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gination qui n'avait besoin que de temps et d'étude pour produire de beaux ouvrages. Déjà les sculpteurs de l'époque romane montraient, lorsqu'ils avaient de bons modèles, un talent que nous pouvons admirer encore. Rien de plus riche que leurs archivoltes et leurs chapiteaux historiés, lorsqu'ils se bornaient à les composer en copiant les rosaces et les méandres des manuscrits carolingiens, ou les feuilles et les fleurs de la nature.

Au douzième siècle cessa le style grossier dont usaient les sculpteurs dans la représentation des figures humaines, et le style byzantin, modifié bientôt par le goût national, domina exclusivement. On décora les églises, surtout à l'extérieur, nonseulement de représentations de Dieu, du Christ, de la Vierge, des apôtres, des anges, des saints, mais de vastes compositions tirées de scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Le Christ procédant au jugement dernier, d'après la description de l'Apocalypse, était un des sujets favoris. La cathédrale de Chartres, célèbre comme un des chefsd'œuvre de l'art chrétien, nous montre l'ornementation romane dans toute sa magnificence.

A l'intérieur, la sculpture, appliquée aux parties accessoires de l'église, par exemple aux autels de pierre ou de marbre, aux fonts baptismaux, aux fanaux de cimetière, aux tombeaux, produisit, surtout au douzième siècle, des ouvrages dont l'élégance ou la richesse n'ont pas été surpassées. Tel est le magnifique tombeau de Henri Ier, comte de Champagne, mort en 4480; admirable ouvrage, que l'on conservait autrefois dans l'église SaintÉtienne de Troyes, et qui a été refait. La statue du comte était couchée sous un monument en forme d'autel, dont chaque face était percée de quatre arcades à jour formant balustrade et laissant voir la statue. Ces arcades étaient subdivisées chacune en deux cintres plus petits au moyen d'un faisceau de colonnettes; des anges remplissaient les vides laissés par les archivoltes des arcades; enfin l'entablement et le soubassement étaient complétement couverts de moulures et de dentelles de 'pierre ou de métal d'une harmonie, d'une variété et d'une richesse extraordinaires.

On ne se contentait pas de sculpter des moulures, des rinceaux et des statues à l'intérieur de l'église, on les peignait. Les colonnes, les murailles, la voûte, dans les grandes églises décorées avec luxe, étaient entièrement peintes de teintes unies. Ainsi l'on colorait les colonnes en rouge, les chapiteaux en vert, les voûtes en bleu de ciel; les statues et les bas-reliefs se détachaient sur ces fonds en couleurs tranchantes et par le moyen de nombreuses dorures. On peignait aussi, sur les colonnes et ailleurs, des enroulements, des feuillages, des rosaces, des zigzags, et sur les parois de grandes scènes religieuses, où les peintres rivalisaient de zèle et d'imagination avec les sculpteurs, mais en restant bien inférieurs par le talent. Leurs ouvrages, travaillés à la détrempe avec un très-petit nombre de couleurs dénuées de toute transparence, ont un

aspect terreux et terne que ne rachète pas l'incorrection du dessin. On peignait jusqu'aux cryptes, ces chapelles souterraines que l'on creusait sous le chœur des grandes églises, pour y déposer la dépouille mortelle des saints. La plus célèbre de nos basiliques par les peintures romanes qu'elle a conservées, malgré les ravages du temps, est celle de Saint-Savin (Vienne). Nous mentionnons en

Onzième et douzième siècles. - Peintures murales de Saint-Savin (département de la Vienne).

passant ces noms de quelques églises romanes de la France; mais c'est par centaines qu'on les citerait s'il fallait les nommer toutes, et il n'en est pas une dans laquelle on ne trouvât quelque partie digne d'arrêter l'attention.

On peut être assuré que l'architecture ne marchait pas seule dans cette voie de progrès, et que les autres branches de l'art, bien qu'elles nous aient laissé moins de monuments, en ont produit de non moins remarquables. La ciselure et l'orfévrerie, par exemple, étaient déjà assez avancées. Ainsi un certain Érembert, abbé de Vassor en Belgique, vers l'an 1030, avait ciselé deux tables d'argent que son abbaye montrait encore avec orgueil au treizième siècle. Le roi Robert fit couvrir entièrement d'or la table d'un autel de Saint-Pierre à Orléans, et fit revêtir, dans la même ville, la châsse de saint Aignan d'or, d'argent et de pierres précieuses; il avait donné à l'église de SainteCroix un petit vase qui, bien qu'il ne fût d'albâtre, était estimé soixante livres, et il possédait parmi ses trésors « un cerf en argent très-pur», qui lui venait d'un don du duc de Normandie et qui servait de vase à mettre du vin. Charles le Bon, comte de Flandre, assassiné en 1127, avait acheté moyennant vingt et un marcs « une coupe d'argent fabriquée avec un admirable travail », où la liqueur disparaissait aux yeux, suivant la voc'était lonté de celui qui la tenait; il est vrai que

que

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Peintures murales de Saint-Savin. Saint Savin et saint Cyprien dans le cirque.

