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transport, prit la mer à Saint-Valeri le 27 sep'tembre 1066, un peu avant le coucher du soleil, et débarqua le lendemain sur la côte d'Angleterre, à Pevensey, près Hastings (Sussex).

Au moment où il mit le pied sur le sol anglais, le duc fit un faux pas et tomba la face contre terre. Des voix crièrent : « Dieu nous garde! voici un mauvais signe. » Mais Guillaume, se relevant, dit aussitôt : « Qu'avez-vous, et qui vous étonne? J'ai saisi cette terre de mes mains, et, par la splendeur de Dieu, tant qu'il y en a, elle est à vous. >>

A la nouvelle du débarquement, Harold, qu'une

Fragment dessiné

invasion de Norvégiens avait appelé dans le Northumberland et qui revenait victorieux, courut à Hastings et se retrancha, à sept milles du camp des Normands, parmi des collines qu'on appelle encore la Bataille. Ce fut une bataille héroïque. Le matin (44 octobre), Guillaume, avant de lancer ses troupes en avant, leur tint ce langage: «< Pensez à bien combattre, et mettez tout à mort; car si nous les battons, nous serons tous riches. Ce que je gagnerai, vous le gagnerez; si je conquiers, vous conquerrez, et si je prends la terre, vous l'aurez. Sachez pourtant que je ne suis pas venu ici seule

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en soulevant le scandale lorsque, marié à Berthe de Hollande, dont il avait quatre enfants, il enleva Bertrade, femme de Foulques le Rechin, comte d'Anjou, aussi belle par le visage que laide par le cœur, dit un chroniqueur contemporain, et l'épousa (1092). Le mari de Bertrade et les parents de Berthe prirent aussitôt les armes contre l'adultère, le saint - siége l'excommunia; mais Philippe eut l'adresse de conjurer l'orage, de se réconcilier avec le comte d'Anjou, de désarmer le pape, Urbain II, par une feinte soumission, et de garder Bertrade.

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soldats de l'Angleterre, combattant pour leurs familles, leurs biens et leur patrie, furent passés au fil de l'épée par les fils des pirates du Nord. La conquête du pays entier fut bientôt achevée et la race anglo-saxonne impitoyablement réduite par les vainqueurs à un état voisin de la servitude.

Philippe Ier mourut à Melun, le 29 juillet 4408, laissant un fils nommé Louis, qui s'était distingué depuis ses jeunes années par une rare énergie, et qui promettait à la France des destinées nouvelles.

LA PREMIÈRE CROISADE (1095).

L'idée de tirer l'épée pour arracher aux mains des infidèles Jérusalem, la cité sainte, illustrée par le martyre du Christ, fermentait depuis longtemps dans l'àme des chrétiens, surtout chez les Français, race passionnée, toujours prête à traduire en faits positifs les aspirations de son génie. «< Que n'y étais-je avec mes Franks!» s'écriait Clovis, en agitant sa terrible hache, quand saint Remi lui racontait la mort de Jésus. Les visites aux lieux saints, les pelerinages (4), étaient un besoin de la foi, qui voulait voir et toucher ce qu'elle adorait. Grands ou petits, clercs, soldats, pauvres serfs, valides ou malades, on courait, fût-ce au prix de la fatigue et du danger, aux lieux célèbres par la sépulture de saints personnages; on allait au loin pour baiser un tombeau, pour en rapporter des linges qui l'eussent touché, ou seulement de la poussière, qu'on buvait délayée dans de l'eau comme un spécifique souverain. C'était aussi un moyen de racheter ses péchés, et l'une des pénitences les plus ordinaires que l'autorité ecclésiastique imposât aux infracteurs de la trêve de Dieu, comme à tous les gens souillés de quelque forfait. Nous avons encore une formule de la lettre, véritable passe-port, que l'évêque leur remettait en pareil cas : « Qu'il soit à votre connaissance, saints pères, évèques, abbės et abbesses, ducs, comtes, vicaires et tous gens croyants en Dieu et le craignant, que le pèlerin nommé un tel, de tel lieu, est venu à nous et nous a demandé conseil sur ce que, poussé par l'éternel ennemi du genre humain, il aurait tué son propre fils un tel, ou son neveu, et que, pour cette cause, nous avons, suivant l'usage et la loi canonique, prononcé qu'il devait passer en pèlerinage tant d'années. Quand donc il se présentera auprès de vous, daignez lui accorder le logement et le feu, le pain et l'eau, et lui permettre de se rendre sans retard aux lieux saints, etc. (2) » Le pèlerinage était accompagné parfois d'une aggravation singulière qui

