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le clerc sera justicié par son maître, le sergent du clerc par le clerc, le chevalier par son seigneur, le sergent du bourgeois par le bourgeois; et si le supérieur ne rend justice à son inférieur, qu'ils le veuillent ou non, la cause sera dévolue au comte.

Il semble, d'après les termes de la charte, que ces premiers articles (elle en contient cinquante et un en tout) aient été les statuts primordiaux de la ville de Saint-Quentin, et que le comte Herbert n'ait fait que les confirmer. Les autres, dont il suffira de citer les principaux, paraissent avoir été ajoutés, du consentement du comte Herbert, à plusieurs époques successives, et portent une empreinte encore plus marquée de la décadence des comtes de Vermandois.

Les clercs et les chevaliers ne seront tenus de rien fournir pour la mise de la ville en état de défense. Les serviteurs, tant des clercs que des chevaliers et des bourgeois, n'iront pas aux expéditions militaires, mais resteront pour garder les maisons et les choses de leurs seigneurs. Chacun peut construire sur sa terre malgré ses voisins, pourvu qu'il n'élève pas sa maison plus haut qu'eux. — Si quelqu'un est vassal ou censitaire d'un seigneur, il rendra ses devoirs à son seigneur en restant sur sa terre du commencement d'août à la fin de la moisson; après la moisson, il reviendra au bourg; puis, du 1er février au 1er mai, il repartira pour cultiver ses terres; mais le 2 mai il devra revenir au bourg jusqu'au mois d'août. - Le chevalier peut séjourner par tout l'an à la campagne, à moins que ne croisse le soin de bataille. Nul échevin ne recevra d'argent pour la justice ou les affaires de la commune, ou s'il le faisait, il serait au plaisir de la commune d'abattre sa maison ou autre justice faire. De même le maire s'il prenait plus de cinq sous. Nous avons déjà jugé que si quelqu'un injurie ou frappe un juré, ou lui enlève son bien à tort, qu'il soit puissant ou non puissant, il ne devra pas venir en ville avant d'avoir fait droit devant les jurés du dommage et de l'injure, car, par aventure, il se pourrait que bientôt il en eût la mort ou autre cruauté; car, s'il était pris, le maire pourrait à sa volonté lui couper un membre ou en faire autre justice sans que rien l'en empêchât. Aucun seigneur n'enlèvera rien à ses propres hommes ni à d'autres faisant partie de la commune, et ne pourra se faire rien livrer que sur bons gages et moyennant payement au terme convenu. - Si le seigneur de la commune requiert livraison de trente livres en pain, en vin ou en viande, volontiers la commune les donnera, et s'il ne veut payer, la commune remboursera les créanciers; mais il sera en notre volonté de fournir ou non davantage. Et si nous prenions un ravisseur des choses de notre commune, peine de vengeance en pourrions prendre sans autre justice. Si le maire ou un échevin, soit à l'armée, ou à l'assaut d'une forteresse, ou devant quelque château, ou en marche, blessait son juré, comme il advient souvent, ou le frappait d'un bâton, et qu'il fùt cité pour cela en justice, celui qui aurà porté le coup se justifiera en jurant qu'il n'a agi que pour le profit, l'honneur et le bien de la commune, et le blessé pourra seulement réclamer les frais de sa maladie. - Et si quelque châtel ou autre maison est prise par force de la commune, ce que chacun ravira sera à lui; et si le lieu est rendu au seigneur de la commune, le seigneur en aura ce qu'il plaira à la bonne volonté des autres. - Et si le sci

