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service militaire, dont les charges, au temps des Carolingiens, s'imposaient d'après la propriété territoriale. Le manse, ou habitation (mansus, mansio) d'une famille de cultivateurs, servait de base aux calculs, comme étant l'unité de la matière imposable. Il se composait, outre la maison et ses dépendances, d'une quantité de terrain un peu plus ou un peu moins grande, suivant les contrées, mais le plus ordinairement évaluée à 42 bonniers, et le bonnier varia, pendant le cours du neuvième siècle, de 128 à 165 ares (B. Guérard, Polypt. d'Irm.). « Tout homme libre ayant cinq manses, disent les capitulaires de Charlemagne (capit. de 807), soit en propre, soit en bénéfice, est tenu de marcher contre l'ennemi. Celui qui en a quatre également, et même celui qui en a trois.

Là où il y aura deux hommes ayant chacun deux manses, ou bien l'un en ayant deux et l'autre un seul, le plus valide des deux marchera équipé aux frais de l'autre. Là où plusieurs n'auront qu'un seul manse chacun, ils marcheront un sur trois; ou s'ils n'ont qu'un demi-manse, un sur six. Et ceux qui sont pauvres au point de n'avoir ni serfs, ni propriété foncière, se réuniront au nombre de six, de telle manière que cinq d'entre eux fourniront chacun un sol d'or au sixième, lequel partira.» Un autre capitulaire (ann. 803) exige seulement un soldat par quatre manses, et l'on comprend, en effet, que les obligations à cet égard fussent variables comme les circonstances. « S'il s'agit de porter secours, est-il dit ailleurs, à l'Espagne ou aux Abares, les Saxons se réuniront cinq

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pour faire partir un sixième des leurs; si c'est en Bohême qu'il faut aller, ils se réuniront deux pour fournir le troisième; mais si c'est contre les Sorabes que le pays est à défendre, tous partiront. »>< Les tenanciers, colons et serfs de toute sorte, étaient à la discrétion de leurs maîtres et du roi ou de ses officiers. Quant à ceux qui possédaient des bénéfices, lors même que c'étaient des personnes ecclésiastiques, ils étaient spécialement tenus du service de guerre. « Nous vous ordonnons, écrit Charlemagne à l'abbé de Saint-Denys, Fulrade, d'être au rendez-vous le 20 juin, avec vos hommes armés et équipés convenablement. Vous vous rendrez au lieu assigné de manière à pouvoir combattre partout où nous vous commanderons, c'est-à-dire avec armes, outils, et approvisionnements ordinaires en vivres et en matériel. Chaque cavalier aura un bouclier, une lance, une épée, une demi-épée, un arc et des carquois garnis de flèches. Vous aurez sur vos chariots des outils de différentes espèces, cognées, doloires, tarières, haches, pioches, pelles de fer et autres instruments nécessaires à l'armée. Vous vous fournirez de vivres pour trois mois, d'armes et d'habits pour six mois. » Quelquefois le roi exemptait les évêques et autres ecclésiastiques de ce lourd service, mais le plus souvent il l'exigeait avec rigueur, et c'était de leur part un sujet de réclamations et de plaintes désolées : « Je suis

revenu malade de l'expédition d'Aquitaine, mandait un abbé à l'un de ses confrères (en 845), et je ne suis pas encore rétabli. J'envoie toutefois les tenanciers de mon abbaye sous la conduite du 'comte du pagus; mais deux campagnes successives ont épuisé leurs forces et le revenu de leurs biens. Que votre clémence vienne à leur secours et tache que l'empereur leur accorde la permission de revenir dans leurs foyers, afin qu'ils puissent respirer un peu et se préparer aux dépenses de leur service futur. >>

On dit, avec raison, que les essais administratifs de Charlemagne avortèrent, que l'impéritie de ses successeurs ne sut pas les continuer, que les éléments de décomposition et de désordre contenus par sa main puissante reprirent leur force dissolvante après sa mort, et que le génie d'un seul homme ne pouvait créer un empire durable avec des ruines. Il faut dire aussi que trente-six ans d'efforts infatigables consacrés par ce grand prince à consolider l'unité du pouvoir et à porter dans toutes les branches du gouvernement, église, instruction, justice, guerre, finances, la sagesse et la légalité, n'ont pas été sans porter leurs fruits. Après lui, ses États furent démembrés et ses institutions s'effacerent; mais ses tentatives commen

(1) Ce tombeau fut transporté à Paris en 1795. (Hennin.)

