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collection en vente dans une boutique de Vienne, dut surtout cet honneur à un éloge ou Panégyrique célèbre qu'il composa en l'honneur de l'empereur Trajan. Il servit de modèle aux flatteurs éhontés qui vinrent plus tard. On possède en effet

Les rhéteurs, on le voit, occupaient alors une grande place. Ce mot, qui affecte chez nous un sens défavorable, était le titre des lettrés qui donnaient des leçons d'éloquence et devenaient, au besoin, des orateurs politiques. Les simples savants qui formaient la jeunesse aux éléments de la littérature et des sciences, ou qui écrivaient dans leur cabinet, étaient des grammairiens. L'une ou l'autre de ces dénominations s'appliquait à tout homme qui se livrait à l'étude, et c'était une notable portion du monde opulent dans la société gallo-romaine des quatrième et cinquième siècles.

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Chaise curule d'un magistrat gallo-romain. - Marbre du Musée d'Avignon.

une quinzaine de discours prononcés dans les fêtes publiques à Trèves, à Autun ou à Arles, par des rhéteurs gallo-romains, pendant l'intervalle des années 292 à 391, en présence des empereurs Maximien, Constance Chlore, Constantin, Gratien et Théodose. Il faut y joindre le Frank Mérobaude, qui composa en latin un panégyrique ampoulé d'Aétius. L'auteur le plus renommé de ces sortes d'ouvrages est le rhéteur Eumène, qui vivait sous Constance Chlore. Il était originaire d'Athènes, mais né à Autun, et chargé de la direction des écoles publiques de cette ville. Il s'est illustré en consacrant son traitement de directeur (environ 26 000 francs) à la restauration des bâtiments de ces écoles. Pacatus, panégyriste de Théodose, homme qui n'était pas dépourvu d'éloquence, rappelait à ses auditeurs qu'il était Gaulois de naissance, et que sa rudesse native (c'était une manière de badiner) devait lui concilier leur indulgence. Un autre rhéteur, nommé Titien, fut à la tête des écoles de Lyon et de Besançon. Il excellait à contrefaire les anciens auteurs, et avait composé un recueil imaginaire de lettres des femmes célèbres. On l'admirait beaucoup, et, croyant lui décerner un grand éloge, on l'avait nommé le singe de son temps.

Le rhéteur Eumène (').

Un des rhéteurs de ce temps, Ausone, professeur à Bordeaux, nous a laissé l'éloge de ses principaux collègues les rhéteurs et les grammairiens de cette ville. Ils étaient trente et un. Leurs fonctions (placées toutefois après celles des médecins) étaient fort honorées et leur donnaient droit, ainsi qu'à leurs fils, à divers exemptions et priviléges. Nous avons un rescrit impérial (du 23 mai 376) qui montre qu'il y avait des écoles publiques dans toutes les grandes villes de la Gaule. En voici la traduction :

« A Antoine, préfet du prétoire des Gaules.

>> Qu'au sein des cités les plus populeuses qui fleurissent et brillent dans l'étendue du diocèse commis à ta magnificence, les maîtres les meilleurs président à l'éducation de la jeunesse, nous voulons dire ceux qui sont rhéteurs et grammai

() Voy. Aldenbruch, Dissertation sur la religion des villes anciennes (Cologne, 1749); et Stephanus Phrygius, Hercule proditio.

riens dans les littératures grecque et romaine. Ceux d'entre eux qui sont orateurs seront gratifiés par le fisc de vingt-quatre annones d'émoluments. Les grammairiens latins ou grecs auront un peu moins; ils toucheront, suivant l'usage, dix-huit annones. Afin que toute cité qualifiée de métropole élise de fameux professeurs, et comme nous ne pensons pas que chaque ville puisse librement rémunérer à son gré ses maîtres et docteurs, nous avons jugé devoir traiter plus généreusement la très-illustre cité de Trèves en y faisant donner trente annones au rhéteur, vingt au grammairien latin et douze au grammairien grec, si l'on en peut trouver un capable.» (Code théod., XIII, 3.) L'annone était la somme annuelle qu'un soldat recevait pour sa paye et pour son entretien.

