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fatigua de lutter à main armée contre le pape, simula le repentir, et implora son pardon (1230). Grégoire IX lui accorda la paix qu'il sollicitait, sans cesser, toutefois, de surveiller ses intrigues : aussi, quelques années plus tard, lorsque l'empereur, cherchant à mettre à profit les mécontentements de Louis IX et de Henri III contre les évèques de leurs États, leur donna rendez-vous à Vaucouleurs sous prétexte de s'entendre avec eux à ce sujet, cette entrevue n'eut pas lieu, parce que de nouveaux troubles, habilement excités en Lombardie, rappelèrent brusquement Frédéric (4 237).

Tandis que la papauté défendait avec ardeur son autorité temporelle, de jour en jour plus mcnacée, l'empire chrétien d'Orient inclinait rapidement vers la ruine. Jean de Brienne, après sa défaite en Italic, avait succédé comme empereur de Constantinople à Robert de Courtenai. Sur ce trône chancelant, attaqué tour à tour par les Bulgares, les Grecs et les musulmans, on avait ensuite élevé Baudouin II, qui, à bout de ressources, se rendit lui-même en Europe pour intéresser à sa cause Louis IX et Henri III. Les deux rois avaient encouragé leurs barons à lui porter le secours de leurs armes, et le roi de France en particulier consentit à lui prêter 50 000 livres. Baudouin, connaissant l'ardente piété de Louis, proposa de plus de lui céder la couronne d'épines de l'église de Sainte-Sophie. Cette prétendue relique avait été engagée à des marchands génois et vénitiens pour la somme de 40 000 livres. Louis accueillit avec empressement l'offre de Baudouin. Deux moines dominicains furent envoyés à Constantinople pour dégager la sainte couronne, et la rapportèrent en grande pompe à Vincennes, où le roi l'attendait. De là elle fut solennellement transportée à Paris, et Louis ne voulut partager qu'avec son frère l'honneur de porter la chasse qui la renfermait. Deux ans après, Louis IX profita encore de la pénurie de l'empereur de Constantinople pour acquérir un morceau de la vraie croix et plusieurs autres reliques de la passion. Heureux d'avoir en sa possession ces trésors enviés par tous les souverains de la chrétienté, il ordonna à l'architecte Pierre de Montereau ou Montreuil de construire une chapelle digne par sa magnificence de les contenir. L'artiste s'inspira de la pieuse ferveur du fils de Blanche, et éleva, au ravissement de son maître, un des plus élégants chefs-d'œuvre de l'architecture gothique, la Sainte-Chapelle (1244).

INVASION DES TARTARES MONGOLS.

Vers cette époque, l'Europe tout entière fut effrayée par la formidable invasion des Tartares Mongols. Ces barbares, après avoir balayé devant eux toutes les populations de la haute Asie, étaient arrivés, en 4234, jusqu'en Russie et en Pologne. Leurs tètes énormes, leurs figures sauvages, la rudesse de leurs mœurs, l'impétuosité de leurs at

taques, avaient répandu au loin la terreur. Montés sur de petits chevaux sobres et infatigables, ils parcouraient en une journée des distances considérables, et ne laissaient même pas le temps aux populations de se reconnaître et de s'armer pour s'opposer à leur marche. Depuis les frontieres les plus éloignées de la Chine jusqu'à Moscou et Kiew, le passage des bandes tartares était marqué par une longue traînée sanglante, et le nom de Gengis, leur chef, était, pour les populations chrétiennes, une cause d'épouvante comme jadis celui d'Attila.

