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l'entrevue de Cluni. Mais, à cette époque, le roi était tout entier à ses préparatifs de croisade, et l'alliance de l'empereur, ainsi que le secours de ses lieutenants en Palestine, lui étaient trop nécessaires pour qu'il put songer à rompre avec lui. Il employa, au contraire, tous ses efforts pour persuader à Frédéric de faire la paix avec Innocent IV. Le moment était favorable : l'empereur était sérieusement inquiet de l'avenir; l'opiniâtreté et l'habileté du pape à lui susciter toujours de nouveaux ennemis commençaient à ébranler son courage. Sa vie mème n'était pas en sûreté; il venait de découvrir, à Grosseto, une conspiration contre sa personne, et n'avait pas craint de publier partout que les assassins étaient des émissaires d'Innocent IV. Ces accusations excitèrent au plus haut degré la colère du pape; il donna la couronne impériale au landgrave de Thuringe Henri Raspon, convoqua la diete germanique pour confirmer son choix, et autorisa les croisés à accomplir leurs vœux en combattant en Allemagne pour le nouvel empereur.

Louis employa tout son crédit pour obtenir le pardon de l'empereur, qui consentait, en expiation de ses fautes, à passer le reste de sa vie en Palestine, et à se démettre de sa couronne en faveur de son fils Conrad; mais les supplications du roi de France furent inutiles. Pendant toute l'année 4246, la puissance de l'empereur alla s'affaiblissant de plus en plus en Allemagne; l'anticésar Henri Raspon avait remporté une victoire éclatante sur Conrad, fils de Frédéric, et les prédications des dominicains et des franciscains avaient amené de nombreuses troupes en Allemagne.

Toutefois, en 4247, la fortune de Frédéric II se releva; le roi des prêtres (tel était le surnom donné à son compétiteur), complétement battu par Conrad avant d'avoir pu se faire couronner à Aix-la-Chapelle, alla mourir de chagrin dans ses États.

Le pape, déçu dans son espérance, eut ensuite une lutte à soutenir contre les barons français, dont les exactions tarissaient toutes les sources des revenus ecclésiastiques, et qui se montraient mécontents aussi de voir les juridictions épiscopales parvenues à s'attribuer peu à peu la décision de presque toutes les causes. Ils résolurent de s'armer pour recouvrer leurs droits de juridiction et le profit des amendes qui en résultaient. A leur tête se trouvaient les comtes de Bourgogne, de Saint-Pol et d'Angoulême. Un traité d'alliance fut signé entre les barons, et le roi lui-même consentit à y apposer le sceau royal. Mais le pape, se prévalant du peu de science des confédérés dans toutes les questions d'histoire et de législation, réfuta leurs prétentions, et excommunia tous ceux qui persisteraient à faire partie « de cette conjuration inouïe ». Ces menaces eurent bientôt leur effet : quelques-uns des barons se soumirent; les autres, intimidės par l'attitude du souverain pontife, ne poussèrent pas plus loin leurs tentatives de révolte contre son autorité.

Au milieu de tous ces déchaînements de haines et d'ambitions, le roi de France. continua à soutenir partout son rôle conciliateur. La Flandre était déchirée par la querelle des d'Avesnes et des Dampierre; Louis IX, choisi comme arbitre par Marguerite, comtesse de Flandre, parvint à calmer pour quelque temps l'animosité des partis par une décision équitable. Il donnait le comté de Flandre aux Dampierre, et le comté de Hainaut aux d'Avesnes. En même temps, il persuadait au comte de Toulouse, qui venait encore d'éprouver un refus dans sa tentative pour obtenir la fille du roi d'Aragon, de le suivre à la croisade. Il lui donna même, dans cette intention, une somme d'argent considérable, et lui promit la restitution du duché de Narbonne. Raymond VII se croisa, et avec lui une foule de chevaliers languedociens victimes de la dernière guerre. Raymond - Trencavel lui-même suivit leur exemple, et consentit à renoncer à l'héritage de son père, Raymond-Roger, moyennant une pension de 50 livres par mois. Au prix de ce léger sacrifice, Louis IX assura pour toujours la souveraineté de sa famille sur les vicomtés de Béziers, de Carcassonne, d'Agde, de Rasez, d'Albi et de Nimes.

SEPTIÈME CROISADE.

