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chantées et une basse messe de Requiem, et puis la messe du jour ou des saints chantée, si elle se chantait. Tous les jours il se reposait sur son lit après son dîner. Et quand il avait dormi, reposé, il priait dans sa chambre avec un de ses chapelains avant d'entendre les vêpres. Le soir, il entendait complies. »

Quelquefois saint Louis reprochait à Joinville sa tiédeur religieuse, mais c'était toujours avec douceur et bonté. Quand il était scandalisé par la trop grande franchise de ses réponses, il se gardait bien de lui exprimer son mécontentement en

présence de tous, mais il le prenait à part et le réprimandait paternellement.

<< Le roi m'appela une fois, dit Joinville, et me dit : « Je n'ose vous parler, à cause de l'esprit >> subtil dont vous êtes doué, de chose qui touche >> à Dieu; et pour cela, j'ai appelé ces frères qui » sont ici, car je veux vous faire une demande. La demande fut celle-ci : « Sénéchal, dit-il, qu'est» ce que Dieu ? » Et je lui répondis : « Sire, c'est >> si bonne chose que meilleure ne peut être. >> Vraiment, reprit le roi, c'est fort bien répondu ; >> car cette réponse que vous avez faite est écrite

» en ce livre que je tiens en ma main. Or je vous » demande, dit-il, lequel vous aimeriez mieux ou >> d'ètre lépreux, ou d'avoir fait un péché mortel? >> Et moi qui oncques ne lui mentis, je répondis que j'aimerois mieux avoir fait trente péchés mortels qu'ètre lépreux. Et quand les frères furent partis, il m'appela tout seul, me fit asseoir à ses pieds, et me dit «Comment m'avez-vous dit cela?» Et je lui dis qu'encore je le disois; et il reprit : «< Vous » parlez sans réflexion, comme un étourdi; car il » n'y a si vilaine lepre que d'être en péché mortel,

:

>> parce que l'àme qui y est est semblable au diable » d'enfer... » Il me demanda si je lavois les pieds aux pauvres le jour du grand jeudi. « Sire, lui >> dis-je, fy! fy! en malheur, jamais les pieds de ces >> vilains ne laverai-je. Vraiment, reprit-il ; c'est >> mal parlé, car vous ne devez avoir en dédain » ce que Dieu a fait pour notre enseignement : >> aussi je vous prie, pour l'amour de Dieu et pour >> l'amour de moi, que vous vous accoutumiez à >> laver les pieds des pauvres. »

Saint Louis se distinguait au milieu de tous par

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Mordant ou fermeil, agrafe du manteau de Louis IX, conservée autrefois dans le trésor

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la simplicité de son costume; jamais, cependant, il ne voulut interdire à ses barons les vêtements de soie et les fourrures. Robert Sorbon, son chapelain, était moins tolérant que lui. «Le saint roy fu à Corbeil à une Pentecouste, et il y avoit là quatre vins chevaliers. Le roy descendi, après manger, au préau dessouz la chapelle, et parloit, contre la porte, au comte de Bretagne, le père au duc qui à présent est, que Dieu garde. Là me vint quérir mestre Robert de Cerbon (4), et me prit par le coin de mon mantel et me mena au roy, et tuit li autre chevalier vindrent après nous. Lors demandai-je à mestre Robert : « Mestre Robert, que >> me voulez-vous?» Et me dit : « Je vous veus

(1) Ou de Sorbon, fondateur de la Sorbonne.

» demander si le roy se séoit en ce préau et vous >> vous aliez seoir sur son banc plus haut que li, >> si on vous en devroit bien blasmer? » Et je li diz que oil. Et il me dit : « Donc, faites-vous bien à >> blasmer quant vous estes plus noblement vestu que » le roy; car vous estes vestu de vair (4) et de vert, >> ce que li roy ne fait pas. » Et je li diz: « Mestre » Robert, sauve vostre grâce, je ne faiz mie à » blasmer se je me vest de vert et de vair, car cest >> habit me lessa mon père et ma mère; mais vous >> faites à blasmer, car vous estes filz de vilain et » de vilainne, et avez laissié l'habit vostre père et >> vostre mère, et estes vestu de plus riche ca

(') Le vair (varius), dont nous avons déjà parlé, p. 263, était composé de morceaux de fourrure et d'étoffe cousus ensemble et alternés.