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Louis le Pieux assis entre deux personnages.- D'après un dessin colorié du manuscrit intitulé: Ademari Chronicon, etc. (Neuvième siècle; grande Bibliothèque de Paris, no 5927, Colbert 797.)

taires. Les seigneurs aquitains furent mécontents; ] mais cet homme de miséricorde, considérant la misère de ceux qui payaient cette taxe, la cruauté de ceux qui la percevaient et la perdition des uns et des autres, aima mieux entretenir ses hommes de son propre bien que de laisser subsister une prestation si dure pour ses sujets. A la même époque, il libéra les Albigeois d'un impôt de vin et de blé. Tout cela plut tellement, dit-on, au roi son père, qu'à son exemple il supprima en France l'impôt des approvisionnements militaires et ordonna encore d'autres réformes en imitant et en félicitant son fils. » (L'Astronome; Thégan.)

Louis avait bravement combattu les Sarrasins et les Gascons. << Il avait la taille moyenne, la poitrine large, la voix måle, les bras si vigoureux qu'on ne trouvait pas son égal pour le maniement de l'arc et de la lance. Son esprit était familiarisé avec les littératures antiques, quoiqu'il les dédaignât comme frivoles; ses mœurs étaient pures, sa sobriété était irréprochable, sa retenue si grande qu'on ne l'entendit jamais rire aux éclats; et dans les jours de fète, quand les mimes et les chanteurs égayaient la table impériale et excitaient dans toute la salle une bruyante hilarité, les sourires de Louis le Pieux n'allèrent jamais jusqu'à laisser voir ses

dents blanches.» (Thégan.) Sa douceur et sa piété seules, un peu exaltées, passaient la juste mesure. Telles sont les principales lignes du portrait que les familiers de ce prince nous ont conservé de lui. Une si complete perfection ne se retrouve que dans la personne de saint Louis. Et cependant ce règne fut, au bout de quelques années, troublé par de déplorables vicissitudes.

Louis commença par des actes de justice et d'austérité. Il purgea d'abord le palais impérial d'Aix-la-Chapelle de la présence d'une foule de femmes aux mœurs légères que l'usage autorisé du concubinat y avait introduites, et auxquelles, d'ailleurs, l'exemple était donné par les nombreuses filles et petites-filles de Charlemagne. Louis relégua ses sœurs dans leurs domaines ou dans diverses abbayes, et traita sévèrement quelques-uns de leurs complices; l'un d'eux eut les yeux arrachés. Il n'en distribua pas moins scrupuleusement tous les trésors de son père, comme celui-ci l'avait ordonné par son testament : un douzième à ses sœurs, un douzième aux serviteurs du palais, un douzième aux pauvres, et le reste aux vingt et une églises métropolitaines que l'on comptait dans l'empire. Il rappela de l'exil ou fit sortir de prison une foule de condamnés, victimes des sévérités de son père, et leur rendit leurs biens.

Au 4 er août (844), l'assemblée générale des Franks se tint à Aix-la-Chapelle. Là, le nouvel empereur fit cesser l'oppression qui pesait sur les habitants de la Saxe et de la Frise, et leur rendit le droit de succession que son père leur avait enlevé; il ordonna l'envoi dans toutes les provinces de commissaires impériaux (missi dominici) chargés de recevoir les plaintes du peuple et de réparer partout les iniquités et les malversations que les comtes et les seigneurs avaient pu précédemment commettre. Ces actes semblent traduire le sage dessein d'intéresser les classes pauvres au soutien de l'empire.

Ce fut le même désir, sans doute, de captiver les populations dévotes de son temps en donnant l'exemple de l'humilité chrétienne et en s'abaissant devant l'Église, qui inspira Louis dans les nombreuses circonstances que les historiens lui ont amèrement reprochées comme l'effet d'une insigne faiblesse. Il est vrai que ces vues étaient d'accord en lui avec une piété aveugle, et qu'il apportait dans ses pratiques religieuses le rigorisme d'un moine. En 846, les citoyens de Rome ayant créé un pape sans attendre l'approbation impériale, le nouvel élu, Étienne IV, envoya aussitôt, non sans inquiétude, annoncer à l'empereur qu'il allait se rendre auprès de lui, en quelque lieu des Gaules qu'il lui plairait d'ordonner. Ils se rencontrèrent à Reims. Tous deux descendirent de cheval; mais l'empereur se prosterna trois fois, de tout son corps, aux pieds du pontife, et, à la troisième fois, il lui dit : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, car Dieu lui-même nous éclaire par sa présence. » Quelques jours après, le pape

le sacra, ainsi que l'impératrice Hermengarde, son épouse, et en lui posant sur la tète une couronne qu'il avait apportée d'Italie, il prononça ces paroles significatives: «< Saint Pierre se glorifie de te faire ce présent, parce que tu lui assures la jouissance de ses libres droits. » Pascal Ier, qui remplaça Étienne l'année suivante, se contenta d'envoyer de Rome demander la ratification impériale.

