Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][graphic][subsumed][subsumed][subsumed][merged small]

tournent sans oser la traverser. Elles s'excusèrent auprès des lieutenants de César sur les raisons qu'elles avaient de craindre que les Bituriges ne les trahissent; et les Romains pensèrent qu'Édues et Bituriges étaient prêts à trahir de concert la cause de César. Les Bituriges, aussitôt les Édues retirés, se joignirent aux Arvernes.

César apprend ces nouvelles à Rome; il accourt en toute håte, et, dès ses premiers pas dans la Gaule, il reconnaît que le désespoir a multiplié les forces et l'habileté des vaincus. Leur plan, par son formidable ensemble, menaçait de détruire en détail ses troupes dispersées, au nord, dans leurs quartiers d'hiver, et il ne savait ni comment les réunir, ni comment les aller joindre. Cependant Luctère,

le lieutenant de Vercingétorix, avait gagné les Rutènes (Rodez) à la cause nationale; il y avait forcé ensuite les Nitiobriges et les Gabales (Agénois et Gévaudan); enfin il s'avançait à la tète d'une armée nombreuse pour faire irruption dans la province romaine, du côté de Narbone. César courut où l'appelait le danger le plus pressant, à Narbone mème. Là, il rassure ceux qui déjà tremblaient, établit des postes autour de la ville, en envoie d'autres plus loin, jusque chez les Tolosates et chez ceux des Rutènes qui faisaient partie de la Province; puis il concentre chez les Helviens (Vivarais) tout ce qu'il peut rassembler de soldats. Luctère, arrêté dans ses projets, se retire.

César passa de suite chez les Helviens. Il n'avait

qu'à franchir les Cévennes pour se trouver chez les Arvernes; mais l'obstacle paraissait infranchissable, car on était alors dans la saison la plus rigoureuse de l'année, et il y avait six pieds de neige dans les montagnes. Les soldats romains, au prix de fatigues inouïes, se frayèrent un passage dans des lieux qui n'étaient jamais accessibles en cette saison, mème à des voyageurs isolés, et tombèrent à l'improviste chez les Arvernes, qui se croyaient aussi en sûreté derrière les Cévennes qu'à l'abri du plus ferme rempart. Aussitôt la cavalerie romaine se répandit aussi loin que possible, portant la terreur avec elle. Vercingétorix, qui était encore dans son camp chez les Bituriges, vit à cette nouvelle les soldats arvernes accourir en foule, se presser autour de lui et le supplier de retourner sur ses pas pour défendre leurs foyers. Le grand chef des Gaulois s'y refusait; mais il se laissa toucher par leurs prières, et se dirigea vers le pays arverne. César, sûr à l'avance de ce mouvement rétrograde, n'était resté que deux jours chez les Arvernes, et, y laissant les troupes qu'il avait amenées, il était parti seul pour Vienne, ville des Allobroges; de là, traversant sans s'arrêter le pays des Édues (Autun), il arriva chez les Lingons (Langres), où deux légions étaient cantonnées, et fit avertir les autres légions de le joindre. Mais Vercingétorix apprend ce qui se passe, et, usant de ruse à son tour, il vient mettre le siége devant Gorgobine (Moulins), ville des Boïes, cette même tribu qui avait joué un rôle dans la grande invasion des Helvètes, et dont nous avons raconté l'installation à titre de sujets chez les Édues.

Cette expédition jeta César dans une grande perplexité. Garder ses légions autour de lui et laisser accabler une faible peuplade de ses alliés, c'était inviter les Édues et le reste de la Gaule à faire ouvertement défection, puisqu'il était impuissant à protéger ses amis; d'autre part, se mettre en pleine campagne pendant l'hiver, c'était s'exposer à manquer de vivres. Le général romain jugea qu'il fallait braver tous les obstacles plutôt que de subir un échec moral. Il pressa les Édues de lui envoyer des subsistances, fit prévenir les Boïes de se comporter avec courage en comptant sur sa prochaine arrivée, et, laissant deux légions dans Agendicum (Sens) à la garde des bagages, il partit.