Ce n'était pas sans justes motifs que les conseillers du jeune roi de France avaient prévu, d'un œil inquiet, ce prodigieux agrandissement d'un des vassaux de la couronne. Rajeunie par l'humeur entreprenante de ses nouveaux maîtres et fortifiée par l'adjonction d'une province sur le continent, l'Angleterre, après avoir courbé la tête sous l'ascendant d'armes et de mœurs françaises, allait commencer bientôt les hostilités funestes qui devaient, pour des siècles, la mettre aux prises avec la France. C'est de la conquête brutale dont elle fut un instant victime que date sa grandeur.

Philippe Ier devint majeur l'année suivante (1067); mais son règne fut moins honorable que celui de ses prédécesseurs, et ne fut pas plus brillant. Il vivait obscurément dans ses châteaux, livré non pas à la dévotion, mais à ses plaisirs, et pressurant ses sujets pour subvenir à ses dépenses. Il tenta une guerre malheureuse dans la Flandre, et se fit battre près de Cassel (4074) par Robert, comte de Frise. Quelques années plus tard (40751087), il guerroya avec un peu plus de succès contre Guillaume le Conquérant, en s'alliant à ses fils révoltés contre lui. Il appela surtout les regards

(1) Pérégrinations, voyages.

(2) Formules de Marculfe; septième siècle.

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n'était peut-être pas étrangère aux superstitions de l'antiquité celtique avec les armes du coupable, on forgeait des chaînes qu'on lui rivait autour du cou, à la ceinture et aux bras; puis on le chassait, afin qu'il allat, en cet état, visiter les lieux consacrés. Vers 855, un seigneur frank nommé Fromond, condamné de la sorte, parcourut pendant sept ans l'Europe, l'Asie et le nord de l'Afrique, visita trois fois Rome, deux fois Jérusalem, et finit par revenir, avec ses liens de fer, expirer dans un monastère de la Bretagne. L'usage des pieux voyages non-seulement à Rome, au tombeau des apôtres, mais jusqu'en Palestine, était donc très-répandu dès les premiers siècles du christianisme (1) et assez

commun en Gaule pour qu'un pèlerin gaulois, des le quatrième siècle, ait laissé à ses compatriotes un guide intitulé: Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, livret qui est parvenu jusqu'à nous. En vain les païens y avaient-ils détruit tous les vestiges de la Passion, en vain l'empereur Adrien avait-il fait élever une statue de Jupiter sur le lieu de la résurrection et une statue de Vénus sur le Calvaire, les chrétiens se rendaient à Jérusalem pour adorer le saint sépulcre, rétabli par Constantin, et pour payer le tribut de leur admiration naïve à mille reliques incroyables, telles que le rocher sur lequel Abraham avait voulu sacrifier Isaac, le lit du prophète Élie, le siége de la Vierge; l'étoile des mages, qu'on

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voyait encore au fond d'un puits; la croix, la couronne d'épines, les clous, tous les instruments de la passion; le figuier où le traître Judas s'était pendu; jusqu'à la pierre angulaire sur laquelle Jésus-Christ avait dit allégoriquement qu'il bâtirait son Église.

Les pèlerins, de plus en plus nombreux, qui rapportaient à la curiosité populaire le récit des merveilles qu'ils allaient chercher en Orient, allumaient la colère dans le cœur de leurs compatriotes, en même temps qu'ils stimulaient leur piété. Les mahométans, secondés par les juifs, accablaient les pèlerins d'outrages, d'extorsions, de mauvais traitements, et ceux de ces malheureux qui échappaient à la misère couraient le risque d'être assassinés jusque dans les rues de Jérusalem. Mais ils mouraient pour la plupart en martyrs, fièrement, et se fortifiant de cette pensée audacieuse qu'un jour exprimait l'un d'eux : « Seigneur, vous êtes mort pour moi; je meurs pour vous. >>

() Voy. Des Pèlerinages en terre sainte avant les croisades, par Lud. Lalanne; 1845.

A leurs voix se joignaient celles des chrétiens de la Syrie menacés par les infidèles, surtout depuis la révolution qui avait fait passer à la race belliqueuse des Turcs Seldjoucides le pouvoir des califes arabes de Bagdad (945).

