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tagne, et disparaître par un chemin qu'il ne pouvait leur fermer. Alors il se rend en Italie à marches forcées, y rassemble cinq légions, avec elles franchit les Alpes, et se met, sans s'arrêter, à la poursuite des émigrants. Ceux-ci étaient encore sur le bord de la Saône. Depuis vingt jours entiers, ils étaient occcupés à construire des radeaux et à faire passer le fleuve aux femmes, aux bes

Monnaie de Dubnorex.

tiaux et aux lourds chariots de l'expédition. César apprend que les trois quarts d'entre eux seulement avaient traversé, et que le dernier quart, composé surtout des hommes du canton tigurin (canton de Zurich), était encore de l'autre côté. II prend trois légions (environ vingt mille hommes), et tombe comme la foudre sur cette arrière-garde en désordre et sans défense, qui fut en grande partie massacrée. César se félicita doublement de ce désastre; car c'étaient ces mèmes Tigurins qui, cinquante ans auparavant, avaient infligé au consul L. Cassius et à son armée la honte de passer sous le joug. Sans perdre un moment, il traversa la Saône à son tour pour se mettre à la poursuite du gros de l'armée des Helvètes. Un jour lui suffit pour cette opération. Surpris de cette rapidité inconcevable pour eux, les chefs helvètes députèrent vers César une ambassade plutôt menaçante que pacifique, et dont l'orateur, nommé Divicon, était le général par qui les Tigurins étaient commandés lorsqu'ils avaient détruit l'armée de Cassius. César nous a conservé en substance le discours de ce vieux guerrier, lequel peint à la fois la jactance loyale et l'imprudence gauloises. « Si le peuple romain, dit-il, voulait faire la paix avec les Helvètes, les Helvètes iraient et s'établiraient là où César l'aurait indiqué et prescrit; mais s'il veut continuer la guerre, qu'il se rappelle et l'ancien désastre du peuple romain et l'antique vertu des Helvètes. Parce que vous ayez attaqué à l'improviste un de nos cantons quand les autres, ayant passé la rivière, ne pouvaient le secourir, ne vous félicitez pas trop de votre courage et ne méprisez pas les autres; nos pères et nos ancêtres nous ont appris à combattre avec le courage plutôt qu'à dresser des embûches et des guet-apens. Prenez donc garde que ce lieu où nous sommes ne devienne un nom célebre par le massacre d'une armée romaine, et qu'il n'en passe le souvenir à la postérité. » César répondit, avec une certaine modération, que s'ils voulaient réparer les dommages qu'ils venaient de causer sur les terres des Edues et des Allobroges, et s'ils lui donnaient des otages

pour assurer l'exécution de leurs promesses, il ferait la paix avec eux. « Les Helvètes, repartit Divicon, ont été élevés par leurs aieux de telle sorte qu'ils ont coutume de prendre des otages, non d'eu donner. C'est chose bien connue du peuple romain! »> Et sur ces mots il se retira.

