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reculer, elle faillit perdre, dans une guerre avec les tribus riveraines de la droite du Var, ses colonies d'Antibes et de Nice. Alors elle appela les Romains à son secours.

Ce fut l'année 454 av. J.-C. que les légions romaines foulèrent pour la première fois le sol de la Gaule. Elles accablèrent d'abord les Oxybes et les Décéates, qui étaient les peuplades les plus voisines de Nice et d'Antibes; trente ans plus tard, ce fut le tour des Salyes, tribu plus importante, et qui menaçait plus immédiatement Marseille, car elle occupait l'espace compris entre la Durance et la mer (Salon, Aix). Les Salyes furent anéantis (années 125-423). Aussitôt les alliés soumirent la tribu des Cavares (Avignon, Carpentras), puis les Voconces (Vaison, Die), et arrivèrent jusqu'aux bords de l'Isère, en face d'une nation de montagnards redoutés, les Allobroges.

L'armée romaine ne s'était pas portée jusque-là sans se ménager d'autres alliances. Les Allobroges (Savoie et partie du Dauphiné) étaient unis aux Arvernes, qui dominaient au centre de la Gaule. Le peuple des Édues ou Éduens (Autun), rival des uns et des autres, et placé entre eux, se trouvait alors en guerre ouverte avec les Allobroges. Il consentit à combiner ses opérations avec celles des Romains, qui depuis plus de trente ans déjà (Apollodore) postulaient son amitié, et, par l'entremise de Marseille, il entra solennellement dans l'alliance de Rome. Les deux peuples échangèrent les noms d'amis, frères et alliés »; alliance et amitié fatales, dont les Édues devaient se repentir amèrement plus tard, et qui ne servirent qu'à l'asservissement de la nation tout entière.

La belliqueuse tribu des Salyes était détruite ou vendue à l'encan; mais son chef, nommé Teutomal, avait pu s'enfuir; les Allobroges l'avaient recueilli dans leurs montagnes. Le consul romain les somma de le livrer, et, de son côté, Bituit, roi des Arvernes, envoya sommer le consul de rétablir Teutomal et les Salyes dans leurs possessions. L'ambassade étonna les Romains par sa magnificence originale. L'envoyé arverne, splendidement • vêtu, était environné d'une troupe brillante de cavaliers, et à ses côtés se tenait un barde, la harpe en main, chantant alternativement la gloire de ses compatriotes, de son roi, et celle de l'ambassadeur. Mais les Gaulois durent se retirer sans rien obtenir. C'était donc la guerre.

Ce Bituit, ou Beteult, et sa famille étaient fameux par leurs habitudes fastueuses. Luern, son père, se promenait en public en faisant jeter devant lui des poignées de monnaie d'or et d'argent, et pour traiter ses amis donnait de tels repas que le vin s'amassait dans des citernes qu'on creusait pour la circonstance. Bituit rassembla les forces des Arvernes avec celles des peuples qui étaient leurs alliés ou leurs clients, et s'avança vers le Rhône, qu'il passa près de Valence, à la tête, disent les écrivains romains, de deux cent mille hommes. Sur la rive gauche du fleuve, il trouva quarante

mille Romains, commandés par deux consuls, Cneius Domitius et Fabius Maximus. L'ennemi était massé en colonnes serrées sur le penchant d'une colline. Bituit, monté sur un char d'argent, parcourut le front de bataille de ses Gaulois, dout l'extrémité se terminait par une meute de dogues dressés au combat, et voyant le peu d'espace qu'occupaient les légions romaines: «A peine, s'écriat-il, si mes chiens auront à manger! »

Ce fut une gigantesque bataille. Elle demeura longtemps égale; mais les Romains ayant tout d'un coup fait donner leurs éléphants de guerre, les Gaulois, qui n'avaient jamais vu ces adversaires prodigieux, et qui ne savaient pas les combattre, reculerent; les chevaux de leur cavalerie, épouvantés, portèrent le désordre dans les rangs. Bientôt ce fut une déroute générale; des deux ponts que l'armée arverne avait construits pour passer le Rhône, l'un se rompit sous le poids des fuyards: cent vingt mille Celtes périrent; d'autres disent cent trente, et mème cent cinquante mille. (Année 424 av. J.-C.) Le roi Bituit, laissant aux vainqueurs son char d'argent, qui fut porté triomphalement dans Rome, put gagner le pays des Allobroges, et demanda la paix. Le proconsul Domitius, feignant d'agréer ses propositions, l'attira à une conférence où, saisi par trahison, le malheureux roi fut chargé de chaînes, porté à bord d'un navire et conduit à Rome. Le sénat désapprouva hautement cette perfidie, mais il jugea bon de garder Bituit, qui mourut captif dans la ville d'Alba; et, par un surcroît de précaution, il fit venir en Italie, sous prétexte de veiller à son éducation, Congentiat, jeune fils du roi déchu et qui devait lui succéder.

