, de logique ingénieuse que les jurisconsultes romains avaient laissés dans leurs livres, ne furent jamais entièrement oubliés du moyen âge, même aux plus mauvais temps. Quant vint la renaissance du douzième siècle, leur étude fut reprise avec ardeur. Les compilations législatives de l'empereur Justinien furent copiées, annotées, traduites en langue vulgaire. Nos vieux praticiens citent une de ces traductions qui aurait été faite en 4135, mais qui s'est perdue; nous avons d'assez nombreux manuscrits de travaux du même genre exécutés peut-être par les ordres de saint Louis, ou certainement datant de son règne, et on cite un certain maître Michel « qui, l'an 4292, comme il le dit lui-même, translata en français les Institutes de Justinien. » On les traduisit même en vers. Les légistes dont les rois de France avaient soin de s'entourer depuis Louis VII, devenaient, à mesure qu'ils le connaissaient mieux, de passionnés admirateurs de ce droit romain où ils trouvaient, à côté de décisions utiles dans la pratique, de belles maximes, et l'habitude constante de faire découler de la couronne l'idée de toute justice et de toute puissance. Ils admiraient souvent, il est vrai, sans comprendre; en lisant le Code et le Digeste, ils transportaient sur la scène antique leurs propres idées, leurs moeurs, leurs costumes. Mais, grace à leurs erreurs involontaires et candides, ils purent faire de nombreux emprunts aux

textes antiques et s'inspirer un peu de leur esprit. Par exemple, le droit romain, qui ne favorisait pas les testaments, accordait cependant quelque faveur à tout Romain qui testait étant sous les armes, étant miles, soldat; les légistes du moyen âge tradui saient ce mot par celui de chevalier (voy. p. 262), et, à l'aide de ce contre-sens, ils acceptèrent dans la pratique des dispositions bienveillantes qu'ils auraient certainement repoussées s'il eût fallu en gratifier le serf qui suivait son seigneur à la guerre comme le seigneur lui-même.

Le droit canonique fut, pendant toute la durée du moyen âge, l'une des parties les plus imposantes et en même temps les plus bienfaisantes du système de la justice européenne. Saint Paul avait dit : « Si vous avez des différends entre vous touchant les choses de cette vie, prenez pour juges les moindres personnes de l'Église. » Et d'après cette simple phrase, les empereurs romains, après avoir embrassé le christianisme, avaient accordé aux évèques le pouvoir de juger à titre d'arbitres. La dévotion du moyen âge étendit et consolida cette juridiction de l'Église. Les évêques, et leurs cours de justice ou officialités, devinrent dès l'époque carolingienne les seuls juges de toutes les causes touchant aux sacrements de l'Église, c'està-dire touchant les naissances, les mariages et les décès. Puis, sous prétexte de connexité, ils attirèrent à eux la connaissance de toutes les affaires qui impliquaient l'examen de quelqu'une de ces trois grandes phases de la vie des individus. Ils absorberent ainsi la décision de tous les procès où il s'agissait de filiation, de légitimation, d'adoption, de conventions matrimoniales, d'adultère, de testament, et, comme appréciateurs des questions de conscience, ils y joignirent les causes dérivant de l'interprétation des contrats. Enfin, leur juridiction s'étendant sur tous les clercs, quel que fut l'objet du procès, et l'évêque ayant le pouvoir de conférer la cléricature à tous les hommes de son diocèse, il n'y avait presque pas de question judiciaire qui ne pût être portée à la barre ecclésiastique.

Si cette tendance absorbante n'avait été qu'une usurpation, elle ne fût pas allée si loin; mais dans cet envahissement, l'Église fut secondée par le vœu des populations. Les plaideurs trouvèrent toujours plus de lumières et de douceur dans les officialités que dans les justices seigneuriales, et jusqu'au temps où la royauté devint tout à fait absolue, c'est-à-dire jusqu'au quinzième siècle, la noblesse seule songeait à se plaindre du pouvoir judiciaire de l'Église et à le lui contester.

