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saillies à l'improviste, en Batavie, par les troupes saxonnes, furent passées au fil de l'epée, et Hugues le Lorrain, prétendant au trône de Lorraine, qui s'était fait l'allié de Godefried, ayant été saisi, Charles le Gros lui fit arracher les yeux. En même temps, une armée de Neustriens, de Lorrains et de Bourguignons se présenta, près de Louvain, devant les bandes de Siegfried, l'autre chef des hommes du Nord; mais elle fut battue (885).

pour la rançon de Paris, et leur donna de plus l'autorisation d'aller passer l'hiver sur les terres de Bourgogne, dont les habitants refusaient de le recounaître (mai 887).

Paris n'accepta point ce honteux arrangement, et lorsque les Normands se présentèrent devant les ponts pour les franchir, dans leurs barques, en vertu des ordres impériaux, ils furent accueillis à coups de flèches. Force leur fut de tirer les embarcations à sec et de les traîner par terre jusqu'audessus de la ville; là, ils les remirent à flot. Cette petite cité venait de conquérir, et pour elle et pour la famille de ses chefs, celle de Robert le Fort, une popularité qui assurait dans l'avenir leur commune prééminence.

Affamés de vengeance, les Barbares se réunirent plus nombreux que jamais. Les uns, ayant à leur tête un géant danois nommé Rolf ou Rollon, qui, dit-on, ne marchait qu'à pied, parce qu'il n'y avait pas de cheval assez fort pour le porter, se rendirent par terre à Rouen, dont ils s'emparèrent; les autres vinrent joindre leurs compagnons en remontant la Seine. Ils voulaient la remonter jusqu'en Bourgogne, et ils arrivérent en vue de Paris le 25 novembre 885, montés sur sept cents bateaux; mais Paris les arrêta. L'ancienne capi-lui-même. Quelques mois après (42 janvier 888), tale mérovingienne barrait le fleuve par le grand cet héritier de Charlemagne mourut de douleur et de misère.

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Autre monnaie de Charles le Gros.

Le triste empereur retourna vers le Rhin convoquer une assemblée qui devait délibérer sur le choix de son successeur, car il n'avait pas de fils légitime, mais qui, osant davantage, le déposa

LE ROI EUDES ET CHARLES III, DIT LE SIMPLE.
LE ROI RAOUL.

En quittant Paris, Charles le Gros avait institué (ou reconnu) le comte Etides pour duc de France, c'est-à-dire gardien et gouverneur militaire du pays entre Seine et Loire. C'est ainsi qu'apparaît pour la première fois dans son acception moderne ce nom de France (Francia). Le territoire spécialement soumis aux guerriers franks est toujours aux bords du Rhin l'Austrasie sur sa rive gauche, la Franconie et le reste de la Germanie sur sa rive droite; la France, plus tard l'Ile-de-France, est le cœur du pays, où la masse des vieilles populations celtiques, ayant absorbé et fondu dans leur sein la race des compagnons de Clovis et de Charlemagne, forme de nouveau une nation gallo - romaine qui refoule le germanisme loin d'elle et aspire à vivre de ses propres inspirations.

Pont ou pont au Change et le Petit-Pont, les seuls qu'elle eût alors; on les avait garnis de fortifications, et à chacune de leurs extrémités, sur la rive droite et sur la rive gauche de la Seine, venait d'être ajoutée une tour de défense. Le siége de Paris, qui affronta pendant dix-huit mois. les assauts furieux de trente mille Normands, est l'un des événements les plus mémorables du neuvième siècle. Il ranima la vertu guerrière de la France en faisant briller la vaillance des Parisiens et l'énergie de ceux qui les commandaient: Eudes, comte de Paris, fils aîné de Robert le Fort; son frere Robert; Hugues, comte d'Anjou; Gozlin, évêque de la ville assiégée. Les Barbares saccagèrent impitoyablement tous les environs, notamment la riche abbaye de Saint-Germain des Prés; ils déployerent toutes les ressources de l'art militaire de leur temps en construisant une tour roulante en bois pour dominer les assiégés et en lançant des brûlots contre leurs ponts; ils montrèrent leur perfidie et leur férocité en égorgeant des prisonniers auxquels ils avaient promis la vie sauve, ou en les tuant, sous les yeux des assiégés, afin de combler les fossés avec leurs cadavres; mais tous leurs efforts échouérent. Deux fois se montrèrent sur les hauteurs de Montmartre des armées de secours : la première fut repoussée; la seconde, conduite par l'empereur en personne, mais trop faible probablement pour combattre, s'en tint à traiter. Charles le Gros accorda aux Normands 800 livres d'argent