Les lettrés étaient donc fort nombreux. Ils formaient dans la société une aristocratie intellectuelle dont les membres, recrutés souvent dans les familles anciennes et illustres, s'entretenaient dans un perpétuel commerce d'épîtres, de vers, de compliments, de questions, sans se soucier des affaires publiques autrement que pour le gain que pouvaient en attendre ou leur fortune ou leur vanité. A eux se joignaient les opulents du monde, les grands seigneurs gaulois qui, après avoir rempli de hautes fonctions dans leurs provinces ou à la cour, comme Tonance Ferréol en Languedoc, Eutrope en Auvergne, tous deux anciens préfets des Gaules, employaient le temps à jouir, dans leurs magnifiques villas, d'une existence somptueuse, partagée entre les plaisirs des champs et les occupations littéraires; ils avaient une société élégante, un commerce de lettres étendu, de belles bibliothèques, souvent un théâtre où se jouaient les compositions dramatiques de quelque rhéteur leur ami ou leur client. C'est ainsi que furent joués à cette époque le Jeu des sept sages et le Grondeur (Querolus), drames dont on a conservé des fragments. Le rhéteur Paul faisait représenter chez Ausone sa comédie de l'Extravagant (Delirus), dont I avait en même temps composé la musique, que l'on jouait alors pendant les entr'actes.

Ausone (Decius Magnus Ausonius) brille comme l'écrivain le plus renommé du paganisme expirant. Il était né à Bordeaux vers l'an 340, et sa vie dura presque autant que le siècle (jusqu'en 394). Son père, Julius Ausonius, était médecin, et sa mère était la fille d'un noble Édue nommé Agricius. Celui-ci tira l'horoscope de son petit-fils, en secret, à cause des lois sévères portées alors contre les astrologues, et les prédictions heureuses qu'il crut lire à cette occasion dans les astres ne furent pas mensongères. Ausone, élevé à Toulouse, vint, après une éducation brillante, ouvrir une école de rhétorique à Bordeaux. Il fut trente ans professeur, et dut probablement à ses succès littéraires l'honneur d'être appelé à Trèves, par l'empereur Valentinien, pour diriger l'éducation de Gratien, son fils. C'était alors une haute fortune. Attaché à la cour, il fit à la suite des armées une campagne contre

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carrière des honneurs; il devint successivement questeur, gouverneur de l'Italie, de l'Afrique, des Gaules, enfin consul (en 379), puis proconsul d'Asie; mais jusqu'à ses derniers jours, qu'il passa dans sa maison de campagne, située près de la ville de Saintes, il demeura pédagogue et poëte. Sauf un discours à Gratien, on n'a conservé de lui que des vers; ce sont des vers faciles et bien tournés. Sa composition la plus importante est le poëme consacré à la description du beau fleuve qui bai

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gnait les murs de Trèves, la Moselle, poëme dont on loue la parfaite exactitude autant que l'élégance. Le reste de ses vers sont des pièces légères, des épigrammes, des énigmes, des impromptus sur les événements du jour, par exemple, sur un cerf tué de la main de l'empereur; des lettres pleines d'obscurité ou d'affèterie, des madrigaux d'une mignardise puérile. Un jour, il fait l'éloge de la pèche à la ligne; une autre fois, il peint la cruauté des heroines de la fable, qui, voulant punir l'Amour, dont elles ont été victimes, le condamnent au supplice de la croix, comme un malfaiteur; ailleurs, c'est Vénus fustigeant son fils avec un bouquet de roses. (Ampère, Litt. fr.)

Nous avons encore de jolis et même de beaux vers d'un autre poëte, qu'on appelle le dernier des païens, et qui furent composés en l'année 420. Ce poëte est Antilius Numatianus, né à Poitiers, qui exerça l'office de préfet de Rome, et qui décrivit avec un rare talent son admiration pour les splendeurs de la cité antique. Cette admiration retardataire ou les fadeurs d'Ausone pouvaient plaire à une époque épuisée; mais ce n'était plus là cette vraie poésie qui chante parce qu'une secrète inspiration fait déborder son àme. Disons mieux, elles ne plaisaient plus. La satiété, qui nous rend insipides les plus belles choses trop longtemps admirées, explique à moitié le mépris où tombèrent la fable et la poésie antiques à l'aurore de la littérature chrétienne; la morale et l'austérité que respirait cette dernière l'expliquent tout à fait. Les esprits, affadis, avaient besoin de sérieux et d'amer. Le christianisme, au moment où nous sommes parvenus, au cinquieme siècle, prenait possession de la littérature par deux extrémités opposées par les écrits sur le dogme religieux, et par les récits populaires, les légendes.