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

>> melin (laine) que le roy n'est. » Et lors je pris le pan de son seurcot (4) et du seurcot le roy, et li diz: « Or, esgardez si je di voire. » Et lors le roy entreprist à deffendre mestre Robert de paroles de tout son pooir. Après ces choses, monseigneur le roy appella monseigneur Philipe son filz et le roy (de Navarre) Tybaut, et s'assist à la porte de son oratoire, et mist la main à terre et dist: « Séez>> vous ci bien près de moy, pour ce que on ne nous » entende. Ha! sire, firent-ils, nous ne nous >>oserions asseoir si près de vous. » Et il me dist: « Seneschal, séez-vous ci. » Et si fis-je, si près de lui que ma robe touchoit à la sienne; et il les fist asseoir après moy, et lors me dist que il nous avoit appelez pour se confesser à moy de ce que à tort avoit deffendu mestre Robert contre moy. « Mais, fist-il, je le vi si esbahi que il avoit bien mestier » (besoin) que je li aidasse. Toutevoiz, ne vous tenez à chose que je en deisse pour mestre Ro»bert deffendre; car, aussi comme le séneschal » dist, vous vous devez bien vestir et nettement, » pour ce que vos femmes vous en ameront mieux » et vostre gent vous en priseront plus.

SUITE DE LA QUERELLE DU PAPE ET DE L'EMPEREUR.

L'amour du bien et du juste inspira au roi la plupart des réformes qu'il introduisit dans le gouvernement et l'administration. Il continua, mais avec loyauté, la politique habile de son aïeul Philippe-Auguste. Après la guerre de 1242, par laquelle il avait comprimé la révolte de ses vassaux, il mit en demeure tous les seigneurs qui tenaient des fiefs du roi d'Angleterre de choisir entre la suzeraineté de Henri III et la sienne. Henri III répondit à cette modération en expulsant les seigueurs français de tous les fiefs qu'ils possédaient en Angleterre, sans leur laisser la liberté de choisir leur souverain. Ce fut un pas de plus vers l'unité française.

A l'époque où la prise du château de Montségur, en Languedoc, mettait un terme à la guerre des Albigeois, Raymond VII était à Rome, où il employait tous ses efforts à rétablir la bonne harmonie entre le pape et l'empereur. Un instant il parul réussir à faire oublier aux deux adversaires leur propre querelle pour songer aux seuls intérêts des chrétiens d'Orient, réduits aux plus dures extrémités par l'invasion des Kharismiens. A la suite d'une entrevue entre Raymond VII, Pierre des Vignes et les envoyés du pape, toutes les difficultés semblaient près d'ètre aplanies. Frédéric allait enfin recevoir l'absolution du pape, et être relevé des nombreuses excommunications qu'il avait encourues. La méliance d'Innocent trompa ces espérances; il refusa d'absoudre l'empereur tant qu'il n'aurait pas remis entre ses mains les villes dépendant de l'autorité du saint-siége, et dont il avait été convenu que la restitution ne serait faite

(') Pardessus sans manches.

qu'après la signature du traité. L'empereur cousidéra cette exigence comme une insulte, rompit brusquement les négociations, et se prépara à continuer la guerre. Innocent IV, effrayé, s'embarqua inopinément à Civita-Vecchia, vint débarquer à Gènes, dont le dévouement à la cause guelfe ne s'était jamais démenti, et de là demanda à Louis IX l'entrée de ses États et l'appui de ses armes contre l'empereur.

Sachant que le roi devait se rendre à Citeaux, le jour de la Saint-Michel, pour assister au chapitre général des religieux de l'ordre de Saint-Bernard. il prit soin que tout y fût préparé pour frapper son esprit et toucher son cœur. A son arrivée, les abbés de l'ordre et les cinq cents moines du monastère de Citeaux, sortant ensemble de l'église, se jetèrent aux pieds du roi, en le suppliant de donner asile au souverain pontife et de le protéger contre les entreprises de son ennemi. Louis IX fut vivement ému; mais il ne voulut pas prendre une décision sur une question aussi importante sous l'impression de la surprise et sans avoir consulté les grands de son royaume. Bientôt après, il rassembla, en effet, son clergé et ses grands vassaux en parlement, et leur soumit les demandes du pape. La majorité de cette assemblée se prononça énergiquement contre l'entrée du pape en France, et blama la conduite qu'il venait de tenir à l'égard de l'empereur. Après cet échec, Innocent IV essaya vainement d'intéresser à sa cause lés rois d'Aragon et d'Angleterre; il n'éprouva de leur part que des refus bumiliants. Il résolut alors d'aller en persoune implorer de nouveau Louis IX. Dans cette intention, il se rendit à Lyon, ville impériale, mais qui, plus attachée encore à ses libertés qu'à son souverain, avait toujours pris parti contre les empereurs dans la querelle des guelfes et des gibelins. Sa richesse la faisait convoiter par les rois de France, qui avaient déjà réussi à établir leur autorité sur la rive droite de la Saône. Ce fut dans cette partie de la ville que le pape s'établit; il choisit pour sa retraite le monastère de Saint-Just.