gneur félon, mené par convoitise, avait faussé les deniers de son homme pour gagner sur le change, lesdits deniers pourraient être refusés. Et si l'on s'aperçoit que le seigneur de la commune, perverti par quelque dessein de nuire à la commune, veut mettre devant les murs ou dans la ville chevaliers et sergents d'armes, il ne le pourra et sa troupe armée sera mise hors la ville; mais lui sera fidèlement reçu dans la ville avec quatre ou douze chevaliers. Les bourgeois de SaintQuentin ne doivent nul aide (impôt) en nulle manière à leur seigneur, ni ne s'assemblent pour faire la taille; mais si aucun veut donner de son gré comme requis du seigneur, selon son plaisir, il le donnera. Qui aura tué son juré, c'est chose certaine que ses biens seront détruits et qu'il sera banni à toujours, mais on ne le prendra pas dans l'église; et, à dire brièvement, quiconque en aura tué un autre, même jugement sera fait de lui: c'est à savoir qu'il perdra le membre dont il aura frappé; et si telle est votre volonté, il sera traité plus gravement encore selon ce que la close semblera être profitable à nous et à la ville. - Qu'on sache bien que boulangers, ni meuniers, ni homme ayant sa femme en couche, n'ira à la guerre, ni à l'assemblée commune; de plus, les vieux hommes demeureront, ainsi que ceux qui ne pourraient servir de rien en bataille, pour garder la ville, et à l'un d'eux sera donnée la maftrise de la garde de la ville, et il prendra amende de ceux qui ne feront bien les besognes qui leur seront enjointes. Celui qui aura refusé d'accepter le jugement des échevins, fait en commune audience, sera mis hors de la commune à toujours, et sa maison pourra être abattue. (1)

Un autre comte de Vermandois, Raoul le Vaillant, renouvela en 4402 les franchises municipales de Saint-Quentin; puis, le Vermandois étant tombé dans le domaine des rois de France, sous le règne de Philippe-Auguste, ce prince les renouvela à son tour en 4495. Mais les bourgeois de Saint-Quentin n'avaient plus alors à lutter contre des seigneurs affaiblis, et la puissante main du roi effaça de leur charte toutes les marques de violence et d'hostilité qu'elle avait d'abord.

Après celles que nous venons de citer, les plus anciennes chartes communales dont on ait conservé le texte appartiennent au pays de Bigorre (ann. 4097), à la ville de Noyon (1408), à celles de Saint-Omer (1427), de Laon (1128), de Reims (4138), de Beauvais (1144). Pendant la seconde moitié du douzième siècle et tout le cours du treizième, les concessions de ce genre faites par les seigneurs et les rois de France devinrent si multipliées, si usuelles, qu'on ne prenait plus le temps de les rédiger et qu'on instituait souvent une commune nouvelle en lui donnant pour loi celle qui se pratiquait dans telle autre ville. Quelques-unes de ces chartes jouirent ainsi d'une certaine faveur et furent adoptées jusque dans des lieux fort éloignés. Ainsi Laon prit pour modeles

(') Charte de Saint-Quentin, donnée plus tard, en 1151, aux habitants d'Eu par le comte de cette ville. Ceux-ci la traduisirent en français vers 1272, et l'insérérent à cette époque dans le Livre rouge, ou registre municipal, qui se conserve encore aujourd'hui aux archives de la mairie d'Eu.

Saint-Quentin et Noyon; Crespi, Montdidier, Reims, s'organisèrent à l'instar de Laon. Nous venons de voir le comte d'Eu donner à ses bourgeois une simple copie de la charte de Saint-Quentin.

SICIL

Au nom de la sainte et indivisible Trinité, ainsi soit-il. Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Français, faisons savoir à tous présents et à venir que notre fidèle parent Hugues, duc de Bourgogne, a donné et octroyé à perpétuité à ses hommes de Dijon une commune sur le modèle de celle de Soissons, sauf la liberté qu'ils possédaient auparavant. Le duc Hugues et son fils Eudes ont juré de maintenir et de conserver inviolablement ladite commune. C'est pourquoi, d'après leur demande et leur volonté, nous en garantissons le maintien sous la forme susdite, de telle sorte que si

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PONTISSI

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MIMORI

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Sceau de la commune de Dijon. - Treizième siècle.

le duc ou l'un de ses héritiers veut dissoudre la commune ou s'écarter de ses règlements, nous l'engageons de tout notre pouvoir à les observer. Que s'il refuse d'accéder à notre requête, nous prendrons sous notre sauvegarde les personnes et les biens des bourgeois. Lorsqu'une plainte sera portée devant nous à cet égard, nous ferons dans les quarante jours amender, d'après le jugement de notre cour, le dommage fait à la commune pour la violation de sa charte.