Après sa victoire, l'armée romaine passa le Rhône. Elle soumit les peuplades celtiques placées entre ce fleuve et les Pyrénées, savoir, les Helves, les Volkes Arécomikes, les Sordes (Vivarais, bas Languedoc, Roussillon), et fonda au milieu de ce nouveau territoire une colonie romaine, c'està-dire une image de Rome, avec son sénat, son forum, ses comices, toute son organisation politique, enfin avec un port destiné à servir de station militaire pour une flotte romaine, et à neutraliser la puissance massaliote. La cité nouvelle, Narbone, fut érigée en capitale du pays compris entre les Alpes, l'Isère, les Cévennes et les Pyrénées. Son territoire, dont toutes le's parties n'étaient pas encore soumises, mais qui devait s'étendre bientôt jusqu'à la Garonne, reçut le titre de province romaine (448 ans av. J.-C.), titre que sa portion la plus voisine de l'Italie a gardé depuis; elle s'appelle encore la Provence.

Elle devait être bientôt une des plus belles et des plus paisibles possessions de Rome; mais pendant un demi-siècle encore, elle se débattit héroïquement contre les vainqueurs. Malheureusement, ses efforts n'avaient aucun ensemble, et, au lieu de réussir, provoquaient seulement d'impitoyables réactions. C'étaient tantôt les Volkes Tectosages (Toulouse) qui prenaient les armes, tantôt les Salyes ou les Voconces qui reparaissaient de nouveau,

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tantôt les Allobroges qui reprenaient courage; tentatives désespérées, que le colosse romain écrasait sans peine, et qu'il punissait ensuite par d'effroyables exactions militaires et administratives. Une seule fois le danger fut immense pour les Romains; mais il pesa sur les opprimés aussi bien que sur les oppresseurs. Ce danger vint du nord, et les Gaulois de l'est et du midi ne firent que s'associer à un mouvement parti de la rive droite du Rhin. Vers l'an 413 av. J.-C., la mer Baltique envahit et bouleversa ses rivages. Les dernières lignes de la race des Gaulois septentrionaux, ou Kimris, échelonnées jusqu'à la pointe de la presqu'île du Danemark, s'enfuirent devant le fléau, forcées de se conquérir, le fer à la main, une autre patrie quelque part. Les Kimris, mieux connus de nous sous le nom de Cimbres, alliés avec un peuple germanique victime de la même catastrophe, les Teutons, inondèrent donc tout à coup les contrées plus méridionales. C'était, disent les historiens, un torrent de douze cent mille créatures humaines qui cherchaient un asile. Ils arrivèrent par le Rhin et le pays des Helvètes, et traversèrent tout entière la Gaule épouvantée, entraînant avec eux ceux qui voulaient s'associer à leur fortune, exterminant tout le reste. Quatre armées romaines tombèrent successivement sous leurs coups; l'une d'elles, dans le pays des Allobroges, fut forcée, par une petite armée de vingt mille Helvètes Tigurins (canton de Zurich), de passer sous le joug; l'autre, qui comptait quatre-vingt mille soldats romains et quarante mille esclaves ou valets d'armée, commandée par les consuls Servilius Cépion et Manlius, fut exterminée par les Gallo-Cimbres, avec une telle rigueur que tout ce qui était romain ou avait appartenu aux Romains fut passé par le fer ou jeté au feu, jusqu'aux chevaux et aux bètes de somme, jusqu'aux armes et aux vêtements. Les barbares, avant de combattre, avaient voué l'armée ennemie tout entière au dieu des batailles, et ils tinrent parole en n'épargnant que dix hommes pour faire porter en Italie la nouvelle de ce grand désastre (6 octobre 405 av. J.-C.). Mais ils ne surent pas profiter de leurs victoires, et trois ans après, le fameux consul romain Marius les extermina à leur tour dans deux batailles livrées, l'une près d'Aix en Provence, l'autre à Verceil en Italie, où les restes de la horde kimro-teutonique périrent tout entiers.

