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Guyenne, que nous verrons bientôt jouer un rôle dans l'histoire politique, la vicomtesse Ermengarde de Narbone, une comtesse de Champagne, une autre de Flandre, sont citées pour avoir tenu de brillantes cours d'amour. Le poëte fut associé à la chevalerie, comme autrefois le barde à la noblesse gauloise, et celui qui savait imaginer, trouver de jolies pensées et de jolis vers (troubadour dans la langue du Midi, trouvère dans celle du Nord), de quelque basse naissance qu'il sortit, devenait le favori des femmes élégantes.

Les joutes et les tournois, où le vainqueur recevait le prix de la main des dames, dénotent bien le mélange de nobles instincts et de penchants gros

siers qui dominaient dans cette société belliqueuse dont ils étaient le divertissement le plus brillant. Le tournoi commençait par une série de duels entre deux chevaliers, qui s'élançaient l'un contre l'autre au galop de leurs chevaux, et cherchaient à se renverser d'un coup de lance; il se terminait par le tournoi proprement dit (tournoiement), dans lequel la mêlée devenait générale. On distinguait encore les behourdiş, ou siéges simulės; les combats à la barrière, où deux partis luttaient à pied, avec la hache, l'épée et la masse d'armes, pour se jeter l'un l'autre hors de la lice; et les pas d'armes, dans lesquels un ou plusieurs chevaliers, ayant choisi quelque étroit passage en pleine

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campagne, y plantaient leur bannière et défiaient tout venant. Ces combats, dont il semble qu'on reconnaisse déjà la trace à la cour de Charles le Chauve (voy. Nithard), devinrent tellement à la mode dès le milieu du onzième siècle, qu'à cette date un seigneur de Touraine nommé Geoffroi de Preuilli rédigea un code des tournois qui, dès son vivant, servit de règle en cette matière. Cependant, quoique ce législateur eût prescrit l'emploi de lances et d'épées de bois, on ne se servait guère, dans les tournois, que de véritables armes de fer, pourvu qu'elles fussent sans pointe et sans tranchant; on les appelait alors des armes courtoises; mais souvent, à ces joutes, on perdait les membres ou la vie, comme à de vraies batailles.

Les jeunes gens destinés, par leur naissance, à la profession des armes, étaient soumis à un long noviciat; ils restaient dans les rangs inférieurs d'une sorte de basse noblesse, sous les noms vagues de bacheliers (bas chevaliers), damoiseaux (dominicelli, petits seigneurs), valets (vasseleti, petits vassaux), sergents d'armes (servientes), écuyers ou pages, jusqu'à ce qu'ils eussent conquis par le courage le titre de chevalier, lequel suffisait à l'orgueil des plus grands seigneurs. On a décrit en grand détail les cérémonies de l'adoubement (adoptatio) ou réception de tout nouveau chevalier.

La première était un bain où l'on mettait l'aspirant; c'était un symbole de purification morale.

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

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I.

Duel entre deux chevaliers. Manuscrit de Lancelot du Lac (no 6964).

Chevalier vaincu à la merci de son adversaire.

Manuscrit de Lancelot du Lac (no 6964).

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Dame approchant une herbe des lèvres d'un chevalier blessé. Manuscrit du treizième siècle conservé à la grande Bibliothèque de Paris (no 6955). Cette miniature est l'œuvre d'un artiste français. L'art des miniaturistes était à cette époque plus avancé en Italie qu'en France.

Au sortir du bain on l'habillait d'une tunique blanche, insigne de pureté; d'une robe rouge,

marque de ce qu'il était tenu de répandre son sang pour sa foi et son devoir; d'un justaucorps noir,