Le lendemain, les Helvètes lèvent leur camp; Cesar fait de même et les suit. Il commence par lancer sur leur arrière-garde un corps de quatre mille cavaliers édues et narbonais; mais cinq cents hommes de la cavalerie helvète suffirent pour leur faire tourner bride. L'influence morale de ce premier revers était grave, et les Romaius, plus circonspects, se bornérent dès lors à surveiller l'ennemi, en attendant l'occasion d'engager l'action sur un terrain qui leur fournit un avantage évident. Pendant quinze jours les deux armées marchèrent ainsi l'une après l'autre, séparées seulement par deux ou trois lieues de distance, et engageant journellement des escarmouches. Enfin, soit qu'il ne se crût pas assez fort pour attaquer, et que cette poursuite sans résultat fût d'un funeste effet, soit, comme il le prétend, qu'il manquât de vivres, César abandonna la poursuite et se dirigea sur Bibracte (près Autun), dont il était à une dizaine de lieues. A la vue de ce mouvement, les Helvètes rebroussèrent chemin et le poursuivirent à leur tour. César vit bien que l'excès de leur confiance allait lui fournir l'occasion qu'il cherchait. Il massa les six légions et les nombreux auxiliaires qu'il avait dans une bonne position, sur la hauteur la plus rapprochée, et laissa les Gaulois se livrer à leur impétuosité aveugle. Les deux armées étaient en nombre à peu près égal. Il était midi. La cavalerie des Romains vint d'abord se briser contre les assaillants, qui la dispersérent en continuant de s'avancer, jusqu'au moment où ils rencontrèrent la première ligne des légions. Ils ne combattaient plus à découvert, comme les Celtes des anciens temps, mais ils formaient, suivant l'usage gaulois et germain, ce que les anciens appelaient la tortue: l'homme du premier rang portait son bouclier devant lui, le second rang et les suivants levaient les leurs au-dessus de la tête, en les étayant les uns sur les autres, de sorte que la masse entière marchait sous une sorte de toiture qui ne laissait passer que la pointe des armes. Mais les Romains avaient contre cette ordonnance leur terrible pilum, lourd javelot qu'on lançait à distance, et qu'ils maniaient avec une extrême habileté. Ces traits puissants arrivant sur les Gaulois et ne rencontrant qu'un bouclier de bois, le mettaient en pièces ou le transperçaient, et souvent clouaient ensemble les boucliers superposés. Placés sur une éminence et pouvant viser tout à l'aise, ils avaient un avantage marqué. César raconte que les soldats ennemis, après avoir secoué le bras gauche pour faire tomber les javelots, ou perdu le temps à vouloir les arracher, finissaient par jeter leur bouclier et se battre à découvert. Les Romains, au moment de ce désordre, descendirent de leur colline au pas de

Toutes les cités de la Gaule centrale envoyérent féliciter le général romain. Ce n'était pas l'abaissement de la peur; c'était une joie sincère d'avoir échappé aux ravages des Helvètes. Et elles crurent pouvoir demander plus encore à César : elles l'invitérent à une assemblée générale où se réunirent leurs députés, et implorèrent le secours de son bras

ses Germains, qui s'étaient installés chez les Sequanes. Cette ouverture entrait à merveille dans les vues de celui à qui elle s'adressait, et immédiatement César dépêcha quelques officiers entamer des conférences avec le chef des Germains.

course, et les Helvetes, sans cesser de leur faire face, furent repoussés vers une montague située à une lieue de là. César commençait à les faire attaquer dans cette nouvelle position, où ils cherchaient à reprendre haleine, quand la queue de leurs colonnes, composée de quinze mille Boïes et Tulinges, arrivant sur le terrain à son tour de bataille, donna droit dans le flanc des Romains et se mit à l'en-puissant pour rejeter au delà du Rhin Arioviste et foncer. A cette vue, ceux qui s'étaient retirés sur la montagne revinrent à la charge, et le combat recommença sur toute la ligne. César avoue que la lutte fut longtemps douteuse autant qu'acharnée, et que, pendant huit heures entières qu'elle dura, personne ne put voir un ennemi tourner le dos. Enfin, à la nuit, les Gaulois épuisés firent retraite, les uns sur la montagne où ils s'étaient rejetés d'abord, les autres vers leurs bagages restés dans la plaine, et autour desquels le combat se continua encore durant une partie de la nuit, pendant que le gros de l'émigration helvétique reprenait le chemin du nord.