Le lendemain il était devant Vellaunodunum, ville des Sénons, et fit, en deux jours, les lignes d'investissement, ne voulant laisser derrière lui aucun ennemi qui pût gêner ses approvisionnements. Le troisième jour, la place ayant demandé à capituler, il se contenta d'exiger qu'elle livrât ses armes, ses chevaux et six cents otages. Il laisse un de ses lieutenants pour faire exécuter la capitulation, et continue sa marche rapide. Le lendemain au soir, il arrive devant Genabe (Orléans), cette ville des Carnutes qui avait donné le signal de la guerre en massacrant les Romains qui s'y trouvaient. Les habitants se préparaient à la défense, ils rassemblaient leurs troupes; mais ils ne

comptaient pas sur une attaque aussi soudaine, et, désespérant de pouvoir résister à l'assaut, ils commencèrent, un peu avant minuit, à défiler en silence par le pont qu'ils avaient sur la Loire pour s'échapper à la faveur des ténèbres. César avait prévu leur dessein et donné l'ordre à deux de ses légions de veiller sous les armes. Dès qu'averti par ses éclaireurs, il fut certain que les Gaulois se retiraient, il lança ses hommes, qui brûlèrent et enfoncèrent les portes, s'emparèrent de la ville; la plupart des Gaulois furent pris, et peu s'en fallut qu'ils ne le fussent tous, parce que le peu de largeur du pont et des routes avait fermé la fuite à la multitude; Genabum fut livré à la soldatesque et horriblement saccagé.

César passa la Loire et se mit en devoir d'aller faire le siége de Noviodunum, ville située sur son passage et comprise dans le territoire biturige. Les habitants vinrent à sa rencontre lui demander la vie; et comme il voulait avant tout arriver devant Gorgobine avec cette rapidité qui lui avait toujours réussi, il les reçut à composition, et se contenta d'exiger d'eux leurs chevaux, leurs armes et des otages. Une partie de ces derniers étaient livrés, et des centurions romains étaient dans la ville, occupés de la remise des armes et des chevaux, lorsqu'on vit accourir au loin la cavalerie gauloise. C'était Vercingétorix, qui avait levé le siége de la ville des Boïes et se rendait lui-même au-devant des Romains, avec une telle promptitude que ni amis ni ennemis n'en avaient eu la nouvelle. Aussitôt qu'ils l'aperçurent, les habitants reprirent courage, chassèrent les centurions, fermèrent les portes et se postèrent sur le rempart. César fit sortir sa cavalerie contre celle des Gaulois; mais ceux-ci ayant le dessus, il fut obligé de la faire appuyer par six cents cavaliers germains qu'il avait pris à sa solde. Les Gaulois, fatigués d'une marche rapide, ne purent soutenir le choc, et se replièrent sur le gros de leur armée. A cette vue, les habitants de Noviodunum s'effrayèrent de nouveau; ils s'emparèrent de ceux d'entre eux qui passaient pour avoir violé la première capitulation, les livrèrent à César et firent leur soumission. Les Romains levèrent leur camp et prirent la direction d'Avaricum (Bourges), la place la plus importante et la plus forte du pays des Bituriges.

Après ces malheurs arrivant coup sur coup, Vercingétorix assemble les siens en conseil. Il leur démontre qu'il faut conduire cette guerre d'une manière toute différente qu'on ne l'a fait jusqu'à présent. «Par tous les moyens, dit-il, il faut tendre à ce but, que les Romains ne puissent avoir ni fourrages ni vivres. Cela est facile, puisque nous avons beaucoup de cavalerie et que la saison nous favorise, car il n'y a point encore de fourrage à couper. Les ennemis seront forcés de se disperser au loin pour en aller chercher dans les maisons, et tous ceux-là pourront être anéantis chaque jour par nos cavaliers. Ce n'est pas tout: quand il s'agit du salut, il n'y a plus à penser au bien-être do

mestique; il faut brûler les bourgs et les habitations dans tout l'espace qui s'étend depuis le pays des Boies jusqu'aux lieux vers lesquels on peut supposer que les Romains s'étendront pour fourrager. Il faut mème brûler les places fortes qui ne sont point, et par leurs fortifications et par la disposition des lieux, à l'abri de tout danger, afin de ne pas diminuer l'armée par des garnisons, et de ne

Elévation sur o. p.