« Charles étant descendu chez la noire déesse, dit le poëte Abbon (moine de Saint-Germain des Prés qui, après avoir asssisté au fameux siége de Paris, en fit le sujet d'une relation en vers), Eudes, plein de joie, prend le titre de roi; il en saisit aussi la puissance par le consentement et la faveur d'une nombreuse multitude de Franks; il prend le sceptre en main, le diadème sur sa tête. Les Franks de l'est s'en réjouissent, quoique Eudes soit Neustrien, car on ne saurait trouver au monde son égal; la Bourgogne l'approuve malgré son titre menaçant de duc, et la Neustrie partage l'honneur de son illustre enfant. >>

Il s'en fallait qu'en réalité l'accord fût aussi unanime. La Lorraine, la Bourgogne, l'Aquitaine, la Bretagne, réclamaient leur indépendance aussi bien que la Neustrie, et se choisirent chacune un roi particulier. En outre, il y avait encore des partisans de l'empire soutenus par Arnolf, successeur

Tvp. de J. Best. rue St-Man-St-C 13

de Charles le Gros en Germanic, et ni les Normands, ni même les Sarrasins n'avaient renoncé à leurs incursions. Entre tous ces éléments ennemis les uns des autres, et surtout ennemis de sa suprématie, Eudes se débattit vainement, tantôt vainqueur, tantôt vaincu, parfois cruel daus ses vengeances, parfois assez faible pour reconnaître la suzeraineté d'Arnolf ou pour acheter à prix d'or, lui aussi, la retraite des Normands, et montra, par dix années d'un règne pénible et infructueux, qu'en héritant de la couronne on héritait de difficultés que ni l'intelligence ni le courage ne pouvaient résoudre. Eudes ne put pas même empêcher que les débris de la faction impériale, à la tète de laquelle était Foulques, archevêque de Reims, ne lui suscitassent un compétiteur et ne

consacrassent comme seul roi légitime le jeune Charles, fils posthume de Louis le Bègue, alors âgé de quatorze ans (28 janvier 893). Charles, il est vrai, malgré l'appui de son parent Arnolf, fut obligé de s'enfuir devant les forces du roi Eudes. Mais, sur ces entrefaites, Eudes mourut, âgé seulement de quarante ans (janvier 898), en recommandant à ses fidèles d'accepter Charles pour leur seigneur. Robert, son frère, lui succéda comme duc de France.

Charles III fut donc reconnu par toute la France, et, achetant sans doute la paisible possession de sa couronne par le sacrifice de toute entreprise qui pût relever la royauté de la dépendance où la tenaient les grands, il cut d'abord de longues années de paix; mais, en même temps, il reçut l'humi

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Coupe de Ptolémée (moitié de la grandeur réelle), donnée par Charles le Simple à l'église de Saint-Denys.

liation du surnom qui lui est resté dans l'histoire: Charles le Simple ou le Sot (simplex, stultus, follus). « Il était plein de bienveillance, dit un historien attaché à sa famille, beau de corps, d'un naturel simple et bon; il avait peu d'habitude des exercices militaires, mais il était très - versé dans l'étude des lettres, donnait avec libéralité et ne connut point l'avarice. Il cut deux grands défauts: de se livrer au plaisir avec excès, et de négliger un peu trop les affaires administratives. Les princes des Gaules s'attachèrent à lui et par le cœur et par les serments. » (Richer, Hist.)

