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d'intelligent, d'un peu cultivé dans ces temps cruels où les malheurs et les dangers du présent ne laissaient pas les hommes s'élever au-dessus de la vie matérielle. Il s'agit de saint Grégoire, évêque de Tours (Georgius Florentius Gregorius), que nous avons si souvent cité. Il était né le 30 novembre 539, et, comme le dit un auteur anonyme qui écrivit sa Vie au treizième siècle, dans la partie celtique de la Gaule, en Auvergne. Son père et son grand-père, Florentius et Georgius, portaient dans ce pays le titre de sénateurs; il avait pour oncle saint Gall, évêque de Clermont; pour grand-oncle, saint Nisier, évêque de Lyon; pour grand-père maternel, saint Grégoire, évèque de Langres, en

l'honneur duquel on l'avait baptisé du nom de Grégoire; enfin, il comptait parmi ses aïeux l'un des premiers chrétiens inscrits sur le martyrologe des Gaules, Vectius Epagatus, supplicié à Lyon sous le règne de Marc Aurèle. On n'aurait pas trouvé de sang gallo-romain plus pur que celui dont il pouvait se vanter. Il fut élevé par son oncle l'évèque de Clermont, et apprit auprès de lui le peu qui restait encore de science dans la Gaule: les histoires sacrées, un peu d'astronomie, avec quelque teinture de médecine et de musique, puis quelques auteurs de l'antiquité, surtout Virgile, qu'il citait volontiers, tout en s'élevant contre les fictions de la poésie païenne. Il fut ordonné diacre en 564, puis

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Cryptes de l'église de Jouarre, département de Seine-et-Marne (chapelle de Saint-Paul, ermite). D'après Gailhabaud.

appelé à l'épiscopat de Tours, par le choix des fidèles, en 573. Il avait été porté à cet honneur par sa réputation d'homme plein de lumière et de vertu; il y montra, au milieu des périls que créait partout la brutalité barbare, cette tranquillité d'àme d'un homme de bien que la violence n'effraye pas, et qui, peut-être, est le plus vrai de tous les courages. Sa fermeté se déploya dans plusieurs affaires, surtout dans celle de Prétextat, évêque de Rouen, qui, poursuivi par la haine de Chilpéric et de Frédégonde pour avoir béni le mariage de Brunehaut avec Mérovée (voy. p. 438), ne trouvait pas un seul défenseur dans le synode réuni pour le juger. Grégoire prit la parole, et, en présence de Chilpéric

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Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

écrire pour l'instruction des fidèles le récit d'une quantité de miracles qu'il avait entendu attribuer ou qu'il avait cru voir s'opérer lui-même au lieu le plus célèbre de son diocèse, sur le tombeau du grand saint Martin. Il fit de mème une histoire des merveilles qui se produisaient aux endroits de la Touraine et de l'Auvergne illustrés par le martyr saint Julien. C'est ainsi que l'accomplissement intelligent des fonctions de son ministère l'habitua au rôle d'écrivain. Il composa ensuite un traité sur la manière de reconnaître, à l'inspection des étoiles, l'heure de la nuit à laquelle on se trouve, et la prière à réciter; puis, une histoire des plus célebres martyrs des temps anciens; une autre des

personnages de son temps illustres par leur vertu; quelques autres livres de piété; enfin, son dernier et son grand ouvrage, l'Histoire ecclésiastique des Franks, divisée en dix livres, qui contiennent le récit des événements qui présidèrent aux origines de la nation française, depuis les derniers empereurs romains et les grandes invasions du cinquième siècle jusqu'à l'année 594. C'est un espace de plus de deux cents années, les plus curieuses de l'histoire gallo-franque, racontée d'abord à l'aide d'ouvrages plus anciens que nous ne possédons plus; puis, pour les temps intermédiaires, au moyen des traditions que l'auteur avait recueillies; enfin dépeinte, pour les cinquante der

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niéres années, par un homme qui avait vu de ses yeux les choses qu'il décrit. Grégoire de Tours n'est point un historien aussi barbare qu'on l'en a accusé; c'est un historien simple et naïf, racontant les choses comme il les croit ou comme il les a observées, sans beaucoup de commentaires et surtout sans ornements étrangers. Partout sa modestie et sa sincérité sont touchantes, partout son calme est plein de diguité, et sa plume, inhabile aux recherches de l'art, a réussi cependant à composer une œuvre attachante qu'on lit encore aujourd'hui avec plaisir, et qui a défrayé de notre temps les compositions historiques les plus savantes comme les plus dramatiques. La crédulité