Non content de chercher en France des compagnons d'armes pour l'expédition qu'il projetait de faire en terre sainte, le roi voulut encore, dans l'intérêt de son projet, établir des relations avec les contrées les plus éloignées de ses États. Haccon, roi de Norvége, venait de se croiser; Louis lui envoya en ambassade le chroniqueur Matthieu Paris pour le prier de mettre à la disposition des pèlerins français ses nombreux vaisseaux, et de prendre le commandement de sa propre flotte. Cette négociation, dont l'heureuse issue était d'une grande importance, échoua par le fait du pape. Le roi de Norvége était båtard, et avait pris la croix afin d'obtenir que sa naissance fût légitimée par le souverain pontife. Innocent IV, qui avait en ce moment besoin de sommes immenses pour soutenir son protégé, l'empereur Guillaume de Hollande, consentit à accorder à Haccon sa demande, moyennant une somme de vingt mille marcs sterling. Il le dispensa en même temps de son pèlerinage en Orient, et l'autorisa à accomplir son vœu en faisant la guerre aux nations païennes voisines de son royaume.

Cependant la Palestine attendait avec angoisse des défenseurs. Elle ne se ressentait déjà plus de ce que la croisade de Richard de Cornouailles avait apporté de bienfaits. L'invasion des Kharismiens rendait plus précaire que jamais l'existence des établissements chrétiens. Refoulés par les Tartares mongols, ils avaient passé comme un torrent sur la Mésopotamie, et étaient arrivés en 4244 à Jérusalem. Les habitants, qui avaient quitté précipitamment cette ville, furent rappelés sur leurs pas par

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valiers à la croisade. Le jour de Noël en ayant attiré un grand nombre à Paris, car c'était l'époque où ils se réunissaient en parlement, tous se rendirent ensemb: à la Sainte-Chapelle pour assister à la messe de nuit et reçurent du roi, suivant la coutume, des robes neuves; mais quand le jour parut, ils furent bien étonnés de voir des croix rouges cousues sur leurs habits. Aucun pourtant n'osa protester, et tons s'engagèrent à remplir courageusement leur vou involontaire.

Le vendredi 12 juin 1248, le roi se rendit en grande pompe à Saint-Denys, pour y prendre l'oriflamme de France, et, des ce moment, son pèleri

(') Construites d'après le 'ésir de Louis IX, sous le règne de son Gils Philippe le Har. i.

nage commença. Il se dirigea vers l'Orient, accompagné de la reine Marguerite sa femme et de ses frères les comtes d'Artois et d'Anjou. Les autres barons, dont les principaux étaient Pierre Mauclere comte de Bretagne, le comte de la Marche, le duc de Bourgogne, et les archevêques de Reims, de Sens et de Tours, partirent séparément et s'embarquèrent dans différents ports. Le roi traversa Lyon, vit le pape, et fit une tentative aussi inutile que les précédentes pour lui persuader de mettre en oubli ses griefs contre l'empereur. La ruine de la maison de Hohenstaufen avait été décidée dans le cœur d'Innocent IV, et rien ne put ébranler son inflexible volonté. Le roi descendit ensuite la vallée du Rhône et arriva à Aigues-Mortes. Cette petite ville, achetée à une abbaye de Bénédictins du voisinage, avait

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été agrandie, fortifiée, jointe à la mer par un canal, et ce fut dans son port, à peine achevé, que Louis s'embarqua pour Chypre, choisi comme point de ralliement par les croisés. L'inimitié du pape et de l'empereur fut cause que ce dernier ne permit pas aux croisés de relâcher en Calabre ou en Sicile. Beaucoup de croisés se trouvèrent retardés par suite de ces difficultés, ainsi que par les vents contraires, et il fallut passer l'hiver en Chypre au lieu d'attaquer immédiatement l'Égypte, comme on l'avait espéré, sans laisser aux musulmans le temps de faire leurs préparatifs de défense.

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Quand nous arrivâmes en Chypre, dit Joinville, le roi y était déjà. Nous trouvàmes grande abondance de provisions pour le roi; c'est à savoir les celliers, les deniers et les greniers. Les celliers du roi étaient attachés les uns aux autres; c'étaient de grands amas de tonneaux de vin que les gens du roi avaient achetés deux ans avant que le roi ne vînt. Ils les avaient mis au milieu des champs, près du rivage de la mer, et les avaient placés les uns sur les autres, de manière que, vus de face, il semblait que ce fussent des granges. Ils avaient mis par monceaux, au milieu des champs, les blés et les orges; et quand on les voyait, il semblait que ce fussent des montagnes, car la pluie, qui avait battu les blés depuis longtemps, les avait fait germer dessus, si bien qu'il n'y paraissait que de l'herbe verte. » L'art de la guerre faisait des progrès; l'on ne partait plus pour des pays éloignés sans approvisionnements assurés à l'avance.