Les Normands cependant continuaient leurs déprédations. Ils s'étaient établis à demeure sur les contrées de la basse Seine, principalement à Rouen, à Bayeux, à Évreux, et s'étaient choisi pour chef

ce Rollon qui les avait conduits au siége de Paris. De là ils parcouraient ou menaçaient sans cesse les pays d'alentour. Pour mettre un terme à cet état de guerre permanente qui désolait les rives de l'Oise, de la haute Seine et de la Loire, Charles le Simple ou ses conseillers envoyèrent dire à Rollon, par l'archevêque de Rouen : « Le roi t'offre sa fille en mariage avec la seigneurie héréditaire de toute la terre située depuis la rivière d'Epte jusqu'à la Bretagne, si tu consens à devenir chrétien et à vivre en paix avec le royaume. » Rollon accepta, sous la condition qu'on ajouterait à ces dons la suzeraineté de la Bretagne, et les conditions du traité furent arrêtées dans une entrevue des deux princes, au village de Saint-Clair-surl'Epte, en 912.

Cet événement eut d'importantes et heureuses conséquences. Les Barbares, adoucis déjà par leur séjour en France, et la population neustrienne (car c'était spécialement au pays qu'ils occupaient qu'on donnait alors le nom de Neustrie), moins effrayée de ses hôtes, se fondirent avec une merveilleuse rapidité. La Neustrie s'appela désormais la Normandie. Rollon se montra un chef intelligent et sévère qui, après avoir partagé la terre avec ses compagnons d'armes, fit régner chez lui la paix et la justice. Les précédents propriétaires furent réduits à l'état de vassaux ou de serfs; mais tous les cultivateurs et les gens de métier gagnèrent en sécurité, en aisance, en lumières. Le plus grand nombre des Normands, à l'exemple de leur duc, embrassèrent le christianisme; ils étudièrent et firent avec amour l'application des conséquences, nouvelles alors, qui naissaient du droit des fiefs; ils construisirent des églises, ils oublièrent leur langue nationale pour parler, mème pour perfectionner celle des Français, et ils gardèrent ce hardi génie d'entreprise qui devait les pousser à faire un jour la conquête de l'Angleterre, un autre celle de l'Italie méridionale, ou plus tard du Canada. Les chroniqueurs des siècles suivants dépeignent le règne de Rollon (Rou, dans les vieux poëmes français) comme une sorte d'âge d'or, et racontent qu'un tel respect de la justice régnait dans ses domaines, qu'un bracelet précieux qu'il avait oublié aux branches d'un chêne pendant une partie de chasse y demeura trois années suspendu, sans que personne osat y toucher.

La même année où il cédait la Normandie à Rollon, sous la simple réserve du serment d'hommage et fidélité, Charles le Simple gagnait la Lorraine par la mort du prince germain qui la possédait (Louis IV). Mais il se fatigua de sa longue tranquillité. « Le roi avait une bienveillance toute particulière pour Haganon, homme qu'il avait tiré. d'une condition médiocre et qu'il avait élevé au pouvoir; cela fit que les grands s'éloignèrent de lui et que le seul Haganon resta près de sa personne, allant souvent jusqu'à ôter le chapeau qui couvrait la tête du roi et à le placer, même en public, sur la sienne. Ce fut un grand malheur pour Charles. Ses seigneurs indignés vinrent le trouver pour se plaindre de ce qu'un homme de naissance obscure avilissait la dignité royale en voulant paraître un conseiller du prince, comme s'il y avait faute de noblesse, et menaçaient, s'il ne renonçait à une telle familiarité, de se retirer entièrement du conseil du roi. » (Richer.) L'union de Charles avec ce favori cachait sans doute des desseins alarmants pour le pouvoir des grands du royaume, car, deux ou trois ans après (922), ils se révoltérent d'un accord unanime et nommèrent un nouveau roi ce fut Robert, duc de France, qui, <«< au grand triomphe de son ambition »>, fut sacré dans la basilique de Reims, le 29 juin 922. Les deux partis se préparèrent à combattre, et se rencontrèrent l'année suivante (15 juin) près de Sois

sons. La bataille, qui était, au fond, la lutte de la France contre la domination des Germains, fut empreinte d'un acharnement digne de cette grande cause. Les troupes royales, qui ne comptaient que dix mille soldats, en perdirent sept mille cent dixhuit, dit Richer, et celles du parti français, qui étaient une fois plus nombreuses, en laissèrent ouze mille sur la place; parmi les morts était le roi Robert.