Cet Arioviste, barbare d'une haute intelligence pour les affaires aussi bien que pour la guerre, après s'être introduit dans la Gaule sous couleur d'ami, pour y parler bientôt en conquérant, avait pressenti que tôt ou tard il y rencontrerait les Romains pour obstacle à ses projets, et il avait eu l'art d'obtenir du sénat, en allant lui-même solliciter à Rome, les titres d'ami du peuple romain et de roi germain. C'était une entière consécration de ses projets sur la Gaule; il n'y manquait plus que le temps pour les consolider; mais Arioviste fut compromis par ses soldats, surtout par les recrues indisciplinées qui lui arrivaient sans cesse, et dont la sauvage turbulence poussa trop tôt les Édues et les Séquanes à demander l'appui de César. Quand

César passa trois jours à faire les funérailles des soldats qu'il avait perdus et à panser ses blessés. Il était trop affaibli lui-même pour renouveler immédiatement l'attaque. Mais, pendant ce temps, la marche rétrograde des Helvetes se changeait en un véritable désastre ils manquaient de tout; les populations gauloises les traitaient en envahisseurs vaincus. Parmi eux, les uns voulaient résister encore, d'autres voulaient se rendre; ce dernier parti l'emporta. César s'était remis en route lorsque sa fortune lui amena les députés helvètes suppliants. Il donna l'ordre à ceux qui les envoyaient de s'arrèter d'abord et de l'attendre. Quand il les eut rejoints, il leur fit livrer leurs armes, remettre des otages, et reprendre le chemin de leur pays, avec injonction de reconstruire leurs villes et leurs bourgades. Six mille hommes du pays d'Orbe (canton de Vaud), ayant cherché à se soustraire à cette capitulation en s'échappant durant la nuit, furent poursuivis, atteints, ramenés au proconsul et traités en ennemis, c'est-à-dire passés par les armes ou vendus comme esclaves. La peuplade fugitive des Boïes, connue par son courage héroïque, reçut la permission, à la demande des Édues, de s'établir comme colonie militaire sur les frontières de leur territoire; ils étaient au nombre de trente-deux mille. Dans le camp helvétique, les Romains trouvèrent des listes comprenant le dénombrement de l'émigration tout entière d'une part, la mention de chaque guerrier; de l'autre, le nombre des enfants, des vieillards et des femmes. D'après ces renseignements, dont l'exactitude est certaine, les émigrants s'étaient trouvés, au moment de leur départ, trois cent trente-six mille individus, sans compter les Boïes; cent dix mille seulement rentrèrent dans leur pays; le reste, au nombre de deux cent vingt-six mille âmes, passé par l'épée, vendu sur les marchés de l'Italie, ou fugitif chez les Gaulois, fut englouti en deux mois dans cette expédition désastreuse.

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celui-ci envoya lui porter les plaintes de ces deux peuples, et lui faire savoir qu'ils étaient places sous sa protection, le Germain crut le moment venu de s'exprimer hautement: « Les Romains, répondit-il, ont leur province gauloise dans le midi; moi j'ai, et j'avais avant eux, la mienne dans le nord. Nos droits sont égaux; et comme je n'interviens pas dans leurs affaires, j'entends qu'ils ne s'ingèrent pas dans les miennes. S'ils le veulent, d'ailleurs, je suis prêt à leur montrer ce que peuvent, l'épée à la main, mes durs compagnons, qui depuis quatorze ans tiennent la campagne sans avoir couché sous un toit. » Nos diplomaties actuelles n'ont pas toujours cette grandeur.

César, à cette fière réponse, mit ses légions en mouvement, et, marchant jour et nuit, gagna Vesontio (Besançon) avant Arioviste, qui voulait aussi s'assurer de cette importante place des Séquanes; puis il continua sa route, et, à une quinzaine de lieues en deçà du Rhin, les deux ennemis se trouvèrent en présence. Arioviste, sachant quels hommes étaient les Romains, se conduisit en tacticien. Il ouvrit de nouveaux pourparlers avec

Typ. de J. Best, rue St Maui St G., 15.

