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demeurèrent pendant cinq ans concentrées autour de Paris, position dont Clovis appréciait l'importance et dont il voulait s'emparer. Ce fut vraisemblablement pendant ce siége qu'une jeune fille du village de Nanterre, sainte Geneviève, en soute

Statue de sainte Geneviève (1), à l'abbaye de SainteGeneviève, aujourd'hui au lycée Napoléon (ancien lycée Henri IV).

nant par son héroïsme le courage des Parisiens affamés, mérita le titre de patronne de Paris. Un appel désespéré des Ripuaires, que les Thuringiens venaient d'assaillir, interrompit Clovis dans ses opérations (491). Il traita avec les rebelles de la Sénonaise; et, s'étant porté avec ardeur au delà du Rhin, il dévasta à son tour la Thuringe. Mais toutes ces victoires, quelque glorieuses, quelque fructueuses qu'elles fussent, lui furent moins profitables que le mariage, patiemment, habilement préparé pour lui par le zèle pieux de Remi et le dévouement du Sénonais Aurelianus, avec une

() Euvre du treizième siècle.

princesse catholique, la seule peut-être qu'il fût possible de trouver alors dans les familles de princes barbares. Il épousa Clotilde, fille d'un roi bourguignon assassiné par ses frères, et qui, dévouée d'avance à la grande tâche que lui avaient destinée les prélats catholiques, la conversion de Clovis, finit par y réussir, comme l'historien des Franks l'a si bien raconté. (Voy. p. 123.)

Le baptême de Clovis, accompli le jour de Noël 496, fut un événement immense. Dans la main des évêques, le roi demeure ce qu'il était, un barbare féroce et un infatigable général; mais la royauté se développe, ses vues s'agrandissent, ses opérations s'étendent on reconnaît à ses œuvres un ordre de choses nouveau. De ce moment, le nom des Franks prédomine dans la Gaule, et la nationalité française commence à poindre.

Un grand nombre des guerriers de Clovis, païens convaincus de la grandeur de leurs dieux, ou qui n'avaient pas comme lui d'intérêt à changer leur foi, l'abandonnèrent pour aller servir Ragnachaire, roi de Cambrai; mais, par compensation, la seule nouvelle de son baptême lui soumit ces villes armoricaines qui, depuis près de quinze ans, repoussaient son autorité, et les milices gallo-romaines recrutèrent avec empressement ses armées. Le pape Anastase, les principaux évêques de la Gaule et même des régions soumises aux ariens, s'empressèrent de féliciter le royal néophyte; Avitus, évêque de Vienne, dans une belle lettre qui subsiste encore, proclama hautement l'espoir que son exemple serait suivi par les autres rois barbares, et que les Franks, missionnaires armés, répandraient la foi catholique jusque chez les nations du Nord. Dans cette espèce de ligue permanente des évêques et des populations en faveur de Clovis devenu chrétien orthodoxe, se trouve le secret de ses rapides succès contre Gondebaud et contre Alaric.

Tant qu'on avait eu l'espérance de ramener Gondebaud, le roi bourguignon, dans le giron de l'Église, Clovis, retenu par les évêques, ses conseillers habituels, avait dû ajourner la vengeance domestique qu'il avait promise à Clotilde; mais après que le colloque de Lyon, qui eut lieu en septembre 499, sous la présidence de Gondebaud, entre les évêques du midi de la Gaule et les docteurs ariens, se fut séparé sans donner de résultats, sans même laisser d'espoir, Clovis se vit enfin libre d'agir. Il avait pu prendre ses mesures de longue main; aussi la campagne fut-elle aussi courte que décisive menacé en arrière par Théodoric, roi des Ostrogoths, beau-frère de Clovis, qui convoitait la possession des grandes villes d'Arles, Marseille et Avignon; assailli de front par les Franks avec leur impétuosité ordinaire; trahi et abandonné par son frère Godégisèle au milieu même de l'action, Gondebaud fut vaincu sous les murs de Dijon, et courut s'enfermer dans la citadelle inexpugnable d'Avignon, laissant ses ennemis se partager tranquillement ses dépouilles, et n'attendant son salut que du temps. L'orthodoxie avérée de son fils Si

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Tombeaux de Clovis et de Clotilde, trouvés, en 1807, dans l'église de l'abbaye de Sainte-Geneviève.