Le roi avait précédé la plupart de ses barons, et quand toute l'armée se trouva réunie, la mauvaise saison étant arrivée, il n'osa pas compromettre le succès de l'expédition en s'embarquant sur une mer orageuse. Pendant l'hiver, les ambassadeurs du kan des Mongols vinrent lui proposer une alliance avec leur maître. Le roi, tout entier à sa foi, ne vit dans ces avances qu'une occasion de convertir ces barbares au christianisme. Il envoya

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quis, qui nous a conservé la relation de son voyage. Avec leurs instructions pieuses, ils portaient au prince sarrasin «< une tente faite en forme de chapelle, où le roi avait fait entailler par images l'Annonciation de Notre-Dame et tous les points de la foi». Les ambassadeurs restèrent deux ans à accomplir leur vaine mission.

Quelque temps après arriva l'impératrice de Constantinople. Le vaisseau qui la portait avait fait naufrage; elle n'avait conservé de son bagage que la robe dont elle était vêtue. Le sire de Joinville, pour qu'elle pût paraître décemment en présence du roi, fut obligé de lui fournir << du drap pour faire une robe, et la panne de vert avec, ainsi qu'une tiretaine et le taffetas pour fourrer la robe ». Elle venait implorer en faveur de son mari le secours du roi. Baudouin II était à bout de ressources, et le dernier chevalier de l'armée de saint Louis était plus riche que l'empereur latin. Assiégé par ses sujets grecs dans Constantinople, il avait vendu jusqu'au plomb qui couvrait le toit de ses palais et de ses églises pour se procurer des ressources. Le roi, qui avait besoin de tous ses compagnons pour son entreprise, fut obligé, malgré lui, de repousser les demandes de la malheureuse impératrice, et de lui donner seulement l'espoir, qu'il ne put réaliser, de lui envoyer deux cents chevaliers au retour de sa croisade.

Enfin l'armée s'embarqua au printemps et, favorisée par un beau ciel, arriva rapidement en vue de Damiette. Les troupes du soudan étaient rangées sur la plage : « C'était moult belles gens à regarder, car le soudan portait des armes d'or sur lesquelles le soleil frappait et qu'il faisait resplendir. Le bruit que les Sarrasins faisaient avec leurs nacaires (timbales) était épouvantable à entendre. » Le temps s'étant trouvé favorable pour un débarquement, les Français n'attendirent pas et s'élançèrent joyeusement sur le rivage. Le roi avait donné l'exemple: dès qu'il avait vu l'oriflamme de SaintDenys à terre, il était entré dans l'eau jusqu'aux épaules pour gagner la plage. Les Sarrasins n'opposèrent qu'une faible résistance, et se retirérent sur Damiette, où ils n'attendirent pas l'ennemi. L'armée croisée s'y établit sans coup férir; mais, au lieu de poursuivre ses avantages, elle commit la faute de s'arrêter à Damiette jusqu'à l'arrivée d'Alphonse de Poitiers. Nodgemeddin avait eu le temps de rejoindre son armée, et on allait être aux prises avec un ennemi plus nombreux et mieux préparé.. Les croisés remontèrent enfin le Nil et se dirigèrent sur le Caire; leur flotte les suivait et assurait les approvisionnements. Ils arrivèrent sans obstacle jusqu'au canal Ashmoun, dont l'ennemi gardait le passage. On ne put d'abord trouver de gué, et on perdit un temps considérable à établir une chaussée dans le lit très-profond du canal. Les Turcs postés sur la rive opposée détruisaient tous les travaux. Ils lançaient du feu grégeois sur les "tours de bois établies par les chrétiens que cet engin, inconnu d'eux, remplissait d'effroi. « La ma

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Aumonière de croisé, donnée par Pierre Mauclerc à l'abbaye de Saint-Yvert de Braine. (Treizième siècle.)

