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Béziers, ne surent pas s'entendre avec Raymond VI, leur suzerain, pour concerter une résistance. Le comte de Toulouse, effrayé de l'orage qui s'amoncelait sur sa tête, ne recula devant aucune concession pour le détourner, et il accepta l'humiliation d'une pénitence publique, pour se réconcilier avec le saint-siége. Dans l'église où se trouvait le tombeau de Pierre de Castelnau, et en présence de tout le peuple, le comte de Toulouse, duc de Narbone, seigneur de la haute Provence, du Querci, du Rouergue, du Vivarais, d'Usez, de Nîmes et de Béziers, résigné aux plus durs traitements, fut flagellé par le nouveau légat, obligé de prendre la croix contre ses propres sujets, et d'apporter son concours à cette expédition qui allait envahir le territoire de ses vassaux.

C'était contre le vicomte de Béziers qu'allait se porter tout l'effort des croisés. En vain essaya-t-il de se réconcilier à son tour en faisant les mêmes promesses que Raymond VI; il était devenu impossible de congédier les bandes avides et fanatiques accourues, à la voix de l'Église, pour verser le sang des infidèles. Le malheureux RaymondRoger se prépara donc à une lutte où il ne pouvait trouver que la ruine et la mort, et, se jugeant incapable de tenir la campagne contre l'armée formidable qui s'avançait, il se contenta de mettre en état de défense les principales villes de son territoire.

Le premier choc se rua sur la ville de Béziers. Avant l'arrivée des croisés, l'évêque de cette ville, Regnaud de Montpeyroux, avait été conférer avec le légat, et lui dénoncer ceux des habitants qu'il regardait comme dignes du bûcher. Il supplia les autres d'abandonner les coupables à leur sort; mais ils se refusèrent à cette lâcheté. Leur courageuse résolution, l'épaisseur de leurs murailles, semblaient présager une résistance opiniâtre; mais les croisés n'étaient pas seulement les plus forts par le nombre, ils l'étaient aussi par la vaillance et les talents militaires. A la première sortie que tenterent ceux de Béziers, les assaillants rentrèrent avec eux dans la ville et l'emportèrent sans coup férir. Ils trouvèrent la foule du peuple s'entassant dans les églises, et les prètres, à l'autel, implorant le Seigneur. Comment distinguer les hérétiques? On envoya le demander au légat du pape, qui était l'abbé de Citeaux, Arnaud Amalric. Le légat fit cette réponse célèbre : « Tuez-les tous! le Seigneur saura bien reconnaître les siens. » Tout fut tué en effet, hérétiques et catholiques, prêtres et soldats, femmes et enfants; il ne resta pas âme vivante à Béziers. L'abbé de Citeaux avoua quinze mille victimes; des historiens en portent le nombre à soixante mille.

Précédée de l'horreur et de la crainte, l'armée croisée arriva sans obstacle sous les murs de Carcassonne. C'était la plus forte ville du vicomte de Béziers, qui s'y était retranché en personne avec toute sa noblesse, décidée comme lui à faire son devoir. Ils le firent en effet, courageusement sou

tenus par les habitants de Carcassonne. Cependant leur résistance ne put être longue; Raymond-Roger fut pris avec ses meilleurs chevaliers, quelques-uns disent par trahison, et la ville capitula. Ses défenseurs obtinrent la vie sauve, sous la condition caractéristique de ne rien emporter avec eux. Ils laissèrent donc entre les mains des croisés tout ce qu'ils possédaient. On n'excepta de la capitulation que quatre cent cinquante d'entre eux, qui furent brûlés ou pendus comme étant notoirement hérétiques. La soumission du reste des États de Raymond-Roger se fit rapidement; le peu de villes où les croisés n'avaient pas pénétré envoyèrent au plus tôt leur soumission, pour éviter le sort de Béziers et de Carcassonne (4209).