retardé la vengeance de Clotilde et de Clovis contre Gondebaud, de même la puissante médiation de Théodoric le Grand, roi des Ostrogoths, réussit à conjurer pour un temps l'orage qui menaçait de fondre sur le trône ébranlé du jeune Alaric II, roi des Visigoths. Mais Alaric était condamné à périr et à porter la peine des vexations de toute sorte que son père, le terrible Euric, avait exercées contre le clergé catholique de ses États; et, bien qu'il eût à dessein apporté plus de ménagements et de douceur dans ses actes, les évêques ne tardèrent pas

à appeler Clovis au delà de la Loire. Sans plus tenir compte des menaces de Théodoric, il rassembla ses soldats et leur dit : « Il me déplaît que ces Visigoths, qui sont ariens, possèdent une partie des Gaules. Marchons contre eux avec l'aide de Dieu, et, après les avoir vaincus, soumettons leur pays à notre domination. » D'heureux présages, relatés avec complaisance par les chroniqueurs, accompagnèrent le roi des Franks dans sa marche rapide; et quand il atteignit l'ennemi dans les champs de Vouglé ou de Voulon, un peu au sud

de Poitiers, il le trouva exécutant avec confusion et tumulte un changement de position. Donnant aussitôt le signal, sans s'amuser aux armes de trait, il l'aborda avec ses Franks à l'épée et à la hache, l'enfonça après une courte mêlée, tua de sa main le roi visigoth, et, après avoir échappé comme par miracle aux coups furieux que lui portèrent à la fois deux des gardes d'Alaric, il compléta la victoire par la destruction du bataillon des Arvernes, qui seul, au milieu de la déroute générale, opposait une résistance désespérée. Puis, précipitant sa marche victorieuse, il soumit presque sans combattre l'Aquitaine entière.

Déjà il attaquait la Septimanie, il menaçait la Provence, et c'en était fait de toutes les possessions des Visigoths dans la Gaule, lorsque Ibbas,

général ostrogoth, apres avoir dégagé la ville d'Arles que bloquait Thierri, fils aîné de Clovis, avec une armée de Franks et de Bourguignons auxiliaires, vint barrer le chemin à Clovis lui-mème, et le forcer à lever le siége de Carcassonne et à rentrer en Aquitaine (508). Malgré cet échec, le premier qu'il eût essuyé dans le cours de ses longues guerres, cette campagne était la plus fructueuse qu'il eût faite encore, et ses soldats, que les habitants du pays avaient appelés comme des libérateurs, y semèrent par leurs forfaits les premiers germes de cette aversion défiante que les méridionaux ont si longtemps conservée contre les conquérants du Nord.

Ce fut alors que Clovis reçut, à Tours, une ambassade solennelle qui lui apporta, au nom de l'em

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Plan du sol de l'église de l'abbaye de Sainte-Geneviève où étaient les tombeaux de Clovis, de sa femme et de leurs enfants. (Voy. p. 133.)

pereur d'Orient, les insignes de la dignité consulaire, avec ses félicitations, comme un gage d'alliance contre les Goths d'Italie, leur ennemi commun. Ce fut alors aussi que Clovis, dans la pensée sans doute que la munificence impériale lui donnait des droits exclusifs à la domination des Gaules, massacra l'un après l'autre tous les membres de sa famille, par cette série de perfidies et de lâchetés sanglantes qu'on a vues, et qui semblent avoir assuré la puissance de son trône et le triomphe du catholicisme. Les résultats utiles de sa victoire excitaient la joie du clergé. Au concile d'Orléans tenu au mois de juillet 544, les évêques lui apportèrent eux-mêmes leurs remerciments, et l'un des plus illustres d'entre eux, saint Avitus, de Vienne, lui écrivit : « Ta félicité est la nôtre, et quand tu combats, c'est nous qui remportons la victoire. >> Mais sa tâche était finie. Il mourut le 27 novembre 544, dans la trentième année de son règne et la quarante-cinquième de son âge.

RÉSULTATS DE L'ÉTABLISSEMENT DES FRANKS

DANS LA GAULE.