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Douzième siècle. Calice dit de Saint-Remi, conservé au cabinet des antiques (Paris).

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un travail italien. On a encore de l'époque romane des objets de métal ayant servi au culte des ciboires, des encensoirs, des crosses épiscopales ou

abbatiales, des coffrets à renfermer des reliques représentant de petites maisons ou de petites chapelles. Les crosses sont nombreuses et d'une grande

élégance. Celle, par exemple, de Robert d'Arbrisselle (mort en 4417), qu'on conserve au Musée d'Angers, imite, dans la partie recourbée par laquelle elle se termine, la tète et le corps d'un serpent recouvert de petites écailles émaillées d'azur relevé par un filet d'or; dans l'intérieur de la courbure se détachent deux jolies figures de cuivre doré, représentant l'archange saint Michel qui terrasse de sa lance un dragon dans le dos duquel est incrustée une ligne de turquoises. C'était un emblème des combats qu'on devait livrer au malin esprit lorsqu'on portait la crosse. Le caractère constant des moindres décorations chrétiennes, comme des plus vastes, est de renfermer sous la forme qu'elles représentent le symbole d'une idée.

Le plus remarquable de tous les ouvrages de ciselure qu'on connaisse de l'époque romane est certainement le magnifique devant d'autel qui avait été donné vers 1020 à la cathédrale de Bâle par l'empereur Henri II, et qui appartient depuis quelques années au Musée de l'hôtel de Cluni. Cette planche d'or pur, haute de plus d'un mètre et large de deux, est appliquée sur un fond de bois de cèdre et travaillée au repoussé. Elle représente cinq figures Jésus-Christ, les trois archanges Michel, Gabriel, Raphaël, puis saint Benoît, placés chacun sous une arcade à plein cintre.

Nous pourrions multiplier les détails de ce genre, mais ceux-ci suffisent pour montrer que les artistes des onzième et douzième siècles savaient assez délicatement employer les métaux pour la décoration. Il devait en être ainsi à une époque où l'équipement militaire commençait à exiger des mains très-habiles dans le maniement du fer.

Un autre art qui fut alors porté très-loin, et pour lequel le nom d'art n'a rien de trop ambitieux, est la fabrication des étoffes et des tapisseries. Toute la richesse dont on peut orner un tissu en y mélant l'or, les broderies et jusqu'aux pierres précieuses, était employée pour les vêtements sacerdotaux. On en conserve un certain nombre de fragments: les uns continuent le genre des étoffes apportées d'Orient et dont on a vu plus haut un exemple (p. 497). Les autres étaient inspirés par le goût national, et reproduisaient les rinceaux gracieusement enroulés qu'on voyait sculptés aux chapiteaux des églises tels sont les vêtements de saint Thomas de Cantorbéry qui se conservent au trésor de la cathédrale de Sens.

Les châtelaines et les plus grandes dames prenaient plaisir à façonner de leurs mains ces beaux ouvrages, ou à les faire fabriquer sous leurs yeux. C'est ainsi qu'Adélaïde de Guyenne, mère du roi Robert, fit don à saint Martin de Tours « d'une chasuble travaillée en or très-pur, sur laquelle on voyait, entre les épaules, la majesté du Pontife éternel et les chérubins avec les séraphins humiliant leurs têtes devant le Dominateur de toutes choses. Sur la poitrine était l'Agneau de Dieu, victime de notre rédemption, liant quatre bêtes de divers pays qui adoraient le Seigneur de gloire.

Elle fit aussi pour samt Denys, son protecteur spécial, une chasuble également d'un travail admirable. Elle lui offrit également, comme il convenait à une si haute personne, un ornement appelé le globe de la terre, et semblable à celui de l'empereur Charles le Chauve. » (Helgaud.)