L'Église triomphait. Le seul ennemi qu'elle eût combattu était entre ses mains, avec toutes ses terres. Le pape offrit ce beau domaine en présent à divers seigneurs croisés, au comte de Saint-Pol, au comte de Nevers, à plusieurs autres. Mais, si zélés qu'ils fussent pour le service de l'Église, ils commençaient à rougir de ce qu'ils avaient fait. Aux instances du légat, ils répondirent qu'ils avaient assez de terre dans le royaume de France, où étaient nés leurs pères, et n'avaient aucune envie de la terre d'autrui. « Dans toute l'armée, ajoutaient-ils, il n'y a pas un baron qui ne se tienne pour traître s'il accepte un tel bien.» (Chron. des Albigeois.) Un seul osa partager avec l'Église le gain et la responsabilité de cette guerre : c'était Simon de Montfort, seigneur des environs de Pa

TORTIGULD

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SINOIS

Sceau de Simon de Montfort.

ris, médiocre par le renom de sa famille, mais ambitieux, éloquent, rusé, et digne par quelques vertus du rôle difficile qu'il allait jouer; il en était digne par son courage, par la sincérité de son fanatisme religieux et par la pureté de ses mœurs. A peine mis en possession de l'héritage du jeune vicomte de Béziers, il poursuivit l'extermination des hérétiques, et, sans s'inquiéter du départ de ses compagnons d'armes, continua, avec quatre on cinq mille hommes qui lui étaient restés, une

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Raymond VI, toujours en instance auprès du pape pour obtenir sa réconciliation, comparut encore devant un concile assemblé dans la ville d'Arles et dirigé par son ennemi personnel, Folquet, évêque de Toulouse, et le sanguinaire légat, abbé de Cîteaux. Le comte était accompagné du roi d'Aragon, son beau-frère, dont la présence semblait une protection d'autant plus efficace que ce prince, faisant céder ses sentiments aux nécessités politiques, avait reçu l'hommage de Simon de Montfort et fait étroitement alliance avec lui. Le concile, après avoir entendu le comte de Toulouse, lui signifia par écrit ses volontés. Raymond était sommé de congédier tous ses soldats, de raser tous ses châteaux et tous les remparts de ses bourgs et cités, d'expulser les juifs, de livrer tous ses sujets hérétiques, de renoncer aux péages qui formaient une partie de ses revenus, d'obliger tous ses sujets à prendre les habits et à observer les jeûnes de la pénitence; enfin, de partir lui-même pour la terre sainte, afin d'y servir parmi les frères hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, jusqu'à ce que l'Église lui permît de revenir. Le comte partit avec le roi, sans daigner répondre à cette insulte. Il comprit, un peu tard, qu'on ne voulait pas sa soumission, mais sa ruine et l'anéantissement de son pays.

Ses sujets indignés se préparérent à imiter les gens de Béziers et de Carcassonne. L'invasion qui s'approchait était effrayante. De nouveaux croisés accouraient sans cesse des pays les plus éloignés : c'étaient des Lorrains, des Flamands, des Anglais, des Allemands du Nord, des Autrichiens, tous également désireux d'effacer leurs péchés et de grossir leur fortune par de faciles exploits. Quelques villes se rendirent presque sans résistance. Montfort, pour encourager les soumissions volontaires, les traita avec humanité. Il arriva rapidement jusqu'à quelques lieues de Toulouse, à Lavaur. Cette place, quoique vaillamment défendue, ne put longtemps tenir contre la valeur militaire des assiégeants. Ceux-ci entrèrent en vainqueurs dès que la brèche fut praticable. «Ils y prirent quatre-vingts chevaliers toulousains qu'ils y trouverent, parmi lesquels était Amauri de Montréal, et le noble comte (Montfort) arreta de les pendre tous à un gibet. Mais quand Amauri, le plus considérable d'entre eux, fut pendu, les fourches patibulaires, qui par la trop grande hâte n'avaient pas été bien plantées en terre, étant venues à tomber, le comte, voyant le grand délai qui s'ensuivait, ordonna qu'on égorgeat les autres. Sans plus de retard, les pèlerins s'en saisirent donc très-avidement et les occirent biea vite sur la place; de plus, il fit accabler de pierres la dame du château, sœur d'Amauri, et très-méchante hérétique, laquelle fut jetée dans un puits que l'on combla de pierres. Finalement nos croisés, avec une grande allégresse, brûlérent des hérétiques sans nombre. » (Pierre de Vaulx-deCernai; 3 mai 1214.)

Cependant le comte de Toulouse avait enfin commencé de se défendre, et taillé en pièces un corps

de six mille croisés allemands qui se rendaient au siége de Lavaur. Il avait obligé Simon de Montfort à abandonner, au bout de plusieurs semaines d'efforts infructueux, le siége qu'il avait mis devant Toulouse, et l'avait resserré lui-même dans Castelnaudari. Les Provençaux s'empressaient de rendre à leurs ennemis les traitements cruels qu'ils avaient soufferts; mais de nouvelles troupes de croisés arrivaient toujours, et Simon de Montfort reprit l'offensive.

