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montagnes de la Lorraine, dans ses vastes champs bien cultivés. On ne commence à voir que vers le milieu du dixième siècle des seigneurs particuliers portant le titre de comtes de Champagne et de comtes de Troyes. Ils étaient de la famille de Vermandois, et s'éteignirent, en 4049, en la personne d'Étienne Ier, qui avait succédé, en 993, à Her

Adèle de Vermandois, femme de Geoffroi Grisegonelle. Statue tombale, autrefois dans l'église Saint-Aubin d'Angers.

bert III, son père. Il ne laissait pas d'enfants, mais un parent nommé Eudes, qui appartenait à la puissante maison des comtes de Blois, et qui fut la tige de la seconde branche des comtes de Champagne, l'une des plus brillantes du moyen âge.

Une autre maison féodale, qui joua un plus grand rôle encore, est celle des comtes d'Anjou, qui commença par un guerrier nommé Ingelger, à qui le roi Louis le Bègue avait donné ce pays à défendre contre les Normands, vers l'année 880. Ingelger eut pour premiers successeurs Foulques Ier dit le Roux (888-937), Foulques II, Geoffroi Grisegonelle, Foulques III dit Nerra ou le Noir, qui régna de 987 à 4040, et, dans une descendance plus éloignée, mais toujours issue de la même race, les seigneurs qui porterent le surnom de Plantagenet, et qui joignirent à leur couronne de

comtes d'Anjou et du Maine celles de Normandie, d'Aquitaine et d'Angleterre.

Le duché de Bourgogne, c'est-à-dire la partie de l'ancien royaume des Bourguignons située sur la rive occidentale de la Saône et du Rhône, après avoir appartenu, depuis Charles le Chauve, à divers seigneurs, qui se trouvèrent jusqu'à trois ensemble se décorant de ce titre ducal, tomba au pouvoir de la maison de France. Othon, frère de Hugues Capet, reçut en héritage de leur père Hugues le Grand le duché de Bourgogne, qu'il garda environ dix ans (956 à 965). Un autre de ses frères, nommé Henri, lui succéda, et fut solennellement confirmé dans la possession de ce magnifique domaine à l'avénement de Hugues Capet, en 987. Il mourut vers l'an 1002, et son duché se conserva entre les mains de ses descendants directs jusqu'au milieu du quatorzième siècle.

La partie de la Bourgogne située, au contraire, de l'autre côté de la Saòne, sur la rive orientale, et qui répond à l'ancien pays celtique des Séquanes, forma une province à part, qui, placée entre la France et la Germanie, dans les àpres montagnes du Jura, profita de cette position doublement favorable pour s'assurer de bonne heure une certaine indépendance. Son nom, FrancheComté de Bourgogne, en porte la marque. Vers le milieu du dixième siècle, ce pays eut pour comtes les chefs d'une famille seigneuriale à laquelle appartenait la ville de Mâcon (Létalde Ier, Albéric, Létalde II), et qui s'éteignit en laissant cette succession à un parent éloigné, Othon-Guillaume, fils d'Adalbert, roi de Lombardie et allié à la maison de France. Othon-Guillaume régna de 983 à 4027.

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Outre ces deux provinces bourguignonnes, il existait encore, au neuvième et au commencement du dixième siècle, deux royaumes de Bourgogne. Ils avaient été produits, comme la Lorraine, par les démembrements opérés entre les fils de Louis le Débonnaire; c'étaient : le royaume de Bourgogne Cisjurane ou de Provence, renfermé entre les Alpes, la Méditerranée et le Rhône, jusques et y compris le duché de Lyon; puis le royaume de Bourgogne Transjurane, répondant à la Suisse actuelle et la Savoie, avec Genève pour capitale. En 933, le prince qui régnait sur la Cisjurane céda ses droits à Rodolfe II, roi de la Transjurane, en échange d'une cession analogue qui lui fut faite en Italie, et les deux États se réunirent alors dans la main de Rodolfe sous le titre de royaume d'Arles ou de Provence. Le petit-fils de Rodolfe, étant mort sans enfants, en 4032, choisit pour héritier l'empereur d'Allemagne. Cette contrée devint dès lors terre de l'empire; mais elle ne subsista comme royaume que jusqu'en l'année 1423. Les seigneurs qui relevaient de cette couronne, sous la lointaine autorité du sceptre impérial, jouissaient d'une grande indépendance et fonderent de bonne heure de puissantes souverainetés, dont les principales furent le comté de Bourgogne dont nous venons de