L'Église n'était pas seulement juge; elle était aussi législatrice, par la main du pape et des conciles. Dans les premiers temps du christianisme, c'étaient les fidèles eux-mêmes qui votaient en commun les canons ou règles de droit et de discipline intérieure qu'on devait observer dans le diocèse ou dans la province; mais lorsqu'au neuvième siècle le pape fut devenu tout-puissant, les lettres

émanées de sa chancellerie devinrent des lois pour tous les sujets de l'Église latine. On les appelait du nom générique de Lettres décrétales, et on les distinguait en Bulles ou Brefs, suivant le plus ou moins de solennité des formes de leur rédaction. Pour la pratique des tribunaux ecclésiastiques, il devint bientôt nécessaire de recueillir les décisions du saint-siége en formant une compilation des Décrétales, et d'établir l'enseignement du droit canonique. Dans toutes les écoles, des chaires lui furent peu à peu consacrées à côté de celles où l'on enseignait la théologie et les arts libéraux. A défaut d'un écrivain capable de publier un corps de Décrétales, de nombreux commentateurs se livrèrent à leur étude jusqu'à ce que, en 1151, un moine bénédictin nommé Gratien publiát, à Bologne, le fameux recueil de décrets pontificaux qu'il appela « Corps des décrets » (Corpus decretorum ou Concordantia discordantium canonum), mais auquel on a laissé son nom : Décret de Gratien. Ce livre, qui n'est qu'un assemblage indigeste de citations de la Bible, de canons des conciles, de décrétales vraies ou fausses, d'extraits des Pères de l'Église, de lambeaux du droit romain, et d'observations appartenant aux compilateurs, obtint, dès son apparition, une immense autorité. Le pape Eugène III (1152) ordonna qu'il fût le thème d'un enseignement spécial à Bologne, et de là il se répandit dans les écoles de l'Occident.

Après le pape Eugène III, la fécondité législative des papes fut loin de s'arrêter, et de nouveaux compilateurs essayèrent d'imiter Gratien en le complétant, et de mettre un peu d'ordre parmi la foule de ces décisions incohérentes. Le pape Grégoire IX entreprit de faire exécuter lui-même ce travail. I fit reviser et fondre en une seule toutes les compilations antérieures, envoya le nouveau recueil, qui porte le nom de Décrétales de Grégoire IX, aux universités d'Italie et de France pour être seul enseigné dans les écoles et appliqué dans les tribunaux; puis il défendit qu'on fit d'autres travaux du même genre sans la permission du saint-siége (1234). Dès l'année 1298, le pape Boniface VIII dut faire recueillir et ajouter à la suite de la compilation grégorienne, qui se composait de cinq livres (1), un supplément, auquel on donna en conséquence le nom de Sixième livre ou Sexte. Le Corps des décrétales reçut encore postérieurement plusieurs autres additions.

Quoique moins florissante en France que l'étude du droit romain ou coutumier, l'étude du droit canonique ne fut pas sans éclat. Elle produisit, vers l'époque qui nous occupe, deux grands docteurs l'un au douzième siècle, saint Yves, évêque de Chartres, que quelques-uns regardent comme le saint Yves patron des avocats; l'autre au siècle suivant, Guillaume Durand (1232-1296), évêque de Mende, qui composa plusieurs ouvrages célè

(') On en a réuni les titres en un vers:

Judex; Judicium; Clerus; Sponsalia; Crimen.

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bres de jurisprudence canonique, surtout un « Miroir du droit » ou Speculum juris, d'où lui est resté le nom de Spéculateur. L'enseignement du droit canon était aussi répandu que celui de la théologie; et dans la seule école d'Angers, on comptait jusqu'à six canonistes célèbres : Jean Dubois, André de la Haie, Gervais Hommedei, Guill. de Blaie, Etienne Bourgueil, et Clément Ademar, qui y professaient à peu près en même temps (vers 1230).

Mais les sources vives du droit de la France se trouvaient ailleurs; elles étaient dans les établissements ou ordonnances publiés par le roi pour l'administration de son royaume, et surtout dans les Coutumes. L'ordonnance, aux derniers siècles de la monarchie, était un acte spontané et absolu de l'autorité royale; mais elle n'avait été d'abord qu'un acte rendu au nom du roi par l'assemblée de ses barons, d'après leur avis et consentement. Sous ce rapport, il n'y a pas de distinction à établir entre les ordonnances et les capitulaires, et l'on ne saurait saisir le moment précis où celles-là ont changé ce caractère primitif. D'ailleurs nous n'avons qu'un très-petit nombre de règlements émanés des premiers Capétiens pour les affaires de leur royaume; et il est probable que s'il nous en est peu resté, c'est qu'il en a été peu fait. Le premier que l'on connaisse est de l'an 4057, et l'on n'en a pas plus de dix jusqu'à l'année 4490.

