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Portrait supposé de Grégoire de Tours (manuscrit latin 5329, à la grande Bibliothèque de Paris). D'après une vignette du douzième siècle.

bon évêque n'avait sans doute pas entrevu la profondeur, cette dernière inspiration de la muse antique lui fit faire des grossiers envahisseurs du monde romain un portrait fidèle, c'est-à-dire une satire d'autant plus amère qu'elle s'ignorait elle

même. La plume indignée d'un Juvenal nous eût moins bien rendu la figure du héros des Franks, du grand Clovis, que le livre sans art dont voici quelques lignes :

« Childéric étant mort, son fils Chlo lovech (Clovis)

régna en sa place. La cinquième année de son règne (486), Clovis marcha, accompagné de son parent Ragnachaire, contre Syagrius, chef des milices romaines, qui faisait sa résidence à Soissons, et il vint lui demander de choisir lui-même un champ de bataille. Syagrius ne recula pas, et, sans crainte, accepta le défi; mais son armée s'étant rompue au milieu du combat, il s'enfuit précipitamment jusqu'à Toulouse, auprès du roi Alaric (Alaric II). Clovis envoya aussitôt vers Alaric pour qu'il le livrat, disant que s'il le gardait, il lui ferait la guerre à son tour. Alaric craignit de s'exposer pour Syagrius à la colère des Franks, car les Goths tremblent aisément, et le livra chargé de chaînes aux envoyés de Clovis. Celui-ci le fit mettre en prison, s'empara du pays où il commandait, et donna l'ordre de l'égorger en secret. Dans cette guerre, beaucoup d'églises furent pillées par l'armée de Clovis, car il était encore plongé alors dans les erreurs de l'idolatrie.

>> L'ennemi, continue Grégoire en parlant des Franks, avait enlevé d'une église un vase d'une grandeur et d'une beauté merveilleuses, avec tous les autres ornements du saint ministère. L'évèque de cette église (saint Remi, évêque de Reims) envoya des messagers au roi demander qu'on lui rendît au moins ce vase. Aux paroles du messager, le roi répondit : « Suis-nous jusqu'à Soissons, car » c'est là que sera partagé le butin, et quand ce » vase sera entré dans ma part, je ferai ce que le » père demande. » En arrivant à Soissons, il fit déposer toute la charge du butin au milieu des soldats, et dit : « Je vous prie, mes braves guer>> riers, de vouloir bien m'accorder, outre ma part, >> au moins le vase que voilà. » Les plus sensés répondirent: « Glorieux roi, tout ce que nous » voyons ici est à toi, et nous-mêmes sommes sou>> mis à ton pouvoir. Qu'il soit donc fait selon ce » qui te parait agréable, car personne ne peut ré» sister à ta puissance. » Mais un des soldats, homme léger, jaloux et emporté, se récria d'une voix forte, leva sa hache à deux tranchants, et frappa le vase en disant : « Tu n'auras rien de tout » cela que ce qui te sera vraiment donné par le » sort. » Le roi cacha l'outrage sous une patiente douceur, et le vase lui étant échu, il le rendit à l'envoyé de l'évêque, gardant la blessure cachée dans son cœur. Un an s'étant passé, Clovis fit assembler toutes ses bandes en appareil militaire à la revue du mois de mars, chacun devant y montrer ses armes tenues en bon état. Comme il s'apprêtait à faire le tour des rangs, il vint à celui qui avait frappé le vase, et lui dit : « Nul autre » n'a d'armes aussi mal tenues que les tiennes ; >> ta lance, ton épée, ta hache, rien de tout cela » n'est bien. » Et, saisissant la hache, il la jette à terre. Le soldat s'étant incliné pour la ramasser, le roi leva la sienne à deux mains, et la lui enfonça dans le crâne, en disant : « Voilà ce que tu >> as fait au vase de Soissons. » L'homme était mort. I ordonna aux autres de se retirer. Par cette

action, il sema une grande crainte autour de lui. >> Il y avait aussi Gondeuch, roi des Bourguignons, qui avait eu quatre fils: Gondebaud, Godégisèle, Chilpéric et Godomar. Gondebaud tua son frère Chilpéric par le glaive, fit jeter à l'eau, avec une pierre au cou, la femme de ce frère, et condamna à l'exil ses deux filles, dont l'aînée, qui prit l'habit religieux, s'appelait Chrona, la plus jeune Chrotechilde (Clotilde). Or Clovis ayant envoyé plusieurs ambassades en Bourgogne, ses députés se rencontrèrent avec la jeune Clotilde. L'ayant trouvée belle et sage, et ayant appris qu'elle était du sang royal, ils en informerent Clovis, qui envoya sans retard une ambassade à Gondebaud pour la demander en mariage. Celui-ci n'osa pas refuser. Clovis, quand il la vit, fut transporté de joie, et il en fit sa femme.