parler, le comté de Savoie, le comté de Viennois ou Dauphiné, et le comté ou marquisat de Pro

vence.

La Provence touchait le duché ou comté de Gothie, appelé ainsi parce qu'il était le dernier refuge que les Mérovingiens eussent laissé dans la Gaule à la race visigothique; on le nommait aussi Septimanie, à cause des sept grandes cités qui s'y trouvaient, Narbone, Béziers, Maguelone, Agde, Lodeve, Nimes et Carcassonne. Sous Louis le Débonnaire et Charles le Chauve, ce petit pays soutint courageusement, contre les hommes du Nord, une guerre de nationalité. En 918, son chef, Guillaume le Pieux, étant mort sans enfants, la Septimanie vint augmenter les domaines et la puissance de la maison de Toulouse.

Un guerrier, nommé Frédelon, fut investi par Charles le Chauve, en 850, du comté de Toulouse. Son frère, Raymond Ier, lui succéda en 832, et les enfants de celui-ci, Bernard (864-875), Eudes (875-948), Raymond II (918-923), Raymond III (923-950), Guillaume Taillefer (950-4037), continuèrent cette illustre maison, en qui devait se personnifier, au commencement du treizième siècle, le malheur des races du Midi de la Gaule, brisées, dépouillées, anéanties par la lourde main des barons du Nord. Du comté de Toulouse dépendirent successivement ceux d'Albi, Uzés, Viviers, Foix, Carcassonne, Rasez; puis ceux aussi de Rouergue, de Querci, de Gothie, de Provence, d'Agen, et le pays de Gévaudan. Ce fut, pendant les premiers siècles du moyen âge, la partie la plus élégante et la plus lettrée de la France. C'est à elle, comme nous le verrons plus tard, qu'appartient la littérature des troubadours et le nom caractéristique de Languedoc (4).

La Gascogne, ou Novempopulame (voy. p. 95), qui représentait encore une nationalité distincte, celle des Basques, antique population ibérienne, comprenait la Gascogne proprement dite, le vicomté de Béarn, les comtés d'Armagnac, de Bigorre, de Cominges, la seigneurie d'Albret. Elle eut ses souverains particuliers depuis Loup Ier, cousin du fameux Guaifer (768), jusqu'en 1036, où elle fut réunie à l'Aquitaine.

L'Aquitaine, devenue par corruption, durant le moyen àge, la Guyenne, se composait des pays de Saintonge, Limousin, Poitou, Angoumois, Périgord, Marche, Auvergne, Berri et Velai. Les rois carolingiens, veillant avec une sollicitude spéciale sur cette contrée, d'esprit non moins indépendant que la Novempopulanie et la Gothie, mais plus redoutable par son étendue et sa proximité, avaient formé une vice-royauté qui, après avoir

en

(') C'est-à-dire de pays où l'on prononce oc le même mot qui, au nord de la Loire, se prononce oil (OUI). Cette différence avait sa source dans un emprunt fait au latin; au midi, l'on répondait affirmativement en disant: Hoc, « C'est cela »; et au nord, Hoc illud, « C'est cela même ». L'emploi du nom de Languedoc pour désigner le Midi de la France ne commence qu'au treizième siècle.