On conserve, aux archives du Calvados, une charte de l'année 4190 dont le sceau est attaché à l'acte par deux cordons de soie qui sont l'oeuvre d'une main très-habile, aidée d'un métier très-avancé. Ces deux attaches, longues chacune de 50 centimètres, l'une verte, l'autre bleue, sont d'un tissu très-épais, trèsserré, affectant la forme cylindrique d'un petit boyau, et ornées sur une partie de leur longueur de dessins losangés qui se détachent en blanc. Le reste de la longueur est occupé par une devise de quatre vers dont les lettres, parfaitement nettes, ne sont ni appliquées ni brochées, mais bien ouvrées dans le tissu lui-même. L'objet de la charte est une restitution de biens faite par le roi Richard Coeur-de-Lion à deux époux, et l'on a trés-ingénieusement conjecturé que le mari avait ainsi voulu conserver religieusement un de ces lacs d'amour que les demoiselles tissaient pour leurs fiancés (1).

Un ouvrage bien autrement précieux provient de la comtesse Mathilde de Flandre, femme de Guillaume le Conquérant. C'est la célèbre tapisserie conservée depuis la fin du onzième siècle dans l'église cathédrale de Bayeux, et qui se trouve aujourd'hui exposée à l'étude et à la curiosité dans la bibliothèque de cette ville (voy. p. 252). Elle consiste en une pièce de toile de lin de 50 centimètres de hauteur sur 70 mètres de long, et représente l'histoire de la conquète de l'Angleterre par les Normands. Les figures sont tracées avec de la laine couchée et croisée; elles sont accompagnées de légendes latines qui expliquent chaque action. C'est un croquis rapide, mais qui représente avec une abondance et une fidélité inappréciables les faits, les cérémonies, les meubles, les costumes, l'attitude et presque la figure des hommes du onzième siècle. Histoire tracée par l'aiguille d'une femme, la tapisserie de Mathilde est plus riche de détails et de vérité que tout ce qu'on peut trouver dans les récits des chroniqueurs.

Ce dernier mot nous rappelle au rapide examen que nous devons faire de l'état où se trouvaient les lettres et les sciences quand les arts commençaient à devenir si florissants.

LETTRES AUX ONZIEME ET DOUZIÈME SIÈCLES. ÉCOLES. BIBLIOTHÈQUES.

Le dixième siècle, dans les dernières années du quel nous avons vu briller Gerbert et Richer, ne

(') Voici, en effet, cette devise:

Jo sui druerie (gage d'amour),
Ne me dunez (donnez pas).

Ki nostre amur deseivre (désunira),
La mort puist ja réceivre (recevoir).

s'était pas éteint tout à fait sans éclat littéraire; mais l'épanouissement qui succéda partout aux vaines terreurs de l'an mille apporta au siècle suivant une activité plus grande dans les travaux de T'esprit. On voit alors les écoles épiscopales ou monastiques, auxquelles la première impulsion avait été donnée par Charlemagne (p. 201), reprendre une vie nouvelle et grandir en nombre aussi bien qu'en importance.

L'Eglise primatiale des Gaules, Lyon, passait pour être encore, au onzième siècle comme aux temps antiques, « mère et nourrice de la philosophie ». Celle de Reims « aux coupoles dorées », que Gerbert avait rendue célèbre par ses leçons, de l'an 980 environ à 992, ne dégénéra pas entre les mains des successeurs de ce savant homme. Saint Maurille, qui mourut archevêque de Rouen, en 1065; saint Gervin, abbé de Saint-Riquier; Gervais, archevêque de Reims, en 1055; saint Bruno, le fondateur de l'ordre des Chartreux (4030-1101); Odon, plus tard pape sous le nom d'Urbain II (1088-1099); Robert, frère du duc de Bourgogne et évêque de Langres; beaucoup d'autres prélats dont les noms sont moins illustres participèrent, soit comme maitres, soit comme disciples, à un enseignement dont la base était toute théologique, mais qui s'étendait parfois jusqu'aux poëtes latins. La bibliotheque de l'église de Reims (car on commence aussi alors à parler des bibliothèques) avait été formée par Gerbert, qui lui avait laissé, en quittant son siége, un grand nombre de volumes qu'il avait amassés de tous côtés; un archevèque du nom de Manassé (1096-4406) se distingua par le soin particulier qu'il prit de l'enrichir.