Cependant Louis, depuis l'expédition de Saintonge, était d'une santé chancelante. En 4244,

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était de l'autre côté du lit, ne voulut pas lui laisser ainsi couvrir le visage, disant qu'il avait encore l'àme au corps. Il était muet et ne pouvait parler; mais, ayant ouï la dispute de ces deux dames, Notre-Seigneur opéra en lui: il soupira, revint à lui, étendit ses bras et ses jambes, et, d'une voix creuse et sourde, comme s'il fût ressuscité du sépulere, il dit : « Celui qui se lève d'en haut m'a » visité par la grâce de Dieu et m'a rappelé d'entre >> les morts. » Et il demanda soudain qu'on lui donnât la croix, et cela fit-on. Lorsque la reine sa mère ouït dire que la parole lui était revenue, elle en fit si grande joie qu'elle ne pouvait faire plus; et quand elle sut qu'il était croisé, ainsi que lui-même le contait, elle mena aussi grand deuil que si elle l'eût vu mort. » (Joinville.)

Il y avait déjà longtemps que le roi avait conçu la ferme résolution de prendre la croix; quelque temps avant sa maladie, les mauvaises nouvelles venues de la Palestine, et surtout le récit de la défaite de Gaza, avaient jeté la terreur dans tous les cœurs véritablement chrétiens. Le pape avait convoqué, à Lyon, un concile œcuménique, dans le but de prendre des mesures pour secourir efficacement les chrétiens d'Orient, et aussi avec l'intention secrète de se faire un appui de cette assemblée contre le roi des Romains. Un grand nombre de prélats se rendirent à l'appel du pape, qui vit avec plaisir l'absence de la plupart des évèques et archevêques d'Allemagne et d'Angleterre favorables à l'empereur; mais, en même temps, avec un grand déplaisir celle de Louis IX, que la maladie retenait dans son palais. Dès la première séance, Innocent IV et l'envoyé de l'empereur, Taddée de Suésie, oublierent de dissimuler, et firent retentir le couvent de Saint-Just de leurs discussions personnelles. Le pape sembla repousser de parti pris toutes les offres de soumission de Frédéric II, et refusa mème obstinément de lui accorder un délai pour qu'il pût comparaître en personne devant l'assemblée. Les pères du concile, cédant aux observations des représentants de la France et de l'Angleterre, accordèrent, malgré le pape, un délai de douze jours à Frédéric, pour lui laisser le temps d'arriver de Turin à Lyon. L'empereur pourtant ne comparut pas, et son retard, volontaire ou forcé, entraîna sa condamnation. Il fut encore excommunié et solennellement déposé. Le pape avait atteint son but, et obtenu dans sa querelle l'appui de l'Église tout entière. Il permit alors de discuter les mesures propres à tirer la Palestine du péril où l'avait jetée la défaite de Gaza, obtint facilement la levée d'un impòt du vingtième des revenus ecclésiastiques pour solder les frais de l'expédition, et accorda aux croisés les plus larges indulgences.

Lorsque Frédéric II reçut la sentence qui le condamnait, il s'empressa de faire appel de cette décision devant l'opinion publique. Secondè par son habile conseiller Pierre des Vignes, il répandit des circulaires adroitement rédigées dans toute

l'Europe, et parvint à se faire de nombreux partisans. Le roi d'Aragon, le roi d'Angleterre, Louis IX lui-même, condamnèrent la violence d'Innocent IV, et prirent parti pour Frédéric II. D'ailleurs, depuis le concile de Latran, les envahissements du pouvoir spirituel étaient observés pas à pas avec défiance par tous les membres de l'aristocratie féodale. Si l'autorité des papes se croyait assez puissante pour déposséder un empereur élu par la diete germanique, que ne devaient pas avoir à redouter les autres monarques chrétiens! Il y avait là un intérêt commun à défendre : aussi, lorsque Frédéric II recommença la guerre, bien déterminé à ne déposer les armes qu'après avoir soumis entièrement l'Église à l'Empire, il se sentait soutenu par l'opinion et les vœux de tous les souverains temporels.