été administrée par Louis le Débonnaire, par les Peppins ses fils et petit-fils, par Charles fils de Charles le Chauve, et par Louis le Bègue, fut réunie à la monarchie en 877. Mais, au milieu du démembrement féodal qui s'opérait alors, les Aquitains ne tardèrent pas à retrouver, parmi les seigneurs de la contrée, des chefs comparables à leurs vieux souverains nationaux, les Eudes, les Hunald, les Guaïfer. En 950, Guillaume Ier, comte de Poitiers et d'Auvergne, était en même temps duc d'Aquitaine. Il fut remplacé, en 963, par son fils Guillaume II dit Fier-à-Bras (Fera-Bracchia), qui, en 994, se retira dans un cloître, et laissa ses dignités à Guillaume III, son fils, surnommé Guillaume le Grand.

Au milieu de tant de vassaux presque aussi grands que lui, Hugues Capet vivait comme eux, partagé entre la guerre et la dévotion, souverain absolu dans ses domaines particuliers, mais sans pouvoir au dehors. I mourut paisiblement le 24 octobre 996.

L'AN MILLE. LES JUIFS.

Le nouveau règne s'ouvrait sous de funèbres auspices. L'Europe entière attendait la fin du monde.

C'était une des folles conceptions du christianisme sombre et grossier des Barbares. Elle reposait uniquement sur un passage inintelligible de l'Apocalypse (ch. xx, v. 4 à 7) dans lequel il est dit : « Au bout de mille ans, Satan sortira de sa prison et séduira les peuples. La mer rendra ses morts, l'abime infernal rendra ses morts, et chacun sera jugé selon ses œuvres. » Cette fin d'un monde si triste pour lui était à la fois l'espoir du moyen âge et sa terreur. Chacun, oubliant tout intérêt terrestre, ne songeait plus qu'au salut de son àme; les laïques faisaient aux monasteres donation de leurs biens devenus inutiles, et les basiliques étaient trop étroites pour recevoir la foule des fidèles qui venaient prier aux pieds des autels et demander à Dieu miséricorde.

Mais l'an 4000 s'ouvrit, et les trompettes du jugement dernier ne retentirent pas; le premier jour, le premier mois, l'année tout entière, s'écoulerent, et le monde ne s'écroula pas. L'espoir revint aux cœurs, la crainte disparut pour faire place à un sentiment d'ineffable reconnaissance pour le Dieu bon et miséricordieux. Le clergé profita de cette disposition des esprits pour établir plus solide encore son autorité et étendre une bienfaisante influence.

« Près de trois ans après l'an 1000, dit Raoul Glaber, les basiliques des églises furent renouvelées dans presque tout l'univers, surtout dans l'Italie et dans les Gaules, quoique la plupart fussent encore assez belles pour ne point exiger de réparations. Mais les peuples chrétiens semblaient rivaliser entre eux de magnificence pour élever à l'envi les églises les plus élégantes. On eût dit

Tvo. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

que le monde entier, d'un commun accord, avait secoué les haillons de son antiquité pour revêtir une blanche robe d'églises. » Les objets d'adoration se multipliérent à mesure que l'élan religieux s'augmentait, et, à ce moment, «< on aurait cru assister à une résurrection universelle des reliques, ces gages sacrés qui, après être demeurés longtemps cachés, se révélèrent partout et en même temps aux fidèles ». C'est ainsi qu'un archevèque de Sens, Leutheric, prétendit avoir trouvé un fragment de la baguette de Moïse; qu'à SaintJulien en Anjou, on découvrit un soulier de JésusChrist; à Saint-Jean-d'Angeli, le chef de saint JeanBaptiste, et, par toute la France, une quantité d'autres reliques non moins extraordinaires. Ajoutous que chacune de ces découvertes valait à l'église qui l'avait faite un nombre infini de visiteurs, et des plus illustres, qui payaient fort cher la joie pieuse de voir et de baiser le reliquaire.

