Page images
PDF
EPUB
[graphic][ocr errors][subsumed]

Vitrail peint, exécuté par ordre de Suger, et existant encore à l'église de Saint-Denys.

mème sa cause, reprit en toute hate la route de Poitiers. Son voyage ne fut pas sans périls; deux

I.

fois elle fut arrêtée par des prétendants qui vonlaient l'épouser de force à Blois, par le comte

Thibaud, qui tenta de la garder comme prisonnière; à Piles-sur-Loire, par Geoffroi d'Anjou, jeune homme de dix-huit ans, qui se mit en embuscade pour l'enlever. La passion avait peu de part à ces entreprises amoureuses; il s'agissait des domaines que la belle duchesse d'Aquitaine devait

normands, qui, en faisant payer à Étienne une fidélité douteuse, avaient augmenté leurs libertés aux dépens de la couronne. Dans le cours de l'année 4455, la chute de cent quarante châteaux fortifiés leur montra quelle était l'humeur despotique du roi qu'ils avaient accepté. Ce prince habile évitait, du reste, de froisser sans utilité leur amour national, et l'un des premiers actes de son administration avait été d'expulser les soldats brabançons attirés en foule par le feu roi, aventu

[graphic]

Denier d'argent d'Éléonore, duchesse d'Aquitaine.

accorder en même temps que sa main. Le frère ainé du jeune Geoffroi, Henri Plantagenet, comte d'Anjou et duc de Normandie, le plus brillant et le plus redoutable des vassaux de Louis VII, fut celui que choisit Éléonore (1152). Elle avait trentedeux ans, et lui dix-neuf.

Louis, comprenant alors toute l'étendue d'une erreur qui donnait au duc de Normandie le littoral entier des Gaules, depuis l'embouchure de la Somme jusqu'à l'Adour, avait défendu ce mariage à son vassal, et, comme celui-ci n'en avait tenu nul compte, il organisa contre lui une coalition dans laquelle entrerent Étienne, roi d'Angleterre; les trois fils de Thibaud, comtes de Champagne, de Blois et de Sancerre; Robert de Dreux, et Geoffroi d'Anjou lui-même, désespéré d'avoir vu son

frère l'emporter sur lui. Henri Plantagenet tint

[blocks in formation]

tête à la coalition avec les armées qu'il avait préparées contre les Anglais, et conduisit les opérations avec tant d'habileté qu'il obligea ses ennemis à accepter une trève dont il profita pour attaquer le roi d'Angleterre Étienne et le contraindre à lui assurer sa succession. Étienne mourut le 24 septembre 4154, et Henri Plantagenet, déjà maître de la Normandie, de l'Anjou et de l'Aquitaine, devint Henri II, roi d'Angleterre. Le roi de France avait fait la paix avec lui au mois d'août précédent et s'était résigné à recevoir son hommage pour les domaines d'Éléonore. La même année, Louis épousa Constance de Castille, dont l'avènement n'apportait au royaume aucun agrandissement territorial.

Henri II s'occupa d'affermir son autorité dans son royaume et d'abattre l'orgueil des barons anglo

Statue d'Éléonore d'Aquitaine, en pierre peinte et dorée, conservée à Fontevrault.

riers méprisés des barons anglais, qui refusaient de marcher à côté d'eux au combat.

Le père de Henri II, le vieux Geoffroi Plantagenet, avait, comme on l'a vu, accordé par testament, à son fils aîné, la possession de la Normandie et de l'Anjou, à condition que si celui-ci parvenait à reconquérir l'Angleterre, son héritage maternel, il rendit le Maine, l'Anjou et la Touraine à son frère cadet, et Henri avait juré sur le lit de mort de son père d'exécuter ces volontés dernieres. Mais une fois sur le trône d'Angleterre, il sut obtenir que le pape Adrien IV le déliat de son serment. Cette violation de la foi jurée pouvait être l'occasion

d'une guerre entre Henri II et Louis VII, qui devait protection au jeune Geoffroi d'Anjou, son vassal; Henri eut avec Louis VII une entrevue à Rouen, dans laquelle, se jetant à ses genoux, il lui prit les mains et lui fit hommage pour tous les fiefs qu'il tenait de la couronne de France. Cette déférence spontanée gagna Louis VII, et Geoffroi d'Anjou fut sacrifié. Il continua cependant la guerre, mais fut aisément vaincu, et, au lieu de la souveraineté que lui destinait son père, il se vit réduit à accepter une pension de mille livres sterling et de deux mille livres angevines.