A la suite de cette invasion terrible, la province Narbonaise, toute troublée encore, excitée par le souvenir de ses antiques libertés et par la tyrannie de ses gouverneurs romains, parmi lesquels se distingua le proconsul Fonteius, que l'éloquence de Cicéron fit acquitter des justes accusations portées par des populations entières, la Narbonaise fit encore quelques vains efforts pour briser ses liens. Un héros dont il ne nous est presque resté que le nom, Catugnat, souleva de son côté ses compatriotes les Allobroges, et put tailler en pièces quelques détachements romains sur l'Isère; mais il succomba encore sous le nombre (année 62 av.

J.-C.). Ce fut la dernière convulsion de la liberté ̧ mourante chez les Gaulois du midi.

CONQUÊTE DE LA GAULE PAR JULES CÉSAR.

Le désastre des Allobroges, l'abaissement et la servitude de la Gaule méridionale, n'excitèrent pas une grande émotion parmi le reste des Gaulois. L'imprévoyance de leur caractère, les vanités particulières de chacune de leurs petites nations, qui formaient jusqu'à quatre cents peuplades différentes, la diversité des intérêts opposés qui se heurtaient de plus en plus à mesure que la civilisation leur donnait plus d'importance, dissolvaient chaque jour davantage les liens de la grande famille gaëlique. Plus d'expéditions au dehors, mais partout des haines intestines. Avant l'arrivée de César, chaque année éclataient de nouvelles guerres civiles, et, jusqu'à leurs derniers jours de liberté, leurs épées se plongèrent dans le sang gaulois avec autant de rage que dans celui de leurs oppresseurs.

Il semble, quand on considère cet état d'anarchie désolante, au milieu de laquelle la masse du peuple n'était plus qu'une troupe de serfs ou de vassaux dont les petits tyrans de chaque tribu se servaient pour leurs ambitions personnelles, et qu'on voit ensuite cette turbulence aveugle maîtrisée enfin par la dure discipline de l'administration romaine, il semble que la conquête de César ait, non pas étouffé, mais régénéré et rajeuni la Gaule. Entraînée tout entière dans la communauté de l'infortune, la race gauloise ne pouvait plus se méconnaître tandis que tous ses membres se crispaient de la même douleur; et plus tard, ses souffrances calmées, elle se retrouva un peu brunie, un peu embellie en même temps par le contact italien, et plus elle-même peut-être qu'elle ne l'avait jamais été. Ne maudissons pas César. Il a, par l'effort d'une transformation douloureuse, forcé à revivre l'esprit de nos aïeux, qui s'en allait en décomposition sans avoir produit encore d'assez grandes choses dans l'humanité.

D'ailleurs un autre danger, plus à redouter encore, se préparait contre les Celtes: c'était le menaçant voisinage des Germains, qui bordaient la rive droite du Rhin depuis que les Cimbres l'avaient quittée, et harcelaient sans cesse la Belgique et l'Helvétie. Plusieurs tribus germaniques s'étaient déjà installées dans cette Gaule féconde, que leur race devait convoiter encore pendant cinq cents ans avant de s'y établir. C'étaient les Gaulois qui les avaient appelées.

L'alliance de Rome avait assuré aux Édues la suprématie à laquelle ils aspiraient; leur domination s'étendait jusque sur les Bituriges, par lesquels ils étaient maîtres d'une partie de la Loire et pressaient les Arvernes, tandis qu'à l'opposite ils menaçaient les Séquanes et ruinaient leur commerce de salaisons en frappant de péages excessifs la navigation de la Saône. Arvèrnes et Séquanes firent alliance, et comme les Édues avaient grandi par l'influence des étrangers qui occupaient la Nar

précédent les Ambrons (Berne) et les Tigurins (Zurich), qui avaient toujours victorieusement défendu

BRITA

bonaise, les alliés conçurent la pensée fatale de s'appuyer de même sur les étrangers de l'autre côté du Rhin. Les Séquanes, qui confinaient à ce grand fleuve, en firent venir quinze mille sous la conduite d'un fameux chef souabe, nommé Arioviste. La république éduenne fut vaincue dans deux batailles sanglantes, obligée d'entrer à son tour dans la clientèle des Séquanes et de leur livrer en ôtages les enfants des plus illustres familles; son rergobret, on premier magistrat en charge, le druide Divitiae, courut à Rome implorer le secours du sénat. Il

l'amitié gagna de Cicéron par ses qualités personnelles, mais il n'obtint rien pour son pays. (62 av. J.-C.)