en matière religieuse est le côté faible de Grégoire de Tours; mais c'était la faiblesse de son temps. Il semblerait, à le lire, comme du reste à lire tous les auteurs ecclésiastiques des premiers siècles du moyen âge, que la puissance divine était transportée sur la terre, et que les hommes d'alors ne respiraient et n'agissaient que guidés ou retenus par des influences descendues exprès du ciel. Le pieux évêque de Tours subit à un haut degré cette illusion, qui n'était qu'une suite des barbaries de cet âge sanguinaire et du besoin d'y trouver un contrepoids. Les événements les plus vulgaires, une lumière inusitée dans le ciel, un mal de gorge promptement guéri, une chute de cheval, l'obsti

nation d'une mouche importune, sont pour lui des manifestations immédiates de Dieu, et il n'est point de fable si grossière, pourvu qu'elle se présente sous un voile chrétien, qu'il n'accueille avec vénération. Nous devons respecter cette simplicité primitive, indice d'un temps si profondément triste que l'homme cherchait à échapper en imagination

aux réalités de cette terre, et nous pouvons à notre tour regarder comme un miracle véritable qu'un contemporain de Frédégonde et de tant d'autres personnages odieux nous en ait conservé une histoire sage et sincère.

L'ouvrage historique de Grégoire de Tours a été continué jusqu'au milieu du septième siècle par

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Des deux chapelles dont se composent les cryptes, celle qui a été dédiée à saint Paul Ermite est la plus ancienne, et l'on a été jusqu'à supposer qu'on avait commencé à la consacrer au culte chrétien dès le sixième siècle. On peut admettre, du moins, que ses premières décorations datent de l'époque mérovingienne.

« On sait, disent MM. Bourquelot et Dauvergne, qu'aux époques mérovingiennes, et sous Charlemagne, on allait chercher à de grandes distances des marbres et des matériaux, déjà travaillés, laissés par l'antiquité, et qu'on s'en servait pour orner les églises chrétiennes. »>

un écrivain dont on ne connaît que le nom, Frédégaire, et qui ne mérite que le titre de chroniqueur, tant son œuvre est brève et aride. Luimême sent toute son infériorité, et humblement il dit en commençant : « J'ai cherché à mettre en ordre les événements de mon temps, comme avaient fait ces hommes si sages (saint Jérôme, Idace, Isidore de Séville, Grégoire de Tours), qui ont écrit avec pureté, s'exprimant comme la plus pure des fontaines qui coulerait en abondance. Je vou

lais, moi aussi, imiter leur éloquence, tàcher du moins d'en approcher un peu. Mais il est cher de puiser là où l'eau manque. Le monde vieillit, l'aiguillon de l'intelligence s'énerve en nous, et il n'y a personne, de nos jours, qui ait la prétention de se comparer aux orateurs du temps passé. »

Frédégaire mourut en 640. Après lui, l'obscurité est complète et dure jusqu'au mouvement nouveau imprimé par Charlemagne.

FRANCE CAROLINGIENNE

PEPPIN LE BREF.

Nous venons de voir la papauté présider à l'élévation de la dynastie des Carolingiens (4), qui, après avoir jeté un vif éclat en la personne de Charlemagne, sera remplacée à son tour par une nouvelle dynastie vraiment nationale. Nous verrons encore le pouvoir sacerdotal diriger et consacrer ce dernier changement: cette conception de la royauté de droit divin vivra jusqu'à la révolution de 1789, et n'expirera qu'avec Louis XVI. La dynastie carolingienne s'attachera vainement à restaurer l'idée de l'empire romain: la dynastie capétienne signalera l'avènement de la féodalité, qui peu à peu reconnaîtra ses maîtres. Mais, par-dessus tout, l'influence ecclésiastique se fait sentir aux temps où nous sommes arrivés; et, à une époque de barbarie aveugle, cette influence était un grand bienfait. La guerre, le carnage et la désolation jettent des ombres épaisses sur le tableau qu'offrent nos annales à cette époque.

Il existe une légende qui représente le roi Peppin comme disgracié de la nature et d'une très-petite taille (d'où lui fut fait le surnom de Peppin le Bref), mais doué d'une force et d'une agilité merveilleuses. « Peppin, apprenant que les chefs de l'armée le méprisaient tout bas, fit amener, dans une cour du monastère de Ferrières, un taureau terrible par sa taille et par son humeur indomptable; puis il fit lancer contre lui un lion des plus féroces, qui, se précipitant sur le taureau, le saisit à la tête et le renversa. Alors le roi dit à ceux qui l'entouraient : « Qu'on aille arracher le lion d'avec le >> taureau ou qu'on le tue sur lui. » Ceux-ci, se regardant l'un l'autre et se sentant glacés de terreur dans leurs entrailles, purent à peine bégayer en tremblant : « Seigneur, pas un homme sous le » ciel n'oserait l'essayer. » Peppin descendit tranquillement de son trône, et, ayant tiré son épée, il transperça la tête du lion, et du même coup atteignit celle du taureau; puis il remit son épée au fourreau, et fut se rasseoir sur le trône en disant : « Vous semble-t-il que nous puissions être >> votre seigneur?» Et tous s'agenouillèrent. >> Cette légende, rapportée par deux chroniqueurs qui

(1) Carolingiens ou Carlovingiens, c'est-à-dire fils de Karl, soit de Charles Martel, soit d'un Charles plus ancien.