César, pour gagner du temps; il lui coupa les vivres, refusant obstinément les occasions d'attaquer, et usant de tous ses efforts pour retenir ses soldats, qui, aussi présomptueux que l'auraient été des Gaulois, interrompaient par leur impatience, et à coups de javelots, jusqu'aux conférences des deux chefs. Enfin, il eut recours au moyen extrême de faire déclarer par les prêtresses de la nation que les dieux, ayant été consultés par le sort, avaient déclaré qu'il ne serait pas favorable aux Germains de combattre avant la nouvelle lune. César, instruit de cette dernière eirconstance, n'hésita pas à en profiter pour attaquer lui-même, et livra la bataille. Les Germains, après avoir bravement combattu, furent taillés en pièces, avec femmes et enfants, ou jetés dans le Rhin, et le roi Arioviste retourna mourir obscurément dans ses forêts. Son ambition anticipait de cinq siècles sur l'avenir.

Telle fut la première campagne de César. Au commencement du printemps suivant (57 av. J.-C.), les prétextes ne lui manquaient pas pour reprendre le fil de ses projets de conquête. Les Belges ou Gaulois du nord, impassibles jusque-là, commençaient à penser que leurs prairies et leurs forêts pourraient bien être foulées, à leur tour, sous le pas militaire des Romains, si l'on ne se hâtait d'y pourvoir. Le malheur de leurs frères de l'est et du midi ne les avait pas touchés, mais la vue des légions sur la rive du Rhin les exaspéra. Pendant l'hiver, ils s'étaient ligués entre eux; ils avaient échangé des serments et des otages, ils commençaient enfin à rassembler leurs armées. Tout à coup César apparaît sur leurs frontières méridionales et entre dans leur pays, chez les Rèmes (Reims). Il

Monnaie de Reims. (Remo. - Remo.)

savait les Rèmes gagnés d'avance à son parti. C'était une cité riche et importante que lassait et qu'effrayait souvent la barbarie de ses voisins du nord; elle aspirait d'ailleurs à exercer autour d'elle, par l'appui des Romains, une suprématie analogue à celle qu'ils avaient assurée aux Édues. A l'approche de César, une députation de Rèmes vint le trouver et lui livrer non-seulement la cité rémoise, ses armes, ses bourgades et sa bonne volonté, mais les secrets mêmes de la confédération belge, dont ils dévoilerent les projets et les forces. Les Bellovaques (Beauvaisis), par leur courage, leur influence et leur nombre, tenaient le premier rang; ils pouvaient armer cent mille hommes, et avaient promis soixante mille combattants d'élite. Les Suessions (Soissonnais) venaient ensuite; ils en avaient promis cinquante mille, et leur roi, Galb, avait été

chargé, pour sa justice et sa prudence, de la direction de toute la guerre. Les Nerviens (Cambrésis), regardés par les Belges eux-mêmes comme les plus sauvages d'entre eux, devaient aussi fournir cinquante mille hommes; les Atrébates (Artois), quinze mille; les Ambianes (Amiénois, Ponthieu), dix mille; les Morins (Saint-Omer), vingt-cinq mille; les Ménapiens (bouches de l'Escaut), sept mille; les Calètes (Cauchois), dix mille; les Vélocasses (Vexin) et les Véromandues (Noyonnais, SaintQuentin), neuf mille; les Aduatiques (Tongres), dix-neuf mille; on évaluait enfin à quarante mille le contingent des Germains qui confinaient aux Belges et voulaient marcher avec eux. C'était donc une armée de trois cent mille hommes appartenant à des tribus intactes jusque-là, et pleines d'audace, que César allait affronter à la tète de cinquante mille Romains et de quelques auxiliaires gaulois. Il passa l'Aisne, s'établit dans une position formidable, et n'opéra tous ses mouvements qu'avec une grande circonspection, refusant obstinément la bataille, mais cherchant à décimer les ennemis en détail en attendant qu'une grande occasion se présentât. Les confédérés imitèrent sa prudence et ne se livrèrent pas davantage. Cette expectative durait depuis plusieurs semaines et fatiguait les deux partis, lorsque César vit tout à coup se passer sous ses yeux un fait tellement extraordinaire qu'il fut longtemps avant d'y croire. L'armée gauloise, à l'improviste, se débanda tout entière au milieu de la nuit, se mettant, de son propre gré et de propos délibéré, en pleine déroute. Voici comment eut lieu cette éclatante démonstration d'inexpérience militaire et politique.

