Page images
PDF
EPUB

D

[ocr errors]

D

» les affaires publiques ne souffrissent point en » demeurant sans chef et négligées : aussi avons» nous jugé utile, lors de l'assemblée dernièrement » tenue à Compiegne, de ne pas nous prononcer >> encore, afin que chacun de vous pût venir ici don» ner devant tous l'avis que Dieu lui aurait inspiré, » et qu'en recueillant l'opinion de chacun, on pût » voir le sentiment de la masse et connaître le >> suffrage du conseil tout entier. Nous n'ignorons » pas que Charles (de Lorraine) a ses partisans » prêts à soutenir que le titre de roi lui appartient » du chef de ses parents. Mais si l'on examine la question, ce n'est point par droit héréditaire qu'il faut acquérir les royaumes; celui-là seul » doit s'y élever qui joint aux perfections du corps » la sagesse de l'esprit, la fidélité à sa parole, la générosité d'une grande àme. Or de quelle dignité revêtir Charles, que ne gouverne point l'honneur, que la torpeur énerve, qui dernière» ment a consenti sottement à une telle dérogeance » qu'il n'a pas eu horreur de servir un roi étran» ger (4), et de prendre une épouse au-dessous de » lui dans les rangs des vassaux? Quoi! notre » grand due souffrirait pour reine la fille d'un » vassal de ses propres domaines (2), et elle do» minerait sur lui! Quoi! il placerait au-dessus de » lui celle dont les pairs, les supérieurs même, » fléchissent devant lui leurs genoux et posent >> leurs mains sous ses pieds (3)! Examinez bien » et considérez que Charles s'est exclu lui-même >> par sa faute plutôt qu'il n'est écarté par le fait » d'autrui. Décidez-vous pour le bonheur du pays et non pour son malheur. Que l'affection pour » Charles ne vous entraîne pas; que la haine contre » le duc ne détourne personne de ce qui est l'uti»lité commune. Choisissez donc le duc pour votre » chef, lui qui est illustre par sa conduite, par sa » noblesse, par ses vastes ressources; lui que vous » verrez le protecteur, non-seulement de la chose » publique, mais de vos intérêts privés. » Tel fut le discours du métropolitain. Son avis ainsi proclamé reçut de tout le monde une approbation qu'on avait sans doute préparée longtemps à l'avance. Le duc fut élu roi d'un consentement unanime; quelques jours après, le 1er juin 987, « il fut couronné à Noyon par Adalbéron et les autres évêques, et reconnu par les Gaulois, les Bretons, les Normands, les Aquitains, les Goths, les Espagnols, les Gascons. En conséquence, ayant les chefs des différents pays rangés autour de lui, il entra dans l'exercice de la royauté, en rendant des décrets, en faisant des lois, réglant toutes choses et les distribuant avec un ordre d'heureux augure. Puis, pour se rendre digne de son bonheur, à peine déchargé de cette longue suite de soins utiles, il se livra aux actes d'une vive piété. »

D

D

D

Le règne des conquérants germains était passé,

(1) Allusion aux concessions de Charles à Othon. (*) Herbert, comte de Troyes.

(5) Cérémonie du serment féodal.

et la Gaule, devenue la France, mais rendue à ellemême, pouvait désormais renouer le cours de ses grandes destinées.

LETTRES ET ARTS APRÈS CHARLEMAGNE.

Les nobles efforts de Charlemagne pour la restauration des études (voy. p. 200) ne tardèrent pas à produire leurs fruits; ils répandirent sur son règne et ceux de ses successeurs l'éclat que les travaux intellectuels donnent toujours. Mais, pour les arts et les lettres comme pour le gouvernement, cette œuvre ne fut qu'une imitation affaiblie de l'antiquité romaine, source toujours féconde où devaient se puiser longtemps encore les inspira

tions modernes.

Ce caractère imitateur se montre surtout dans les écrits des deux principaux historiens de cette période, Éginhard qui la commence, et Richer qui la termine.