L'état de commune ne s'obtint d'abord que par la force, et lorsque bourgeois et serfs se trouvèrent assez nombreux et assez riches pour contraindre le pouvoir qui les étreignait à capituler avec eux. Mais quand l'impulsion qui entraînait les opprimés vers l'affranchissement fut devenue générale et irrésistible, les puissances du temps s'y prétèrent avec une apparente bonne grâce, et s'efforcèrent seulement de vendre leur acquiescement à deniers comptants, le plus cher possible. C'est ce que fit Louis VI, qu'on a trop vanté comme « le père des libertés communales », mais qui, sans instituer de communes sur ses terres, sans prendre à la création de celles qui s'établirent chez ses vassaux d'autre part que de se faire bien payer son approbation royale, imprima en effet un mouvement rapide à cette grande révolution du douzième siècle, en excitant les villes et les campagnes à extirper par la force les brigandages féodaux.

La commune était un état de défense armée au milieu d'une société pleine de violences. Ce n'étaient pas de vaines obligations que celles des jurés, ni

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Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

de vains honneurs que ceux du maire et des échevins, chargés de maintenir des droits péniblement conquis, de gouverner leurs concitoyens, de mener au combat des gardes nationales mal disciplinées, et de répondre sur leur tête, en cas de revers, de ce qui s'était fait au nom de leur cité.

Nous avons dit quelques mots de la lutte héroïque soutenue par les bourgeois de Cambrai. Dės 957, ils avaient profité d'une absence de leur évêque pour lui fermer les portes de la ville. L'évèque revint à la tête d'une armée impériale qui le vengea en maltraitant cruellement les Cambrésiens. Mais en 4024, puis en 4054, en 4076, en 4107, ces mèmes faits se renouvelèrent; chaque fois la résistance croissait en vigueur, jusqu'à ce que, vers 1125, les évêques se virent forcés d'accepter la commune, mais sans cesser de batailler avec elle jusqu'au milieu du quatorzième siècle.

L'histoire de la commune de Laon n'est pas moins dramatique. Les habitants de cette ville profitèrent de mème d'un voyage de leur évêque, le Normand Gaudri, et, pendant qu'il était en Angleterre, ils jurérent entre eux une commune sur le patron de celle de Noyon. L'évêque, à son retour, se laissa toucher par les offres de dédommagement pécuniaire que lui firent ses riches bourgeois, et il voulut bien jurer de respecter les priviléges qu'ils s'étaient attribués. Louis VI les sanctionna, de son côté, moyennant une forte somme. Mais trois années après, en 4412, l'argent sans doute étant épuisé, Gaudri se repentit de la concession qu'il avait faite; il invita le roi à venir à Laon pour la fète de Pâques, et le pria de se joindre à lui pour retirer leurs promesses. Les gens de la ville, avertis de ce qui se tramait, proposèrent au roi quatre cents livres d'argent pour les maintenir; mais l'évêque lui en promit sept cents, dont il comptait bien se rembourser lorsque la ville de Laon serait redevenue taillable à merci. Louis VI accepta le marché, et se retira dès qu'on eut publié par la ville l'abolition de la charte. Trois jours après, les habitants de Laon se soulevaient aux cris de: Commune! commune! envahissaient la maison épiscopale, et, au milieu du désordre, l'évèque ayant été découvert au fond d'une cave, blotti dans un tonneau, fut massacré à coups de hache. Leur colère satisfaite, les révoltés eurent peur de ce qu'ils avaient fait; ils crurent pouvoir échapper à la vengeance du roi en achetant la protection d'un seigneur du voisinage célèbre par son courage brutal et ses rapines, Thomas de Marle. Thomas, n'ayant pas assez de troupes pour défendre une ville comme Laon, donna le conseil aux habitants d'abandonner leurs murs et de le suivre dans son château de Créci et son bourg de Nogent, où il les défendrait selon son pouvoir. Les plus compromis le suivirent en effet, et la ville, en partie abandonnée, fut d'abord pillée par ses voisins; Thomas de Marle lui-même y conduisit ses vassaux; ensuite, tous les bourgeois que les partisans de l'évêque purent saisir furent mis à mort; enfin l'armée royale arriva,

et le sire de Marle, après avoir bravement défendu ses protégés, se trouva réduit à les livrer. Ils furent tous pendus. Louis VI déclara la commune de Laon entièrement abolie. Mais, en 1128, elle était déjà restaurée.