L'idée d'une expédition armée à travers le pays de ces Sarrasins qui avaient jadis porté la terreur jusqu'au cœur de la France, qui possédaient les saints lieux et qui paraissaient à la veille d'exterminer les chrétiens de l'Église grecque, s'empara peu à peu de tous les esprits. La conversion des Hongrois au christianisme (998) rendit cette expédition possible, en ouvrant une route par terre jusqu'à Constantinople. Aussi, dès l'année 4002, la voix du pape français Sylvestre II (notre célèbre Gerbert) avait fait un premier appel aux armes. << Soldats du Christ, levez-vous; il faut combattre pour lui!» (Lett. cIII de Gerb.) Les pèlerinages, des lors, prirent une activité auparavant inconnue.

On s'organisait, pour faire le voyage, en bandes nombreuses qui ressemblaient à de petites armées. En 1027, Richard, abbé de Vannes, se mit en route avec sept cents pèlerins; en 1064, des Normands

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firent de même, et, se réunissant à des guerriers | d'outre-Rhin, sous la conduite des évèques de Bamberg et de Mayence, partirent au nombre de sept mille hommes, dont la moitié ne revint pas. Grégoire VII, l'un des grands hommes de la papauté (1073-1086), songeait à renouveler plus sérieusement la tentative de Gerbert, et il écrivait à l'empereur d'Allemagne Henri IV: « Les chrétiens d'outre-mer sont massacrés chaque jour comme des troupeaux; ils ont envoyé vers moi pour demander secours; et moi je suis frappé de douleur jusqu'à désirer la mort..... Déjà plus de cinquante mille hommes sont prêts à marcher contre les ennemis de Dieu, s'ils peuvent m'avoir pour chef et pour pontife dans cette entreprise. Mais comme un si

grand dessein a besoin de sérieux conseils et de puissants secours, je vous demande l'un et l'autre, parce que, si je fais ce voyage, ce sera à vous, après Dieu, que je confierai la garde de l'Église romaine.» Mais ce n'était pas ainsi que l'étincelle devait s'allumer; c'était en France, au sein des conches populaires. Les Asiatiques donnèrent des lors et donnent encore aujourd'hui le nom de Franks à tous les Occidentaux, et Guibert de Nogent, l'historien contemporain de cette première guerre, inscrivit en tête de son livre : « Actions de Dieu par la main des Français » (Gesta Dei per Francos).

Un simple moine de Picardie, qu'on appelait Pierre l'Ermite, revint de Jérusalem navré de ce

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qu'il y avait vu, et porteur de lettres suppliantes adressées par le patriarche de cette ville aux chefs de la chrétienté. C'était un homme de petite taille et d'un extérieur misérable, vêtu d'une tunique de laine, d'un manteau de bure qui descendait jusqu'à ses talons, et marchant les bras et les pieds nus; mais son esprit était prompt, son œil perçant, son regard pénétrant et doux, sa parole éloquente; une grande àme habitait ce faible corps, et il prêchait partout la foule du peuple avec une merveilleuse autorité. En passant à Rome (1094), il décida le pape, Urbain II, à faire ce grand appel aux armes depuis si longtemps attendu. L'Italie y répondit faiblement; mais, en France, la parole de Pierre souleva les populations, et une foule immense se rassembla autour de Clermont, en Auvergne,

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un concile général avait été indiqué pour le 48 novembre 1095. Là, le pape et l'ermite achevérent leur œuvre. La guerre sainte fut résolue aux cris unanimes de « Dieu le veut! Dieu le veut! >>

Cette multitude, avant de se séparer, prit l'engagement de marcher à la conquête de la Palestine, et, pour marque de sa promesse, chacun fixa sur ses vêtements une croix d'étoffe rouge. De là les noms de croisés et de croisade.

L'enthousiasme fut extraordinaire. Des armées se réunirent, suivant l'expression d'un chroniqueur, comme des bandes de sauterelles. «Elles n'avaient point de roi, continue-t-il, mais Dieu seul pour chef de guerre. La croisade ne fut préchée qu'en France; cependant il débarqua dans nos ports des barbares de je ne sais quelle nation; personne ne compre

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nait leur langage; eux, plaçant leurs doigts en forme de croix, faisaient signe qu'ils voulaient aller à la défense de la foi chrétienne. Il y avait des gens qui n'avaient d'abord nulle envie de partir, qui se moquaient de ceux qu'on voyait se défaire de leurs biens, et prédisaient qu'ils auraient un triste voyage et un plus triste retour. Et le lendemain, les moqueurs eux-mêmes, par un retour soudain, donnaient tout leur avoir pour un peu d'argent, et partaient avec ceux dont ils s'étaient raillés. Qui pourrait dire les enfants, les femmes, les vieillards qui se préparaient à la guerre ? Vous eussiez ri de voir les pauvres ferrer leurs bœufs comme des chevaux, traînant dans des chariots leurs minces provisions et leurs petits enfants; et ces petits, à chaque ville ou chateau qu'ils apercevaient, demander, dans leur simplicité : « N'est-ce pas là » cette Jérusalem où nous allons?» (Guibert de Nogent.)