Éginhard, que nous avons souvent cité, était au nombre des grands personnages de la cour impériale, et avait reçu l'instruction à l'école du palais. En l'année 802, son nom apparaît pour la première fois, placé au milieu d'une liste de seigneurs et d'évêques chargés de la garde des otages saxons. On voit ensuite entre ses mains d'autres missions importantes qui paraissent confiées à un caractère vénéré non moins qu'à des talents supérieurs; enfin, en 817, lorsque Louis le Débonnaire associe Lothaire à l'empire, c'est à Éginhard qu'il remet les grandes fonctions de gouverneur et de principal conseiller du jeune prince. Le conseiller ne manqua pas à ses devoirs, et nous avons de lui une belle lettre dans laquelle il écrivit à Lothaire, lorsque celui-ci commençait à s'élever contre son père : « Votre sagesse ne saurait ignorer, j'en suis convaincu, combien un fils rebelle est abominable devant Dieu. » Il embrassa la vie monastique, et, dégoûté des affaires publiques, il vécut les onze dernières années de sa vie (828-839) abbé d'un monastère qu'il avait fondé dans un désert de l'Austrasie, et qu'il appela Seligenstadt. Il nous reste de lui soixante-dix lettres, des Annales ou notes rédigées année par année sur les faits qui s'accomplirent depuis 744 jusqu'en 829; enfin, son vrai titre littéraire, la Vie de Charlemagne, rédigée vers l'an 820. Ce livre, si précieux comme document historique, n'est pas seulement écrit afin de perpétuer le souvenir des événements; son auteur a voulu composer une œuvre d'art. S'efforçant d'écrire de manière à satisfaire à la fois l'intelligence et le bon goût, il s'est proposé pour modèle la Vie d'Auguste, par Suétone; et s'il est loin d'avoir égalé son modèle, il a su cependant disposer un tableau élégant, rapide, correct, et peutètre impartial.

L'ouvrage d'Éginhard fut accueilli par l'admiration de ses contemporains, qui, dans leurs louanges, le comparaient à Homère, à Platon et même à Sapho. Un d'entre eux, Loup, religieux de l'abbaye

[merged small][merged small][subsumed][ocr errors][subsumed][ocr errors]

Lettres patentes données à Thionville en l'année 783, par lesquelles Charlemagne confirme la donation du village de Cheminot, dans le duché de Moselle: - « Carolus gratia Dei rex Francorum... Cedimus vel confirmamus hoc nobis » procul dubio... et futurum qualiter nos in celimosina... Signum KAROLUS. Ercambaldus. >>

ce que je désirais. S'il fallait vous alléguer quelque raison (et je dois passer sous silence ici les maximes de la littérature profane au sujet de l'amitié, car vous qui connaissez cette littérature, vous m'appliqueriez avec justesse le précepte d'Horace si souvent répété par les savants : « Ne porte >> pas de bois à la forêt »), je dirais que notre Dieu, en ordonnant que nous aimions nos ennemis, nous laisse aucun prétexte de mépriser ceux qui nous aiment. Tournez donc, je vous prie, une patiente et bienveillante attention vers celui qui élève ses pensées jusqu'à vous, afin de voir qu'il n'est poussé ni par rien de mauvais, ni par la légèreté de la jeunesse. Dès ma première enfance

ne

[ocr errors]

l'amour des lettres fut inné en moi, et leur superstitieuse oisiveté, comme beaucoup de gens l'appellent aujourd'hui, ne m'a jamais causé d'ennui. Devenu docteur en grammaire, grâce aux leçons du saint évêque Aldric (de Sens), mon métropolitain, j'ai commencé à parcourir les auteurs et ne goûtais pas les écrits rédigés de notre temps, parce qu'ils s'éloignent de cette gravité cicéronienne qu'on atteignait à d'autres époques, et que des chrétiens illustres se sont proposée pour modèle, lorsque votre ouvrage est tombé entre mes mains, celui dans lequel vous avez raconté avec éclat (qu'il me soit permis de le dire sans être soupçonné de flatterie) les actions éclatantes du très-illustre