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devant l'Église, devant une idée. L'avènement de Peppin semble inaugurer le droit des papes, successeurs de Jésus-Christ sur la terre, à choisir et à déposer les souverains. Tous les évêques des Gaules avaient été appelés à l'assemblée du champ de mars où Peppin avait été élu roi. «En cette année (752), disent les Annales d'Éginhard, conformément à la sanction du pontife de Rome, Peppin fut appelé roi des Franks, oint pour cette

(1)« Hic pausante sancto Germano die translationis dedit >> ei rex Pepinus fiscum palatii (palatioli?) cum appenditiis » suis omnibus. >>

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demander leur part de la Gaule. En même temps, le gouvernement intérieur cherche à s'organiser. L'antique assemblée des Franks, qui avait lieu le 1er mars de chaque année pour la décision des grandes affaires et la revue des troupes, n'avait que très-peu laissé de souvenirs de son existence sous les Mérovingiens. Peppin la convoque deux fois par an et y appelle les évêques de toute la Gaule. Aussitôt ces champs de mars deviennent une institution de haute importance, une sorte de représentation nationale qui décrète, sous le nom de capitulaires (écrits divisés par chapitres), des lois dont la collection, continuée pendant presque tout le cours de la dynastie, forme un code considérable.

Plusieurs de ces capitulaires appartiennent au commencement du règne de Peppin. Ils montrent qu'une extrême grossièreté régnait alors dans les mœurs, et que des abus odieux, les violences contre les femmes, par exemple, et les plus monstrueux incestes, étaient passés dans la vie usuelle; mais ils portent aussi le témoignage de louables tentatives de réforme. On en jugera par quelques

articles du capitulaire arrêté dans l'assemblée de Verneuil (Oise), le 14 juillet 755:

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« Il y aura, dit l'assemblée, un évêque dans chaque cité. - Là où sont des évêques que nous avons établis comme métropolitains, les autres évêques doivent leur obéir en tout ce qui concerne la loi canonique. Que chaque évêque ait pouvoir dans sa paroisse, tant sur le clergé que sur les religieux, pour corriger et amender conformément à l'ordre de la règle spirituelle, afin que toutes ces personnes vivent de manière à plaire à Dieu. On réunira deux synodes chaque année : le premier au premier mois, c'est-à-dire aux calendes de mars, au lieu où le roi l'ordonnera et en sa présence; le second aux calendes d'octobre, à Soissons, ou en tel autre lieu où les évèques dans le précédent synode l'auront ordonné. Comme on a persuadé aux peuples qu'il ne faut pas aller le dimanche ni à cheval, ni avec des bœufs, ni en voiture, ni rien préparer en fait de nourriture, ni rien faire pour parer sa maison ni soi-même, et qu'il est certain que cela tient plutôt de la superstition judaïque que de l'observance chrétienne, nous avons arrêté que ce qu'il était permis de faire auparavant le dimanche soit toujours licite. En fait de travaux de la campagne, nous pensons qu'il faut s'abstenir de labourer, de biner la vigne et de rien cueillir, afin qu'on soit plus disposé à venir prier à l'église. Si quelqu'un est surpris à faire les ouvrages qui sont défendus, sa punition ne doit pas être prononcée par le pouvoir laïque, mais il doit être chàtié par le prêtre.Tous les laïques, nobles ou non, doivent procéder publiquement à la célébration du mariage. - Que les comtes et autres juges dépêchent avant toute autre cause celles des veuves, des orphelins et des églises. Nous ordonnons qu'aucun péage ne soit levé sur les vivres et denrées qui ne sont pas transportés comme objets de commerce, sous peine de 60 sols d'amende, dont 30 pour celui qui aura payé indûment et 30 pour le roi. - Nous arrêtons aussi, en ce qui concerne la monnaie, qu'on ne fasse pas plus de 22 sols dans une livre pesant, et que, de ces 22 sols, le monétaire en garde un et rende les autres. >>

Le pape Zacharie était mort le 14 mars 752. Deux Étienne lui succédèrent le premier ne vécut que trois jours; le second, Étienne II, ou Étienne III si l'on tient compte de son prédécesseur, se trouvait dans une position dangereuse. Rome formait alors une espèce de république gouvernée tumultueusement par les prêtres, les grands et le peuple. L'autorité de l'empereur d'Orient, qui ne régnait plus que de nom en Italie, y était représentée par un duc et quelques autres officiers; mais lorsqu'il eût fallu des soldats pour protéger le territoire de Rome contre les empiétements des Lombards, les secours de l'empereur se bornaient à des ambassades. La papauté avait pris l'habitude de tourner ses regards vers le royaume des Franks, où était la force réelle. Étienne II se rendit à la

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