Les cœurs les plus endurcis cédaient à l'entraînement général Foulques Nerra, comte d'Anjou, en saccageant la ville de Saumur, incendia l'église de Saint-Florent, et pendant que le temple brûlait, il implorait le saint: « Je brùle ton monastère, lui disait-il, mais je t'en bâtirai un bien plus beau dans Angers. » Ce prince, qui s'était montré toute sa vie cruel et sans pitié, alla visiter le saint sépulcre et fonda un couvent dont les moines devaient sans cesse prier pour son àme; et comme l'archevêque de Tours refusait de consacrer l'édifice, il obtint à force d'argent, du pape Jean XVIII, qu'un cardinal vînt en faire la dédicace.

louse, pour contenter le sentiment populaire, que chaque année, le dimanche de Pâques, un juif serait souffleté par un chrétien, en grande cérémonie, dans l'église cathédrale. Un jour, le chrétien auquel on avait déféré l'honneur de frapper infligea au patient un si rude soufflet de son gantelet de fer, qu'il lui brisa le crâne (1048).

On rechercha, et nécessairement on découvrit des hérésies ainsi on condamna à mort deux savants clercs d'Orléans, Étienne et Lisoie, avec onze de leurs prosélytes. Ces malheureux furent brûlés vifs, et renouvelerent pour la première fois, depuis le temps de saint Martin (voy. p. 93), l'odieux spectacle d'hommes mis à mort pour des écarts d'opinion. Les hérétiques orléanais édifiaient leurs concitoyens par la pureté de leurs mœurs, et tout leur crime était de croire que le Christ ne s'était incarné qu'en apparence dans le sein de sa mère, qu'il n'était point présent dans l'Eucharistie, qu'invoquer les saints était un acte d'idolatrie, qu'il fallait s'abstenir du mariage et ne point manger de chair. On raconte que, comme ils marchaient au supplice, l'épouse du roi Robert, la reine Constance, se précipita sur Étienne, qui avait été son confesseur, et lui creva l'œil d'un coup de baguette.

Un seigneur cependant se déclara le protecteur de cette malheureuse nation, tout en lui faisant payer cher l'asile qu'il lui accordait. Ce fut le comte de Sens, Regnard, le « roi des juifs », comme l'ont surnommé ses contemporains. Mais ses voisins, et le roi de France lui-même, marchèrent contre lui à la tète de leurs troupes, et son espèce de générosité faillit lui coûter les biens et la vie.

LE ROI ROBERT.

Robert II avait vingt- six ans quand il succéda à son père. Le nom de ce prince nous est parvenu entouré d'une réputation de piété, de douceur et de patience qui l'ont rendu populaire, et sa placide influence semble donner à l'époque où il vécut le caractère, bien rare alors, d'une ère de paix et de tranquillité. «< Au temps du bon roi Robert », disent

Le zèle excessif du clergé se tourna surtout contre les juifs. La destruction de l'église du Saint-Sépulcre par le calife d'Égypte Hakim Bamrillah (1040) servit de prétexte pour les persécuter. L'Europe entière se souleva contre cette race maudite, et on frappa les juifs dans leurs personnes, afin d'avoir occasion de mettre la main sur leurs biens. Ils furent dépouillés, bannis, massacrés; leur nom devint une injure. En France, la persécution se montra impitoyable. Il avait été décidé, à Tou

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les conteurs des douzième et treizième siècles au début d'une pastorale ou d'un roman; les conteurs n'ont pas été démentis, cette fois, par l'histoire

Le moine Helgaud de Fleuri, contemporain de ce roi et son biographe, nous a laissé de lui un portrait dont voici les traits principaux: « Il était de haute stature; ses cheveux et sa barbe étaient bien plantés et abondants, son regard doux et sa bouche agréable; il était simple dans ses habitudes, d'un abord facile, aimant la conversation, la promenade et toute espèce de réunions; très-studieux de la littérature sacrée, il ne laissait pas passer un jour sans lire le Psautier; il oubliait aisément les injures pour ne se souvenir que des services; il eut pour maître, aux écoles de Reims, le savant Gerbert, et profita si bien de ses leçons qu'il demeura l'un des hommes les plus instruits du royaume. Nous ne disons rien de sa piété, qui fut celle d'un moine plutôt que d'un roi, et de sa charité, qui, pendant longtemps, fut proverbiale dans l'Ile-de-France. >>