Ces hordes asiatiques étaient si nombreuses qu'on les avait vues apparaître à la fois en Russie, en Pologne, en Arménie, en Syrie et en Palestine. Les populations musulmanes voisines du royaume de Jérusalem, menacées les premières, avaient été si effrayées, qu'oubliant leur haine des chrétiens, elles recherchèrent leur alliance. Il arriva successivement à la cour de Louis IX différents ambassadeurs, envoyés par les chefs sarrasins pour implorer l'appui du roi contre cet ouragan qui menaçait d'anéantir à jamais toute la civilisation occidentale. Le danger était encore bien loin de la France et de l'Angleterre aussi les envoyés furent-ils assez froidement reçus, et s'éloignèrentils sans avoir pu obtenir aucune promesse. Il paraît même que le roi d'Angleterre ne sut pas dissimuler la joie que lui inspirait le péril des infidèles. Cependant le progrès des envahisseurs devint bientôt assez inquiétant pour que l'empereur lui-même, impuissant à leur opposer une barrière, dût appeler à son aide tous les monarques de la chrétienté. A ce cri d'alarme, l'Occident tressaillit; Louis IX, confiant en Dieu, se prépara sans crainte à soutenir les efforts de Frédéric II. Une défaite notable que les Mongols éprouvèrent sur le Danube vint heureusement ébranler leur audace; ils se retirerent lentement, et ne reparurent plus en Europe (4241).

LUTTE DE L'EMPEREUR ET DE L'ÉGLISE.

Au milieu de ces graves événements, on avait vu renaître, plus violent que jamais, l'antagonisme de l'empereur et du pape. S'appuyant sur la ligue lombarde, Grégoire IX s'opposait, par tous les moyens qui étaient en son pouvoir, aux envahissements de Frédéric en Italie; en 4239, il l'avait excommunié une nouvelle fois. Il prétendait que l'empereur niait tous les mystères de la religion, et qu'il avait répandu dans le monde un écrit par lequel il soutenait que les hommes avaient été trompés par trois imposteurs, Moïse, Jésus et Mahomet. L'incrédulité bien connue de l'empereur, l'amitié qu'il témoignait aux musulmans établis en grand nombre dans ses États, ne rendaient que trop vraisemblables aux yeux de la foule toutes ces accusations. Cependant l'empereur affecta de les repousser avec horreur, en appela de la sentence du pape à un concile, et ordonna de mettre à mort toute personne qui oserait publier dans son

empire la bulle d'excommunication. Alors le pape envoya des ambassadeurs à Louis IX pour proposer à son frère Robert, comte d'Artois, la couronne impériale, dont il se croyait le droit de disposer. Le pieux roi refusa, et se contenta d'envoyer des messagers aux deux ennemis pour les engager à une réconciliation qu'il regardait lui-même comme difficile, et qui était, en réalité, impossible. Le pape se montra animé à la ruine de son adversaire jusqu'à vouloir retenir et tourner contre lui une armée levée par Thibaud de Champagne et destinée à une nouvelle croisade. Ses efforts furent vains. Thibaud s'embarqua, malgré de nombreuses défections, persuadé qu'aucun motif ne pouvait le dispenser d'accomplir son vou de combattre les Sarrasins. Mais il ne séjourna pas longtemps en Palestine, où il ne trouva que mauvais vouloir et anarchie. Richard de Cornouailles, frère de Henri III, qui vint après lui, fut plus heureux; il rouvrit aux pèlerins les portes de Jérusalem, de Tibériade, d'Ascalon, et un grand nombre de chevaliers français lui durent leur liberté.

Cependant les croisades en Orient semblaient ne plus exciter le même intérêt, et les débats religieux ou politiques de l'Europe absorbaient l'attention de tous les esprits.

Frédéric II aurait voulu intéresser directement Louis IX à sa cause. Le trouvant résolu à rester neutre entre les deux partis, il fit des tentatives auprès de Raymond VII, et réussit à lui persuader de profiter des embarras de l'Église pour essayer de relever son autorité en Provence. Le comte attaqua Raymond-Bérenger, lui prit plusieurs places importantes, et rappela d'Espagne Trencavel, fils du vicomte de Béziers, qui n'avait pu obtenir des juges ecclésiastiques aucun lambeau des États de son malheureux père. Le jeune comte fut reçu avec enthousiasme dans un grand nombre de villes de son héritage, et entra triomphalement à Carcassonne. Mais ses succès furent éphémères; à l'approche des troupes françaises, le comte Raymond VII mit bas les armes et lui laissa supporter tout le poids de la guerre. Après une courte résistance dans le château de Montréal, Trencavel fut obligé de capituler, et se retira de nouveau en Catalogne.