P

Camp romain de Benouville (Calvados).

pas tenter les Romains de s'en emparer pour y prendre des vivres et du butin. Si ces mesures vous paraissent pénibles ou cruelles, je pense qu'il vous sera bien plus amer encore de voir vos enfants et vos femmes traînés en esclavage et d'ètre tués vous-mêmes; car tel est nécessairement le sort des vaincus. >>

Tous approuvèrent cet avis, et plus de vingt bourgades des Bituriges furent incendiées en un seul jour. On fit de même dans le reste du pays, et les Romains ne voyaient plus que flammes autour d'eux. C'était une grande douleur pour les populations; mais l'espérance de la victoire les consolait. Restait Avaricum (Bourges), la capitale des Bituriges, dont la perte ou la conservation furent discutées dans le conseil. Les Bituriges se jetérent aux pieds des autres Gaulois, suppliant qu'on ne

les obligeât pas à brûler de leurs propres mains une ville la plus belle de presque toute la Gaule, la force et l'ornement de leur république. Ils représentèrent qu'entourée de toutes parts d'eau courante ou de marais, excepté du côté d'une avenue étroite par laquelle on y pénétrait, elle pouvait être facilement défendue. Le conseil exauça leurs prières, malgré Vercingétorix, qui s'y opposa d'abord, mais qui finit par céder à leurs supplications et à la pitié des assistants.

Le siége d'Avaricum est un des épisodes mémorables de cette guerre, qui durait depuis sept ans, et dans laquelle les Gaulois commençaient à se façonner à la tactique. « C'est une race extrêmement adroite, dit César, et très-apte à imiter et à faire tout ce que les autres peuvent inventer. >>

Les Bituriges tinrent parole à leurs compatriotes: avec une intelligence et une opiniàtreté auxquelles l'ennemi même rendit hommage, ils combattirent les légions et résistèrent longtemps aux terrassements, aux mines, aux machines savantes. Vercingétorix, posté à quelques lieues, au milieu des bois et des marais, inquiétait les mouvements de l'armée romaine, lui coupait les vivres, et la disette devint si pressante que César proposa aux siens de lever le siége; mais les légions préférèrent tout souffrir plutôt que cet affront. Une fois les Romains crurent surprendre Vercingétorix, et après avoir marché toute la nuit en silence, se présentèrent le matin devant son camp; mais le général gaulois était sur ses gardes, et, prévenu à temps par ses éclaireurs, il plaça ses troupes dans une position si avantageuse que César en personne s'en retourna sans oser l'attaquer. Les assiégés croyaient au succès de leurs efforts, et l'armée de Vercingétorix leur envoya mème un corps de dix mille hommes, en partie pour les renforcer, en partie pour que les Bituriges n'eussent pas seuls l'honneur de la victoire. Les marais, en effet, entouraient la ville de telle sorte que les lignes romaines n'avaient pas pu l'envelopper, et qu'elle conservait ses communications libres. César s'était donc borné à faire élever, du seul côté par où elle était abordable; un terrassement qui, au bout de vingt-cinq jours, avait atteint une étendue de trois cent trente pieds, sur quatrevingts pieds de hauteur. Cet ouvrage, formé de bois et de terre, et protégé par deux hautes tours, touchait presque aux murs de la ville et devait servir à les escalader; mais à mesure qu'il grandissait, les assiégés élevaient également leurs défenses; leur habileté dans le travail des mines, abondantes en leur pays, était pour eux d'une grande ressource. Ils surent, par un travail souterrain, mettre le feu au retranchement. L'incendie éclata au milieu de la nuit, et aussitôt une partie des assiégés coururent aux remparts pour activer le feu, en jetant du haut des murs de la poix et d'autres matières combustibles, tandis que les autres dirigeaient deux sorties. Le combat durait encore de tous les côtés quand le grand jour parut; mais l'armée romaine eut le temps de sortir

[graphic]
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][graphic][subsumed][merged small][graphic][graphic][subsumed][merged small]

Camp romain; plan consulaire. D'après Polybe.

[ocr errors]

A, porte prétorienne. B, porte décumane. C, porte principale gauche.

D, porte principale droite. E, prétoire. H, cavalerie romaine. - I, les triaires. K, les principes et les vélites. - L, les hastats.-M, cavalerie des alliés. N, infanterie des alliés. O, P, garde à cheval et à pied du consul et du questeur. Q, cavalerie supplémentaire des alliés. S, étrangers ou alliés. - 1 à 12, tentes des douze tribuns. -a à l, tentes des préfets des alliés.

