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l'élément germanique apporté par la conquête de Clovis qu'ils n'entendaient plus la langue tudesque et ne parlaient que le roman, restèrent unis sous la domination de Charles. Cette contrée devint, et elle était dès lors, la France. La population purement germanique, entre le Rhin, les Alpes tyroliennes et la mer du Nord, demeura rangée sous la domination de Louis; c'était l'Allemagne. Quant à

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L'esprit gallo-romain s'était donc réveillé pour repousser énergiquement toute association avec l'élément germanique, et pour rejeter l'empire qui s'était fondé sur l'espérance de cette union. Mais cette séparation ne lui suffisait pas encore. Il fallait qu'il allat, en haine de l'autorité impériale, jusqu'à remplacer tout pouvoir central par un nombre infini de petites tyrannies locales s'équilibrant entre elles, c'est-à-dire par la Féodalité; il fallait surtout qu'il expulsât tout à fait la famille carolingienne, famille héroïque, mais tudesque par le sang, par la langue, par les souvenirs, et portée malgré elle à pencher vers la restauration du passé. Charles le Chauve, prince actif, courageux, éclairé, usa tout son règne, qui devait durer trente-quatre ans encore (843-877), à lutter vainement contre cette double tendance des populations qu'il gouvernait.

L'Aquitaine, sous l'autorité de Peppin II, prétendait toujours à l'indépendance; la Septimanie,

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Lothaire, il conserva, avec le titre impérial, l'Italie, à laquelle on joignit une longue bande de territoire sinueuse, inégale, habitée par un mélange de toutes les races de l'Europe centrale, et comprenant la rive gauche du Rhône avec Lyon, la rive gauche de la Saône, les Alpes helvétiques, les pays s'étendant des sources du Rhin jusqu'aux bouches de la Meuse et de l'Escaut; enfin la Frise. De ces trois royaumes, le dernier était le moins compacte, le moins fait pour durer, et cependant les délimitations tracées par le traité de Verdun, bien différentes des partages éphémères qu'on avait tentés jusque-là, furent si solides que la partie du territoire de Lothaire comprise entre la Meuse et le Rhin, a conservé jusqu'au dix-huitième siècle son nom et son existence propres. Elle s'appelle encore la Lorraine (Lother-reiken; Lotharii regnum).

Monnaie de Peppin II, roi d'Aquitaine.

province voisine qui s'était formée par le génie d'un chef national, le duc Bernhard, sur les deux revers des Pyrénées, suivait son exemple; la Bretagne continuait à se gouverner par ses rois particuliers. Déjà se dessinait la puissance de plusieurs grands seigneurs féodaux, qui tantôt se rangeaient du côté du roi, tantôt se tournaient contre lui, suivant leur intérêt du moment: le duc de Gascogne, les comtes de Toulouse, d'Auvergne, d'Angoulême. Charles essaya d'abord de réduire les plus redoutables de ces révoltés. Il battit les Aquitains à plusieurs reprises, puis fut battu luimême, et ne parvint pas à les soumettre; il tua le duc Bernhard de sa propre main et par trahison, mais fut chassé par son fils (844); il fut vaincu par Noménoë, roi des Bretons (848), et obligé, en 854, de lui reconnaître un successeur, Hérispoë.

Mais le fléau de ce règne, et de toute la seconde moitié du neuvième siècle, fut la fureur des pirates normands et la dévastation que promenèrent leurs bandes pillardes jusqu'au cœur de la France, où ils se répandaient en remontant les fleuves. Sous le nom de Normands (Nord-mann, homme du Nord), on désignait tous les Scandinaves (Danois, Suédois, Norvégiens), peuples de marins, que leur éloignement avait soustraits à l'épée de Charlemagne, et qui, plus heureux que leurs voisins les Saxons, n'avaient été ni décimés par les Franks, ni arrachés par violence au culte de leurs pères. Ils étaient encore adorateurs du dieu Thor et du

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Présentation d'une Bible à Charles le Chauve. - D'après la Bible de Charles le Chauve conservée au Musée du Louvre.