Les citoyens d'Amiens souffrirent aussi pour la liberté. Cette grande ville était partagée entre quatre maîtres l'évèque, le comte, le vidame et le seigneur d'une tour formidable qu'on appelait « le Chatillon ». En l'année 4443, l'évêque, nommé Geoffroi, était un homme remarquable par ses lumières et ses vertus. Les événements de Laon ayant inspiré aux Amiénois le désir de se constituer en commune, Geoffroi y accéda sans effort et gratuitement; de plus, il obtint la ratification du roi. Mais le comte d'Amiens, Enguerrand de Couci, père de Thomas de Marle, n'y voulut consentir à aucun prix, et entraîna le sire de Châtillon daus son parti. La guerre éclata dans les rues de la ville. Trop faibles pour la soutenir, les bourgeois firent comme ceux de Laon; ils recoururent à Thomas de Marle, qui était alors en guerre contre son père, et, grâce à son appui, forcerent Enguerrand à se renfermer dans la grosse tour. Le vieux comte haïssait mortellement ces bourgeois, ces cabareretiers et ces bouchers, comme il disait, qui s'étaient égayés de sa tournure militaire appesantie par l'age. Il sacrifia au désir de se venger d'eux ses ressentiments contre son fils, et il obtint que Thomas, leur défenseur de la veille, fondit sur eux. Le premier jour de son entrée en campagne, ce terrible ennemi leur brûla plusieurs églises et leur tua trente hommes de sa propre main. La commune d'Amiens, qu'il attaquait ainsi, pendant qu'il protégeait celle de Laon, sembla tellement perdue que l'évèque Geffroi se suspendit lui-même de sa dignité épiscopale, et se retira au monastère de Cluni. Il ne revint que lorsqu'on apprit la marche du roi, qui s'avançait à la tête de ses troupes contre Thomas de Marle et les Laonnais. Après avoir eu facilement raison dans cette affaire, comme nous l'avons vu, Louis VI, ennemi d'une commune et ami d'une autre, marcha sur Amiens pour réduire le Châtillon. Les milices bourgeoises rivaliserent avec les troupes royales pour assiéger la forteresse. On fit avancer contre elle plusieurs de ces machines de guerre célèbres, au moyen âge, dans l'attaque des places fortes. C'étaient des tours en charpente, munies de roues au moyen desquelles on les poussait jusqu'au pied des remparts; elles étaient garnies de ponts- levis qui s'abaissaient sur les murailles pour livrer passage aux assiégeants, et chargées à leur sommet de quartiers de pierre qu'on faisait pleuvoir sur la tête des assiégés. L'assaut fut donné, mais saus succès : quatre-vingts femmes de la ville garnissaient les plates-formes de deux tours et lançaient les pierres; ces héroïnes furent toutes blessées; le roi lui-mème reçut une flèche dans sa cotte de mailles, et la tour de Chatillon ne se rendit qu'au bout d'un blocus qui dura deux ans.

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Les principaux habitants de Beauvais, au nombre de quinze cents, furent bannis de leur ville; ceux de Vézelai abandonnèrent la leur et furent traqués dans les bois; à Sens, les défenseurs de la commune furent précipités du haut du clocher de SaintPierre le Vif; presque partout l'état de commune fut une bataille incessante qui dura deux ou trois siecles et s'éteignit dans des luttes judiciaires, devant les parlements. Tant qu'ils furent debout, les échevinages conservèrent quelque chose de l'énergie et de la fierté qu'ils avaient puisées dans la lutte. Les vieux registres des délibérations municipales sont remplis d'anecdotes comme celle-ci : En 4474, un boucher de la ville d'Eu fut accusé d'avoir, «allant contre le serment qu'il avoit fait quand il avoit été rechu bourgeois, dit et proféré de sa bouche plusieurs injures et fait plusieurs dérisions au maire et aux échevins, c'est-à-dire qu'il avoit dit à la personne du sieur Robert Leroy, maire : « Bren du maire, et de mairie, et des échevins! »> et qu'il y renoncheroit pour une chopine de vin, et autres ordures pareilles. » Information fut aussitôt faite, et le prévenu, amené devant une assemblée composée de Mgr Philippe, bâtard de Nevers, gouverneur des comté et ville d'Eu; de maître Tassin, vicomte d'Eu; du maire Robert Leroy, du procureur du comté d'Eu, et d'au moins cent cinquante bourgeois, fut, après un grave débat, condamné au bannissement.