Ces qualités promettaient au roi, sinon la gloire, au moins un paisible règne. Des 989, Robert, alors àgé de dix-neuf ans, avait répudié, parce

qu'elle était plus âgée que lui, une première femme, nommée Suzanne, princesse d'origine italienne. Six ans plus tard, en 995, il épousa Berthe, fille du roi d'Arles, Conrad le Pacifique, et veuve, depuis peu de mois, d'Eudes Ier, comte de Blois, à qui elle avait donné six enfants. Par cette alliance politique, Robert s'assurait des droits éventuels sur la partie la plus éloignée de la Bourgogne; mais une double parenté l'unissait à Berthe: parenté naturelle, parce que Berthe était sa cousine au quatrième degré; parenté spirituelle, parce qu'il avait tenu sur les fonts baptismaux un enfant dont elle était la marraine, et cette affinité, bien qu'elle fût purement morale, suffisait à former un empêchement au mariage. L'Eglise, qui travaillait sagement à l'apaisement et à la fusion des

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races, avait institué, à cet égard, des règles d'une rigueur extrême. Dès 995, un légat du pape avait protesté contre ce mariage; mais Robert avait résisté. Son père mort, le nouveau roi avait fait certaines concessions au souverain pontife, espérant en obtenir de son côté, et il avait envoyé à Rome, pour cet effet, l'abbé de Fleuri, Abbon; mais Abbon avait traité les affaires de son abbaye et point celles du roi. Grégoire V, persévérant dans la politique du saint-siége, alors hostile à la nouvelle dynastie par attachement au parti carolingien, et qui d'ailleurs, à cette époque, obéissait docilement à l'empereur d'Allemagne, convoqua à Rome, en 998, un concile où fut jugée la conduite du roi Robert. Le mariage de ce prince fut réprouvé, et le concile en ordonna la dissolution dans un canon qui nous est parvenu: « Le roi Robert, y est-il dit, qui a épousé sa parente Berthe, au mépris des lois de l'Église, la quittera et fera une pénitence de sept ans, suivant la coutume canonique. S'il refuse, qu'il soit anatheme! Cet ordre s'appliquera à la

susdite Berthe. Archambaud, archevêque de Tours, qui a consacré cette union, et aussi tous les évèques qui ont assisté et consenti à ce mariage incestueux, seront suspendus de la très-sainte communion jusqu'à ce qu'ils soient venus à Rome donner satisfaction au saint-siége. »>

La résistance de Robert au décret du concile a donné naissance à un grand nombre d'anecdotes qui n'ont pas peu contribué à populariser son nom, en attirant sur lui et sa femme un intérêt voisin de la compassion. Tout le monde avait fui, dit-on, le roi et la reine; deux serviteurs seulement avaient consenti à les assister; encore prenaient-ils le soin de purifier par le feu tous les objets touchés par le couple anathématisé. La reine Berthe aurait bientôt mis au monde un fils monstrueux ayant le corps d'un enfant et la tête d'une oie. Telle était la terreur populaire inspirée par les foudres de l'Église. Le bon roi Robert, cependant, ne fut pas si vivement effrayé qu'il n'ait retenu Berthe auprès de lui, peut-être jusqu'en 1004, et certainement jusqu'en 4004, où le nom de cette reine se trouve encore, dans les chartes, joint au nom du roi, suivant l'usage de sa chancellerie.