s'acquitte de la même manoeuvre; il est tué de la même manière par un coup de scorpion, et un troisième lui succède; puis au troisième un quatrième, et ainsi de suite le poste ne fut abandonné par ses défenseurs qu'au moment où l'incendie de la terrasse étant éteint, et les assiégés débusqués de tout ce côté, on cessa de combattre. » Voyant leur espérance déjouée, et pressés d'ailleurs par les instances et les ordres de Vercingétorix, les défenseurs d'Avaricum se résolurent à abandonner la place et à gagner, à la faveur de la nuit et des marais, les quartiers du général en chef, qui n'étaient pas éloignés; mais comme ils allaient partir, les femmes sortirent tout à coup des habitations, se jetèrent à leurs pieds, les conjurerent de ne pas les livrer sans défense à la brutalité romaine, et comme ils persistaient dans leur résolution, elles commencèrent à pousser des clameurs lamentables, qui avertirent les Romains de ce qui

se passait. La retraite était dès lors impossible, et les Bituriges y renoncerent. Le jour suivant, servis par un orage, les Romains pénétrèrent enfin dans Avaricum. Huit cents hommes environ purent s'échapper; le reste de la population, quarante mille personnes, fut livré à une horrible boucherie; tout fut tué.

Vercingétorix recueillit les fugitifs; il avait eu la précaution d'envoyer au-devant d'eux, et de distribuer sur leur chemin des chefs ou des gens sûrs, pour isoler les fuyards et les disséminer dans les quartiers respectifs de leurs nations; car leur arrivée en masse dans le camp aurait pu y produire un déplorable effet. César n'avait que les Gaulois à combattre; Vercingétorix, sous les yeux de l'ennemi, avait sans cesse à lutter, dans son camp même, contre l'esprit de rivalité, de méfiance et d'indiscipline. Pendant le siége d'Avaricum, ses soldats l'avaient un jour accusé de trahison; après

[merged small][merged small][merged small][merged small][subsumed][merged small][merged small][graphic][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][merged small]
[ocr errors]

2, murailles extérieures.

[ocr errors]
[ocr errors]

Plan du camp romain, ou camp de César, à Jublains (Mayenne) ('). D'après les Collectanea antiqua, t. III. 1, entrée actuelle du village. 3, tour carrée au centre de la muraille S.-E., vis-à-vis la porte principale du château.-4, tour. -5, brèche sur le côté de l'ancienne entrée entre les deux tours. - 6, poterne. -7, entrée moderne en brique. 8, espace libre, de 50 pieds, entre les murs et la forteresse intérieure: on pouvait y camper mille hommes. 9, chaussée ou rempart en terre entourant la forteresse intérieure, haute de 1m,80 à 2 mètres, large de 6m,20 à la base. -10, porte de pierre dans la chaussée. -11, cour intérieure, ou cour de la forteresse intérieure. 12, partie de la cour extérieure non déblayée. 13, conduits en maçonnerie venant du mur 22, et traversant la fondation de l'aqueduc. 14, atrium, ou cour principale de la forteresse couverte (pouvant servir de quartiers à la garnison). 15, impluvium, cour centrale de l'atrium en partie couverte. 16, conduits en maconnerie pour faire circuler l'eau de l'impluvium. 17, puits. 18, base d'autel ou de statue dans l'impluvium. 19, 20, appartements formant tours à l'extérieur. 21, tours angulaires destinées à fortifier les angles sud-est. 22, autre construction partageant la muraille et servant de cloaque. 23, 24, fourneau et bains. 25, appartements avec fourneaux. 26, autre puits dans la cour intérieure du château. 27, citerne. 28, deux chambres. On a trouvé dans l'une d'elles des grains de blé que l'on conserve au Musée de Laval. 29, brèche moderne dans les murs du camp.

[ocr errors]

leurs armes en signe d'applaudissement à son discours, et se préparèrent à de nouveaux dangers. Léur chef obtint d'eux pour la première fois, en cette circonstance, qu'ils fortifiassent leur camp par des retranchements à la romaine, travail pour lequel ils avaient une extrême répugnance.

Vercingétorix ne leur faisait pas dé vaines promesses. Pendant le siége d'Avaricum, et pendant

(') Les ruines de Jublains sont situées à douze kilomètres de la petite ville de Sainte-Suzanne, et non loin de la cité des Arviens (Vagoritum).

le temps que les Romains y restèrent ensuite pour réparer leurs fatigues, c'est-à-dire jusqu'à l'arrivée de la belle saison, il s'était activement occupé de combler les vides que la guerre venait de faire dans ses cadres, d'appeler à lui tous les bons tireurs d'arc de la Gaule, et d'obtenir l'adhésion de toutes les cités gauloises. Des peuplades éloignées, et soumises depuis un demi-siècle aux Romains, embrassaient sa cause. Teutomat, roi des Nitiobriges, dont le père avait reçu du sénat romain le titre d'ami, vint le joindre avec les cavaliers de sa na

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

« PreviousContinue »