souvenir de la mort qui l'attendait, comme tous les hommes. Purifié et vêtu, il observait un jeûne rigoureux de vingt-quatre heures. Sur le soir, il entrait dans l'église et passait la nuit en prières. Le lendemain matin il se confessait, communiait, assistait à la messe et entendait ordinairement un sermon sur les devoirs de la chevalerie; -puis il s'avançait vers l'autel, l'épée de chevalier suspendue à son cou; le prêtre la détachait et la lui rendait après l'avoir bénie. Le jeune guerrier allait ensuite s'agenouiller devant le seigneur qui devait lui conférer son titre; il lui récitait quelque demande comme celle-ci : «Si vous pri qu'en guer>> don de mon service, me doignies armes et me >> faites chevalier »; et, après avoir répondu à diverses questions de forme, il prononçait le serment de rester toujours fidèle à la religion et à l'honneur. Le seigneur lui donnait l'accolade, c'est-àdire trois coups du plat de son épée sur l'épaule ou sur la nuque, quelquefois un léger coup de la main sur la joue, et lui disait : « Au nom de Dieu, » de saint Michel et de saint George, je te fais » chevalier; sois preux, hardi et loyal. » Le nouveau chevalier était alors vêtu de son harnais de guerre, quelquefois par la main des dames. << On amène le cheval, on apporte les armes; on le revêt d'une cuirasse incomparable, formée de doubles mailles que ni lance ni javelot ne pourraient transpercer; on le chausse de souliers de fer fabriqués de même à doubles, mailles; des éperons d'or sont attachés à ses pieds; à son col est suspendu son bouclier, sur lequel sont représentés deux lionceaux (ou léopards?) d'or; sur sa tète, on pose un casque où reluisent les pierres précieuses; on lui remet une lance de frêne à l'extrémité de laquelle est un fer de Poitiers; enfin, une épée provenant du trésor du roi. » C'est, il est vrai, l'un des plus grands seigneurs de France dont on décrit ainsi l'armement, Geoffroi Plantagenet, duc d'Anjou et de Normandie, et la scène se passe vers l'année 4427.

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La chevalerie se développa et se régularisa de plus en plus aux douzième et treizième siècles, temps de grande ferveur religieuse; elle déclina ensuite, et, vers le temps de la renaissance, elle s'éteignit tout à fait. Elle a cependant laissé quelques rejetons bâtards: ce sont les ordres particuliers de chevalerie, dont plusieurs ont flori jusqu'en 1789 et durent même encore.

BLASON. NOMS DE FAMILLE.

Cet esprit de famille, que la féodalité portait dans son sein comme un germe préparé pour amollir et féconder un sol dur et ingrat, se manifesta encore par la naissance des armoiries et de l'art du blason. Les guerriers de l'antiquité faisaient peindre sur leurs armures, leurs bannières, leurs boucliers, des insignes et des couleurs par lesquels ils se faisaient reconnaître au loin; mais c'étaient des distinctions purement personnelles. Le blason est tout

autre chose c'est un insigne de famille, et d'autant plus honorable pour celle qui le porte que sa première adoption remonte à une époque plus reculée.

Les Franks portaient des boucliers blancs; c'était leur antique usage (p. 165, col. 2), et ils ne l'avaient pas encore abandonné sous le règne de Louis le Pieux (p. 209), tandis que les Bretons n'avaient pas cessé de suivre la tradition gauloise et de peindre les leurs. Peut-être les Aquitains, qui, au commencement du onzième siècle, scandalisaient les Français du Nord par leur amour de la parure, avaient-ils conservé la vieille et brillante mode celtique. Les Franks l'adoptèrent à leur tour et se firent peindre aussi des emblèmes; mais ce ne furent pendant longtemps, tant au Nord qu'au Midi, que des fantaisies personnelles. C'est à l'Aquitaine qu'appartient le premier exemple connu et certain de véritables armoiries: Raymond de SaintGilles, comte de Toulouse, qui vécut de 4047 à

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1405, avait pris pour symbole, des avant la première croisade, à laquelle il contribua glorieusement, une croix d'une certaine forme, qu'il porta durant cette expédition fameuse, et que ses descendants conservèrent comme un souvenir de la gloire et de la piété de leur aïeul. On pense aussi reconnaître dans les animaux peints en or (1 (vers 4427) sur le bouclier de Geoffroi Plantagenet, que nous citions un peu plus haut, les léopards, qui de là seraient passés sur les armes d'Angleterre, où ils sont restés depuis.