On voit l'enseignement fleurir de mème aux écoles épiscopales de Besançon, de Langres, de Metz, où enseigna un écrivain fécond, Sigebert de Gemblours (4030-4412); à Tours, où se maintenait, quoique moins brillante qu'au temps d'Alcuin, son fondateur, l'école de Saint-Martin, et où brillait celle de la fameuse abbaye de Marmoutier; à Soissons, dont l'évêque Lisiard (4408-1427) fut le Mécene auquel Guibert de Nogent dédia son Histoire des croisades; à Rouen, où brilla Guillaume BonneAme, mort en 1440; au Mans, où le poète Hildebert (1057-1134), plus tard archevêque de Tours, enseigna les lettres avec éclat, après avoir été, pendant treize ans, modérateur (surveillant) aux écoles d'Amiens. De petites villes même avaient de bonnes écoles dans leurs églises paroissiales: telle fat cette église de Châtillon-sur-Seine où saint Bernard reçut les premiers principes de l'instruction. L'école de Chartres, illustrée au commencement du ouzième siècle et dès la fin du précédent par le docte Fulbert, qui devint évêque de la ville de 1007 à 1029, le fut encore, à la fin du même siecle, par un autre évêque, saint Yves (de 4091 à 1145), qui se distingua par un goût particulier pour la médecine et le droit ecclésiastique. L'historien Richer raconte dans son ouvrage (liv. IV) les dangers qu'il courut pour s'être rendu de Reims

à Chartres, en 991, dans le but d'y lire un traité d'Hippocrate. On cite deux disciples de Fulbert comme savants, de son temps, dans l'art médical, et le médecin qui donna les derniers soins au roi Henri Ier était un Chartrain nommé Jean.

Les écoles de médecine étaient nombreuses, si l'on peut appeler de ce nom un enseignement qui se bornait à l'explication de quelques ouvrages de l'antiquité et aux traditions d'une pratique grossière. Le moyen âge était trop imbu du besoin de croire sur la foi d'autrui pour se livrer avec succès aux sciences d'observation, et les malades n'étaient pas beaucoup mieux traités, aux onzième et douzième siècles, qu'au sixième quand les principaux remèdes étaient les reliques des saints ou les enchantements de la sorcellerie (voy. p. 474). On lit encore, dans la Vie de saint Bernard, le même trait qui paraît si souvent dans les récits de Grégoire de Tours: «Saint Bernard, encore enfant, était tourmenté d'un violent mal de tête. On le mit au lit, et on lui amena une femme pour apaiser sa douleur par des sortilèges. La voyant approcher avec son attirail d'enchantements par lequel elle avait coutume de tromper le vulgaire, il la repoussa loin de lui. » Cependant les juifs, instruits à l'école des Arabes, enseignaient la médecine dans le Midi de la France, et Montpellier fut renommé, dit-ou, dès le dixième siècle, pour cette science et pour la jurisprudence. Des jurisconsultes italiens y avaient été appelés par les seigneurs de la ville, et y professaient le droit romain. Placentin, l'un d'eux, y mourut en 4192, après avoir composé une Somme de droit et un Commentaire sur les Institutes de l'empereur Justinien. Il fut remplacé dans sa chaire par le célèbre Azo de Bologne. Un autre élève des écoles de jurisprudence italiennes, nommé Roger, professa à Paris, et surtout à Rouen, où il fut doyen de la cathédrale sous l'épiscopat de l'archevèque Rotrou (4464-4183).

A Toul, à Orléans, à Angers, florissait plus particulièrement la jurisprudence. La maison des comtes d'Anjou, très-lettrée, malgré le renom qu'elle avait acquis par sa violence, encourageait personnellement l'étude des lettres et du droit. En qualité de sénéchaux de la couronne de France, les comtes étaient très-occupés de judicature; un auteur du douzième siècle, chevalier engagé dans leur vasselage, Hugues de Cléers, atteste que, lorsqu'ils ne pouvaient se rendre à la cour du roi, on leur envoyait les pièces des affaires importantes, et qu'il les a vus très-souvent réformer, à Angers, les jugements rendus en France. Le comte Maurice d'Anjou, mort en 4042, frère de Foulques Nerra, passait pour une sorte de jurisconsulte. (Hist. litt. de la Fr., ví, 61.) Les comtes Geoffroi Martel (1006-4060), et Geoffroi le Bel, le premier des Plantagenets (1113-1151), brillaient, pour l'instruction, parmi leurs contemporains; c'était un de leurs aïeux, Foulques le Bon (mort en 958), qui avait répondu aux railleries du roi Louis d'Outre-Mer sur son assiduité à l'église et à l'é

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