» Il eut d'elle un premier fils (en 494). Voulant que l'enfant fût chrétien et consacré par le baptème, la femme pressait instamment son mari, lui disant : « Les dieux que vous honorez ne sont rien, » car ils ne peuvent rien ni pour eux-mêmes, ni » pour les autres, puisqu'ils sont faits de pierre, » de bois ou de métal; les noms que vous leur >> avez donnés sont des noms d'hommes et point » de dieux; comme Saturne, qui, dit-on, s'échappa » et se mit à fuir pour n'être pas chassé du trône » par son fils; comme Jupiter, cet artisan de dé>> bauches, mari de sa propre sœur. Qu'est-ce qu'ont >> jamais fait Mars et Mercure? Ce sont plutôt les >> arts de la magie qu'ils possèdent que la puissance » de personnes divines. Celui qu'il faut honorer » davantage est celui qui a créé de rien le ciel, la » terre et la mer, et toutes les choses qui y sont >> contenues; dont la main a formé l'espèce hu>> maine, et dont la générosité a voulu que toute >> créature rendît à l'homme service et hommage. » Mais la reine avait beau dire tout cela, l'esprit du roi n'était pas amené à la foi, et il répondait : « C'est par la volonté de nos dieux que toutes >> choses sont créées et produites. Il est clair, au contraire, que votre dieu ne peut rien, et, de » plus, il est prouvé qu'il n'est pas même de la » race des dieux. » Cependant la reine fidèle présenta son fils au baptême; elle fit orner l'église de voiles et de tentures, pour attirer plus facilement à la foi, par cette pompe, celui que n'avaient pu toucher les exhortations. L'enfant fut baptisé, et ils lui donnèrent le nom d'Ingomer; mais il mourut dans la semaine de son baptême. Le roi, aigri par cette perte, ne fit pas attendre ses reproches, et il disait à la reine : « Si l'enfant eût été consacré au >> nom de mes dieux, certes il vivrait encore; mais » comme il a été baptisé au nom de votre dieu, >> il n'a pas pu vivre du tout. » Ils eurent un second fils, qui reçut au baptême le nom de Chlodomir. Cet enfant étant tombé malade, le roi disait : « Il ne peut arriver autrement à celui-ci qu'à » son frère; baptisé au nom de votre Christ, il doit » mourir bientôt. » Mais par les prières de la mère et la volonté du Seigneur, l'enfant guéril.

>> Cependant la reine ne cessait de prêcher auprès du roi la connaissance du vrai Dieu et l'abandon des idoles; mais rien ne pouvait le porter à cette croyance, lorsque enfin une guerre s'éleva contre les Allemans, dans laquelle il fut forcé par la nécessité de confesser ce qu'il avait obstinément nié jusque-là. Les deux armées, en étant venues aux mains, combattaient avec acharnement, et la sienne commençait à être taillée en pièces. A cette vue, il leva les yeux au ciel, et, fondant en larmes, il dit d'un cœur fervent : « Jésus-Christ, que » Clotilde dit être le fils du Dieu vivant, qui viens, dit-on, au secours de ceux qui sont en peine, si » tu m'accordes de vaincre ces ennemis, je croirai » en toi et serai baptisé en ton nom. J'ai invoqué » mes dieux, mais j'éprouve qu'ils ne sont pas près

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» de me secourir; aussi je crois qu'ils ne possèdent » aucun pouvoir, puisqu'ils ne secourent pas ceux >> qui les servent. C'est toi que j'invoque mainte>> nant; c'est en toi que je veux croire; que j'échappe seulement à mes ennemis ! » Comme il disait cela, les Allemans tournèrent le dos et prirent la fuite. Clovis leur accorda la paix, de l'avis de ses soldats, et, à son retour, il raconta à la reine comment, en invoquant le nom du Christ, il avait obtenu la victoire (496).