Les vivres commençaient à manquer à cette multitude; elle perdait l'espoir de forcer les Romains à combattre, et les plus influents d'entre eux, la tribu des Bellovaques, ayant appris qu'une armée éduenne menaçait son territoire, voulait à tout prix l'aller défendre. On délibéra, et le conseil des chefs fut d'avis que le mieux était de se retirer chacun dans son pays, sauf à se réunir de nouveau lorsque l'ennemi se porterait ailleurs. A la nuit donc tous les Gaulois quittèrent leurs lignes, sans la moindre précaution pour cacher leur mouvement, sans que personne commandát, enfin avec tout le bruit, le tumulte et le désordre imaginables, chaque homme cherchant à prendre les devants et ne songeant qu'à regagner ses foyers au plus vite. César retint d'abord les siens, pensant que c'était un piége; mais au jour il vit la vérité, et lança toute sa cavalerie sur les traînards. Ceux qu'atteignaient les Romains s'arrêtaient et, faisant volteface, soutenaient vaillamment le choc, pendant que les premières colonnes, considérant ce danger lointain comme une affaire qui ne les regardait plus, se contentaient de précipiter leurs pas. Jusqu'au coucher du soleil, l'épée romaine se lava dans le sang.

Durant le reste de la saison, César n'eut guère plus qu'à recevoir l'hommage des populations iso

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Curiosolites (Quimper), les Sésuves (Séez), les Aulerques (Évreux), les Rhédons (Rennes), tandis que lui-même parcourait le nord-est de la Gaule (Belgique). Il ne fut arrèté que chez les Nerviens, qui, réunis, sous le commandement de Boduognat, leur chef, aux Atrébates et aux Véromandues, lui firent courir les plus grands dangers, et chez les Aduatiques, auxquels il fallut donner l'assaut: aussi la race des Nerviens fut à peu près anéantie; après la bataille, il leur resta cinq cents hommes sur soixante mille combattants, et trois sénateurs sur six cents. Quant aux Aduatiques, tout ce qui se trouvait dans leur ville fut vendu au profit de la république, et les trafiquants de toute sorte qui, depuis Rome, suivaient les légions comme une bande de chacals, déclarérent qu'ils avaient acheté là cinquante-trois mille tètes.

Le même spectacle continue pendant les années suivantes.

Les troisième, quatrième, cinquième et sixième campagnes de Jules César, auxquelles il consacra les années 56 à 53 av. J.-C., ne different des deux précédentes que par le changement des lieux où les scènes se passent. La Gaule se retrouve enfin, et l'horreur de l'étranger soulève tous les coins du territoire. Les légions romaines sont obligées de combattre successivement dans les montagnes du Valais, dans les lagunes à l'embouchure de la Loire, sur la basse Seine, chez les Aquitains (Garonne), surtout dans la Gaule centrale, dans le pays des Sénons et des Carnutes (Sens et Chartres); elles sont obligées de faire aux Belges septentrionaux une guerre d'extermination, de porter trois fois la terreur jusqu'au delà du Rhin, et de se montrer deux fois dans la Grande-Bretagne, dans ces îles brumeuses presque inconnues alors, où la race gaëlique s'était multipliée, et où s'était établi, comme sur une terre sainte, le plus pur foyer de la religion druidique. Partout se reproduit cette lutte navrante dans laquelle une multitude simple et fière, indignée de sentir un joug sur son front, et relevant sans cesse ses membres couverts de sang et de meurtrissures, est invariablement accablée par des armées savantes, par des ruses de guerre, par des machines inconnues, par la supériorité des habitudes militaires sur le courage inexpérimenté, en même temps qu'elle ne cesse de se ronger elle