Vers le milieu du douzième siècle, cette petite révolution se généralisa: au lieu de se créer des emblèmes nouveaux, les fils de bonnes familles préférérent rappeler ceux de leurs ancêtres en tàchant d'en augmenter l'illustration; mais la règle ne devint constante et à peu près absolue que sur la fin du siècle suivant. Ce changement fut-il dù à la prédominance exclusive des idées féodales, ou à l'organisation de la chevalerie, ou à l'introduction des noms de famille, ou bien à l'usage fréquent des tournois, pour lesquels la société féodale déployait tout son faste, ou bien encore aux croisades, dans lesquelles les guerriers des diverses nations furent obligés, disent les chroniqueurs, d'adopter des marques et des couleurs particulières pour se reconnaître eux-mêmes au milieu de leurs innombrables bataillons? Chacun de ces différents

faits y eut vraisemblablement sa part; mais il ne nous est pas plus donné de dire dans quelle mesure, qu'il ne nous l'a été tout à l'heure de préciser à quelle date.

Ce goût de distinctions arbitraires, qui semblerait n'avoir pu être qu'un jeu, une mode, répondait certainement à un besoin de l'orgueil féodal, car il prit un développement extraordinaire. Les armoiries, d'abord figurées sur le bouclier ou sur la hannière, passèrent de là sur la cuirasse, sur le harnais du cheval; elles se répétérent sur le cimier du casque; elles se traduisirent dans la devise et le cri de guerre; elles se sculptèrent sur toutes les parties apparentes du manoir, à la voussure des

églises, sur la pierre des tombeaux; elles se peignirent sur la pierre, sur le bois, sur le cristal des vitraux, sur le parchemin des manuscrits; elles se tissèrent dans les étoffes de manière à tapisser les appartements, à habiller les nobles dames aussi bien que les pages et valets. Non seulement les familles seigneuriales, mais les familles ecclésiastiques ou bourgeoises, les abbayes, les chapitres, les villes, les universités, les corporations de métiers, se composèrent des armoiries, et le blason devint une partie essentielle de toutes les décorations du moyen âge. Il se forina aussi ses lois, ses combinaisons particulières, sa jurisprudence qu'il n'était pas permis d'enfreindre, son vocabulaire

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spécial et ses gardiens sévères, les hérauts d'armes, qui en firent un véritable corps de doctrine qu'on appela, de leur nom, l'art héraldique. Le blason s'enracina si profondément enfin dans le goût et de la France et de l'Europe entière, qu'on peut le regarder comme encore florissant aujourd'hui.

Mis en faveur dans tous les pays et servant à distinguer, par des figures emblématiques, le rang, les hauts faits et les noms des familles nobles ou anoblies, le blason est devenu une étude compliquée et un accessoire utile des recherches historiques. Les traités dont il a été l'objet remontent jusqu'au commencement du quatorzième siècle et rempliraient une bibliothèque. Il nous suffira de dire ici qu'une armoirie se compose de quatre parties distinctes: 4o l'écu ou champ, sur lequel sont

figurés les emblèmes; 2o les émaux ou couleurs dont on les peint; 3o les pièces, charges ou meubles qu'on y représente; 4o les ornements accessoires (d'une invention plus moderne) dont on entoure l'écu, tels que cimiers, couronnes, supports, lambrequins, manteaux et colliers. Les couleurs sont au nombre de neuf, savoir: deux métaux, l'or (fig. 4) et l'argent (fig. 2); cinq émaux (fig. 3 à 7), l'azur ou bleu, le gueules ou rouge, le sinople ou vert, le sable ou noir, le pourpre; et deux fourrures, l'hermine et le vair (fig. 8 et 9). Quelques autres couleurs (fig. 40 à 43) sont d'une invention toute moderne et peu usitées. Les principales pieces sont le chef (fig. 14); le pal (fig. 45); la fusce (fig. 46); la bande (fig. 47); la barre, indice ordinaire de la batardise (fig. 48); le chevron

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