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Une première avant-garde de quinze mille hommes, qui n'avaient avec eux que buit cavaliers, franchit le Rhin le 8 mars 4096, sous la conduite d'un chevalier bourguignon qu'on appelait, à cause de sa pauvreté, Gautier Sans-Avoir. Pierre l'Ermite suivit avec cent mille pèlerins; puis, avec quinze mille autres, un prêtre allemand nommé Gotteschalk compléta cette avant-garde des enfants perdus poussés par l'humeur vagabonde, par l'espoir d'une terre plus douce que leur patrie, et par cette foi vaillante qui leur garantissait la protection du ciel, puisqu'ils marchaient Dieu le voulant. Cette cohue frénétique longea les rives du Danube, qui n'avaient. pas été témoins, depuis le temps de .Sigovėse (voy. p. 2), d'un tel spectacle venu de l'Occident. Mais

Tombeau de Godefroid de Bouillon conservé autrefois dans l'église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, enlevé par les chrétiens du rite grec après l'incendie de 1808.

elle ne tarda pas à se livrer à la violence, pillant tout sur son passage et tuant les juifs, afin, disait-elle, de commencer de suite l'extermination des ennemis du Seigneur. Les nations guerrières de Hongrie et de Bulgarie usèrent de représailles et massacrèrent une grande partie de ces premiers croisés. Le reste étant arrivé sous les murs de Constantinople, l'empereur Alexis Comnène se hâta de faire passer le Bosphore à ces alliés, plus redoutables que des

ennemis. Deux mois après, ils étaient tombés, dans la plaine de Nicée, sous le sabre des Turcs, et de cette multitude il ne restait que trois mille hommes environ, qui furent recueillis, avec Pierre l'Ermite, par des troupes grecques de l'Asie Mineure.

Cependant les véritables armées de la France, formées de chevaliers bardés de fer, soutenus d'archers aguerris et commandés par les plus grands seigneurs du royaume, s'organisaient, se comptaient et se mettaient en marche aussi rapidement qu'il était permis de le faire à une masse de six cent mille fantassins et cent mille cavaliers (août-octobre 1096). Ils s'étaient divisés en trois corps. Celui du nord suivit comme l'avant-garde le bassin du Danube; il se composait des hommes de la Flandre, de la Lorraine et des bords du Rhin, commandés par Godefroid de Bouillon, duc de la basse Lorraine, descendant de Charlemagne par les femmes, et le plus valeureux, le plus loyal, le plus pieux des croisés. Le corps du centre, composé de Normands, de Français et de Bourguignons, ayant à leur tête Hugues, comte de Vermandois et frère du roi Philippe, Robert duc de Normandie, Étienne comte de Blois, alla s'embarquer dans les ports du royaume de Naples. Les Français méridionaux, sous la conduite de Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, et de l'évêque du Pui, s'engagèrent à travers les Alpes, puis dans le Frioul et la Dalmatie. Le rendez-vous général était à Constantinople.

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Épée de Godefroid de

Bouillon, conservée à Jérusalem.

Les Grecs avaient longtemps imploré la venue des Franks comme une délivrance; mais cette foule inattendue, son ardeur sauvage, sa rudesse inculte, les glaça de terreur, et les guerriers de l'Occident se sentirent à leur tour pleins de mépris pour ces Byzantins énervés, astucieux et serviles. Godefroid de Bouillon ne put entrer dans la cité impériale qu'après en avoir ravagé les environs et fait ses dispositions pour lui donner l'assaut; l'empereur Alexis, de son côté, fit des prodiges d'habileté diplomatique pour contenir la brutalité des croisés, pour diviser leurs forces, pour prévenir les collisions, pour protéger ses sujets et maintenir les droits de sa couronne. Il parvint cependant à tout cela, et mème à obtenir que Godefroid de Bouillon et les autres chefs, à son exemple, lui prétassent à l'avance le serment de foi et hommage pour toutes les terres d'Asie qu'ils pourraient conquérir.

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