Les vicilles institutions communales commencèrent à déchoir dès le quatorzième siècle, mais durèrent en général jusque vers la fin du seizième. A cette dernière époque, des édits royaux abolirent presque tout ce qui subsistait de priviléges municipaux, et, tout en conservant les échevinages, ne leur laissèrent que la juridiction des délits et contraventions, la police des rues et des métiers, le service du guet, la direction des fètes publiques, et quelques autres attributions de faible importance. Mais si les communes, ces petites républiques qui remplirent de bruit et d'agitation la seconde moitié du moyen àge, avaient péri, il restait d'autres armes entre les mains du tiers état, et à la faveur de ces luttes longues et sanglantes, la dignité, les lumières, l'indépendance d'esprit, s'étaient insinuées dans les couches inférieures de la société française. Par un phénomène qui se reproduit souvent, il est arrivé que ces classes dédaignées et misérables, oubliées par les chroniqueurs, en apparence reléguées hors de l'histoire, sont précisément celles dont l'action lente et cachée a laissé le plus de résultats.

LOUIS VII.

Louis VII était encore à Poitiers quand il apprit la mort de son père. Laissant sa jeune femme à la garde de l'évêque de Chartres, il revint en grande hate et rentra dans le domaine royal. Déjà l'on cherchait à profiter du changement de règne. Ce n'étaient plus seulement les seigneurs qui s'agi

taient les villes réclamaient des chartes de commune. Orléans se mit en révolte ouverte et s'attira la colère du jeune roi, qui puuit les habitants de cette ville d'avoir juré une charte entre eux à son insu; il livra les auteurs de cette rébellion au supplice. Au contraire, il calma les Parisiens par quelques concessions, et à Reims, qui ne dépendait pas de lui, mais seulement de l'archevêque, il favorisa ouvertement les libertés municipales.

En même temps, il réprima la témérité d'un petit seigneur des environs de Paris, Gautier, sire de Montjai, qui avait cru pouvoir continuer les anciennes traditions féodales et piller les paysans; il détruisit le château et fit enfermer le seigneur dans

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les prisons de Paris (1438). Louis VII n'avait, en effet, rien de plus sage à faire que de suivre les traditions de son père, et la tâche demandait encore de l'énergie. Après la destruction de Montjai, le jeune prince s'en aperçut au mauvais vouloir que montrèrent la plupart de ses vassaux, lorsqu'il réclama leurs services pour soutenir les droits qu'il avait sur le comté de Toulouse du chef de sa femme, Éléonore de Guyenne. Le comte de Chartres répondit à son appel par un refus positif; et, faute de forces suffisantes, Louis fut contraint d'abandonner le siége de Toulouse.

L'archevêque de Bourges étant venu à mourir, en 4442, Louis VII présenta un candidat; mais le pape Innocent II en fit élire un autre. «Il faut accoutumer ce jeune homme, disait-il en parlant du roi, à ne pas prendre la licence de s'immiscer ainsi dans les choses de l'Église. >> La querelle s'envenima, et Louis VII finit par être excommunié. Pendant trois ans, le service divin fut suspendu partout où il était et partout où il passait seulement, comme au temps de Philippe Ier. La colère du roi se tourna contre Thibaud, comte de Chartres, qui soutenait ostensiblement le saintsiége. Ses terres, la Beauce et la Champagne, furent envahies et ravagées. Louis, en personne, prit la ville de Vitri et l'incendia; treize cents personnes qui s'étaient réfugiées dans une église y devinrent la proie des flammes, et les cris de ces malheureux parvinrent jusqu'aux oreilles du roi. Il en fut saisi d'horreur et se montra disposé à traiter avec le comte Thiband. La mort du pape Innocent II (septembre 4143) hata la conclusion de la paix, et Célestin II, qui lui succéda, se montra plus bienveillant que son prédécesseur envers le roi de France.