Ainsi Clovis établit sa domination sur sa race entière parce qu'il l'emportait en scélératesse profonde sur les autres chefs de sa nation. Il fit peser le nom des Franks et la terreur des fils de Mérovée de l'Elbe à la Garonne. Ce fut là son œuvre, ou du moins l'œuvre dont il fut l'instrument, car d'autres mains que les siennes, celles des évêques, avaient préparé ses succès. Pour les populations gauloises, les Franks, tout à fait païens, étaient moins odieux que les Visigoths et les Bourguignons ariens et persécuteurs. Clovis était pour elles un libérateur, et n'eut qu'à se prêter à des sentiments si bien d'accord avec son ambition.

Si quelque part éclate, dans l'histoire, la bienfaisante influence du christianisme, c'est à cette époque où les Barbares, enivrés de la première joie du triomphe, se livraient à toute la fougue

Typ. de J. Best, rie St-Maur-St-G., 15.

de leurs passions. C'est alors que les évêques galloromains usèrent de leur autorité pour garantir les faibles contre l'oppression; c'est alors qu'ils recueillaient dans leurs églises, qu'ils nourrissaient, qu'ils protégeaient contre des hommes non moins féroces que Clovis, les persécutés de tous les partis. On en est réduit à se féliciter des fraudes pieuses, des superstitions grossières qu'ils propageaient autour d'eux pour affermir l'autorité religieuse, seul refuge qui existât alors; car la crainte d'un vengeur inconnu, la crainte de la colère céleste pouvait seule arrèter les entreprises d'un Sicambre. Le droit d'asile, privilége transmis du paganisme aux églises chrétiennes, défendu courageusement par les évêques et respecté par les Barbares, fut un bienfait inappréciable au milieu d'un désordre sans frein. Innocents ou coupables, il n'y avait pas jusqu'aux esclaves qui ne vinssent chercher, au pied de l'autel, un abri contre les violences dont ils étaient menacés, et les rois eux-mêmes n'osaient les en arracher, Clovis respecta et, à la fin de sa vie (1), confirma pleinement ce privilége des églises.

Les habitants de la Gaule ne furent peut-être pas beaucoup plus malheureux, sous le joug brutal des Franks, qu'ils ne l'avaient été sous les précédents régimes; mais ils descendirent au niveau infime de leurs dominateurs. La société tout entière, avec les grandes traditions qu'elle portait en elle et qui l'avaient soutenue jusque-là, parut s'affaisser et se dissoudre entre la brutalité et le désespoir. Toute culture de l'esprit fut abolic même parmi les gens d'église, absorbés par le soin de parer aux malheurs de tous les jours, aux dangers de chaque lendemain. Toute sécurité disparut, par suite toute communication, toute correspondance, tout échange intellectuel d'un lieu à un autre, et la cité seule conserva quelque vie sociale autour de sa curie, surtout autour de son évêque; quant au cercle des idées et des notions de l'extérieur, il ne pouvait plus guère dépasser les limites d'une ville et de son territoire. Pour les Franks, ils étaient principalement groupés dans les campagnes, préférant la chasse et leur vie habituelle des champs et des forêts au séjour des plus belles cités de la Gaule; les rois mêmes habitaient de vastes fermes et y tenaient leur cour.

L'habitation royale, quand ce n'était pas une riche villa romaine, formait un bâtiment vaste et élevé, souvent construit en bois, mais en bois poli avec soin et orné de sculptures; tout autour régnait un portique dont les colonnes soutenaient des arcades cintrées : c'était là ce que les Franks nommaient un palais. Des maisons de moindre apparence étaient disposées alentour pour les officiers, soit barbares, soit romains, attachés au service du roi, et pour les principaux guerriers qui faisaient partie de sa truste, c'est-à-dire de la bande militaire spécialement liée à sa personne par le serment

("Au concile d'Orléans juillet 511).