Vers 4006, Robert, ayant enfin cédé, répudia Berthe et se remaria. Il épousa Constance, fille de Guillaume Taillefer, comte de Toulouse. Avec la nouvelle reine affluèrent en France les Aquitains. « C'étaient des hommes vains, légers et de mœurs dissolues, dit Raoul Glaber, bizarres dans leurs vêtements et dans les harnais mêmes de leurs chevaux, portant la barbe rase comme les histrions, et les cheveux courts, des bottines d'une longueur démesurée, des cottes couvrant à peine le genou, fendues devant et derrière; ils sautillaient plutôt qu'ils ne marchaient; gens sans foi, d'ailleurs, et dont les alliances n'étaient point sûres. » Et le chroniqueur déplore ces tristes exemples de frivolité donnés à la nation des Franks, « autrefois la plus honnête de toutes ». La reine Constance était belle, mais d'un caractère altier, colère; et le moine Helgaud qui vécut, si l'on veut l'en croire, dans l'intimité du monarque dont il raconte la vie, nous le montre cachant ordinairement ses bienfaits à la reine, ou dérobant des coupables à sa fureur. «Un jour, il dînait à Étampes, dans un palais que la reine venait de faire construire; il ordonna d'ouvrir la porte à tous les pauvres. L'un d'eux vint se mettre à ses pieds, et le roi le nourrissait sous la table; mais lorsque le repas fut achevé et les pauvres partis, on s'aperçut que cet homme avait coupé un ornement d'or, du poids de six onces, que le roi portait aux genoux. La reine témoigna hautement son indignation : « Quel ennemi de Dieu, >> dit-elle, bon seigneur, a déshonoré votre vêtement? Personne ne l'a déshonoré, répondit-il; mais >> cela était sans doute plus nécessaire à celui qui >> l'a pris qu'à moi, et, Dieu aidant, lui profitera. »

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« Une autre fois, étant à Poissi, comme il revenait de faire sa prière à l'église, il trouva sa lance garnie, par sa vaniteuse épouse, d'ornements d'ar

gent. Tout en examinant cette lance, il cherchait s'il ne verrait pas dehors quelqu'un à qui l'argent füt nécessaire; et apercevant un pauvre en haillons, il lui demanda avec précaution quelque outil pour l'ôter. Le pauvre ne savait ce qu'il voulait faire de cet outil; mais le serviteur de Dieu lui dit d'en chercher un au plus vite. Celui-ci étant revenu avec un outil, ils s'enfermèrent ensemble et enlevèrent l'argent de la lance, et le roi le mit lui-même de ses saintes mains dans le sac du pauvre, en lui recommandant, suivant sa coutume, de bien prendre garde que la reine ne l'aperçût. Constance fut bien étonnée de voir sa lance ainsi dépouillée; mais son mari jura, par plaisanterie, le nom du Seigneur, qu'il ne savait comment cela s'était fait. Il avait cependant le mensonge en horreur, et pour justifier d'avance ceux dont il avait à recevoir le serment, il avait fait faire une chasse de cristal toute garnie d'or, mais dans laquelle il avait eu soin de ne mettre aucune relique, afin que les parjures fussent moins coupables. » (Helgaud.) Sa charité s'étendait jusque sur les sacrileges: « Ami Oger, dit-il un jour à un prêtre qu'il avait vu voler un chandelier d'argent sur l'autel mème, ce que tu as te suffit pour arriver au lieu de ta naissance; va-t-en d'ici, afin que mon inconstante Constance ne te mange pas, et puisse le Seigneur être avec toi. >>

Le roi Robert avait puisé une instruction assez étendue dans les leçons du savant Gerbert. Il avait surtout des connaissances musicales qu'il mit au service de l'Église en composant plusieurs offices qui restèrent célébres longtemps après lui. Sa femme, le voyant toujours occupé de ces pieux travaux, lui demanda de faire aussi quelque chose en mémoire d'elle. Il écrivit alors le rhythme : «O constance des martyrs! » Et la reine crut que c'était son nom qu'on célébrait en chantant ce morceau.