terrible Odin. L'humeur aventureuse les poussait à visiter, le fer à la main, toutes les mers connues alors depuis l'Islande et les côtes du Groenland (4),

(') Leurs descendants, les Danois d'aujourd'hui, croient qu'ils ont aussi fourni à l'Amérique du Nord, dans le courant du neuvième siècle, ses premières populations.

qu'ils ont, dit-on, découvertes et peuplées, jusqu'au fond de la Méditerranée. A cette propension innée se joignaient la nécessité de chercher loin de leur froide patrie la subsistance qu'elle leur refusait, et le fanatisme religieux, qui leur faisait considérer comme de justes représailles le massacre et

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Croix d'or, enrichie de grenats, de saphirs et de perles, donnée par Charles le Chauve

à l'église de Saint-Denys.

Angers, Tours, Poitiers, Chartres, Orléans, Paris, Bordeaux. C'est le fait le plus étrange de ce temps que l'impuissance des Franks à purger leur territoire de ces poignées de pirates. On a dit qu'ils étaient alors amollis et dégénérés, que les expéditions lointaines de Charlemagne avaient usé les orces de la nation, et que la bataille de Fontanet avait achevé de moissonner l'élite de ses guerriers. Mais l'explication, si elle n'est inexacte, est insuffisante, et il semble que le secret de cette faiblesse étrange fut dans l'absence de tout pou

voir central et la volonté de n'en pas avoir. C'était le premier effet du morcellement féodal. Les soldats existaient, mais l'esprit d'isolement et de localité, en baine de tout ce qui rappelait l'omnipotence impériale, empèchait de les réunir en corps d'armée assez puissants pour atteindre des bandes rapides de coureurs. Ce qui achève de peindre la misère et l'égoïsme de l'époque, c'est la facilité avec laquelle un grand nombre de malfaiteurs, de serfs, ou même de guerriers franks, toujours avides d'aventures et de rapines, abju

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raient le christianisme et couraient se joindre aux Normands, pour mettre à sac avec eux leur propre pays. «Ils mangeaient comme eux, dit un chroniqueur, la chair des chevaux immolés à Odin ou à Thor, et s'associaient à leurs forfaits. »>

Les seigneurs, grands ou petits, se préoccupaient peu de ces incursions lorsqu'elles n'atteignaient que leurs voisins; quelques-uns même se faisaient payer par les Normands pour ne pas les

Monnaie de Charles le Chauve.

nquiéter dans leurs courses. Charles le Chauve, sans troupes, sans autorité, ne pouvant les chasser, leur fit du moins essuyer quelques revers (notamment en 855 et 861); il essaya aussi, soit de les mettre aux prises les uns avec les autres, soit de les éloigner à prix d'argent. Un jour, il donna 3 000 livres (environ 320 000 francs) aux Normands de la Somme, sous la condition qu'ils expulseraient ceux de la Seine. Ces derniers avaient établi leur quartier général dans l'île d'Oissel, près le Pontde-l'Arche; ils y furent assiégés vigoureusement par leurs compatriotes, et, réduits à toute extrémité, ils leur offrirent, pour échapper à la mort, de leur livrer le fruit de cinq années de rapines amassé dans leur camp. Le partage eut lieu, et les deux bandes s'associèrent pour rester dans les eaux de la Seine (864). Tel était souvent le résultat des traités conclus avec eux; les Barbares recevaient le prix de la paix et s'en allaient porter la guerre un peu plus loin.

Un vaillant homme nommé Robert, fils de Witichin, simple guerrier venu de Germanie, avait organisé cependant un commencement de résistance sur les marches du Maine et de l'Anjou. A la tête d'une petite troupe de braves, ce chef, qu'on surnommait Robert le Fort, battit souvent les bandes bretonnes ou normandes, et Charles le Chauve lui confia la défense des pays entre la Seine et la Loire. Mais Robert périt près d'Angers, en combattant, avec quelques milices rassemblées à la håte, une bande de quatre cents Normands commandée par Hastings, un des plus fameux chefs de ces pirates (866). Ce Robert le Fort fut le bisaïeul de Hugues Capet et la tige des rois de France de la troisième

race.