Une occasion propice livra encore à Henri II la Bretagne. Les Bretons, trop occupés de leurs débats intérieurs, étaient étrangers aux événements qui s'agitaient autour d'eux; c'était d'ailleurs un peuple commerçant et industrieux nou moins que guerrier. Deux grandes villes, Nantes et Rennes, se disputant la suprématie, nourrissaient entre elles un état de rivalité voisin de la haine. Leur hostilité éclata à la mort du duc Conan III (4448). Hoël, fils de ce prince, fut accepté comme son successeur à Nantes, tandis que Rennes reconnut un seigneur breton qui prit le nom de Conan IV. Hoël ne put se maintenir. Les Nantais alors offrirent la couronne à Geoffroi Plantagenet, qui accepta, avec l'assentiment de son frère; mais il mourut l'année suivante (1158), et Conan IV fut reconnu par la Bretagne entière. Aussitôt Henri II réclama le comté de Nantes en qualité d'héritier de son frère, et somma Conan de comparaître devant son tribunal, comme relevant du duché de Normandie. Mais Conan, en se disant vassal de la couronne de France, qui, elle aussi, prétendait à cette suzeraineté, pouvait gagner l'appui de Louis VII. Henri II évita ce danger en reprenant le titre, attaché au comté d'Anjou, de grand sénéchal de France. Louis VII s'en rapporta, cette fois encore, à la déférence apparente du roi d'Angleterre, et lui permit de s'emparer du comté de Nantes et de la suzeraineté sur le reste de la Bretagne. Bien plus, il fiança sa fille Marguerite, âgée d'environ six mois, avec le fils aîné de Henri II, âgé de trois ans; il fut convenu que cet enfant, nommé aussi Henri, aurait en Angleterre Lincoln, et en Normandie Avranches, avec cinq cents fiefs de chevaliers tant dans l'un que dans l'autre pays; Louis VII devait donner en dot à sa fille le Vexin normand, qu'il avait obtenu, huit ans auparavant, de Henri II. Les Templiers étaient chargés d'occuper cette province jusqu'à ce que les enfants fussent en âge de se marier.

Henri II, réconcilié aussi avec les fils de Thibaud le Grand comte de Champagne, libre de disposer des troupes flamandes comme tuteur de son neveu Philippe d'Alsace, jugea le moment favorable pour donner suite aux prétentions de sa femme sur le comté de Toulouse. Raymond V, alors possesseur de cette grande seigneurie, se prépara à la lutte. Il appela le roi de France, dont il était le beau-frère, à son aide. Louis VII se laissa tromper, comme toujours, par les protestations de Henri II,

[merged small][graphic][merged small][subsumed][merged small]

Elle n'avait point donné de fils à son époux, qui d'Éléonore de Guyenne n'avait non plus que deux filles. Louis, arrivé déjà à l'àge de quarante et un ans, se remaria presque aussitôt avec Alix de Champagne, sœur des comtes de Champagne, de Blois et de Sancerre. Henri II, craignant dès lors de voir le Vexin normand lui échapper, exécuta de suite la convention qui devait faire retourner cette province à l'Angleterre; il fit marier, avec une dispense du pape, son fils, âgé de six ans, avec Marguerite de France, qui en avait trois, et se fit remettre le Vexin par les Templiers. Cette fois, Louis VII se laissa emporter par une juste colère; il expulsa les Templiers du royaume et se jeta sur la Normandie. Les frontières de ce pays, et d'autre part celles de la France, furent cruellement ravagées; mais les exploits se bornèrent là, et la paix de 4460 fut renouvelée.

Henri II profita de ce moment de calme pour visiter l'Aquitaine, où il soumit les Gascons rebelles; au retour de cette expédition, il fut invité par le comte Raymond V à assister au concile de Toulouse, où devaient être examinés les droits des deux papes Alexandre et Victor qui divisaient l'Occident. Louis VII s'y rendit également; l'empereur Frédéric, les rois de Castille, d'Aragon et de Navarre, s'y étaient fait représenter. Un décret du concile reconnut Alexandre III et excommunia Victor, malgré l'empereur, qui soutenait ce dernier et avait cherché à entraîner Louis VII dans son parti (août 4162).

Henri II était alors à l'apogée de sa puissance. En Angleterre, il avait soumis ses voisins les plus remuants, les Gallois et les Écossais; tous les peuples sur lesquels il avait une domination directe

lui étaient dévoués; déjà il pouvait prévoir le moment où son successeur, l'héritier de la maison d'Anjou, non moins française que celle des Capétiens, et plus puissante, réunirait sur sa tête les couronnes de France et d'Angleterre. La naissance d'un fils de Louis vint couper court à ces ambitieuses espérances (22 aout 4165), et c'était précisément sous la main de cet enfant que devait s'évanouir, du vivant mème de Henri II, le prestige des Plantagenets.