Beaumanoir explique, dans le chapitre de ses Coutumes de Beauvaisis consacré aux Establissements (ch..XLIX), qu'en effet les cas de force majeure, comme la guerre et la famine, pouvaient seuls donner au roi l'occasion de prendre des mesures innovatrices, et qu'en temps de paix, il n'avait ni besoin, ni droit, ni prétexte à rien changer aux coutumes du pays. « Quelques époques, dit-il, sont exceptées où l'on ne peut ni ne doit fère ce qui a esté accoutumé de long temps par droit. Si est raison que li temps de pais soit demené par les us et par les coustumes qui ont esté uzées et accoustumées de longtemps pour vivre en pais par ainsi en tel temps cascun peut fère du sien à sa volonté, si comme donner, ou vendre, ou despenser. Mais el temps de guerre et el temps que on se doubte de guerre, il convient aux rois, princes, barons et autres seigneurs fere moult de choses que s'ils les fesoient en temps de pais, ils feroient tort à leurs sougès. Mais li temps de nécessité les escuse, par quoi li rois peut fere noviaux establissements pour le commun profit de son roiaume, si comme il suit commander quant il pense à avoir à fère pour sa terre défendre ou pour autrui assalir qui li a fet tort, que rices homes et pauvres soient garnis d'armeures çascun selonc son estat, et que les bonnes villes appareillent leurs services et leurs forterèces, et que çascun soit appareillé de mouvoir quand li rois le commandera. Tous tels establissemens et autres qui soient convenables à li et à son conseil peut fere li rois pour le temps de guerre ou pour doute de

guerre à venir, et çascun baron aussi en sa terre. Or sont autres temps qu'il reconvient fère autres chozes que coustumes ne donnent en temps de pais: si comme en temps de famine. En tel temps peut-on bien restraindre que çascun ne fasse pas à sa volonté des chozes dont il est peu; car s'on souffroit que li rices homes les acetassent pour mettre en grenier et puis les retenissent sans vendre pour le temps enchérir, ce ne seroit pas à souffrir. Donques, quant avient tel temps, li seigneurs des terres peuvent commander à leurs Sougès qu'ils retiegnent tant solement des chozes dont il est besoin pour eus et leur maison l'année passer, et tout le remanant qu'ils mettent en vente selonc le droit pris que les choses valent quant elles sont en vente en plein marcié. » Et le sage jurisconsulte termine sur ce sujet en ajoutant: « Bien que li rois puisse fère noviaux establissemens, H doit moult prendre garde qu'il les face pour raisonable cause, pour le commun profit et par grant conseil; et spécialement qu'il ne soit pas fait contre Dieu, ne contre bones meurs, car s'il le fesoit (laquelle choze il ne fera jà, si Dieu plaît) ne le devroient pas si sougès soufrir, pour ce que çascun desor totes chozes doit amer et doubter Dieu de tout son cuer et pour l'onor de sainte Église; et après, son seigneur terrestre. >>

Les vieilles coutumes étaient donc, au treizième siècle, le fonds principal du droit de la France. On a vivement débattu la question de savoir si elles contenaient encore des éléments celtiques, et la tolérance habituelle des Romains à l'égard des libertés municipales permet de croire que quelques vestiges ont pu s'en conserver; mais il est d'autant plus difficile de le démontrer que nous ne connaissons à peu près rien de la législation des Gaulois. Celle des Romains est tout à fait étrangère à l'esprit coutumier. Il faut donc chercher ailleurs l'origine des coutumes. On s'accorde, en effet, à n'y voir guère que des usages germaniques modifiés par le cours des siècles et adoucis tant par le contact des Gallo-Romains que par l'influence de l'Église. Cette législation anonyme qui, s'éclairant peu à peu, a gouverné la France durant tant de siècles, vit encore aujourd'hui dans nos codes modernes, où elle s'est mariée au droit romain en apportant pour sa part des institutions qui lui étaient propres, telles que la communauté de biens entre époux, le douaire, l'émancipation par mariage, et d'autres principes également salutaires. L'origine germanique des coutumes se montre jusque dans leur distribution géographique; au dix-huitième siècle encore, on appelait les pays situés au nord de la Loire « pays de droit coutumier », et ceux qui étaient au sud de ce fleuve « pays de droit écrit ». En effet, les coutumes au midi de la Loire étaient peu importantes, peu nombreuses, et la loi romaine y était le droit commun toutes les fois que la coutume ne s'y opposait pas; au nord, au contraire, les coutumes régnaient seules au nombre de plusieurs centaines,