Cette révolte du comte de Toulouse aurait été pour Louis IX une cause de sérieux embarras si elle eût éclaté quelque temps plus tard, lors de la levée de boucliers des vassaux de l'ouest de la France. L'installation d'Alphonse, frère de Louis IX, dans son comté de Poitou, fut en effet, pour les barons, le signal de la révolte. Le jeune prince venait d'être armé chevalier dans la cour plénière de Saumur, et s'était rendu à Poitiers, avec son frère, pour recevoir l'hommage de ses vassaux. Toutes ces provinces de l'ouest avaient longtemps flotté indécises entre les deux dominations anglaise et française, et leurs seigneurs en avaient profité pour s'établir dans une quasi indépendance. Si, au lieu d'Alphonse, le comte Richard de Cornouailles, frère de Henri III, se fût

présenté à Poitiers pour recevoir l'hommage des seigneurs du pays, ceux-ci, ennemis de toute suzeraineté, auraient probablement invoqué contre lui l'appui du roi de France, qu'ils se préparaient à .combattre. A la tête des mécontents se trouvait le comte Hugues de Lusignan, dont la femme, Isabelle d'Angoulème, avait été autrefois enlevée par Jean Sans-Terre. Celle-ci, jusqu'au décès de son ravisseur, avait porté la couronne d'Angleterre. Lorsque la mort de Jean eut mis un terme à cette union adultère, elle se rapprocha de son mari, et devint l'àme de la révolte contre la royauté. Elle sut exciter l'orgueil et l'ambition des vassaux du comte de Poitiers, à ce point que la plupart quittèrent brusquement la ville et se rassemblèrent en armes à Lusignan. Le roi, ne soupçonnant pas leurs projets hostiles, était venu à Poitiers, accompagné seulement d'un petit nombre de chevaliers. Il ne pouvait songer à lutter seul contre les révoltés: il transigea donc; et, tant par ses concessions que grâce à la soumission du comte de Toulouse et à l'inaction du roi d'Angleterre, il parvint à retarder l'explosion pendant près de deux ans.

Quelles que fussent ces difficultés intérieures, Louis IX conserva intacte son influence en Europe, et continua de se faire respecter, par son langage plein de fermeté et de mesure, de Frédéric II luimême. Après avoir bravé les excommunications de Grégoire IX, l'empereur n'avait pas vu approcher sans inquiétude l'époque de la réunion du concile œcuménique que le pape s'était enfin décidé à convoquer. Il résolut de le rendre impossible. Les prélats chrétiens qui devaient se rendre à Rome étaient allés par terre jusqu'à Gênes et s'y étaient embarqués pour se diriger vers Civita-Vecchia. Les Génois soutenaient le pape et avaient fait escorter les vaisseaux par un nombre considérable de galères armées. Malgré ces précautions, la flotte gibeline, commandée par Hentius, fils naturel de l'empereur, attaqua l'escadre génoise, la battit, et s'empara des pères du concile. La plupart étaient des prélats français. Ils furent conduits à Pise et emprisonnés, par ordre de l'empereur, dans la cathédrale de cette ville. Mais Louis IX adressa aussitôt à Frédéric II une lettre pour lui reprocher l'injustice de sa conduite, puisque la plupart des prélats qu'il avait emprisonnés étaient bien disposés en sa faveur, et le menaça, s'il ne mettait immédiatement en liberté les prisonniers, de l'y contraindre par la force. L'empereur, redoutant d'entrer en hostilité avec le roi le plus respecté de la chrétienté, rendit, peu de temps après, la liberté à ses juges. Ceux-ci ne tardèrent pas à rentrer dans leurs diocèses, la mort de Grégoire IX ayant rendu leur réunion inutile. Le pape, âgé de près d'un siècle, n'avait pu supporter la douleur que lui causa la victoire de la flotte gibeline. Son successeur, Célestin IV, mourut quinze jours après avoir été couronné pape, et les intrigues de l'empereur retardèrent pendant plus de deux ans l'élection d'Innocent IV, que son caractère passionné et per

sévérant devait porter à poursuivre à outrance la politique de Grégoire IX (1243).

