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formidable conspiration des ducs Rauching, Ursion et Berthefred, contre l'influence de Brunehaut et l'autorité de Childebert II, énergique instrument des vues de sa mère. Ce qui ne l'empêchait pas, dans le même temps, mais avec des succès divers, de poursuivre par le fer de ses sicaires ou dévoués son irréconciliable ennemie Brunehaut; son ancienne victime Prétextat, que Gontran avait, sans la consulter, rétabli dans son siége de Rouen; l'évêque de Bayeux, qui poussait avec un zèle inconsidéré l'enquête relative au meurtre de Prétextat; un seigneur frank qui avait osé la dénoncer, à la face de tous, comme l'auteur de ce forfait; enfin Gontran lui-même, à qui ce dernier crime avait ouvert les yeux, et qui menaçait de passer du rôle de champion à celui de vengeur.

ALLIANCE ENTRE LES ROIS DE BOURGOGNE ET D'AUSTRASIE.

Tant de complots et d'attentats odieux provoquèrent naturellement le rapprochement de ceux qui s'y voyaient en butte. Il se tint en 587, à Andelot, dans le diocèse de Langres, en présence et sous les auspices de Brunehaut et d'un grand nombre d'évêques, une entrevue solennelle des rois de Bourgogne et d'Austrasie dans laquelle, après avoir arrangé à l'amiable les questions territoriales qui depuis si longtemps les divisaient, et s'être reconuus héritiers l'un de l'autre en cas qu'ils mourussent sans enfants, ils cherchèrent ensemble les moyens de garantir leur sûreté. A cet effet, ils interdirent à leurs leudes, sous peine d'être réclamés et traités en transfuges, la faculté de passer à leur gré d'un royaume dans l'autre, et de servir un autre maître que celui qui aurait reçu leurs premiers serments.

En même temps, remontant au principe du mal, ils jugèrent à propos de rendre la condition des leudes désormais moins précaire et de les rassurer de la façon la plus formelle contre la crainte de voir encore, comme par le passé, les bénéfices ou concessions de domaines qu'ils tenaient de la munificence du souverain confisqués sur le plus mince prétexte.

Cette clause libérale qui tendait implicitement à convertir en biens héréditaires et immuables des récompenses jusque-là viagères et essentiellement révocables, et qui contenait en germe la féodalité tout entière, désarma pour un temps les leudes, laissa leurs inspirateurs, tels que Gontran-Boson, Ursion, Egidius, exposés sans défense aux représailles des deux reis, et ceux-ci, libres enfin de tourner leurs forces contre les ennemis du dehors, les Visigoths de la Septimanie, les Bretons des Marches, les Lombards d'Italie, et surtout contre Frédégonde, dont le parti se fortifiait chaque jour en Neustrie.

Se sentant menacée dans un avenir prochain, cette femme habile prit les devants, et, par une démarche inattendue, réussit encore à semer la discorde entre ces alliés que le traité d'Andelot

avait si étroitement unis. Elle convia Gontran au baptème de son fils, qu'elle différait à dessein depuis sept ans. Le vieux roi, sans se laisser détourner par les récriminations amères de Childebert, accepta ce devoir « auquel nul chrétien ne se peut refuser », et se rendit en grande pompe à la chapelle du village de Nanterre. Là, en présentant son neveu au baptême, il lui donna le nom de Clotaire, qui, dans la langue des Franks, signifiait « éminent seigneur », et s'écria, d'une voix prophétique « Croisse cet enfant, et puisse-t-il, remplissant la destinée que ce nom glorieux lui présage, s'élever à la même puissance que celui qui le porta jadis. »

MORT DE GONTRAN ET DE CHILDEBERT II.

Ce fut là proprement le dernier acte politique du roi Gontran; deux ans après (593), sa vie s'éteignait dans sa résidence de Chalon-sur-Saône, et, en vertu du traité d'Andelot, ses États passaient à son neveu Childebert, qui, avec des forces plus que doublées, semblait devoir écraser aisément Frédégonde. Mais la difficulté de recueillir à temps cette ample succession; l'incurie ou le manvais vouloir des dues Wintrio et Gondeband, qui, chargés d'administrer et de défendre le Soissonnais, c'est-à-dire la partie la plus menacée de ses États, se laissèrent prendre à un stratagème grossier de Frédégonde et battre à Droisi, entre Soissons et Château-Thierri; les diversions simultanées des Bretons et des Warnes, aux deux extrémités des possessions austrasiennes, sauvèrent une fois encore la Neustrie et arrachèrent des mains de Childebert cette chère vengeance qu'il avait promise aux manes de son père. Puis on le vit, à peine âgé de vingt-cinq ans, mourir, empoisonné, dit-on, par la reine Faileube, sa femme, digne nièce de Frédégonde (596).