>> La reine fit alors appeler en cachette saint Remi, évêque de Reims, et le pria de faire pénétrer dans le cœur du roi la parole du salut. Le pontife fit venir Clovis auprès de lui, commença de l'engager secrètement à croire au vrai Dieu et à renoncer aux idoles, qui ne peuvent être d'aucun

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Fragment d'un manuscrit du septième siècle (manuscrit de l'abbaye de Corbie, à la grande Bibliothèque de Paris), copie de l'Histoire des Franks, par Grégoire de Tours.

secours, ni à elles-mêmes, ni aux autres. « Très» saint père, lui dit Clovis, je t'écouterai volontiers ; >> mais il reste une chose: c'est que le peuple qui » me suit ne souffre point qu'on abandonne ses » dieux; toutefois, je vais lui parler d'après tes pa» roles. » Il se rendit donc au milieu des siens; mais avant qu'il eût cessé de parler, tout le peuple, par Fintervention de la puissance divine, s'écria d'une seule voix : « Pieux roi, nous rejetons les dieux » mortels, et nous sommes prêts à servir le Dieu » dont Remi prèche l'immortalité. » On apporte cette nouvelle à l'évêque, qui, transporté de joie, fait préparer les fonts sacrés. Clovis étant entré

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pour recevoir le baptême, le saint de Dieu commença de sa bouche éloquente, en disant : « Flé>> chis le cou, mon doux Sicambre; adore ce que » tu brûlais, brûle ce que tu adorais. » Saint Remi était, en effet, un évèque d'une science remarquable, imbu principalement d'études de rhétorique et célèbre par sa sainteté. Plus de trois mille soldats franks furent baptisés avec Clovis,»

Grégoire de Tours raconte ensuite les victoires remportées par Clovis sur les Bourguignons, puis sur les Visigoths; sa nomination par l'empereur Anastase à la dignité de consul romain (508), et son établissement à Paris, où il fixe sa résidence. A Cologne était celle de Sigebert, roi des Franks Ripuaires, qui avait été blessé en combattant les Allemans avec Clovis. L'historien continue : « Étant à Paris, le roi Clovis envoya dire secrètement à Chlodéric, fils de Sigebert : « Voilà que ton père » est devenu vieux, et il boite de son pied blessé. » S'il mourait, son royaume te reviendrait de droit

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» avec notre amitié. » Celui-ci, séduit par le désir qu'il en fût ainsi, machine de tuer son père. Un jour, Sigebert, étant sorti de la ville de Cologne, traversa le Rhin pour se promener dans la forêt de Buchaw. Pendant qu'il dormait sous sa tante, vers midi, son fils envoya contre lui des assassins, et le fit tuer là, comme un homme sûr de s'emparer ensuite du pouvoir. Mais par la justice de Dieu, il tomba dans la fosse qu'il avait creusée pour son père. Il envoya des messagers au roi Clovis pour lui annoncer l'événement, et lui dire : » Mon père est mort, et j'ai en mon pouvoir son >> royaume et ses trésors; envoie-moi tes gens et >> je leur remettrai volontiers ce qui, dans ces tré»sors, pourra te convenir. » Clovis répondit : « Je » rends grâce à ta bonne volonté, et je te prie de >> montrer tes trésors à mes envoyés; tu en con» serveras ensuite l'entière possession. » Celui-ci montra donc aux envoyés les trésors de son père; et, comme ils examinaient différentes choses, il leur dit : « C'est dans ce petit coffre que mon père >> avait coutume d'entasser ses pièces d'or. » « Avance ta main jusqu'au fond, dirent-ils, pour » que rien ne t'échappe. » Celui-ci l'ayant fait, et s'étant beaucoup penché, un des envoyés leva le bras et lui plongea sa hache dans la cervelle. Ainsi cet indigne fils subit le même sort qu'il avait fait subir à son père. Clovis, apprenant la mort de Sigebert et de Chlodéric, se rend à Cologne, convoque le peuple de ce canton, et parle ainsi : « Apprenez ce qui est arrivé. Pendant que je na» viguais sur la rivière de l'Escaut, Chlodéric, fils » de mon parent, tourmentait son père, en lui di» sant que je voulais le tuer. Et comme Sigebert » fuyait à travers la forêt de Buchaw, son fils en» voya lui-même des brigands qui se sont jetés sur >> lui et l'ont fait mourir. Chlodéric, lui aussi, a été >> frappé de mort, je ne sais par qui, pendant qu'il >>> ouvrait les trésors de son père. Quant à moi, je >> suis entièrement étranger à tout cela je ne puis >> verser le sang de mes parents, car c'est un crime. >> Puisqu'il en est arrivé ainsi, je vous donne un >> conseil que vous suivrez, s'il vous convient >> Tournez-vous vers moi pour vivre sous ma pro»tection. » En entendant ces paroles, tous applaudissent, tant de leurs voix qu'en frappant sur leurs boucliers, et l'élèvent sur un pavois pour l'établir roi sur eux. Ayant donc reçu le royaume et les trésors de Sigebert, il soumit aussi ce peuple à sa domination. Chaque jour, Dieu faisait ainsi tomber les ennemis de Clovis sous sa main et augmentait son royaume, afin qu'il marchât avec un cœur droit devant le Seigneur, et fit ce qui était agréable à ses yeux.