BATAILLE DE TAILLEBOURG.

:

DEVIENT FRANÇAIS.

LE MIDI

Tandis que, grâce à la vacance du saint-siége, l'Italie avait joui d'un moment de repos, la France s'était vue à son tour ensanglantée par la guerre civile et étrangère. Le traité conclu à Poitiers entre le roi et les barons de l'Ouest n'avait point terminé le débat. Louis IX ne pouvait ignorer les intrigues du comte de la Marche et ses efforts pour assurer à la ligue des barons l'appui du roi d'Angleterre il savait que sa fille avait été fiancée à Raymond VII; qu'il se préparait à chasser les garnisons françaises du Languedoc, à rappeler le jeune Trencavel dans sa vicomté, et qu'en outre, il était appuyé dans ses projets par les rois de Castille et d'Aragon. A la fin de l'année 1244, les révoltés se crurent assez forts pour commencer les hostilités. Le comte de la Marche devait, aux fêtes de Noël de cette année, se rendre à Poitiers avec les autres barons du comté, pour assister à la cour plénière tenue par le comte Alphonse. Ils s'y trouvèrent en effet réunis, et profitèrent de cette occasion pour donner plus d'éclat à leur rupture. Le comte de la Marche s'avança vers son suzerain, lui déclara qu'il lui retirait son hommage comme à un usurpateur et au spoliateur de Richard de Cornouailles, souverain légitime du Poitou. Puis, se plaçant au milieu de ses gens d'armes, il s'éloigna en menaçant le comte, et quitta Poitiers après avoir mis le feu à la maison qu'il occupait.

Louis IX prévoyait depuis deux ans ce danger: il se prépara à pousser la guerre vigoureusement, et convoqua immédiatement ses chevaliers et les milices communales. Tous s'armèrent avec empres sement, et, quelques mois après les menaces du comte de la Marche, le roi envahissait le Poitou à la tête d'une armée nombreuse et dévouée. Ses ennemis n'étaient pas encore entrés en campagne : un grand nombre de villes dépourvues de défenseurs lui ouvrirent leurs portes. Les barons insurgés s'efforçaient en vain de réunir une armée capable de lutter avec quelque chance de succès contre les forces supérieures du roi. Le comte de la Marche, craignant pour l'indépendance du Poitou la présence d'un trop grand nombre d'auxiliaires étrangers, avait écrit à Henri III de lui apporter surtout de l'argent : il ne voulait défendre le pays qu'avec ses troupes et celles dont ses alliés pouvaient disposer. Mais au moment décisif, la plupart de ces derniers l'avaient abandonné, en même temps que l'humanité avec laquelle Louis traitait les vaincus amenait tous les jours de nouvelles défections. Tout le Poitou et la plus grande partie de la Saintonge furent bientôt au pouvoir des troupes royales.

Sur ces entrefaites, on apprit le débarquement du roi d'Angleterre à Royan; il était accompagné