A la fin de l'année 1212, le malheureux comte de Toulouse en fut réduit à s'en aller chercher asile auprès de son parent le roi Pierre d'Aragon. Ses spoliateurs s'étaient assemblés à Pamiers et se partageaient ses biens; déjà le légat Arnaud, et Gui, abbé de Vaulx-de-Cernai, avaient été payés de leurs travaux par les mitres épiscopales de Narbone et Carcassonne. Tous les vassaux de Raymond virent leurs biens confisqués et furent bannis; leurs dépouilles furent distribuées aux créatures de Montfort, et les filles nobles du pays reçurent l'ordre de ne prendre pour époux que les chevaliers étrangers établis dans le pays.

La cause du Midi paraissait perdue. Cependant Pierre d'Aragon prit ostensiblement sous sa protection les victimes de la croisade. Il réussit, en effet, à détromper Innocent III, à l'éclairer sur la conduite intéressée du légat et du comte de Montfort; et le pape, changeant tout à coup de langage, éclata en plaintes contre ses délégués. Il reprocha au légat Arnaud et à l'évêque Folquet de n'avoir pensé qu'à satisfaire leur ambition; à Montfort, d'avoir empoisonné le comte de Béziers et d'avoir conquis des pays où il n'y avait pas un seul bérétique; à tous, de l'avoir trompé. Un moment on put croire que la médiation de Pierre avait pleinement réussi; par ordre du pape, les moines de Citeaux durent cesser leurs prédications, et la croisade contre les Provençaux parut terminée. Mais, n'osant pas prononcer définitivement par lui-même sur une aussi grave affaire, Innocent III déclara s'en remettre à la décision d'un nouveau concile, qui fut convoqué à Lavaur pour le 45 janvier 4243.

Montfort et ses complices eurent bientôt regagné, dans cette assemblée, le terrain qu'ils avaient perdu; ils résistèrent hautement aux sentiments d'humanité qui avaient amolli le cœur du pape, et parvinrent, par leur assurance, à le faire revenir de ses premiers repentirs.

Pierre d'Aragon rassembla une armée considérable, passa les Pyrénées et rejoignit Raymond VI à Toulouse. La ville de Muret, située à quelques lieues de là, était occupée par une garnison française; ce fut contre elle que l'armée provençale dirigea ses coups. Les chevaliers français tinrent bon jusqu'à l'arrivée de Simon de Montfort, qui pénétra dans la ville avec un petit nombre de ses compagnons. Quelques jours après, il sortit de la place et offrit le combat aux Méridionaux. Ceux-ci avaient l'avantage du nombre, mais leurs adversaires celui de la valeur et de la discipline. Des

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

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Arnaud, consentait à réconcilier avec l'Église le comte de Toulouse et son allié le comte de Comminges. Le nombre des croisés allait aussi décroissant, et les prédicateurs de la croisade étaient gênés dans leur mission par la mauvaise volonté mal dissimulée de Philippe-Auguste. Le roi de France commençait à s'inquiéter de l'ambition de Simon de Montfort; il voyait avec déplaisir un de ses moindres barons fonder au midi une dynastie puissante.

Il fallait que les croisés se hâtassent de donner à leur conquête les formes de la légitimité. Dans un concile provincial tenu à Montpellier le 8 janvier 4245, et composé des principaux d'entre eux et de trente-trois prélats que présidait le légat Pierre de Bénévent, ils rédigerent un acte par lequel ils demandaient au pape que le comte de Montfort fût établi leur seigneur, aux lieu et place du comte Raymond VI. Le pape s'en référa encore une fois à l'autorité d'un concile convoqué à Saint-Jean de Latran, à Rome, pour le 44. novembre 4245.

Le comte de Toulouse, son fils, les comtes de Foix et de Comminges, s'y rendirent en personne. Leur sort dépendait de la décision qu'allait prendre cette assemblée. Ils y rencontrèrent de nombreuses sympathies; ils purent enfin parler devant cette grande réunion, à laquelle assistaient quatre cent douze évêques, huit cents abbés ou autres dignitaires ecclésiastiques, et les ambassadeurs de presque tous les rois et princes de la chrétienté. Les horreurs commises par Montfort, par l'abbé et les moines de Citeaux, par l'évêque Folquet et par les bandes avides qu'ils avaient fanatisées, furent en partie dévoilées et flétries.