Ceux qui furent témoins de la victoire du christianisme crurent que ce triomphe des idées saintes et sublimes allait apporter sur la terre, sinon le bouheur matériel, au moins le repos de l'àme. Puisque Dieu lui-même était descendu des cieux pour enseigner les hommes, nul doute, nulle obscurité ne pouvaient plus tourmenter l'esprit humain. Comment le monde a-t-il été produit? Comment le fini est-il né de l'infini? Comment le mal a-t-il pu procéder de l'être souverainement puissant et bon? Comment le Fils, étant créé par le Père, se trouvet-il égal à lui? Ces terribles questions, qui agitaient les fidèles dès le second siecle, se donnèrent carrière alors; les interprétations individuelles, c'est-à-dire les hérésies, s'élevérent de tous côtés, et les gnostiques, les donatistes, les priscillianistes, les sabelliens, les ariens, les nestoriens, les pélagiens et les semi-pélagiens, cent autres écoles schismatiques, donnèrent lieu à autant d'écrits, dans les premiers temps de l'Église d'Occident, que les inspirations spontanées de la foi. Les premiers pères des Gaules furent saint Irénée, évêque de Lyon (de 177 à 206), auteur d'un Traité des hérésies dirigé contre les guostiques; Lactance (mort

vers 325), dont le principal ouvrage, De la mort des persécuteurs, est un discours de récriminations et de vengeance contre le paganisme; saint Hilaire évêque de Poitiers (mort en 368), le grand adversaire des ariens, contre lesquels il laissa divers écrits, notamment un Traité de la trinité, en douze livres; saint Paulin, de Bordeaux (353-431), élève d'Ausone et son ami, àme tendre, dont on a des vers pieux, des lettres et un discours sur la charité; Sulpice Sévère, historien, né aussi dans l'Aquitaine (vers 363, mort vers 420), auteur d'une Histoire universelle et d'une Vie de ce grand saint Martin qui fonda en 360, à Ligugé, près de Tours, le premier monastère qu'on ait vu dans les Gaules; Cassien (350-448), fondateur de l'abbaye de SaintVictor de Marseille, et législateur des moines; saint Eucher, évêque de Lyon (mort en 454), qu fit l'Eloge du désert et un traité du Mépris du monde; Vigilance, né à Cazères (Haute-Garonne) vers 360, réformateur anticipé qui attaqua les reliques, les pèlerinages et le célibat des prètres; enfin, saint Prosper, d'Aquitaine; saint Vincent, de Lerins; Faustus, évêque de Riez; Mamers Claudien, prêtre de Vienne; saint Césaire, évêque d'Arles, qui remplirent le cinquième siècle et le commencement du sixième du bruit de la querelle élevée entre Pélage et saint Augustin, entre la doctrine du libre arbitre de l'homme et celle de la prédestination fatale.

Nommons encore Paulin, petit-fils d'Ausone, dont on a conservé deux poëmes intitulés la Confession et l'Action de grâces, tous deux d'un style assez inculte, mais curieux par les détails qu'ils donnent sur la vie privée de l'auteur. Paulin était né en Grèce et fut ramené, dès l'age de trois ans, dans le pays de sa famille, à Bordeaux. Ausone, son grand-père, vivait encore. A cinq ans, il étudiait Homère et Platon (le grec était encore parlé dans tout le Midi); mais son enfance et sa jeunesse furent entourées de tout le luxe qu'on trouvait dans les maisons patriciennes de la Gaule. « Mon plaisir, dit-il, était d'avoir un beau cheval couvert d'un harnais brillant, un écuyer de grande taille, un chien rapide, un bel épervier; il fallait qu'on me fit venir de Rome le ballon doré qui volait dans mes jeux; que mes habits fussent élégants, parfumés et souvent neufs.» Paulin se marie à vingt ans, et, devenu chef de famille, il se livre à la culture de ses domaines; il fait travailler ses esclaves et se met en mesure de satisfaire aisément . aux exigences du fisc. Posséder une habitation vaste et somptueuse, disposer d'esclaves nombreux et jeunes, d'artistes et d'ouvriers habiles; jouir d'une table bien garnie, d'un riche mobilier, d'une argenterie où la valeur du travail l'emportât sur le poids; de beaux chevaux et de bons équipages c'était, dit-il, toute son ambition, et il avait tout cela. Il savoura jusqu'à trente ans cette vie de mollesse et d'incurie. Mais vinrent les Visigoths, qui prirent pour eux la moitié des terres du pays. Seul dans la contrée, il n'eut point de Goths à