Le pape s'émut lui-même de cette défaveur qu'il s'était attirée, et comprit qu'il lui était nécessaire de se justifier. Il demanda une entrevue au roi de France, l'obtint, et se rendit plein d'espérance à Cluni, chef-lieu de l'ordre de Citeaux. Telle était l'étendue des bâtiments de ce monastère, que le roi et sa nombreuse suite, le pape, l'empereur de Constantinople venu en France pour implorer les secours des souverains de l'Occident, et de nombreux barons, y trouvèrent tous à la fois l'hospitalité. L'entrevue d'Innocent IV et de Louis IX n'eut d'autre témoin que la reine Blanche. Tous les chroniqueurs se taisent sur son objet. Matthieu Pàris seul en dit quelques mots, et ne nous éclaire pas beaucoup en assurant qu'il y fut question de la querelle du pape et de l'empereur, ainsi que de la croisade à laquelle le roi allait prendre part (1245).

Il ne paraît pas douteux que le projet de la croisade n'ait été du moins arrêté dans cette conference. Immédiatement après, en effet, Louis IX en commença les préparatifs, qui ne furent achevés qu'en 4248. Mais, dans cet intervalle de trois années, on vit s'accomplir plusieurs événements d'une grande importance. Le premier fut le mariage de Charles d'Anjou, frère du roi, avec Beatrix, héritière de Raymond-Bérenger IV, comte de Provence. Béatrix était la plus jeune fille de ce prince, autorisé par une loi spéciale à lui laisser son héritage à défaut d'enfants mâles. Dès 1238, le testament du comte était fait, et un grand nombre de princes avaient sollicité la main de la jeune princesse. En 4245, le comte de Provence avait rencontré à Lyon Raymond VII, qui s'y était rendu pour assister au concile. En guerre peu de temps auparavant, ils se réconcilierent, et la main de Beatrix pour Raymond VII fut le gage de la paix. Le pape, dans cette circonstance, s'était entremis pour rapprocher les deux comtes et encourager l'union projetée; il avait promis de casser le mariage de Raymond VII avec la fille du comte de la Marche, et de lui accorder une dispense à cause de la parenté qui existait entre lui et la jeune princesse. Le zèle du pape avait paru si sincère

que les deux princes avaient négligé de se faire expédier de suite les dispenses. Mais quelque temps après, le pape, désireux d'avoir une entrevue avec le roi de France, craignit de l'irriter en appuyant ouvertement un projet dont la réalisation eût été la ruine de la domination française dans les provinces du Midi, et il retarda l'accomplissement de sa promesse. Sur ces entrefaites mourut RaymondBérenger. La jeune Béatrix fut aussitôt reconnue par les Etats de Provence qu'avait assemblés à Aix le ministre du comte, Romieu de Villeneuve. Ray

mond VII s'était empressé de se rendre à Aix; mais au lieu de se faire accompagner par tous ses vassaux et d'essayer de soulever en sa faveur les bourgeois des villes communales, il arriva escorté seulement de quelques chevaliers. Il espérait l'envoi immédiat des dispenses qui lui étaient nécessaires ; mais ce fut en vain. Plusieurs mois s'écoulèrent, après lesquels Innocent IV, changeant complétement d'opinion, refusa de tenir sa promesse. Le comte de Toulouse apprit presque en même temps l'arrivée en Provence d'une armée française sous.

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Louis IX armé et à cheval. D'après un vitrail de Chartres. (Ferd. de Lasteyrie.)

les ordres du comte d'Anjou. Depuis longtemps le frère du roi prétendait à la main de Béatrix, et les retards du souverain pontife n'avaient eu d'autre but que de lui laisser le temps de se rendre en Provence pour y soutenir ses prétentions les armes à la main. Romieu de Villeneuve, tout dévoué en apparence aux intérêts de Raymond VII, avait secrètement favorisé ces intrigues et tout préparé pour assurer leur succès. Le parlement de Provence avait mollement appuyé les projets d'union des provinces de la langue d'oc, et avait pensé, avec Romieu de Villeneuve, qu'il valait mieux se soumettre à un prince français que d'attirer sur la rive gauche du Rhône les maux de la guerre.

Charles d'Anjou, grâce à toutes ces trahisons, célébra sans obstacle son mariage avec Béatrix, et établit son autorité dans toutes les possessions de Raymond-Bérenger. Il ne lui fut pas aussi facile de se concilier les sympathies de ses nouveaux sujets il fallut beaucoup de temps aux populations de la Provence pour perdre le sentiment de leur ancienne nationalité et abjurer tout ressentiment contre leur nouveau maître.

Le pape, en favorisant les projets d'agrandissement de la dynastie capétienne, avait espéré qu'il s'assurerait ainsi l'appui de Louis IX dans sa querelle avec Frédéric II, et, sans doute, c'était l'avantage qu'il avait eu le plus à cœur d'obtenir de

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