La grande pensée qui dominait les actions de . l'empereur apparaît hautement à l'assemblée du 1er juillet 847. Là, il fit décider par les évêques et les leudes que Peppin, l'aîné de ses fils, serait immédiatement investi du gouvernement de l'Aquitaine; Louis, le troisième, de celui de la Bavière, mais que l'aîné, Lothaire, chargé de la vice-royauté d'Italie, serait en outre associé à l'empire et partagerait avec son père l'autorité suprème. Charlemagne avait bien délégué de même à ses fils l'administration des pays frontières, l'Aquitaine, la Bavière et la Lombardie; mais il n'avait disposé de l'empire qu'à ses derniers moments, et lorsque de ses trois fils légitimes un seul restait vivant. La constitution nouvelle, la « sainte constitution »>, comme l'appelaient ses partisans, était donc un acte inouï qui privait les Franks du droit d'élire leur chef, qui privait deux princes du droit d'être élus, qui mettait complétement hors de cause tous les enfants naturels de la famille impériale et les neveux de Louis, surtout son neveu Bernhard, fils de Peppin, lequel régnait en Italie depuis l'année 842; un acte enfin qui tranchait en faveur de l'empire la question de savoir si l'Europe, réunie presque entière sous la domination des Franks, continuerait de vivre soumise à un gouvernement commun et dans une commune destinée, ou si chaque race, chaque nation, chaque province parviendrait à briser l'œuvre de Charlemagne pour conquérir une existence indépendante.

Bernhard se révolta sur-le-champ, et l'Italie, déjà passionnée pour sa liberté, se leva pour le seconder. Mais, à la nouvelle des préparatifs de guerre que fit aussitôt l'empereur, Bernhard reconnut sa témérité et vint se jeter à ses pieds avec ses principaux officiers. L'assemblée des Franks les condamna néanmoins à la mort. Louis se contenta d'ordonner qu'on leur crevat les yeux; mais son neveu, qui résista énergiquement aux bourreaux, mourut, au bout de trois jours, des suites du supplice (818).

Cette sévérité avait été, pour l'âme tendre de Louis le Pieux, un sacrifice fait à la politique et qu'il ne se pardonna jamais. En vain de graves événements vinrent le distraire et réclamer son énergie. Les Slaves, les Abares, les Northmans, les Sarrasins, essayèrent ensemble ou tour à tour de secouer le colosse impérial; les Gascons détruisirent pour la seconde fois une armée de Franks à Roncevaux; les Bretons relevèrent l'antique étendard de l'indépendance celtique, en disant : « Que Lodewig règne sur les Franks; la Bretagne appar- tient au roi des Bretons. Si vous avez des lances

Typ. de J. Best, fue St-Maur-St-G., 15.

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Karloman. Cependant, deux ans après, il prit une nouvelle épouse et choisit la belle Judith, fille d'un comte bavarois, que les écrivains du temps ne louent pas seulement comme la plus gracieuse des reines, mais encore comme une femme instruite, éloquente et musicienne.

Cependant, le souvenir de son neveu Bernhard l'obsédait. Louis, au mois d'août 822, réunit l'assemblée des Franks au palais d'Attigni-sur-Aisne,

et là s'efforça d'abord de regagner l'amitié de ceux qui avaient été compromis dans cette affaire; puis il se soumit spontanément à une pénitence

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publique, en faisant, comme autrefois l'empereur Théodose après un massacre exécuté par ses ordres, une humble confession de la faute qu'il avait commise tant envers Bernhard qu'envers tous les autres qu'il pouvait avoir offensés. »>

Une vertu si douce et si sincère n'était pas faite pour le trône. Cependant ce ne fut pas cette faiblesse, ainsi qu'on l'a souvent appelée, mais des circonstances complétement nouvelles qui, huit ans après, soulevèrent contre l'empereur un conflit de passions où devaient périr et l'éclat de son règne glorieux jusque-là, et cet édifice impérial si laborieusement soutenu.

LUTTE DE LOUIS CONTRE SES FILS.