Le comte d'Artois, entraîné à leur poursuite, était entré avec eux dans la ville de Mansourah, Le premier moment de surprise passé, l'ennemi s'était retourné, et, voyant le petit nombre des chrétiens, avait repris l'offensive sous la conduite de Bondochar, chef des Mameluks. Robert d'Artois et les chevaliers qui l'avaient suivi, après une longue résistance succombèrent sous le nombre des ennemis, et presque tous périrent. Le roi, ignorant le sort de son frère, avait passé la rivière, et toute l'armée était entrée en ligne : il fut bientôt attaqué par les Turcs. « Louis IX paraissait audessus de tous ses gens depuis les épaules jusqu'à

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la tête, un heaume doré sur son chef et une épée d'Allemagne à la main. » Six Turcs parvinrent jusqu'à lui et, prenant la bride de son cheval, voulurent l'emmener prisonnier. Le roi, sans se laisser effrayer, s'en délivra« par les grands coups d'épée qu'il leur donna ».

La plus grande confusion régnait cependant au milieu de l'armée croisée; beaucoup de chevaliers croyant leurs compagnons en déroute avaient repassé le fleuve. Beaucoup n'avaient pas fait leur devoir, et, dit Joinville, « nous n'en pûmes oncques retenir un seul près de nous. Je les nommerais bien, mais je m'en tairai parce qu'ils sont morts ». L'he

roïque conduite de ceux qui resterent sauva l'armée. Les Turcs, ne pouvant vaincre leur résistance, battirent en retraite, et l'honneur de la journée fut pour les chrétiens. Mais la victoire avait été chèrement achetée. Le comte d'Artois, le grand maître des Hospitaliers, le comte de Salisbury, une foule d'autres, avaient été tués. Parmi les survivants, la plupart étaient blessés et ne pouvaient plus supporter le poids de leur haubert. L'armée, incapable de continuer les opérations offensives, dut s'arrèter pour se refaire.

Cette inaction enhardit les Sarrasins; TuranShah répandit le bruit de la mort du roi et représenta aux siens les croisés comme réduits aux

dernières extrémités. Les Turcs encouragés attaquèrent le camp. Pour la seconde fois, ils furent repoussés; mais les chrétiens subirent de nouveau des pertes considérables, et ils reconnurent que l'ennemi s'était montré plus acharné que dans la première rencontre. Le comte de Poitiers avait failli tomber entre les mains des Sarrasins; ils l'emmenaient déjà. « Quand les bouchers, les autres hommes et les femmes du camp ouirent cela, ils jetèrent des cris et, à l'aide de Dieu, ils secoururent le comte et chassèrent les Turcs du camp. >>

Après ces deux défaites, Turan-Shah laissa reposer ses troupes; mais les chaleurs, la mauvaise qualité des poissons pèchés dans le Nil (on était en

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carême), la puanteur des cadavres, développèrent dans l'armée les plus effroyables maladies. «La chair de nos jambes, dit Joinville, se desséchait, et la peau devenait tavelée de noir et de terre, à la ressemblance d'une vieille botte qui a été longtemps cachée derrière les coffres... Et en la fin guère n'en échappaient de cette maladie que tous ne mourussent, et le signe de mort qu'on y connaissait continuellement était quand on se prenait à saigner du nez, et tantôt on était bien assuré de mourir de brief. >>

Pour comble de malheur, les Turcs s'emparerent du cours du Nil et coupèrent les communications de l'armée avec Damiette. Les vivres n'arrivaiént plus. Louis IX se résigna donc à traiter. Il consentait à céder Damiette si Turan-Shah remettait entre les mains des chrétiens le royaume de Jérusalem. Le soudan acceptait ces conditions, mais exigeait que le roi se remît lui-même entre ses mains jus

qu'à l'exécution du traité. Le roi voulait y consentir pour sauver l'armée; ses barons s'y opposerent absolument.

La retraite commença. Le nombre des malades augmentait à chaque marche, le roi lui-même était atteint du mal qui décimait ses compagnons. Il restait cependant à la tète de ses troupes, donnant l'exemple du courage et de la résignation. Après quelque temps, les progrès de la maladie furent tels qu'il dut renoncer à aller plus loin. On demanda une trève aux Turcs; elle allait être accordée, lorsqu'un sergent d'armes se jetant entre les ambassadeurs s'écria que le roi ordonnait de se rendre. Tous le crurent et se rendirent en effet; le roi était incapable de fuir, il tomba entre les mains des infidèles. La nouvelle de sa captivité fut le signal de la déroute complète de l'armée. La plupart des barons étaient pris. Les Sarrasins, embarrassés d'un nombre aussi considérable de pri

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G.. 15.

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