La fin de ces deux règnes et de ces deux hommes

si différents l'un de l'autre peut être citée comme une des belles leçons de l'histoire. Le descendant du bon roi Robert, si doux lui-même, si dévot, si timoré, si dépourvu de savoir-faire, sacrifie les plus graves intérêts aux scrupules de sa conscience; le Plantagenet, au contraire, plein d'esprit, d'ardeur, de talent, heureux héritier des seigneurs normands et angevins, c'est-à-dire de deux races cupides, impies, féroces, et lui-même souillé de vices, de débauches, de tous les excès d'une volonté sans foi et sans frein, marche dans une voie de prospérités

Innomne fce & muudne trinitatif. (go ludoincus di grany

Formule initiale d'une charte de Louis VII, donnée vers 1150:- Croix de Jésus ou Chrisme. « In nomine s[an]c[t]e » et individue Trinitatis. Ego Ludovicus D[e]i grati]à rex. »

qui, depuis près de vingt ans, ne cessent de s'accroître. Mais un peu de temps encore, et la moralité des faits s'illumine.

Il y avait à la cour d'Angleterre, parmi les familiers les plus assidus et les plus complaisants de ce prince dont les résolutions n'avaient jamais rencontré d'obstacle, un ecclésiastique mondain nommé Thomas Becket. Il était né à Londres, en 4449. Doué d'une rare intelligence, il avait étudié avec éclat, pendant sa jeunesse, aux universités d'Oxford, de Paris et de Bologne, puis il était devenu diacre de l'église de Cantorbéry et favori de Henri II, qui le fit chancelier d'Angleterre. Il avait, en cette dernière qualité, amassé des richesses immenses, et, lors de l'expédition sur Toulouse (4459), il avait levé et équipé un corps d'armée à ses frais, pour le service du roi. Les priviléges de l'Église d'Angleterre, défendus surtout par son primat l'archevêque de Cantorbéry, génaient les vues administratives de Henri II. I crut faire un trait de haute politique, et c'en était véritablement un, en faisant investir son favori de cette dignité archiepiscopale. Thomas Becket s'y refusait, et lui représentait qu'une fois élu primat d'Angleterre, sa conscience l'obligerait à résister aux exigences royales; Henri ne crut pas à cette vertu, et força le chapitre de Cantorbéry, qui repoussait aussi de son côté le candidat, à consommer l'élection. Peu de temps après, le roi commença l'exécution de ses plans: il prétendit soumettre à la juridiction civile les personnes et les matières ecclésiastiques; il limitait le droit des prélats quant à l'excommunication des officiers de la couronne, il plaçait les élections ecclésiastiques sous son influence immédiate, et assimilait les fiefs ecclésiastiques aux fiefs laïques, en exigeant d'eux jusqu'aux devoirs militaires. C'étaient des réformes justes et sensées, mais leur temps n'était pas encore venu. Le roi fit publier ces dispositions, toutes nouvelles alors, dans un parlement d'évêques et de barons qui se tint à Clarendon, le 25 janvier 4164, et

ordonna que tous les évêques anglais jurassent d'y obéir.

Mais le primat d'Angleterre n'était plus le même homme qu'on avait vu jadis en Thomas Becket. Le courtisan souple et fastueux avait tenu parole, et, en montant sur le siége archiepiscopal, il avait pris les mœurs austères et les vues élevées qui convenaient à sa dignité nouvelle. Il prêta le serment qu'on lui imposait, mais il écrivit au pape pour lui exposer les faits et le prier de refuser son approbation aux constitutions de Clarendon. Le roi, outré de cette audace, confisqua les biens de l'archevèque, l'accusa publiquement de malversations dans son office de chancelier, et afficha un tel ressentiment contre « le traître » que celui-ci prit le parti de chercher un asile en France, où le pieux Louis VII l'accueillit avec joie. Le pape, craignant de se brouiller avec le roi d'Angleterre, soutenait l'archevèque mollement et de mauvaise grace. Henri menaçait de se faire plutôt mahométan que d'accepter la restauration de l'archevêque de Cantorbéry dans son église. Thomas attendit patiemment, retiré à l'abbaye de Pontigni, près Auxerre. En 4466, son redoutable souverain étant venu sur le continent, l'archevêque de Cantorbéry se rendit à Vézelai et fulmina une excommunication solennelle contre les fauteurs des constitutions de Clarendon et les détenteurs de son patrimoine ecclésiastique. A cette nouvelle, Henri II entra dans un accès de fureur. Il jeta au loin son chaperon, il se roula par terre, il arracha son baudrier et ses vêtements, et, enlevant l'étoffe de soie qui couvrait son lit, il se mit à ronger la paille comme une bête fauve. Revenu à lui-même, il fit tout, jusqu'à offrir au pape d'abandonner les constitutions de Clarendon, afin de se venger de l'homme qui l'avait bravé. Cependant, après de longues négociations où s'entremit surtout Louis VII pour pacifier cette affaire, Henri II feignit d'oublier ses griefs, et Thomas Becket, bien qu'il ne crût pas à ses promesses, n'hésita pas à repasser en Angleterre, pour reprendre, au mépris