de trois cents chevaliers seulement, mais au fond du bâtiment qui le portait étaient trente tonneaux remplis d'or. Le premier soin de Henri III fut d'envoyer à Louis IX des messagers pour lui reprocher d'avoir rompu la trêve conclue entre les deux royaumes en 4236. Louis IX répondit qu'il n'était nullement en guerre avec lui, et que sa présence en Poitou avait pour cause unique la révolte de ses vassaux. Il alla plus loin, et, dans son désir de tout pacifier, il proposa à Henri de lui rendre une partie des conquêtes de Philippe-Auguste en Normandie et en Poitou, s'il voulait renoncer à toute prétention sur les autres. Henri III prit pour un signe de frayeur ces sentiments dictés seulement par une conscience droite et délicate; il repoussa avec hauteur les propositions de Louis IX. Il ne put toutefois empêcher le roi de France de poursuivre le cours de ses succès et de s'emparer de plusieurs places importantes en peu de jours. Le château de Frontenai ou Fontenai opposa seul une résistance prolongée, à cause de la présence dans ses murs d'un fils du comte de la Marche; mais il fut enfin pris d'assaut. Au lieu de livrer à la potence les défenseurs de la citadelle, comme le lui conseillaient ses chevaliers, Louis se contenta de les envoyer à Paris, où ils furent enfermés dans la tour du Louvre. La prise de cette place entraîna la reddition de tout le pays situé en deçà de la Charente. C'était derrière ce fleuve et en face de Taillebourg que s'était concentrée l'armée ennemie, bien inférieure en nombre à ses adversaires, malgré les renforts arrivés de toutes les parties de la Saintonge et de l'Angoumois aussi Henri III eut-il bientôt perdu l'espoir de défendre le passage du pont de Taillebourg. L'attaque avait déjà commencé, et la position de l'armée anglaise devenait de plus en plus critique, lorsque, par une inspiration subite, le comte de Poitiers, Richard de Cornouailles, la tira de ce mauvais pas. Ce prince, revenu récemment de la croisade, où il avait excité par son humanité et son courage l'admiration de la chrétienté, quitta son armure, revêtit un habit de pèlerin, et se présenta en cet équipage aux avantpostes français. On s'écarta avec respect sur son passage; il arriva jusqu'au roi, et obtint facilement une armistice de vingt-quatre heures. Quand la nuit fut venue, le roi d'Angleterre et ses alliés battirent précipitamment en retraite, laissant derrière eux une partie de leurs bagages. Bon nombre de servants d'armes profitèrent de cette occasion pour déserter et passer aux Français, en sorte que cette journée de Taillebourg, pendant laquelle le combat fut à peine engagé, équivalut pour Henri III à une pleine déroute.

Lorsque le jour parut, les Français virent avec désappointement la retraite de l'ennemi; ils se mirent à sa poursuite et l'atteignirent sous les murailles de Saintes. Les environs de cette ville sont plantés de vignes, et, par la nature escarpée du pays, leur défense est facile. Le comte de la Marche et ses Aquitains disputèrent pas à pas le

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avaient chassé leurs garnisons françaises, et le vicomte Raymond-Trencavel avait reparu dans la vicomté de Béziers. Avec de telles proportions, la révolte eût été redoutable si la nouvelle de la défaite du roi d'Angleterre à Taillebourg et à Saintes n'était venue jeter l'inquiétude dans l'esprit de Raymond VII et de ses alliés. Raymond se rendit à Bordeaux avec moins de confiance, et, après un entretien avec Henri III, il comprit qu'il y avait peu à compter sur un pareil allié. Il partit désespéré et ne chercha plus qu'à se rapprocher à tout prix du roi, pour épargner à ses sujets de plus grands malheurs. En effet, à la nouvelle de l'assassinat du légat et des inquisiteurs à Avignonet, un concile avait été rassemblé à Paris pour discuter les mesures propres à assurer le succès d'une nouvelle croisade contre les Albigeois : on avait résolu de consacrer le vingtième des revenus ecclésiastiques du clergé gallican à solder les frais de cette expédition. Les prédications des moines de Saint-Bernard avaient eu un plein succès, et déjà deux corps considérables de pèlerins armés s'étaient dirigés vers les provinces du Midi. Raymond VII, grâce à ses assurances de soumission et à l'appui de la reine Blanche, obtint à temps du roi la confirmation pure et simple des conditions du traité de Meaux, en même temps que son pardon, et fut de nouveau admis à faire hommage, à Lorris en Gâtinais (4243).