Ce roi aux mœurs clericales avait coutume de se rendre à l'église de Saint - Denys revêtu de ses habits royaux et la couronne en tête, pour y diriger le chœur à matines, à vepres et à la messe. Un jour, comme il assiégeait certain château, à la fete de saint Hippolyte, pour lequel il avait une dévotion particuliere, il quitta le siége pour aller à Saint-Denys diriger le choeur; et tandis qu'il chantait dévotement avec les moines, les murs du château assiégé tombèrent, et l'armée du roi en prit possession, ce que Robert regarda toujours comme un miracle de saint Hippolyte. (Helgaud.)

A lire ces récits de sa vie intime, on est tenté de croire à la pusillanimité du roi Robert; cependant sa jeunesse avait été belliqueuse, et sous le regne de son père, qui l'avait associé au trône presque aussitôt après son élection, c'étaient surtout ses exploits que célébraient les écrivains. L'extrême mansuétude de son âge mûr, qui se continua dans ses premiers successeurs, ne fut peutêtre pas dénuée d'une pensée profonde et calculatrice, car elle formait un admirable contraste avec la conduite violente et l'avidité de tous les grands

feudataires dont la couronne de France était entourée.

Eudes Ier, comte de Blois et de Chartres, était mort en 995. Thibaut II, l'aîné de ses enfants, lui succéda, mais mourut sans postérité en 1004, laissant la couronne à son frère Eudes II. Ce dernier fut un des plus remuants et des plus ambitieux personnages de cette époque, où tout baron prodiguait le sang pour agrandir ses terres. N'osant attaquer Robert directement, il l'attaqua dans ses alliés ou ses vassaux, et s'empara notamment de Melun par surprise. Robert fut obligé d'avoir recours à son allié, le duc de Normandie, pour reprendre cette place.

Le fameux comte d'Anjou, Foulques Nerra, plus turbulent encore, guerroya pendant cinquantedeux ans, longue durée de son règne (987-4039), vainquit maintes fois ses voisins Eudes de Blois et Conan de Bretagne, et répandit la terreur de son nom par ses crimes autant que par sa puissance. Son fils, Geoffroi-Martel, s'était révolté; mais il se trouva le moins fort, et fut contraint par son père à venir lui demander pardon en rampant sur la terre avec une selle de cheval sur son dos. Quand le vieillard le vit devant lui dans cette posture, il se dressa, transporté de colère, et le frappa du pied à plusieurs reprises en s'écriant: « Tu es vaincu! enfin tu es vaincu! Par mon père, répondit le fils; pour tout autre, je suis invincible. » Le père pardonna. Il fut plus clément avec son fils qu'avec ses deux femmes, dont il croyait avoir à se plaindre. Il poignarda et brûla la première, Élisabeth de Vendôme, et il exila la seconde à Jérusalem, après l'avoir abreuvée de mauvais traitements. Un jour, pour être agréable à la reine Constance, dont il était le digne oncle, il lui donna douze de ses gens qui allerent prendre et mettre à mort, sous les yeux du roi Robert, un favori de ce prince, le comte du palais Hugues de Beauvais. En revanche, Foulques Nerra fonda des monastères, construisit des églises, et fit trois fois le pèlerinage de la Palestine. Il se fit conduire, les épaules nues, devant le saint sépulcre, et là, pendant qu'un de ses serviteurs le flagellait de coups, l'autre lui appuyait sur le col un joug de bois, et lui-même criait d'une façon lamentable: « Seigneur, reçois en grâce ton misérable Foulques qui t'a méconnu, qui t'a renié! » Il mourut à Metz, en revenant de Jérusalem.

Les Normands, fidèles à l'alliance du roi de France, et plus tranquilles que leurs voisins dans leur riche province, portaient au loin l'amour de la guerre et l'esprit d'aventures. Dans les premières années du onzième siècle, quarante pèlerins de cette nation, revenant de Jérusalem, offrirent leurs services au prince de Salerne, Guaimar III, contre les Sarrasins, et établirent par une action d'éclat la réputation de leurs compatriotes en Italie. Aussi, en 1046, un seigneur normand appelé Raoul Drengott étant venu à Rome pour solliciter une faveur du saint Père, celui-ci, frappé de

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