Il n'y eut pas besoin des légions pour punir la félonie des Séquanes; Arioviste luimême s'en chargea. Il fit venir des forêts de la Germanie de nouveaux compagnons d'armes, et lorsqu'il se crut assez fort, il déclara à ses hôtes qu'il lui fallait le tiers de leur territoire. Alors les frères ennemis se donnèrent la main; mais il était trop tard. Les Gaulois réunis furent de nouveau taillés en pièces, obligés de subir les conditions du vainqueur, et, deux ans après (en 59), Arioviste occupait tranquillement les plaines de la Saône et du Doubs avec une armée de cent vingt mille Germains.

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C'était là pour les Celtes de l'Helvétie un changement redoutable. Ces fortes et courageuses tribus, qui avaient fourni aux grandes guerres du siècle

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Allobroges en province romaine; et maintenant sommités du Jura. On les étouffait dans leurs l'établissement des Germains à l'ouest achevait de vallées; encore un peu de temps, l'on n'avait qu'à

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descendre pour les

anéantir. Les Helvètes
prirent alors la résolu-
tion héroïque d'aban-
donner complétement
leur pays et d'aller
s'établir ailleurs. Ils
rèvaient de se rendre,
perçant à travers toute
la Gaule, sous un
ciel plus doux et dans
un pays moins me-
nacé, chez les Santons
(Saintonge) adossés
à l'Océan. Un chef
puissant, le plus il-
lustre de leur répu-
blique, était l'àme de
ce projet, et parvint
à le faire adopter par
le sénat helvétique;
mais ce chef, nommé
Orgétirix, portait ses
vues plus loin. Il as-
pirait pour les Helvè-
tes au pouvoir suprê
me sur la Gaule, et
pour lui-même au pou-
voir suprême parmi les
Helvètes. Il pensait
que, maître du terri-
toire des Santons, si
favorablement abrité
entre la mer, la Loire
et la Garonne, et roi
des Helvètes, les plus
valeureux guerriers
de la Gaule,
peuple celtique ne se-
rait en état de lui ré-
sister. Il fallait seule-
ment qu'il s'entendit
d'abord avec les Edues
ou les Séquanes, qui
lui barraient le che-
min. Ses compatrio-
tes, auxquels il ne
communiqua que son
projet d'émigration,
l'accueillirent avec en-
thousiasme; ils l'en-
voyèrent négocier lui-
même pour s'assurer
du libre passage du
Jura et de la Saône. Là
il trouva deux jeunes

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aucun

gens tout prêts à le seconder dans ses vues ambitieuses chez les Séquanes, Castic, qui, par sa mère Catamantalède, était le petit-fils d'un ancien

roi du pays; chez les Eduens, Dubnorex, jeune homme plein d'une fougueuse audace, possesseur de revenus immenses, et frère du vergobret Divitiac. Orgétirix lui fit épouser sa fille.

Monnaie de Divitiac. (Deiouigiiagos.)

Cet Orgétirix, dont la hardiesse et l'intelligence sont incontestables, aurait été, suivant quelques historiens, un homme plein de patriotisme et de génie, dont les gigantesques projets tendaient à préserver l'indépendance de la race gaélique. Ne pouvant avec l'Helvétie seule arrêter les envahissements de l'étranger, il voulait, dit-on, fonder par eux l'unité de la Gaule; il aurait, des bords de la Charente, n'ayant plus d'ennemis par derrière et se croyant sûr de la supériorité militaire de ses Helvètes, placé ce peuple à la tête d'une confédération générale assez forte, tous les bras étant unis comme tous les cœurs, pour refouler les Romains au midi et rejeter les Germains dans leurs forêts. Cette grande conception fut-elle bien

Monnaie d'Orgétirix. ( Orcitir. Coios.)