| de fidélité. Enfin des habitations rustiques pour les familles d'ouvriers de tout genre et de cultivateurs, familles presque toutes gauloises, qui faisaient partie de l'immeuble royal et le mettaient en valeur; des bâtiments d'exploitation agricole ou industrielle, par exemple des gynécées, maisons où les femmes travaillaient la laine et le lin; des bergeries, des granges, des chenils, des masures pour les plus pauvres serfs tel était l'ensemble de la demeure royale d'un Mérovingien. Les guerriers les plus considérables, ceux qui s'étaient montrés assez braves pour avoir leurs fidèles à eux, vivaient de la même manière. Quant au simple Barbare, il s'affiliait soit à un groupe, soit à un autre, car la vie commune était une sorte de nécessité pour des gens qui ne connaissaient que la guerre, le jeu et la table. Ceux-là vivaient sur les domaines de leur chef et à ses dépens; mais entre le propriétaire et les commensaux qu'il nourrissait, l'égalité et la familiarité ne pouvaient durer comme entre le capitaine et les soldats d'une bande errant au milieu des dangers. Les simples guerriers, qui ne possédaient que leurs armes, tombèrent donc, par le seul fait de leur établissement sur le sol gaulois, dans la dépendance et la pauvreté. Aussi voit-on, dès les premiers temps de l'invasion, une grande partie d'entre eux réduits à un état qui n'était pas de beaucoup au-dessus du servage des Gaulois, et qui, deux ou trois siècles plus tard, ne s'en distinguait plus.

A cet égard, il est permis de dire que les Franks ont rajcuni le sang de la Gaule. Ils ont apporté à la population des campagnes, si lourdement courbée sous un joug auquel on n'avait vu jusqu'alors ni commencement, ni relâche, leur nombre, leurs bras, leur courage, et leur grossièreté même, avec laquelle il faut désormais que le maître apprenne à compter. La vanité nationale a souvent entraîné nos historiens à louer la bravoure et les rudes vertus de la nation franke; les Allemands, plus aveugles encore et, il est vrai, plus intéressés à l'être, poussent l'illusion jusqu'à vanter le noble caractère et la loyauté des peuplades germaniques. Il est curieux de passer de ces assertions « à la lecture de Grégoire de Tours, du poëme national des Germains, les Niebelongs, et de tous les monuments poétiques et historiques des anciennes mœurs germaines la ruse, le mensonge, le manque de foi, s'y reproduisent à chaque pas, tantôt avec le plus subtil raffinement, tantôt avec l'audace la plus grossière. » (Guizot, Civilisat, en France, leç. x.) Ajoutons que cette perfidie, qui s'allie mal avec le vrai courage, et que les Romains reprochaient amérement aux Franks, fut comme un poison que les guerriers germains transmirent à leurs descendants les barons du moyen àge. La bravoure gauloise était une générosité sans tache, et il faut descendre jusqu'à saint Louis, sept cents ans après Clovis, pour voir ressusciter la loyauté dans nos mœurs.

Faut-il, comme on l'a voulu, faire remonter au respect des Germains pour leurs femmes l'esprit

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de délicatesse et de courtoisie qu'on voit poindre en France avec les premières ouvres poétiques des troubadours et des trouvères? Un sentiment si profondément gravé dans le cœur de l'homme naît de lui-même; il se rencontre souvent dans l'histoire des nations antiques; il se retrouve encore dans la bouche de Sidoine Apollinaire, qui, parlant dans une assemblée populaire, s'exprimait ainsi : « La femme de Simplicius descend de la famille des Palladius, doublement célèbre dans les chaires de l'école et dans celles de l'Église. Et la mention d'une dame devant étre comme elle, pleine de modestie et de retenue, je me borne à vous affirmer que cette femme répond au mérite et aux titres de ses deux familles, de celle où elle naquit et grandit, et de celle où elle a passé par un choix honorable. Elle et son mari élèvent sagement et dignement leurs fils, dont la vue réjouit d'autant plus leur père qu'ils semblent vouloir le surpasser un jour. » Ainsi paraissait la mère de famille aux yeux des Gallo-Romains, dans cet âge qu'on est convenu d'appeler celui de la décadence et de la corruption. Maintenant, voici quelles femmes étaient celles des Germains, et il suffit de les montrer pour faire comprendre que si les Barbares pouvaient, comme le dit Tacite, avoir d'elles un effroi superstitieux, il n'entrait rien de chevaleresque dans un tel sentiment. C'est de deux princesses qu'il s'agit, de deux femmes de la maison de Clovis.