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Un premier choc eut lieu à Latofao (Laffaux), entre Soissons et Laon, dans lequel les AustroBurgondes eurent le dessous : Brunehaut avait dû diviser ses forces pour couvrir la Thuringe contre une formidable incursion des Avares.

La mort frappa Frédégonde au lendemain de son triomphe (597). C'était pour sa rivale l'occasion d'une belle et facile revanche; mais l'opposition

Pierre tombale de Frédégonde, femme de Chilpéric Jer, dans les caveaux de Saint-Denis (1).

plaines de Champagne, jusqu'à ce qu'un pauvre homme qu'elle rencontra s'offrit à la conduire à la cour du jeune roi de Bourgogne, Thierri II. La tradition ajoute que la fastueuse exilée récompensa son guide par le don de l'évêché d'Auxerre.

Contents d'être délivrés d'elle, les leudes austrasiens ne lui envièrent pas son asile : l'alliance des deux frères subsista intacte, et leurs forces combinées vengèrent dans les champs de Dormeille (près de Moret) la défaite de Laffaux (600).

Clotaire, dépouillé de la plus grande partie de ses États, se trouva réduit à la possession de douze comtés entre la Seine et l'Océan.

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croissante des leudes austrasiens l'empêcha d'en profiter. Indignée, elle crut devoir porter la répression à l'extrême et frapper un grand coup; elle se débarrassa par un meurtre du duc Wintrio, chef des mécontents.

Une seconde campagne, dans laquelle Thierri entra en vainqueur à Paris, eût infailliblement consommé sa ruine et livré le fils de Frédégonde à la merci de l'implacable Brunehaut, lorsque tout à coup l'on apprit qu'un traité venait d'être conclu à Compiègne entre Clotaire et Théodebert.

Il y eut alors dans toute l'Austrasie une telle explosion de colère (599), que la vieille reine n'eut plus qu'à s'enfuir en toute hâte hors de Metz; elle erra longtemps, seule et dénuée de tout, dans les

Cette trahison fit éclater la rancune secrète que Brunehaut avait gardée au faible roi d'Austrasie et à sa femme Bilihilde de leur défection dans sa lutte contre les leudes, et dès lors elle n'eut plus à cœur que de brouiller et de mettre aux prises les deux frères et les deux nations. Bien que Thierri eût l'esprit fier et acerbe, elle disposait sans réserve de ce jeune prince; en revanche, les grands ou farons de Bourgogne ne paraissaient pas plus disposés que les leudes austrasiens à subir le régime fiscal et despotique de Brunehaut, et à servir aveuglément ses vengeances personnelles. Pour les réduire, elle fit élever à la mairie du palais son favori, Protadius, « homme d'un génie très-aiguisé ». Mais si habile et si énergique qu'il fût, Protadius, comme autrefois le duc de Champagne Lupus, succomba à cette tâche ingrate : les leudes bourguignons, furieux d'avoir été conduits malgré eux sur les terres du roi d'Austrasie, quand vint le moment d'engager le combat, à Kiersi-surOise, assaillirent Protadius dans la tente royale, le massacrèrent, et forcèrent Thierri à embrasser son frère (605).

(1) Cette mosaïque célèbre paraît n'être qu'une œuvre du douzième siècle, quoiqu'elle ait été attribuée généralement à l'année 600; elle était autrefois à l'abbaye Saint-Germain des Prés.

L'inflexible Brunehaut tint tête à ce nouvel assaut, tira une vengeance éclatante des meurtriers de son favori, et, loin de modifier ses plans si notoirement impopulaires, elle fit lapider l'évêque de Vienne pour avoir osé les condamner et flétrir tout haut le libertinage de Thierri. L'apôtre Colomban lui-même, « la plus grande puissance morale du temps », le fondateur de Luxeuil et de tant d'autres pieux asiles, faillit être traité de même, et se vit honteusement chassé du pays où il était venu prêcher le christianisme.