mème par des discordes funestes. Des deux millions d'enfants que perdit la Gaule dans ce combat inégal, il nous reste pour tout souvenir quelques pages écrites par les mèmes mains qui les égorgèrent, et les noms de quelques héros glorieusement signalés dans la défense commune: Dubnorex l'Éduen, qui se fit tuer plutôt que de rester captif à la suite de César; Viridovix, chef des Unelles; Adiatune, des Sotiates; Indutiomare, des Trévires; Accon, des Sénons; Camulogène, des Aulerques et des Parisiens; Ambiorix et Cativolke, chefs des Éburons. Ambiorix fut le seul qui, pendant les six premières années de la guerre d'indépendance, réussit à obtenir un succès éclatant; à nombre égal

EBRO

Monnaie d'Ambiorix. (Ambilo. - Ebero.)

de combattants il détruisit deux légions, douze mille soldats romains.

VERCINGÉTORIX.

La Gaule comprit trop tard, mais elle comprit enfin que dans des efforts isolés elle perdait en vain le plus pur de son sang, et qu'en réunissant toutes les nations, depuis le Rhin jusqu'aux Pyrénées, on pouvait accabler César. Le proconsul avait terminé sa sixième campagne en saccageant, avec un raffinement inouï de barbarie, le pays des braves Éburons (pays de Liége), qu'il appelait « une race de scélérats »; puis, suivant son usage, il était allé passer l'hiver en Italie, pour préparer de plus près ses ambitieux desseins et pour acheter des partisans avec le fruit de ses rapines dans la Gaule. Tout annonçait les approches d'une guerre civile au sein de la terrible république; la présence de César en vue de Rome était plus nécessaire que jamais, et ces nouvelles, à peine arrivées de l'autre côté des Alpes, exaltaient le courage des populations mal soumises. Leur impatience devait les perdre encore. Dans chaque tribu l'on s'excite, on se concerte, on déplore les victimes passées; les personnages les plus considérables convoquent des conciliabules dans les lieux solitaires et couverts de bois; le patriotisme trouve des accents sublimes : « Si nous ne pouvons, disent-ils, recouvrer la vieille gloire militaire et la liberté que nous avons reçues de nos ancêtres, mieux vaut mourir dans les combats. >>

Il s'agissait de trouver des braves assez résolus pour donner le signal et porter les premiers coups de l'insurrection. Les Carnutes (Chartres) acceptérent cette mission périlleuse, et se montrèrent prèts à affronter tous les dangers pour le salut

commun. En retour, ils n'exigèrent que la garantie de n'être pas abandonnés, et comme on ne pouvait pas leur livrer des otages sans éveiller l'attention des agents romains, ils reçurent la promesse et le serment de toutes les tribus, jurés sur les étendards de guerre. C'était la plus grave de toutes leurs cérémonies. Une assemblée solennelle prêta, an bruit de louanges décernées à l'abnégation des Carnutes, ce serment sublime que tous devaient religieusement tenir, et, après avoir fixé le grand jour, l'assemblée se sépara.

Au jour dit, les Carnutes, ayant à leur tête Cotuat (ou Gutruat) et Concotunédun, deux hommes incapables de reculer devant rien, se portèrent en masse sur Genabe (Orléans), et massacrèrent tous les Ro

mains qui s'y trouvaient. La nouvelle, criée par les champs, suivant l'usage employé par les Gaulois pour les grandes nouvelles, se répandit avec une telle rapidité, que le soir même elle était connue chez les Arvernes. On touchait au milieu de l'hiver.