Charles, qui avait assisté au combat du haut d'un monticule, put s'attribuer la victoire; mais il se retira prudemment avec ce qui lui restait de ses gens, et courut solliciter l'appui du roi de Germanie, pendant que le parti français faisait sacrer roi, dans l'abbaye de Saint-Médard de Soissons (13 juillet), à la place de Robert et du consentement de Hugues son fils, le duc de Bourgogne, Raoul, qui n'était que son gendre. L'élection nouvelle enleva à ceux qui l'avaient faite l'alliance d'un des plus puissants d'entre eux, Heribert, duc de Vermandois, qui descendait de Bernhard, roi d'Italie, ce Carolingien mis à mort par Louis le Débonnaire (voy. p. 208). Ce haut personnage, héritier d'une si grande origine, maître de plusieurs provinces, aspirait pour lui-même à l'héritage de Robert. Il se sépara des autres seigneurs, et, s'offrant à servir Charles le Simple, il attira ce prince auprès de lui. C'était une odieuse trahison. Il ne voulait que tenir le roi en sa puissance pour le maintenir dans ses droits ou le faire disparaître au gré de ses intérêts, et dominer ainsi les deux partis à la fois. Le malheureux Charles, tantôt captif, tantôt replacé sur le trône comme un fautôme de roi, ne tarda pas à mourir tristement dans l'une de ses prisons (929).

Pendant ce temps, le deuxième compétiteur de Charles, le roi Raoul, non moins inquiété que son prédécesseur Eudes par le nombre de ses ennemis, se maintenait péniblement. Il eut surtout à guerroyer contre les Normands, restés fidèles à Charles le Simple, contre Heribert de Vermandois, et contre les Aquitains toujours levés pour leur indépendance. Cependant il avait glorieusement triomphe de tous, presque entièrement dépouillé Heribert, forcé les Aquitains à le reconnaître, et il s'intitulait dans ses actes : « Raoul, par la grâce de Dieu, roi des Français, des Bourguignons, des Aquitains; invincible, pieux et toujours auguste, pleinement roi par la soumission volontaire tant des Aquitains que des Goths. » Il mourut jeune encore, le 15 janvier 936.

Ce fut de son temps que se signalèrent le plus par leurs ravages en France les derniers des Barbares, les Hongres ou Hongrois, dont le nom est resté comme un signal de terreur (Ogres). Ils désolèrent les plaines de la Lorraine, celles de la Champagne, et pénétrèrent, par le midi, jusqu'à Toulouse (924), après avoir battu Rodolphe II, roi de Bourgogne, et Hugues, roi de Provence. Raymond Pons III, comte de Toulouse, les tailla en pieces; mais leurs terribles incursions ne cessèrent

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Louis. Raoul n'ayant pas laissé d'enfants, sa couronne semblait devoir passer nécessairement sur la tête de Hugues, fils du roi Robert et duc de France. Mais Hugues fit preuve d'une patiente modération qui assura la grandeur de sa famille et le repos de son pays. Il fit lui-même revenir et couronner le jeune fils de Charles, qui fut Louis IV, et qu'on appela Louis d'Outre-Mer, à cause de son long séjour chez les Anglais.

« En débarquant, Louis fit accueil au duc et aux autres personnes venues pour le recevoir sur le rivage, et reçut leurs serments. Le duc s'empressa de lui amener un cheval couvert des insignes royaux; mais lorsqu'il voulut le disposer à être monté, le coursier impatient commença à se jeter de côté et d'autre; alors Louis s'élance avec agilité, et, sans employer l'étrier, se place d'un seul bond sur le coursier hennissant, ce qui lui valut les applaudissements de tous. Le duc lui prit ses armes, et, marchant en avant, lui servait d'écuyer. Ce fut ainsi que Louis, entouré de guerriers qui se disputaient l'honneur de le servir, fut conduit à Laon, où il fut investi de l'autorité royale par une assemblée de quinze seigneurs, et couronné (49 juin 936) par l'archevêque de Reims, Artaud, assisté de vingt évêques. Il fut aussi conduit dans les villes voisines, où il reçut un favorable accueil; puis en Bourgogne, où les seigneurs accoururent avec empressement à sa rencontre, le reçurent avec magnificence, et, à sa demande, lui jurèrent fidélité. La seule ville de Langres, qui était occupée par le frère du feu roi Raoul, s'abstint de lui faire hommage. Il s'avança avec une armée, et, dirigeant le siége, il la prit de force... Encouragé par l'heureux succès de ses affaires, le roi pensa qu'il pouvait très-bien gouverner sans le concours du duc. Il commença donc par régler seul tout ce qui a rapport à la guerre, et confia la garde de la ville de Laon à sa mère Ethgive. Dès lors le duc fut étranger à tout ce qu'entreprit le roi. Ce fut une source de grands maux. » (Richer.)