Le 43 juin 823, l'impératrice Judith avait donné à son époux un fils qui reçut le nom de Charles. La constitution de 817 ne laissait pas de couronne à cet enfant, et sa mère lui en voulait une. Elle obtint que l'empereur entrât dans ses vues, et fut mème assez adroite pour arracher le consentement

de Lothaire, aux dépens duquel ce nouveau partage devait se faire. Une assemblée nationale, convoquée à Worms au mois d'août 829, combla les vœux de Judith en créant un royaume d'Alemannie (de Genève au Mein), dont l'empereur investit son quatrième fils. Ce fut le signal des tempètes. Lothaire ne tarda pas à regretter ce qu'il avait permis, à chercher les moyens de le défaire; Peppin d'Aquitaine et Louis de Bavière craignaient de voir un jour leurs États morcelés de mème; l'esprit d'indépendance des nations mal soumises se réveilla par l'espoir de profiter du désordre, et les ennemis de l'empire, trouvant des chefs dans le prince associé à l'empereur et dans ses deux frères, devaient nécessairement l'emporter.

Au printemps de l'année 830, Louis le Pieux marchait contre les Bretons toujours en armes et en état d'hostilité, lorsque peu à peu ses troupes, mécontentes d'aller faire la guerre dans un pays pauvre et sauvage où l'on n'avait pas de butin, cédèrent aux suggestions de ses trois fils aînés, et l'abandonnèrent complétement pour se rassembler à Paris, sous les ordres de Peppin d'Aquitaine. Louis de Bavière, puis Lothaire, vinrent les joindre avec leurs hommes, et l'empereur se trouva bientôt presque seul. Il se résigna, et se remit entre les mains des conjurés, qui exercèrent leur vengeance contre Judith et ses conseillers. L'un de ceux-ci eut les yeux arrachés; les autres, parmi lesquels étaient les deux frères de l'impératrice, furent exilés ou tondus; son fils Charles fut enfermé dans un monastère, et elle-mème fut cloîtrée dans un autre. Louis le Pieux conserva le titre et les insignes impériaux, mais Lothaire prit en main le pouvoir. Les deux autres frères, Peppin et le jeune Louis, retournèrent dans leurs États.

Ce pacte n'eut pas longue durée. La jalousie se glissa entre les frères, et le malheur du père lui ramena les esprits. Dans trois assemblées de la nation convoquées pendant le cours de l'année 834, Louis le Pieux fut remis en possession du pouvoir, Judith réhabilitée avec son fils, et leurs ennemis, Lothaire, Peppin et Louis le Germanique, renvoyés à leurs gouvernements d'Italie, d'Aquitaine et de Bavière, après avoir été condamnés à périr pár le jugement des Franks, puis graciés par leur père. Mais ni les partisans de l'unité de l'empire ni ceux de l'indépendance des races ne pouvaient s'en tenir là, et les dernières années de l'empereur ne furent remplies que par les alternatives diverses de la guerre acharnée qui lui fut faite, et à laquelle ses fils prètèrent leur concours impie.

Dès 832, le soulèvement recommence. Louis de Bavière ou le Germanique, sous le nom duquel s'agitait la nationalité allemaude, reprend le premier les armes. Peppin, envoyé contre lui par l'empereur, parvient à le soumettre; mais lui-même fait révolter les Aquitains. Puis les trois frères s'insurgent à la fois et marchent contre leur père, qui s'avance à leur rencontre (833). Les deux armées se trouvaient en présence à Rothfeld, près

Colmar, et tout se disposait pour une grandę bataille, lorsque, pendant le cours d'une seule nuit, l'empereur est encore une fois abandonné par ses troupes. Alors se renouvellent les mêmes scènes qu'on a déjà vues trois ans auparavant. Louis le Pieux est obligé de se livrer lui-même aux mains de ses ennemis; ceux-ci cherchent à le perdre sans retour en lui imposant (à Soissons, 44 novembre 833) une nouvelle pénitence plus humiliante que la première; mais la désunion des mécontents, jointe au réveil de l'indignation populaire, rendent de nouveau Louis (mars 834) l'arbitre du sort de ses fils rebelles, auxquels il pardonne encore (835).