loger comme hôtes, c'est-à-dire comme copartageants de ses domaines; il fut même, à cette époque, élevé à la dignité de comte des largesses impériales par Attale, empereur éphémère (409447) que le roi des Visigoths avait placé sur le tròne; mais Attale étant tombé, Paulin subit la réaction, perdit tout ce qu'il avait, et fut chassé de Bordeaux. Il se retira à Bazas; mais cette ville ne tarda pas à être assiégée par une armée de Goths et d'Alains, tandis qu'au dedans les esclaves révoltés voulaient massacrer la noblesse. On devine ici que pour les gens engagés dans les liens de la servitude, les Romains étaient des ennemis et les Barbares des sauveurs. Paulin n'échappa que par miracle au glaive des révoltés, et se réfugia auprès du roi des Alains, qu'il connaissait. Là, il ourdit avec ce chef une intrigue par suite de laquelle il livra la place aux Alains seuls, à condition que ceux-ci la défendraient contre les Goths. Le roi donna en ôtage, pour garantie de ses promesses, sa femme et son fils; Paulin se livra lui-même, et les Alains, s'avançant en amis, n'entrèrent cependant pas dans Bazas, mais s'établirent autour en se faisant un rempart de leurs chars et de leurs bagages. Les Goths, découragés, s'éloignèrent. C'est ainsi que les villes de l'empire pourvoyaient d'ellesmèmes, comme elles pouvaient, à leur sûreté. Après avoir perdu ses biens, Paulin avait aussi perdu sa femme et presque tous ses parents; il avait deux fils: l'un était allé à Bordeaux, espérant y vivre plus libre qu'au milieu des Visigoths; l'autre, au contraire, était entré au service du roi de cette nation. On voit alors le petit-fils d'Ausone se rapprocher de l'Église chrétienne et vivre, retiré à Marseille, dans la société de quelques personnages éminents par la piété. Il ne possède plus qu'une petite maison dans la ville, avec un champ de quatre arpents qu'il cultive lui-même, et c'est dans cette seconde partie d'une carrière qui se prolonge jusqu'à une vieillesse avancée, en s'attristant toujours davantage, qu'il retrace, en vers d'une extrême mélancolie, le souvenir de ses beaux jours.

Tous ces noms gaulois sont de la Gaule méridionale. Par delà la Loire et la Seine, l'esprit ne semble pas encore assez aiguisé pour produire des poëtes frivoles; sa nourriture est toute chrétienne, toute sérieuse, c'est pour les hommes du Nord surtout, pour les gens simples et par eux que se répand ce genre de littérature qui devait rapidement devenir si fécond, le récit de la Vie des saints. Il faut y ajouter les Actes des passions, c'est-à-dire les procès-verbaux des débats judiciaires, qui se terminaient ordinairement par le supplice du chrétien. Ces récits, ces légendes, qu'on se transmettait de main en main dès les premières persécutions (legenda, chose à lire), afin de s'édifier et de s'affermir, ont fait les délices de nos pères pendant tout le moyen âge, à ce point que, sans cesse rajeunies, il est difficile de distinguer celles qui peuvent être réellement anciennes. Nous en citerons

une, cependant, non qu'elle brille par son authenticité, mais parce qu'elle offre un exemple trèscomplet des deux genres de composition dont nous parlons, et parce qu'elle contient, bien qu'on l'accuse d'avoir été fabriquée au neuvième ou au dixième siècle, des vestiges d'antiquité qu'on ne saurait méconnaître. C'est la légende de saint Taurin, apôtre d'Évreux au temps de l'une des premières persécutions de l'Église des Gaules.

LA LÉGENDE DE SAINT TAURIN.

« En ces jours-là vivait à Rome Tarquinius, un cruel persécuteur, et sa femme Euticia, jeune et douce Athénienne qui, bien souvent, dans le secret des retraites souterraines où les chrétiens se réunissaient pour prier, gémissait et pleurait sur ceux que son époux envoyait à la mort. Une nuit, elle révait elle vit un ange d'une éblouissante beauté s'approcher de son lit; et l'ange lui toucha le sein d'une baguette qu'il tenait à la main, et la baguette se couvrit de blanches fleurs de lis, et ces fleurs répandaient un suave parfum. Or ce lis était Taurinus, fils de Tarquinius et d'Euticia, qui naquit peu de jours après, et que Dieu s'était consacré dès le ventre de sa mère, comme autrefois Samuel. Taurin grandit en force et en gràce devant le Très-Haut. La persécution s'était rallumée. A cette rude école, et dans le silence des catacombes, il apprit de ceux qui avaient confessé le Christ et souffert à souffrir aussi comme chrétien. A peine âgé de vingt ans, il suivit au delà des Alpes les martyrs qui couraient verser leur sang pour la foi, et s'arrêta aux portes d'Évreux (Mediolanum Eburovicorum).