Charles avait arrêté, de concert avec ses deux frères, Lothaire et Louis, pour éviter les luttes déplorables, comme celles du règne précédent, qu'après la mort de chacun d'eux, ses enfants hériteraient seuls de ses États, sans que ses oncles pussent y rien prétendre. Lothaire étant mort en 855, ses trois fils partagèrent paisiblement sa suc

cession; mais ceux-ci étant morts à leur tour sans laisser d'héritiers directs, savoir: Charles, roi de Provence, en 863; Lothaire II, roi de Lorraine, en 870; Louis II, empereur et roi d'Italie, en 875; leur oncle Charles, à chacun de ces événements, recueillit quelque part des terres qui avaient appartenu au défunt, et, en 875, s'étant hàté d'aller à Rome, il y fut proclamé empereur par la voix du pape. Ainsi, ce prince dont le pouvoir était sans cesse méconnu ou chancelant, et qui avait énergiquement lutté, dans sa jeunesse, contre le maintien de l'empire, était ramené, par cela seul qu'il représentait la famille carolingienne, à restaurer le titre d'empereur en France. Mais ce fut un retour éphémère, et lui-même, surpris par la mort, ne le porta que deux années. Il mourut le 9 octobre 877, au début d'une guerre injuste qu'il préparait atin de dépouiller les fils de Louis le Germanique, mort l'année précédente, et de réunir sous son faible sceptre tous les États de Charlemagne (1). Après son règne si long et si constamment impuissant ou malheureux, il devait voir, en effet, dans la dissolution de l'empire, la perte du pays des Franks.

Avant de s'engager dans cette expédition qui fut la dernière de ses entreprises, Charles avait voulu s'assurer de la fidélité de ses propres États, et il avait réuni, à Kiersi-sur-Oise, une assemblée nationale qui arrêta les règles suivant lesquelles son fils gouvernerait pendant son absence. L'assemblée de Kiersi rédigea donc un capitulaire conforme aux vues du prince. Cet acte, daté de l'an 877, est resté fameux, parce que c'est lui qui donne la première date certaine qui puisse être assignée à l'établissement de la féodalité. « Si quelqu'un de nos fidèles, est-il dit dans ce capitulaire, veut renoncer au monde, il a le droit de transmettre à son fils, ou à tel autre de ses parents qu'il lui plaira de choisir, ses terres et honneurs. Si un comte vient à mourir, ses plus proches parents, de concert avec les autres officiers de la comté et l'évêque du diocèse, pourvoiront à la gestion de son office jusqu'à ce que nous ayons pu le transférer à son fils. Et si le comte défunt n'a point de fils, le roi le remplacera suivant sa volonté. Il en sera de même pour tous les vassaux du roi, et les évèques, abbés, comtes ou autres fidèles, en useront de même envers leurs hommes. » La révolution territoriale formulée dans ces lignes était sans doute consommée en fait au moment où elle passait ainsi dans le domaine légal; le capitulaire de Kiersi marque donc avec exactitude l'heure définitive où la royauté barbare, amenée, par suite des coutumes germaniques, à récompenser ses fidèles par des concessions temporaires de terres et de domaines, est obligée, après avoir lutté pendant trois siècles pour maintenir son droit, de reconnaître qu'elle est vain

(') Le tombeau en bronze de Charles le Chauve, autrefois conservé à l'église de Saint-Denys, et qui était probablement une œuvre du treizième siècle, a été fondu en 1793.

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Louis II, valétudinaire et atteint d'une infirmité dont le nom lui fut infligé par les chroniqueurs et lui resta, ne fit que passer sur le trône. Depuis dix ans (867), Charles le Chauve, son père, l'avait fait couronner roi d'Aquitaine; mais, au milieu des luttes et des misères de ce temps agité, cette royauté de Louis, sans repos et souvent sans pouvoir, n'a pas laissé de souvenir. Il en est presque de même de son règne en France. Il fut sacré à Compiègne, par Hincmar, archevêque de Reims, le plus illustre prélat d'alors par la science et le caractère; il renouvela les déclarations que son père avait faites dans le capitulaire de Kiersi; il prépara, avec l'aide de Boson, duc de Vienne et d'Arles, de Bernard, comte d'Auvergne, et de Hugues, cousin de Robert le Fort et comte d'Anjou, une expédition militaire contre la Septimanie et d'autres parties du Midi toujours insoumises; mais une maladie de langueur l'emporta, le 40 avril 879, à l'àge de trente-trois

ans.