Après cinq ans, la guerre recommença entre les deux frères; mais cette fois. Théodebert avait été l'agresseur il réclamait l'Alsace et tel autre pays que le partage de 596 avait indûment détaché du royaume de Metz. Thierri, avec une modération insolite, proposa un arrangement amiable et se rendit à cette fin dans la villa royale de Selz; mais, victime de sa confiance, il tomba dans un guet

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Inscription du septième siècle, sous Clotaire II, trouvée à Saint-Quentin.

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Signature de Clotaire II, au bas d'un diplôme de l'an 625 (1).
(Deservientibus proficiat in perpetuo..... CHLOTHACHARIUS clemens rex.)

avec une irrésistible impétuosité, les États de Théodebert, il remporta coup sur coup deux sanglantes victoires, et ne s'arrêta que dans Cologne,

(*) Cet acte, conservé à la direction générale des Archives de France, est le plus ancien qu'on ait encore découvert dans

notre pays.

quand on lui eut amené, pieds et poings liés, le royal fugitif. L'infortuné avait un fils en bas âge; un soldat, sur l'ordre de Thierri, lui brisa la tête sous ses yeux; lui-même se vit traîner avec force outrages jusqu'à Chalon-sur-Saône, torturer, et, finalement, envoyer au supplice (612).

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Cependant Clotaire, en vertu des conventions, s'était saisi des terres qui lui avaient été promises. Thierri, qui ne cherchait qu'un prétexte de guerre pour réunir à ses domaines ce qui restait de l'ancien royaume de Neustrie, somma Clotaire de les évacuer, et, sur son refus, se prépara, à la tète de forces considérables, à franchir l'Oise et la Seine. Mais ce n'était pas au fils de Childebert qu'était réservé l'honneur de régner seul sur l'héritage agrandi de Clovis; et Colomban, en fuyant l'inhospitalière Bourgogne, avait, s'il faut en croire sa légende, promis et annoncé cette gloire au Neustrien Clotaire.

Thierri, au moment d'entrer en campagne, succomba, à Metz, à une attaque de dyssenterie. Il laissait quatre fils. Un partage conforme aux coutumes nationales eût affaibli, en la divisant, l'autorité et l'action de Brunehaut, qui, en dépit des années et des revers de fortune, poursuivait encore ses projets d'unité monarchique: en conséquence, elle résolut de donner à Thierri pour unique successeur son fils aîné Sigebert, alors âgé de onze ans. Mais le temps lui manqua pour consommer cette innovation hardie.

Une brusque invasion de Clotaire, concertée avec un soulèvement général de l'aristocratie franke, aussi bien des évêques et des seigneurs austrasiens, ayant Arnulf de Metz et Peppin de Landen à leur tète, que des farons de Bourgogne aux ordres du maire Warnachaire, la surprit sans défense dans son palais de Metz. Elle prit la fuite; mais, atteinte dans la villa d'Orbe, à une lieue du lac de Neufchâtel, par le connétable Herpe, elle fut ramenée à Clotaire, que déjà les conjurés avaient proclamé roi de tous les Franks, et qui avait inauguré son triomphe par le massacre de deux des enfants de Thierri. Clotaire accueillit sa captive par les plus violentes invectives, lui imputant effrontément la mort des plus illustres victimes de Frédégonde; puis, « après l'avoir tourmentée pendant trois jours par divers supplices »>, il la fit promener sur un chameau dans les rues du camp, à travers les huées et les malédictions de la foule; enfin il commanda qu'on l'attachât à la queue d'un cheval indompté, qui parsema au loin la campagne des chairs sanglantes d'une femme de quatrevingts ans qui avait été la reine des Franks pendant près d'un demi-siècle (643).

CLOTAIRE II SEUL ROI DES FRANKS.

"Cette victoire atroce de Clotaire était proprement celle de l'aristocratie sur la royauté, et les conventions secrètes que le roi de Neustrie avait dù faire au préalable avec quelques alliés reçurent une confirmation solennelle l'année suivante (644), dans le synode de Paris, « assemblée générale des deux aristocraties, barbare et ecclésiastique, dont la coalition avait renversé Brunehaut ». En même

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Brunehaut avait introduites, et ne retint des anciens impôts indirects que le droit de tonlieu ou de péage établi sur les routes, les ponts, et aux portes des villes : encore ce droit fut-il ramené au taux où il était « sous les rois de bonne mémoire, Gontran, Chilpéric et Sigebert ».