>> Clovis se tourna ensuite contre le roi Chararic (de Tournai). Quand on combattait contre Syagrius, ce Chararic s'était tenu à l'écart sans aider aucun parti, mais attendant l'événement pour lier amitié avec celui qui aurait la victoire. Clovis marcha, plein de colère, contre lui, l'entoura de piéges, le fit prisonnier avec son fils; puis, les ayant chargés

de fers, il leur fit raser la tête, et commanda que Chararic fût ordonné prêtre et son fils diacre. Comme Chararic se plaignait de son humiliation et pleurait, on rapporte que son fils lui dit : « Ces >> branches ont été coupées sur un arbre vert et » ne sont pas entièrement desséchées; bientôt elles >> repousseront et grandiront de nouveau. Plût à » Dieu que pérît aussi vite celui qui a fait cela! » Cette parole sembla signifier aux oreilles de Clovis qu'ils le menaçaient de laisser repousser leur chevelure et de le tuer, et il leur fit trancher la tête à tous deux. Après leur mort, il acquit leur royaume, leurs trésors et leurs sujets.

>> Il y avait alors à Cambrai un roi nommé Ragnachaire (le même Ragnachaire qui avait aidé Clovis à vaincre Syagrius; voy. p. 422), si effréné en débauches qu'à peine épargnait-il même ses proches parentes. Il avait pour conseiller un certain Farron, qui se souillait dans la même fange. On raconte que lorsqu'on apportait au roi quelque mets ou quelque présent, ou quelque chose que ce fût, il avait coutume de dire que c'était pour lui et pour son Farron; ce qui remplissait les Franks d'indignation. Il arriva que Clovis avait reçu des bracelets et des baudriers d'or, c'est-à-dire de cuivre doré par artifice de manière à imiter parfaitement l'or; il les donna aux officiers de Ragnachaire pour s'insinuer à sa place. Il fit ensuite marcher son armée contre lui, et comme Ragnachaire envoyait souvent des éclaireurs à la découverte et demandait à leur retour quelle était la force de cette armée, ils répondirent : « C'est un >> renfort pour toi et ton Farron. >> Mais Clovis arrive et commence l'attaque. Ragnachaire, voyant ses troupes vaincues, se préparait à la fuite, lorsqu'il fut saisi par ses soldats, qui lui lièrent les mains derrière le dos et l'amenèrent en présence de Clovis, ainsi que son frère Riquier. Clovis lui dit : « Pour>>> quoi as-tu déshonoré notre race en te laissant >> enchaîner? Mieux eût voulu mourir. » Et, levant sa hache, il la lui rabattit sur la tête. Puis, se tournant vers Riquier: « Si tu avais secouru ton frère, » dit-il, il n'aurait certainement pas été enchaîné. » Et il le tua pareillement d'un coup de hache. Après qu'ils furent morts, ceux qui les avaient trahis reconnurent que l'or qu'ils avaient reçu de Clovis était faux. L'ayant dit au roi, on rapporte qu'il leur répondit : « Il est juste qu'il reçoive de l'or >> pareil, celui qui de sa propre volonté entraîne » son maître à la mort. » Ajoutant qu'ils devaient se contenter d'être en vie et prendre garde d'expier dans les tourments leur trahison envers leurs maîtres. En entendant ce langage, le désir leur venait d'obtenir ses bonnes gràces, et ils l'assurèrent qu'il leur suffisait qu'on les laissât vivre.