[merged small][ocr errors][merged small]

d'étendre son autorité, imposa au roi, en punition du crime, les plus dures concessions. Mais là se borna la punition des coupables: Henri II fut absous par les légats aussi bien que les quatre assassins. Thomas Becket, il est vrai, fut canonisé par l'Église, et peu de saints furent honorés, après leur mort, d'une vénération plus fervente.

Ayant apaisé l'orage, le roi d'Angleterre songea à reprendre la série de ses conquêtes; il acheva de Soumettre l'Irlande avec l'assentiment du pape, et termina ses démêlés avec le comte de Toulouse en l'obligeant à reconnaître sa suzeraineté. Malgré la

gloire dont il avait entouré sa couronne, Henri II était universellement haï les grands étaient mécontents; le peuple détestait en lui le meurtrier de Thomas Becket; le clergé, l'envahisseur de ses priviléges. Il était odieux à sa femme par ses déportements, ses adultères, ses débauches; et ses fils, qui valaient moins que lui encore, étaient impatients de régner. L'aîné d'entre eux, Henri CourtMantel, se destinait le royaume d'Angleterre; le second, Richard Coeur-de-Lion, le duché d'Aquitaine; le troisième, Geoffroi, la Bretagne. Louis VII encouragea les dispositions des jeunes princes à la révolte et promit de les seconder. Leur père, après s'être adressé au pape, qui se montra, comme toujours, hésitant et cauteleux, résolut d'arrêter par les armes une rébellion qui menaçait de le renverser, et lui-même attaqua Louis VII qui s'était jeté sur la Normandie. On se battit pendant les années 1473 et 1174 avec acharnement. Richard ayant obtenu l'Aquitaine et Geoffroi la Bretagne, qu'ils convoitaient (1476), se rapprochèrent de leur père, et Louis resta seul pour soutenir le fardeau de la guerre, qui dès lors traîna en longueur.

Le dernier acte de Louis VII fut le couronnement de son fils, Philippe de France, qu'on appelait Auguste parce qu'il était né au mois d'août. Il voulut que cette cérémonie fût célébrée en grande pompe elle eut lieu, en effet, à Reims, le 1er novembre 1479, en présence d'un immense concours de prélats et de barons: Henri au Court-Mantel portait la couronne, et Philippe de Flandre portait l'épée du jeune roi.

Louis VII ne put ajouter sa présence à l'éclat de la solennité la maladie le retenait à Paris, dans son palais de la Cité. Il languit quelques mois encore, et mourut le 18 septembre 1180.

[graphic]
[blocks in formation]

« On aurait dit, au sortir de l'an 1000, que le monde secouait les haillons de son antiquité pour revêtir une blanche robe d'églises. »Nous avons cité cette heureuse et poétique expression du chroniqueur Raoul Glaber (p. 240), cherchant à peindre la renaissance dont il fut témoin. « Les fidèles, ajoute-t-il, ne se contentèrent pas de reconstruire presque toutes les églises épiscopales; ils embellirent aussi tous les monastères dédiés à différents saints, et jusqu'aux chapelles des villages. »>

C'est, en effet, des premières années du onzième siècle que date la création la plus originale et la plus grandiose du moyen âge, l'art chrétien, qu'on a longtemps appelé le gothique, mot impropre que rien ne justifiait. Les archéologues distinguent, dans les différentes phases de l'art chrétien, une première période embrassant les onzième et douzième siècles, et qu'ils nomment période romane, c'est-à-dire pendant laquelle les artistes, tout en créant des œuvres dont la pensée leur appartenait

« PreviousContinue »