Ses deux fils, Louis III et Karloman, dont l'aîné (Louis) n'avait encore que quinze ans, régnèrent

LYDO YYIC

Monnaie de Louis III.

ensemble. Quelques mois après qu'ils eurent été reconnus (15 octobre), leur grand-oncle Boson, duc d'Arles, qui avait épousé une fille de Louis le Débonnaire, se fit couronner roi des pays qui forment le bassin du Rhône. En même temps, un autre prétendant menaçait la Lorraine, et les Normands poursuivaient incessamment le cours de leurs ravages. Louis et Karloman s'assurèrent, contre ces divers ennemis, l'appui des fils de Louis le Germanique, qui régnaient sur les pays allemans, et coururent faire la guerre à Boson. Mais Boson représentait un mouvement véritablement national du sud-est de la France; malgré plusieurs échecs, sa résistance ne put être vaincue, et les deux rois du Nord, rappelés tout à coup par une incursion terrible des Normands, furent obligés de le laisser à ses nouveaux États, qui devaient, sous le nom de royaume de Provence et d'Arles, jouir d'un siècle et demi d'indépendance (880).

C'était le pays entre la Somme et l'Escaut que, cette fois, les Normands ravageaient. Louis III, de retour à Compiègne, au plus fort de l'hiver (décembre 880), n'hésita pas à marcher contre eux, et les tailla en pièces à Saucourt Picardie).

Il fit construire en bois une sorte de château ou de retranchement, afin de leur couper le passage à l'avenir; mais tel était alors l'état de découragement ou d'égoïsme universel, que ce château, dit un chroniqueur, «servit à fortifier les païens plutôt que les chrétiens, parce que le roi ne trouva personne à qui en confier la garde ». (Ann, de SaintBertin.)

Louis n'en continua pas moins de poursuivre les Barbares, et parvint à débarrasser de leur présence le cours de la Loire, après avoir fait un traité avec leur fameux chef Hastings, qui se convertit au christianisme, dit-on, et reçut l'investiture du comté de Chartres. Le roi mourut par accident sur ces entrefaites (août 882), et Karloman, qui régnait sur la Gaule méridionale et guerroyait alors contre les partisans de Boson, recueillit l'héritage de son frère. Il continua courageusement la lutte contre les Normands; mais, après quelques alternatives de succès et d'échecs, il mourut inopinément, à l'àge de vingt ans, à la suite d'une blessure reçue à la chasse (6 décembre 884). En vain la famille de Charlemagne produit de nobles rejetons, elle semble condamnée par la fatalité.

CHARLES LE GROS.

Il ne restait plus alors de cette race illustre qu'un fils posthume né de la seconde femme de Louis le Bègue (ce n'était alors qu'un enfant appelé Charles) et l'empereur de Germanie, nommé aussi Charles, et surnommé le Gros, à cause de son indolente corpulence. Ce dernier avait alors cinquantedeux ans et régnait depuis l'année 877. L'assemblée des grands le préféra comme le seul des deux qui fût capable de commander à des hommes de guerre.

En effet, les incursions des Normands devenaient de plus en plus formidables. Charles le Gros avait eu à lutter déjà contre eux, mais non pas à sa gloire. Au lieu de combattre les Barbares, il

Monnaie de Charles le Gros.

SIV

achetait leur retraite au poids de l'or. Cependant il sembla vouloir, après avoir réuni les terres neustriennes à ses domaines d'outre- Rhin, montrer l'énergie digne d'un prince qui tenait sous son sceptre tous les domaines de Charlemagne. Il prépara contre les pirates du Nord une guerre d'extermination. D'abord l'un de leurs deux principaux chefs, Godefried, devenu seigneur de la Frise, fut attiré dans une conférence et assassiné; ses bandes, as

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