Cependant l'empereur crut pouvoir attribuer de plus vastes domaines au jeune Charles, son enfant préféré. De gré ou de force, il arracha le consentement des aînés, pour l'investir du gouvernement de l'Austrasie, de l'Allemagne et de la Neustrie (mai 838). Charles avait quinze ans. Le parti germanique recommença ses agitations. Peppin mourut sur ces entrefaites, laissant à l'Aquitaine un fils nommé Peppin comme lui; mais l'empereur refusa de laisser à la tête de cette contrée des princes devenus trop Aquitains eux-mêmes, et il l'ajouta aux domaines de son fils Charles. Ce fut, il est vrai, en vertu d'un traité conclu avec Lothaire (Worms, 839), et par lequel Lothaire et Charles devaient partager également l'empire après la mort de leur père. Une ligne allant du nord au midi, et suivant la Meuse, la crête du Jura et le cours du Rhône, devait former leurs frontières. Lothaire, auquel le choix fut laissé, prit les pays situés à l'orient de cette ligne, et laissa ceux de l'occident à Charles. Quant à Louis le Germanique, il était réduit, par ces dispositions, à la Bavière. Ni lui ni Peppin II ne se résignérent à être dépossédés, et le vieil empereur, obligé d'aller successivement dans l'Aquitaine, puis dans la Germanie, soutenir sa volonté les armes à la main, y consuma ses derniers jours. Il mourut dans une île du Rhin, au-dessus de Mayence; poursuivi jusqu'à sa dernière heure par le spectre de son neveu Bernhard (20 juin 840).

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Louis emportait l'empire avec lui dans la tombe. Mais son fils aîné, Lothaire, voulait le maintenir à son profit. Il s'appuyait sur les provinces du Midi, et principalement sur l'Italie, assez éclairées pour comprendre encore l'idée d'un gouvernement imposant par sa grandeur; puis sur les Franks Austrasiens, intéressés à la prépondérance de la famille carolingienne, qui était leur ouvrage. Au contraire, les provinces neustriennes et allemandes, commandées, celles-ci par Louis le Germanique, celles-là par le fils de Judith, Charles, surnommé plus tard Charles le Chauve, voulaient vivre de leur vie propre et repoussaient l'empire comme une oppression étrangère. Les menées de Lothaire

haterent le dénouement, et les deux opinions qui se partageaient l'Occident se rencontrerent les armes à la main, le 25 juin 841, autour du village de Fontenailles ou Fontanet, près Auxerre. Ce fut un moment dont les populations avaient compris la solennité, car chaque parti envoya cent cinquante mille hommes sur le champ de bataille. Quarante mille de chaque côté y trouvèrent la mort, et les soutiens de l'empire furent vaincus. Lothaire fut forcé de fuir; mais ses deux frères, consternés d'une telle victoire, ne voulurent pas le poursuivre. « Le lendemain, qui était un dimanche, après la célébration de la messe, ils enterrèrent amis et ennemis, et soiguèrent également tous les blessés suivant leur pouvoir. Ensuite les rois et l'armée, affligés d'en être venus aux mains avec un frère et avec des chrétiens, interrogèrent les évèques, qui, réunis en concile, déclarérent qu'on avait combattu pour la seule justice, que le jugement de Dieu l'avait manifestement prouvé, et qu'ainsi quiconque avait pris part au combat était exempt de reproche. » (Nithard.)

Lothaire essaya de continuer la lutte, mais l'union de ses frères rendit vains tous ses efforts. Charles et Louis se joignirent de nouveau, vers le

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commencement de l'année suivante, avec leurs troupes, dans la ville de Strasbourg, et là s'enga gerent mutuellement, par les serments les plus solennels, à ne point séparer leur cause. Les deux armées se mirent en ligne aux portes de la cité, sur la rive du Rhin, et chacun des deux rois jura de ne point abandonner son frère. Louis le Germanique parla en latin rustique (voy. ci-après, p. 235), afin d'ètre compris des Neustriens, Charles le Chauve, s'adressant aux Germains, parla en langue tudesque ou allemande. Un guerrier de chacune des deux races répondit au prince que l'armée entière se portait garant des promesses de son chef. La cérémonie où furent prononcés ces serments, dont le texte nous a été heureusement conservé, eut lieu le 44 février 842.

et

Cette union ruinait les espérances de Lothaire; il renonça donc à exercer le pouvoir impérial tout en conservant le titre d'empereur, et la paix fut conclue, au mois d'août 843, à Verdun. Les trois principales races qui avaient formé les vastes États soumis aux Franks se séparèrent définiti vement et pour toujours. Les peuples situés entre l'Océan, les Pyrénées, la Méditerranée, le Rhône, la Saone, la Meuse et l'Escaut, peuples galloromains qui avaient déjà si complétement absorbé

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