Louis le Jeune ressemblait moins à son père qu'à

ses ancêtres, les premiers Capétiens, par sa douceur et son zele obséquieux envers l'Église. Il aimait à céder le pas, dans les cérémonies, au moindre clerc, en lui disant : « Par les saints de Bethleem! c'est à vous de passer devant. >> Un jour, comme il rentrait à Paris, il fut surpris par la nuit el coucha au village de Créteil, qui appartenait aux chanoines de Notre-Dame. Les habitants s'empresserent de lui fournir tout ce qu'il lui fallait, ainsi qu'à sa maison. Le lendemain, de retour à la ville, il se rendit le matin à Notre-Dame, pour as

sister à la messe; mais il fut très-étonné de trouver les portes fermées; il dit alors que si quelqu'un avait offensé le chapitre, il en ferait bonne justice.

Vraiment, sire, lui répondirent les chanoines, c'est vous-même qui, contre les coutumes et libertés sacrées de cette église, avez soupé hier à Créteil, non à vos dépens, mais aux frais des habitants du lieu; voilà pourquoi l'église a suspendu les offices et clos ses portes. » A ces mots, le roi fut frappé de douleur, et dit le plus humblement possible que la nuit l'avait surpris en chemin, qu'il était tard,

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que les gens de Créteil lui avaient d'eux-mêmes offert leur accueil, et qu'il s'en remettait à la décision de l'évèque et des chanoines eux-mêmes pour déclarer son innocence. Cependant il demeurait devant la porte, récitant dévotement ses prières, tandis que l'évêque intercédait en sa faveur auprès des chanoines, et promettait en son nom qu'on réparerait le préjudice causé. Ce ne fut que quand il leur eut remis deux candélabres d'argent pour gage de sa parole et de celle du roi, que les chanoines ouvrirent enfin leurs portes. L'auteur contemporain, Étienne de Tournai, qui raconte cette anecdote, ajoute qu'après avoir restitué les dépenses de sa couchée à Créteil, le roi vint déposer solennellement sur l'autel de Notre-Dame, en temoignage de respect pour l'Église, un baton que l'on mit dans les archives du chapitre, et sur lequel on avait gravé le récit succinct du délit et de sa réparation.

Cependant le désastre de la malheureuse ville qui conserve encore aujourd'hui le nom de Vitrile-Brûlé (Marne) avait laissé des remords dans le cœur de Louis VII. Il résolut d'expier ce crime en portant secours aux chrétiens d'Orient. Son ministre Suger, abbé de Saint-Denys, l'en dissuadait vivement; mais les plus sages conseils ne pouvaient prévaloir près de lui contre la voix de sa conscience. Le moment semblait favorable : la France était entièrement pacifiée, la guerre de Normandie terminée en apparence; en Allemagne, la querelle

des partisans du pape et de ceux de l'empereur, des Guelfes et des Gibelins, était suspendue; l'Église pouvait de nouveau tourner ses regards vers Jérusalem.

SECONDE CROISADE.

Godefroid de Bouillon était mort au bout d'une année de règne, regretté et admiré des Sarrasins eux-mêmes. Par modestie, il n'avait jamais voulu porter le titre de roi et prenait seulement celui de baron du Saint-Sépulcre. Son frère, Baudouin, prince d'Edesse, lui succéda et continua ses conquêtes, bien qu'un secours de cent mille croisés partis d'Occident, en 4402, sous la conduite des ducs de Bourgogne et d'Aquitaine, eût été complétement perdu pour lui. Cette armée périt tout. entière dans les plaines de l'Asie Mineure, par la perfidie des Grecs; du moins les historiens occidentaux accusent l'empereur Alexis d'avoir accueilli les croisés avec un apparent empressement, et d'avoir averti les Turcs de tous leurs projets.

Cependant Baudouin parvint à étendre la domination chrétienne en Palestine. Il fit alliance avec les Génois, et, à l'aide de leurs vaisseaux, il s'empara de la plupart des villes du littoral. Césarée, Saint-Jean-d'Acre, Bérythe, cessèrent d'être gouvernées par des émirs, et devinrent les villes les plus florissantes du royaume frank d'Asie. Le sultan d'Égypte, inquiet des progrès de la domination

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