le plan généreux d'Orgétirix? Il est permis d'en douter. Ce n'était pas vouloir fortifier la Gaule que de marcher à l'extermination d'une tribu lointaine en écrasant vingt autres peuplades sur son passage. A ces grandes idées de famille et de races humaines, les peuples anciens obéissaient par l'impulsion secrète de forces instinctives; mais ils ne les connaissaient pas. Qu'ils fussent ou non grandioses, les plans d'Orgétirix avortèrent; ses concitoyens, avertis qu'il aspirait à la tyrannie, le mirent en jugement, et il ne s'agissait de rien moins pour lui que d'être brûlé vif; car c'était de ce supplice terrible que, chez nos ancêtres, on punissait les usurpateurs. Au jour solennel, la famille de l'accusé tout entière, c'est-à-dire tout son clan, parents et esclaves, formant un effectif de dix mille hommes, augmenté des nombreux clients et débiteurs qu'il avait dans d'autres familles, comparut en armes avec son chef et l'enleva. Aussitôt les magistrats envoyèrent dans les campagnes appeler le peuple au combat, lorsqu'on apprit tout

à coup qu'Orgétirix avait cessé de vivre. Il s'était lui-même donné la mort.

Cet événement n'arrêta pas les résolutions prises pour l'émigration qu'on poursuivait depuis deux ans, et dont l'époque avait été fixée, trois ans d'avance, au printemps de l'année 58 av. J.-C. Après avoir fait d'énormes préparatifs en chariots, en attelages et en grains, les Helvètes, pour s'ôter jusqu'à l'idée du retour, brûlèrent leurs villes de refuge, qui étaient au nombre de douze, leurs quatre cents villages, leurs chalets isolés, et jusqu'aux meubles et aux provisions qu'ils ne pouvaient emporter; puis ils partirent, entraînant avec eux quelques peuplades voisines : les Raurakes (Bale), les Tulinges (Stuhling en Souabe), les Latobriges (Breggen), les Boïes. Ils étaient en tout quatre-vingt-douze mille combattants, ayant avec eux à conduire et à défendre une masse de deux cent soixante-seize mille individus, vieillards, femmes et enfants. Leur rendez-vous général, fixé au 28 mars, était à l'extrémité de leur territoire, à l'endroit où le Rhône sort du lac de Genève; à quelques lieues de là, ses flots rapides viennent baigner le pied du mont Jura, ne laissant passage que pour un seul chariot à la fois sur un chemin bordé d'un côté par des rochers à pic, de l'autre par un précipice au fond duquel bouillonne le fleuve. Les chefs de l'expédition, voulant éviter un passage si difficile, et craignant de s'engager dans les gorges non moins périlleuses du Jura, comptaient traverser le Rhône près Genève, de gré ou de force. Cette ville, la première des Allobroges, avait un pont, et le Rhône pouvait d'ailleurs se traverser avec des radeaux.

Mais le proconsul romain chargé du gouvernement des deux Gaules Cisalpine et Transalpine, était Jules César, le plus grand capitaine et le plus grand ambitieux des temps anciens. César était à Rome. Aux premières nouvelles de ce qui se passe, il accourt à Genève, coupe le pont, et, n'ayant qu'une légion sous la main (six mille hommes), commence par gagner du temps en amusant de paroles vagues les émigrants, qui l'envoient prier de consentir à leur passage par la Province. C'était leur unique chemin, disaient-ils, et ils voulaient la traverser sans y commettre le moindre, dégât. César employa les délais qu'il sut gagner à rassembler des troupes, à élever de l'autre côté du Rhône, depuis Genève jusqu'au Jura, un talus de seize pieds de haut, défendu par un fossé; puis, lorsqu'il se vit assez fort, il déclara aux Helvètes qu'ils ne passeraient pas. En effet, ceux-ci, après quelques efforts infructueux, renoncèrent à forcer les lignes romaines.

Il ne leur restait que les défilés si périlleux du Jura. Dubnorex l'Eduen, le gendre d'Orgétirix, eut assez d'influence chez les Séquanes pour obtenir aux Helvètes le passage libre, sous la condition qu'ils traverseraient sans perpétrer aucune violence. De Genève, César put voir les masses gauloises s'enfoncer dans les gorges de la mon

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