Cependant Louis IX, à la suite de sa victoire de Saintes, avait reçu la soumission des barons révoltés et s'était remis en marche. C'était au milieu de l'été le pays était malsain et marécageux, ravagé par les habitants, sans eau salubre. Les soldats, craignant que les sources et les ruisseaux ne fussent empoisonnés, n'osaient y boire. Bientôt de nombreuses maladies sévirent sur les hommes et les chevaux; leurs cadavres couvrirent par milliers les plaines de l'Aunis et de la Saintonge. Suivant Matthieu Paris, quatre-vingts chevaliers bannerets et au moins vingt mille hommes de pied succombèrent à la contagion. Le roi lui-même, atteint par les fièvres qui décimaient ses troupes, fut obligé de se retirer et de revenir à Paris, sans attendre le résultat des négociations déjà commencées avec les envoyés du roi d'Angleterre. Elles se terminèrent peu de temps après par la conclusion d'une trève. Henri III cédait à Louis IX la partie de l'Aquitaine qu'il avait perdue et l'île de Ré, et s'engageait à lui payer un tribut annuel de 4 000 livres sterling. Peu après la conclusion de ce traité, Raymond VII, s'étant rapproché de son suzerain, obtint son pardon d'Innocent IV, récemment nommé par le collége des cardinaux. Le comte avait mérité l'indulgence du pape par l'appui qu'il prêtait aux inquisiteurs. Il redoubla de zèle. Les hérétiques furent poursuivis jusque dans leurs retraites les plus cachées. Le château de Montségur, bâti sur un roc inaccessible, au milieu des Pyrénées, servait d'asile à un assez grand nombre de faidits et à deux cents hérétiques albigeois.

Jamais les soldats catholiques n'avaient poussé aussi loin leurs expéditions; les proscrits y vivaient en sécurité, faisant même de fréquentes incursions dans le pays voisin et rançonnant les habitants pour vivre. La pacification du Languedoc permit à l'archevêque de Narbonne, à l'évèque d'Albi et au sénéchal français de Carcassonne d'attaquer avec toutes leurs forces disponibles ce dernier centre de résistance. Le château de Montségur fut pris après une défense opiniâtre. Les hérétiques et leur évêque, Bertrand Martin, tombèrent entre les mains des croisés, refusèrent obstinément de se convertir, et tous, jusqu'au dernier, furent brùlés. Avec ce bûcher s'éteignit définitivement la révolte religieuse des populations du Midi.

Cette soumission de la Provence accomplie, les liens qui unissaient entre eux tous les peuples du littoral de la Méditerranée furent rompus, et leur langue arriva, d'altération en altération, à former trois langues distinctes. L'une d'elles, l'italien, devint, sous l'inspiration du Dante, la langue la plus harmonieuse et la plus riche de l'Europe chrétienne. Quant à la langue des troubadours, elle perdit bientôt, au contact des conquérants du Nord, l'éclat dont elle avait brillé, et se corrompit dans la bouche des habitants de la campagne jusqu'à n'être plus qu'un patois vulgaire.

Avec le treizième siècle, la langue du Nord de la France avait fait de rapides progrès; au milieu de l'activité intellectuelle due au développement de l'Université de Paris et à l'impulsion qu'elle donna à l'étude de toutes les branches des connaissances humaines, la langue vulgaire ne pouvait manquer de se perfectionner. Elle était devenue dès lors la langue savante par excellence, la langue de la prose, de la politique, des historiens et des légistes.

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En l'année 4204, la conquête de Constantinople trouva dans Geoffroi de Villehardouin un narrateur fidele, intelligent, ne racontant que ce qu'il a vu, sans prétention et sans recherche, et arrivant toutefois à produire une impression réelle par l'exactitude et la vérité de ses descriptions. L'étonnement que lui cause un pays si différent du sien par la civilisation et le climat, se communique au lecteur; il n'est pas moins intéressant dans la peinture des mœurs chrétiennes; son ouvrage nous apprend à connaître nos pères du treizième siècle et à les aimer, malgré leur barbarie.

Après Villehardouin, Joinville', qui fut comme lui sénéchal du comté de Champagne, donna sans le vouloir à la prose française un relief qui nous charme encore. Joinville n'est pas un savant; il ne s'étudie pas, comme les chroniqueurs latins, à imiter l'antiquité; mais il a pour lui la vivacité du récit, la passion, le charme du style et la naïveté des détails. Il avait passé une partie de sa vie auprès du roi, partageant tous ses dangers, conver

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