A cette époque vivait, chez les Arvernes, un jeune chef issu d'une de leurs plus grandes familles, héritier d'une vaste clientèle, de biens immenses et de vertus héroïques. Son père, nommé Keltill, avait aussi brillé à la tète de sa nation; mais, accusé de vouloir détruire la liberté des Arvernes pour s'emparer du pouvoir suprême, il avait subi la loi du pays, et péri par le supplice du feu. Le fils de Keltill, au contraire, plein de nobles am

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bitions, avait le cœur porté vers la foule et l'àme remplie des grandes idées de la patrie gauloise. La foule, à son tour, l'idolâtrait pour son courage, sa beauté, son éloquence, pour la pureté de sa vie. César avait voulu se l'attacher; il lui avait donné le titre d'ami, lui avait fait entrevoir sans doute comme une récompense le point où Keltill avait aspiré; mais le jeune Gaulois, méprisant ces avances, vivait simplement en chef de clan dans ses montagnes, et rèvait l'extermination des Romains. Ce héros, dont la noble figure personnifie l'infortune et la grandeur de la Gaule, dont le nom réveillera toujours l'écho d'une pieuse admiration sur cette terre qu'il voulut affranchir, s'appelait VERCINGÉTORIX.

Chez les Gaulois, comme chez tous les peuples simples et guerriers, comme encore de nos jours chez les sauvages de l'Amérique du Nord et chez les Scandinaves, amis des vieilles coutumes, on se complaisait aux noms sonores et magnifiques. Ainsi sont expliqués par les savants ceux de plusieurs personnages célèbres dans l'histoire de la Gaule: Boduog-nat, le Fils de la victoire; Boio-rix, le Chef terrible; Luern, le Renard; Virdumar, le Grand homme noir; Éporédorix, le Chef dompteur de chevaux Orgétirix, le Chef de cent vallées. Vercingétorix signifie le Grand chef des cent tétes. Ce n'est pas un nom de dignité, comme on l'a cru pendant un temps; ce n'est pas non plus un titre équivalant à celui de généralissime: c'est un nom propre, comme l'ont prouvé de nombreuses monnaies d'or qu'on a retrouvées en Auvergne, et qui sont frappées au nom de VERCINGÉTORIX, peut-être mème à son effigie.

A la nouvelle de la levée de boucliers des Carnutes. Vercingétorix, au milieu de la nuit, con

voque ses clients. Il les enflamme sans peine, leur fait prendre les armes, et à la pointe du jour il entre à Gergovie, principale place des Arvernes. C'est aujourd'hui le lieu appelé le mont Gergoie, à une lieue de Clermont-Ferrand. Tous les Arvernes se lèvent, mais divisés; l'aristocratie, à la tête de laquelle se trouvait l'oncle mème de Vercingétorix, nommé Gobanition, s'oppose à cette entreprise populaire, et expulse de la place la petite troupe des conjurés. Vercingétorix ne se décourage point; il rassemble dans la campagne une bande de gens déterminés, parcourt le pays à leur tête, insurge tout le territoire Arverne, et revient, à son tour, chasser de Gergovie ceux qui l'en avaient chassé lui-même. Là, ses partisans lui décernèrent l'autorité souveraine.

Le nouveau chef ou roi des Arvernes envoie aussitôt de tous côtés rappeler aux populations leurs serments. En peu de temps se rallient ouvertement à la cause nationale les Sénons (Seus), les Parisiens, les Pictons (Poitou), les Cadurques (Cahors), les Turons (Tours), les Aulerques (Évreux), les Lémoviques (Limousin), les Andes (Anjou) et les autres peuples qui bordent l'Océan; unanimes, toutes ces nations décernent le commandement suprême à Vercingétorix.

Une fois investi de ce grand pouvoir, celui-ci fait livrer des otages par chaque peuple; il fixe le contingent exigible pour chacun d'eux, soit en armes à fabriquer immédiatement, soit en hommes à fournir. La cavalerie est la partie faible des armées romaines; il donne tous ses soins à la formation d'une puissante cavalerie. Il déploie la plus grande sévérité dans le commandement, en contraignant par les supplices tous ceux qui lui résistent ou qui se permettent seulement d'hésiter, et partout son

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