En effet, ce jeune prince, qui n'avait pas dixsept ans, et qui promettait un homme énergique, effraya les grands qui s'étaient partagé les dépouilles de la puissance et des domaines qu'avaient eus ses ancêtres. Le duc de France et le comte de Vermandois organisèrent une ligue des seigneurs pour ruiner ses projets d'indépendance; Hugues épousa même (938) la sœur du roi de Germanie (Othon le Grand), afin de lui enlever son plus ferme appui au dehors, et Louis IV fut arrêté par l'impuissance chaque fois que, déployant son intelligence et son courage, il essaya de fortifier sa position. C'est ainsi qu'il échoua dans ses tentatives d'agrandissement en Lorraine (939), puis en Vermandois à la mort de Heribert (943), puis en Normandie après la mort de Guillaume Longue-Épée, fils de Rollon. A la suite d'une de ces luttes sans espoir, il demeura captif pendant une année, et il ne recouvra sa liberté qu'en cédant au duc Hugues de France sa seule place forte, Laon (946). Laon et le Soissonnais étaient, en effet, tout ce qui restait de domaines appartenant en propre aux descendants de Charlemagne. Louis IV se réfugia auprès du roi Othon, dont il obtint quelques troupes, et il continua de guerroyer contre le parti du duc de France, tant avec ces soldats étrangers qu'avec son autorité morale,

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la seule qui lui restât. Il émut en sa faveur la sollicitude du pape et des évêques; il convoqua un synode par lequel son ennemi fut excommunié, et il ravagea ses terres jusqu'à la Seine et à la Loire ; il reprit sa ville de Laon, il reçut l'hommage et les secours des Aquitains; mais la mort mit brusquement un terme à ses efforts. Il trépassa à Reims, des suites d'une chute de cheval, le 9 septembre 954.

Louis IV avait, comme Hugues, épousé une sœur du roi Othon (939), et il laissait deux fils. L'aîné de ces enfants, nommé Lothaire, fut mis sur le trône à la demande de sa mère et du consentement de ses puissants oncles, Othon de Germanie et Hugues de France. Il n'avait que quinze ans; cependant il ne tarda pas à se montrer aussi

jaloux que son père de recouvrer l'autorité qui s'échappait des mains royales. Mais, roi sans territoire, sans soldats, sans finances, il lutta vainement, durant trente-deux années, contre la féodalité, déjà toute-puissante. Placé entre les rois de Germanie et ses redoutables vassaux de France, il chercha à s'en faire craindre tour à tour, en s'appuyant tantôt sur ceux-ci, tantôt sur ceux-là.

Arrivé à l'age d'homme, il commence par lutter contre Othon II avec l'appui de Hugues, le surprend dans Aix-la-Chapelle, le force à la fuite et occupe son palais en vainqueur. Réconcilié bientôt avec le prince germain, il cherche à se défaire de Hugues et à s'emparer de sa personne. Il attaque ensuite les terres d'Othon III. La ville de Verdun s'était soumise à lui lorsque, rentré à Laon, sa capitale, il apprend que Verdun vient de lui être enlevée de nouveau par surprise. Il y court à la tête de dix mille hommes et donne immédiatement l'assaut. Dans le feu de l'action, un coup de fronde le blesse à la lèvre. A cette vue, ses soldats, qu'il ne cesse pas de commander, redoublent d'ardeur; la ville est emportée, et les chefs ennemis, qui pouvaient craindre la mort pour avoir pris les armes contre le roi, se jettent aux pieds de Lothaire, qui se contente d'en garder quelques-uns en otage. « Ce prince était constamment préoccupé, dit Richer, des moyens d'accroître son autorité.» « Il était, ajoute un autre chroniqueur, éminent par la pureté de ses mœurs, adroit, judicieux et avide de gloire. »