En 646, l'assemblée de Bonneuil en Brie lui arracha de nouvelles concessions; en 622, pour complaire aux leudes austrasiens, dont l'orgueil souffrait de se voir réunis à la Neustrie, il envoya son fils Dagobert régner à Tréves sur une partie de l'Austrasie; et en 625, cédant encore aux vives réclamations du nouveau roi, qui s'était tout abandonné aux suggestions des Peppin et des Arnulf, il

(') Euvre d'époque très-postérieure, conservée à l'église de Saint-Denys.

Typ. de J. Best, ruc St-Mau-St-G., 15.

reconstitua le royaume d'Austrasie dans sa primitive étendue et dans sa pleine indépendance.

Une autre grave concession fut de remettre aux Lombards, pour une somme une fois comptée, le tribut annuel que ce peuple avait payé aux rois Gontran et Childebert. Enfin, à le voir, depuis l'an 613, demeurer enseveli dans ses villas des environs de Paris, on eût pu croire que Clotaire avait perdu jusqu'au courage guerrier, lorsqu'en 626 le péril de son fils, assailli et enveloppé par les Saxons rebelles, l'appela au delà du Rhin. Il dégagea Dagobert, tua de sa main le chef ennemi Bertoald, et soumit de nouveau les Saxons au tribut. Il n'eut plus de semblable réveil, et mourut deux ans après (628), épuisé probablement par cette fureur de voluptés qui possédait les rois barbares.

« Clotaire, dit Frédégaire, était patient, instruit dans les lettres, craignant Dieu, généreux envers les églises et les évêques, aumônier pour les pauvres, bienveillant pour tous et plein de piété ; seulement il s'adonnait trop assidûment à la chasse des bêtes sauvages, et, sur la fin, se montra trop facile aux suggestions des femmes et des jeunes filles, ce qui lui attira le blame de ses leudes. »>

Pour l'historien, au milieu de ces temps de désordre, il distingue dans le règne de Clotaire un premier triomphe de l'Église et des idées de droit et de justice qu'elle s'efforçait de faire prévaloir. Dès l'année qui suivit sa victoire sur Brunehaut (644), le roi appela tous les évêques de la Gaule à l'assemblée des leudes. Ceux-ci vinrent au nombre de soixante-dix-neuf, et, de concert avec les grands du pays, ils dressèrent, sous le titre de Constitution perpétuelle, une charte dont les principales dispositions portaient que les impôts établis par Chilpéric et ses frères étaient abolis; que les leudes et les églises rentraient en possession de tous les bénéfices et autres biens dont ils avaient été dépossédés par le roi après les avoir reçus de sa munificence; que les évêques seraient élus par le clergé et le peuple des cités, le roi n'ayant que le droit de confirmation; que les évêques seraient seuls juges des ecclésiastiques; que personne, pas même un esclave, ne serait condamné désormais sans avoir été entendu; enfin, que serait puni de mort quiconque violerait la paix publique. Il y avait dans de tels articles, arrêtés d'un commun accord entre les guerriers du roi et les prélats de la Gaule, bien des progrès qui ne furent réalisés que plus tard, mais qui commencent à donner quelque espérance en l'avenir, et qui s'accordent avec l'inertie apparente des dernières années du règne de Clotaire II Sous Dagobert, son successeur, l'influence cléricale et pacifique devient dominante.

DAGOBERT I.

A la nouvelle de la mort de son père, Dagobert fit mine de vouloir, au mépris des droits de son frère Caribert, retenir pour lui seul l'héritage tout entier il lui coûtait d'avoir à partager avec un

prince dont il connaissait « la simplicité ». Mais, pour écarter toute chance de conflit, ses conseillers habituels, Peppin et Arnulf, l'engagèrent à préférer à une usurpation violente une transaction amiable, qui relégua Caribert en Aquitaine et ne lui laissa aucune possession en terre franke. Cela fait, Dago

Sceptre de Dagobert, conservé autrefois au trésor de Saint-Denys.

bert, qui s'était annoncé en homme d'action, entreprit de visiter ses vastes États et d'y rétablir par lui-même l'ordre matériel, que tant d'années de guerres civiles avaient profondément troublé. II commença par la Bourgogne, « frappant de crainte partout, sur son passage, les grands, évêques et leudes; portant la joie dans l'àme des pauvres, qui

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