» Les deux rois dont on vient de parler étaient des proches de Clovis. Ils avaient un frère nommé Rignomer, dans la cité du Mans; il fut tué par son ordre. Tous étant morts, Clovis recueillit leur pouvoir en entier et leurs trésors. Il en avait fait périr bien d'autres, et même ses parents les plus

rapprochés, dans la crainte qu'ils ne lui enlevassent son royaume; il étendit ainsi sa puissance sur toutes les Gaules. Cependant, ayant un jour rassemblé ses fidèles, il parla ainsi, dit-on, au sujet des gens dont lui-même avait procuré la perte : « Malheur à moi qui suis resté comme un voya» geur parmi des étrangers, et qui n'ai plus de parents qui puissent me secourir en quelque » chose si l'adversité venait! » Ce n'était pas qu'il s'affligeât de leur mort, mais il parlait ainsi par ruse, pour découvrir s'il lui restait encore quelqu'un à tuer.» (Grégoire de Tours, Hist. eccl. des Franks, liv. 11.)

RÈGNE DE CLOVIS.

Grégoire de Tours nous fait connaître ainsi le caractère de Clovis; il nous reste à compléter le récit des événements de son règne.

A la mort de son père, en 484, Clovis avait à peine atteint sa quinzième année, âge de la majorité chez les Franks. Il s'était trouvé du même coup investi du commandement de la tribu salienne du Tournaisis et de la dignité de maître des milices impériales; et, pour son bonheur, il avait hérité aussi de l'amitié de Remi, qui, à la nouvelle de son avénement, se hâta de lui adresser une lettre d'encouragements et de conseils. Mais, jeune comme il était, Clovis ne tarda pas à se voir menacé par divers ennemis. Syagrius, fils d'Egidius, déjà maître de Soissons, prétendit rentrer à main armée en possession du titre de maître des milices, qu'il pouvait, lui aussi, regarder comme son patrimoine; en même temps, les Allemans reprirent leurs incursions contre l'une et l'autre Germanie. En présence de tant de dangers et de difficultés, Clovis eût infailliblement succombé; mais il trouva, lui barbare et encore païen, un appui inattendu dans

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Sculpture sur ivoire représentant un miracle de saint Remi, partie d'une œuvre du sixième ou du septième siècle attribuée à un moine de Reims.

l'Église catholique, qui le mit à même de les surmonter. Dans sa lettre, Remi l'avait invité surtout

à honorer les évêques et à recourir en tout temps à leurs avis », ajoutant que, « s'il savait être d'accord avec eux, tout irait bien dans sa province ». Le règne de Clovis est tout entier dans ce conseil ; néanmoins, et malgré la faveur déclarée des évêques, qui dès longtemps avaient jeté les yeux sur lui pour faire de son épée l'instrument de leurs projets, Clovis, jusqu'au jour mémorable de son baptême, eut à traverser douze années laborieuses.

Avant tout, il songea à se débarrasser de la compétition et du voisinage dangereux de Syagrius, comme on l'a vu plus haut (p. 422) dans le récit de Grégoire. Le général romain l'attendit sous les murs de Soissons, point d'appui peu sûr, puisque Principius, évêque de cette ville, était le propre frère de Remi. Le plus court pour se rendre de Tournai à Soissons était de traverser le territoire des Franks de Cambrai; mais comme Ragnachaire, chef de cette tribu et son unique allié, lui avait

promis d'opérer de ce côté, Clovis aima mieux, dans la crainte d'un soulèvement de la partie de la Belgique romaine contenue jusqu'alors par l'influence de l'évêque de Reims, se diriger sur cette dernière ville; et, après avoir traversé la forêt des Ardennes, il passa sous ses murs avec une petite armée de quatre à cinq mille combattants. Par respect pour le saint prélat, il avait recommandé à ses Franks la plus sévère discipline, et s'était interdit à lui-même de franchir les portes de la ville. Cependant quelques maraudeurs y pénétrèrent et dérobèrent dans l'église ce vase précieux, objet de l'anecdote si connue que nous avons rapportée, et qui montre par quel mélange de ruse et de vigueur un chef frank devait acheter le respect de ses compagnons d'armes.

Syagrius vaincu, Clovis eut à lutter contre les cités gallo-romaines de la Sénonaise et des Armoriques, qui, peu intimidées de la victoire de Soissons, paraissaient résolues à conquérir leur indépendance. Des hostilités cruelles, acharnées,

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