Lothaire mourut subitement, dans la force de l'àge, en 986, non sans laisser planer autour de lui des soupçons d'empoisonnement, et son fils Louis V, qui avait alors dix-huit ans et promettait d'être un homme aussi résolu que son père, mourut également de mort subite au bout d'un an, laissant Hugues seul maître de la situation. Cependant le jeune frère de Lothaire, Charles, duc de la basse Lorraine, ne laissa point tranquillement la succession de son neveu passer en des mains étrangères; il la disputa les armes à la main, s'empara de Laon, de Reims et de Soissons, les garda plusieurs années, repoussa les assauts de Hugues, et le mit une fois en fuite avec toute son armée; enfin il ne put être dompté, mais, fait prisonnier par suite d'une làche trahison, il mourut dans les fers, à Orléans, en 992.

Hugues Capet, le chef de la grande dynastie des rois de France, paraît, au contraire, avoir été un assez médiocre personnage. C'était un homme doux et adroit, temporisateur, cauteleux, quelque peu lourd; une grosse tête, Capito (4). Nul génie ne pouvait deviner, au neuvième siècle, la formation des nationalités modernes. La plus parfaite organisation qu'un homme de ce temps, et à plus forte raison un prince carolingien, pût rèver, n'était

(') Ou Cappatus, « bien pourvu de chapes », c'est-à-dire de riches abbayes, car on donne aussi cette étymologie au surnom de Hugues.

qu'une restauration de l'empire romain d'Occident cimentée par l'unité chrétienne. On ne connaissait pas d'autre gouvernement. Les Carolingiens ne pouvaient donc pas vouloir autre chose qu'un gouvernement absolu, une administration uniforme rayonnant du centre aux extrémités, des grands officiers révocables à volonté, des bénéfices temporaires, des limites géographiques indéfinies, une cour splendide, les vieux titres de César et d'Auguste; et, pendant ce temps, toutes les couches de la société gauloise étaient en travail d'un enfantement tout contraire à cet échafaudage vermoulu. Par une tendance unanime, les esprits s'immobilisaient sur le sol; l'opinion universelle avait obtenu que les bénéfices et les offices devinssent héréditaires, que les charges se transformassent en fiefs. Les distinctions de race s'étaient affaiblies pour faire place aux distinctions géographiques; les populations se groupaient par provinces suivant de secrètes attractions. La langue française commençait à bégayer c'était déjà la résurrection du génie gaulois.

Partout, devant les dangers pressants qu'avaient enfantés les abus de la force, le pouvoir impérial ou royal, dans l'impossibilité de porter sa protection sur tous les points, était oublié; depuis longtemps l'opprimé s'était jeté entre les bras de celui de ses voisins qu'il croyait le plus en état de le défendre; il s'était lié envers lui par le serment de fidélité et l'assurance de ses services, afin de s'assurer son assistance en retour. La féodalité était organisée. Maîtresse du pays entier, la confédération féodale ne pouvait plus supporter une autorité qui n'était plus de son temps; il lui fallait un roi pris dans son sein, et elle choisit le duc de France, celui qui la représentait le mieux par son nom, sa puissance et sa position territoriale. La France se sentait naître à une nouvelle vie, il lui fallait de nouveaux venus pour la conduire. Quant aux derniers rois carolingiens, placés aux frontières du pays, adossés à leurs parents d'Allemagne et s'appuyant sur eux, ils défendirent vaillamment leurs faibles domaines, leurs droits de souverains, leur titre de princes légitimes; mais, condamnés à ne défendre que cela, ils devaient périr, quelle que fût leur valeur personnelle, sous les coups d'adversaires qui ne les valaient pas, mais qui marchaient dans la voie du mouvement général.

Après la mort du jeune roi Louis, arrivée le 22 mai 987, « les princes des Gaules, dit Richer, c'est-à-dire les seigneurs possesseurs des plus vastes domaines, et les évêques, se réunirent à Senlis, sur les terres de Hugues Capet, mais à la limite de celles qui appartenaient en propre au roi défunt. Ils se formèrent en assemblée, et, sur un signe du duc Hugues, l'archevêque de Reims, Adalbéron, prit la parole. Il s'exprima en ces termes : « Louis, de divine mémoire, a été enleve >> au monde sans laisser d'enfants. Il a donc fallu >> rechercher par de mûres délibérations qui pour» rait le suppléer en régnant à sa place, afin que

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