empereur Charles. L'élégance des pensées, l'emploi sobre des conjonctions, caractère que j'avais remarqué dans les auteurs anciens; ces phrases dégagées des longues périodes qui embarrassent le style, et complètes dans leur brièveté, me frappèrent vivement..... Ayant appris que le présent messager se rendait auprès de vous, je me suis proposé d'abord de vous adresser quelques phrases obscures, pour que vous les éclaircissiez; puis, il m'a semblé mieux de vous envoyer aussi cette

lettre; enfin, ayant une fois franchi la limite des convenances, j'en viens à vous demander de me prêter quelques-uns de vos livres, ce qui est cependant beaucoup moins exiger que de prétendre à votre amitié. Ces livres sont : le Traité de la rhétorique, de Cicéron, que j'ai, mais fautif en beaucoup d'endroits; le dialogue de l'Orateur, du même auteur; et les Nuits attiques, d'Aulugelle..... II m'est venu à l'esprit beaucoup d'autres choses encore à vous écrire; mais je n'ai pas dû retenir plus

[graphic][subsumed][merged small][ocr errors][merged small]

longtemps votre intelligence à mes bagatelles, vous sachant occupé des affaires de ce monde ou absorbé dans les méditations intimes et profondes de la philosophie. >>

L'auteur de cette lettre, Loup de Ferrières (805864) compte, mais non pas au premier rang, parmi les savants du neuvième siècle. Il devint abbé de son monastère de Ferrières en Gâtinais, et fut mêlé, dans le parti de Charles le Chauve, aux

(') Cette gravure et les neuf suivantes reproduisent des figures mêlées au texte d'un manuscrit du neuvième siècle conservé à la grande Bibliothèque de la rue Richelieu; mss. latin Astronomie, fonds Saint-Germain, no 434.

affaires de son temps. On a conservé de lui, avec plusieurs traités théologiques et deux Vies de saints, cent vingt-six autres lettres également pleines de renseignements sur les hommes et les choses de son temps. Ce sont aussi des lettres, avec quelques ouvrages de théologie, qu'ont laissé : Leidrade, archevêque de Lyon (mort vers 846); Amalaire, prêtre de Metz, chef de l'école du palais (753-837); Hildebert, de Tours; Fulbert, évêque de Chartres; Agobard, archevêque de Lyon, l'un des plus grands esprits de l'ère carolingienne (779840), homme d'un jugement assez droit pour avoir attaqué, lui qui vivait au neuvième siècle, la croyance aux sorciers et ces fameuses épreuves

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]
[graphic]

Edifice religieux et Baptême.

Neuvième siècle.

000

Lit et Berceau. Neuvième siècle.

m

Cavalier. Neuvième siècle.

judiciaires où nos pères s'en remettaient soit au combat singulier, soit à des superstitions bizarres, pour la décision des questions portées aux tribunaux. Les correspondances sont une partie notable

Tour fortifiée. Neuvième siècle.

et très-curieuse pour nous du bagage littéraire de cette époque. Alcuin a laissé deux cents épîtres, dont trente adressées à Charlemagne, dans les quelles il cite à tout propos Virgile, Horace,

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

[ocr errors][ocr errors][merged small][merged small]

Cicéron, Térence, Ovide. L'antiquité enivrait déjà | antiques; il en est un petit nombre aussi que ces hommes de la première renaissance, comme plus tard ceux du seizième siècle. Alcuin écrivait

à Charlemagne, au sujet des leçons de son école :

J'offre aux uns le miel de l'Écriture; je tache

j'éclaire de la splendeur des astres. >>

[graphic]
[graphic][graphic][merged small][merged small][merged small]

Vases. - Neuvième siècle.

A la suite d'Éginhard se place un auteur qu'on connaît seulement sous la désignation de « moine de Saint-Gall», et qui, avec un talent remarquable, composa une sorte d'histoire poétique et populaire du grand empereur des Franks. C'est un des rares

« PreviousContinue »