Innocent III penchait en faveur des vaincus. Malheureusement, l'esprit de caste et de parti l'emporta sur l'esprit de justice; l'usurpation accomplie par d'abominables violences fut définitivement approuvée, et l'Église tout entière voulut prendre la responsabilité des flots de sang innocent versés dans l'Albigeois et le Toulousain. Raymond VI fut irrémissiblement dépouillé; mais le pape, ne voulant pas le priver entièrement de l'héritage paternel, lui laissa le comtat Venaissin et le marquisat de Provence; il ne lui défendit même pas de reconquérir son bien s'il le pouvait. Quant aux comtes de Foix et de Comminges, le concile ne prit pas de résolution sur leur sort, qui demeura indécis. Le concile de Latran prononça du moins la clôture de la croisade contre les Albigeois. Il avait disposé du Languedoc et de la Provence sans consulter les populations aussi le patriotisme des villes du Midi ne devait pas tarder à remettre en question l'indépendance méridionale. Il faudra bientôt de nouvelles armées de pèlerins pour écraser une dernière fois cette nationalité brillante; mais le fils de Montfort ne pourra pas recueillir l'héritage de son père, et ce sera la maison de France qui tirera tout le profit de cette grande iniquité.

BATAILLE DE BOUVINES.

Jean Sans-Terre poursuivait le cours de ses folies et de ses cruautés. Les exactions et la tyrannie toujours croissantes des successeurs de Guillaume le Conquérant avaient produit les effets d'une donleur féconde et salutaire; elles avaient étroitement uni les diverses classes, naguère si divisées, de la nation anglaise; vainqueurs ou vaincus, habitants des villes, chevaliers normands ou serfs des campagnes, tous faisaient cause commune contre une royauté sans conscience et sans frein. C'était l'inverse de ce qui se passait en France, où une royauté pieuse protégeait les faibles contre l'oppression seigneuriale.

Le roi d'Angleterre, toujours aux prises avec ses sujets, ne maintenait son autorité que par les cottereaux, brabançons ou autres mercenaires avides et cruels qu'il appelait du continent, et se trouvait obligé, pour les payer, de recourir à des exactions nouvelles. Il ajouta aux difficultés de sa position en se brouillant avec le saint-siége, au sujet de la nomination d'un archevêque de Cantorbéry. Il fut excommunié. Son neveu et son associé, l'empereur Otton de Brunswick, s'était attiré, de son côté, la colère du pape, et avait été également frappé d'anathème. Or Innocent III n'était pas un pontife qui se contentat de fulminer des sentences impuissantes. Il offrit la couronne d'Angleterre à Philippe-Auguste, qui fit aussitôt de grands préparatifs et convoqua une assemblée générale des nobles et du clergé français à Soissons (4243), pour discuter les moyens d'assurer le succès de l'expédition. Une armée fut bientôt réunie, et les vaisseaux français, équipés sur les côtes du Boulonnais, n'attendaient plus que l'ordre de faire voile pour Douvres, lorsque, par un revirement soudain, le pape rétablit le roi d'Angleterre dans les bonnes gràces de l'Église. Jean s'était démis de sa souveraineté au profit du saint-siége; il avait consenti à en devenir le vassal et à lui payer un tribut annuel de mille marcs d'argent.

Mal satisfait du pape, mais trop habile pour oublier son rôle de fils soumis de l'Église, PhilippeAuguste, afin de ne pas perdre entièrement le fruit de ses efforts, tourna ses armes contre la Flandre. Ferrand de Portugal, comte de Flandre, et son voisin le comte de Boulogne, redoutables par le nombre et la prospérité des belles et industrieuses cités comprises dans leurs domaines, reprenaient ouvertement le rôle hostile des grands vassaux sous les premiers Capétiens. Ils étaient alliés de Jean Sans-Terre et d'Otton. Philippe marcha sur la Flandre et s'avança jusqu'à Gand; mais bientôt, apprenant que Ferrand venait à sa rencontre et que sa flotte avait été détruite par les Anglais, il se contenta d'exiger des Gantois une contribution et leva le siège. Il taxa de même Bruges, Ypres et Oudenarde. D'autres villes, moins heureuses, Lille surtout, furent livrées au pillage et à l'incendie par les routiers féroces de la bande de Cadoc.

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