« Rigonthe, fille de Chilpéric, proférait souvent des injures contre sa mère Frédégonde; elle se disait la maîtresse, prétendait que sa mère devait la servir, l'accablait fréquemment de toutes sortes d'outrages, jusqu'à en venir avec elle aux coups de poing et aux soufflets. Sa mère lui dit enfin : « Pourquoi me tourmentes-tu, ma fille? Voilà les » biens de ton père que je possède; prends-les et » fais-en ce que tu voudras. » Puis, entrant dans le réduit qui renfermait le trésor, elle ouvrit un coffre rempli de colliers et d'autres ornements précieux; et après en avoir pendant longtemps retiré, en présence de sa fille, divers objets qu'elle lui remettait : « Je suis fatiguée, lui dit-elle; enfonce >> toi-même la main dans le coffre, et tires-en ce » que tu voudras. » Pendant que, le bras enfoncé dans le coffre, celle-ci en tirait les objets, sa mère prit le couvercle et le lui rabattit sur la tête, puis pesa dessus avec tant de force que la planche inférieure lui pressa le cou au point que les yeux étaient près de lui sortir de la tête. Une des servantes qui étaient en dehors cria de toutes ses forces « Accourez, je vous prie, accourez! ma maî>> tresse est étranglée par sa mère. » Ceux qui attendaient devant la porte qu'elles sortissent se précipitent alors dans la chambre, délivrent Rigonthe d'une mort imminente et l'entraînent dehors. Dans la suite, il éclata entre ces deux femmes de violentes inimitiés qui eurent pour cause principale les adultères auxquels se livrait Rigonthe: c'étaient des disputes et des coups continuels. >> (Grégoire de Tours, Hist., IX, 31.)

Sur ce que valut le triomphe des conquérants germains et sur les éléments qu'il apporta pour sa part à la civilisation française, on peut en croire un savant qui avait fait de leurs institutions le sujet principal de ses études, et qui ne pronouçait jamais son jugement qu'avec une extrême circonspection: « C'est en vain, dit Benjamin Guérard (Polypt. d'Irminon, 1, 201), que la poésie et l'esprit de système ont pris à tàche d'exalter les Germains, de grandir et d'ennoblir leur caractère; de les peindre comme ayant, par leur mélange avec les Romains, retrempé l'état social. Lorsqu'on recherche avec soin ce que la civilisation leur doit, on est fort en peine de trouver quelque bien dont on puisse leur faire honneur. Un historien de nos jours (M. Guizot) nous a déjà déchargés de la plupart de nos prétendues obligations envers eux, et leur a retranché grand nombre de vertus qui ne leur appartenaient pas, mais dont on les avait ornés gratuitement. Toutefois, il me semble qu'il n'a pas encore assez dégradé ces Germains, si différents des habitants de l'Allemagne actuelle, car il reconnaît en eux «<l'esprit de liberté individuelle, le >> besoin, la passion de l'indépendance ». Serait-il vrai que ces peuples nous eussent fait un pareil présent? Non, l'amour de l'indépendance individuelle ne vivait pas dans le cœur des Germains, ou du moins ne faisait ni le fond, ni la marque de leur caractère national. L'esprit d'indépendance qui les animait n'était autre qu'un penchant irrésistible à se livrer, sans règle et sans frein, à leurs passions farouches et à leurs appétits brutaux. Avides de posséder quelque chose, ils s'efforçaient à tout prix d'acquérir davantage, et lorsqu'ils bravaient la mort, c'était moins par dédain pour la vie que par amour pour le butin. Mais que l'on considère le Barbare d'outre-Rhin. Paraît-il se complaire dans la liberté absolue de ses actions, avoir confiance en sa force individuelle? En aucune façon, et, tout au contraire, il s'empresse de mettre sa vie sous la protection d'un plus puissant, et sa liberté avec sa fierté au service d'un patron. Là, dans ses bois, le Germain se voue au Germain, et l'individu est dans la dépendance de l'individu; là est la terre des obligations et des services personnels; c'est là qu'est né le vasselage; c'est là qu'on reconnaît un seigneur, qu'on a recours à lui plutôt qu'à la loi, et qu'on promet fidélité à l'homme plutôt qu'au pays. Si l'on suit la marche de la civilisation dans notre Occident, on verra qu'après avoir succombé sous les coups des peuples du Nord, elle ne s'est relevée, peu à peu, qu'au fur et à mesure que nous nous sommes purgés de ce que nous avions de germanique, et s'il est rien que la Germanie puisse revendiquer dans notre état social, ce sera le duel, par exemple, dont nous cherchons encore à nous débarrasser. Ainsi, loin d'avoir contribué à restaurer la société, les Germains n'ont fait que la corrompre davantage et qu'en rendre la restauration plus difficile. »

Aujourd'hui, cette expulsion de tout ce qu'il

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