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tumes sont si diverses qu'on ne pourroit pas trouver el royaume de France deux chastelleries qui de touz cas usassent d'une meisme coustume. »

Le génie tenace de la féodalité aurait voulu immobiliser les coutumes; c'est pour les conserver et les empêcher de se modifier par l'effet du temps qu'au douzième siècle et aux deux siècles suivants on s'appliqua à les rédiger. L'un des jurisconsultes de saint Louis qui se livraient à ce travail, Pierre de Fontaines, s'étonnait naïvement de l'impuissance où l'on était de maintenir la loi coutumière immobile « Vous m'avez requis (c'est au roi qu'il parle) que je face un escrit selonc les us et les coustumes du pays de Vermendois et d'autres cours laïques; mais ès coustumes de Vermendois me trouvé-je molt esbahi pour ce que les anciennes coustumes que li preudhomes ça en arrière soloient tenir et user sont molt anéanties et presque totes faillies; partie par baillis et par prévoz qui plus entendent a leur volenté faire que à user des coustumes; partie par la volenté du sens qui plus s'aert (adhère) à son avis que az faits des anciens. Si que presque tout va par avis commun de quatre ou de trois homes sans exemplaire des coustumes qu'ils tiengnent, et de ces avis avient-il molt sovent que tel pert qui gaaigner devroit. Car li avis est molt perilleus qui ne suit ou loi escrite ou coustumes aprouvées, et nule chose n'est plus plaine d'estuide que de droit fère. Et por ce prié-je ceus qui orront par escrit le conseil que je donrai à votre fill, que s'il i a aucune chose trop ou poi qu'il m'aient escusé.» (Conseil de P. de Fontaines.)

En effet, la rédaction des coutumes n'était pas seulement conforme à l'esprit féodal; elle était une nécessité, car, à défaut d'écrits où elle fût

consignée, le seul moyen qu'on eût de constater la coutume était de faire, pour chaque affaire, une enquête. On rédigea donc des Coutumiers; ce fut l'œuvre des praticiens, des gens de loi, qui avaient surtout besoin de ces rédactions pour en faire l'application dans l'exercice de leur ministère. Néanmoins ces coutumiers n'avaient point de caractère officiel ; c'étaient des productions privées, des sortes de memento dont l'autorité résidait uniquement soit dans le respect dû aux jugements antérieurs qu'ils relataient, soit dans la conformité de leurs décisions avec ce que chacun savait par expérience être la coutume de sa localité. Aussi l'autorité d'un coutumier n'était pas restreinte au territoire où il avait été rédigé. Comme il contenait de simples avis, des solutions proposées aux juges et aux parties, et non des prescriptions impératives, et que d'ailleurs un certain fonds d'analogie régnait entre toutes les coutumes françaises, la coutume écrite pour une contrée s'adaptait facilement à d'autres. On s'explique ainsi que les manuscrits du Coutumier de Beauvaisis, composé par Beaumanoir, soient écrits les uns en dialecte de l'Ile-deFrance, les autres dans la langue de l'auteur, en dialecte picard. On comprend de mème comment les anciens coutumiers renferment une foule de dispositions tirées, plus ou moins à propos, des livres de droit romain.

Aucun de nos coutumiers n'est antérieur à la fin du onzième siècle; et ceux qui remontent aussi haut, par une particularité digne de remarque, n'appartiennent point à la France elle-même, mais à des colonies françaises : ce sont les Coutumes anglo-normandes publiées en Angleterre par Guillaume le Conquérant (voy. p. 236), et le recueil des lois féodales émané des premiers rois de la Palestine, les «< Assises de Jérusalem ». C'est que les œuvres naissent du besoin qu'on en a, et que les légistes, au onzième siècle, n'étaient pas assez habiles pour rédiger des ouvrages qui n'étaient pas encore indispensables, puisque chacun dans sa classe étant appelé à rendre journellement la justice à ses pairs, la coutume vivait dans la conscience de tous. Mais lorsqu'une armée conquérante, transportée loin de la mère patrie, prenait le parti de s'établir sur les lieux dont elle s'était emparée et de vivre au milieu des vaincus, c'était alors une absolue nécessité pour elle de faire connaître les règles administratives et judiciaires que suivaient les vainqueurs, et les droits qu'ils entendaient se réserver.

Après les Coutumes anglo-normandes et les Assises de Jérusalem, nos plus vieux coutumiers sont :

Celui de Vermandois, rédigé par Pierre de Fontaines, bailli de cette province, et plus connu sous le titre de Conseil de Pierre de Fontaines.

Les « Établissements de saint Louis », rédaction privée des usages de Paris et de l'Orléanais, qui a passé longtemps, mais tout à fait à tort, pour être un code législatif émané du prince dont il

porte, le nom. Les coutumes réglaient souverainement toutes les questions de droit, et il n'y avait pas besoin sous saint Louis de législation édictée par le prince, qui d'ailleurs ne songeait pas à s'arroger l'exécution d'un acte aussi considérable.

Le « Grand Coutumier de Normandie », écrit en latin, mais dont il existe des traductions françaises du treizième siècle; l'une d'elles est en vers, ce qui semble indiquer qu'on cherchait à l'apprendre par cœur.

Le livre « De Forme de plait et des us et des coustumes des assises d'Outremer et de Jherusalem et de Cypre», par Philippe de Navarre.

Le Livre de la reine Blanche », compilation formée de quatre livres, dont le premier contient le Conseil, le troisième la Coutume de Normandie, le second et le quatrième des Textes traduits du droit romain.

Les « Coutumes de Champagne et de Brie », attribuées au comte Thibaud, roi de Navarre.

Le « Livre de justice et de plet »>, contenant particulièrement les coutumes d'Orléans et celles de « l'hôtel du roi », rédigées à la fin du treizième siècle.

Les « Constitutions du Châtelet de Paris », ouvrage de procédure rédigé à la même époque.

Les « Coutumes de Beauvaisis », dues à la plume de Beaumanoir, et qui portent la date de l'année 4283. (1)

S'il nous est resté peu de renseignements sur la vie des chroniqueurs et des poëtes dont nous avons passé les œuvres en revue, il en est à peu près de mème des légistes. On ne possède aucun détail sur la personne de Pierre de Fontaines, par exemple, quoiqu'il fût l'un des principaux conseillers de saint Louis.

L'homme du treizième siècle qui prenait en main la plume de jurisconsulte n'était pas un humble clerc, ni un savant absorbé dans une vie d'étude. Ce devait être un homme autorisé par le mérite, par de hautes fonctions, par le renom militaire. Les baillis royaux, qui étaient les grands officiers de justice du temps, étaient aussi des généraux qui commandaient les armées, des administrateurs qui entretenaient les forteresses et les domaines du roi, des comptables qui géraient ses finances. La discussion et la pratique du droit étaient pour les guerriers une sorte de récréation intellectuelle dans les intervalles que souffrait la guerre, ou de retraite et de repos au temps de la vieillesse. «Il advint que je fu au premier siége de Damiette (2), avec messire Pierre Chape», dit Philippe de Navarre, en parlant du temps où il n'était encore qu'un jeune écuyer au service de ce

(') Sur l'histoire de l'ancien droit français, voy. les travaux de Pardessus, Klimrath, Championnière, et de MM. Beugnot, Laferrière, Laboulaye, Ch. Giraud. Toutefois, nous n'avons pas encore d'œuvre capitale sur cette matière.

(*) Siége et prise de Damiette, en l'année 1218, par Jean de Brienne, roi de Jérusalem.

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