>> C'était une belle et riche cité, dont l'amphithéatre et les temples étaient encore dans leur splendeur. L'antique ennemi des hommes, le diable, sentit à son approche sa puissance s'ébranler; il essaya de défendre à l'apôtre l'entrée de la ville. D'abord ce fut un ours qui lutta corps à corps avec le saint, puis un lion rugissant, puis un bubale à la corne énorme : Taurin terrassa l'ours et le lion, arracha sa corne au bubale, et entra triomphant dans Évreux. Il y trouva l'hospitalité chez le riche Lucius, dont la maison devint la première église de la province. Comme il y préchait, et que plusieurs croyaient à sa parole, voilà que tout à coup la fille de son hôte, la jeune Euphrasia, saisie du mauvais esprit, s'élance dans le feu et expire subitement. Lucius est dans le désespoir, le peuple dans la consternation. Mais le saint prie l'Éternel, la face contre terre, les joues baignées de larmes; bientôt, se relevant, il dit au peuple : « Soyez sans crainte, croyez à mon seigneur >> Jésus-Christ, dont je suis le serviteur, et vous » verrez cette jeune fille revenir à la vie. Nous >>> croirons tous ! » répond la foule d'une voix unanime. Taurin prend alors la main d'Euphrasia et lui commande, au nom du seigneur Jésus, de marcher. O miracle! la vierge s'éveille comme

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d'un rève pénible; elle se lève, elle marche, elle est sauvée, et le feu n'a pas même laissé trace sur son corps.

» Les assistants se jetèrent aux pieds de l'homme de Dieu, et, ce jour-là, cent vingt hommes furent baptisés. De jour en jour l'enthousiasme croissait pour ce culte dont le ministre rendait la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la vie aux morts. Taurin rassembla donc le peuple et lui demanda quel Dieu il voulait servir. «S'il en est, répon» dirent tous, d'une seule voix, qui veuillent en » adorer un autre que celui que tu pries, et au » nom duquel tu as ressuscité Euphrasia, s'il en » est, qu'ils soient brûlés vifs! Graces à Dieu » soient rendues! » s'écria le saint; et se tournant vers la foule: «Frères, au temple de Diane, suivez» moi. » Le peuple le suivit; et, une fois dans le temple: «Voilà votre déesse, dit-il; priez-la donc » de vous être en aide. » Les prètres de l'idole, d'un autre côté, criaient, prosternés en terre: Diane, Diane invincible, déesse sainte, reine du » ciel, aide-nous et venge-toi de cet impie. » Mais le pouvoir du démon était sé. Du fond de l'idole, où il était caché, sa voix se fit entendre : « Cessez, » malheureux, cessez de m'invoquer; du jour où > cet homme de Dieu est entré dans cette ville, je » gémis, chargé de chaînes de feu. - Eh bien, dit » Taurin, voilà votre déesse; et maintenant, qui » voulez-vous servir : cette Diane incestueuse, dont » l'union sacrilége avec son frère Jupiter est pro> scrite par toutes les lois, ou le Dieu qui a fait le » ciel et la terre, et tout ce qui est en eux? >> Tous répondirent : « Il n'y a qu'un seul Dieu vivant qui a » fait le ciel et la terre; c'est celui au nom duquel >> tu as ressuscité Euphrasia, c'est celui que nous » adorerons désormais. »>

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>> Alors le bienheureux Taurin dit : « Au nom du seigneur Jésus-Christ, sors de ce simulacre, im» pur démon, afin que tous te voient tel que tu »es. » Il avait à peine parlé, que de l'idole sortit un sale nègre, noir comme la fumée, la barbe en désordre, lançant par les yeux des étincelles, et vomissant le feu par la bouche. « Tu m'as vaincu, » dit-il à l'évêque, parce que le Seigneur est avec toi; mais, je t'en prie, ne me replonge pas dans » l'abîme avant le temps. » Tout le peuple, terrifié, gémissait à genoux, en murmurant : « Homme saint, » délivre-nous de lui!» lorsque du ciel descendit un ange, brillant comme le soleil, qui prit le négre, lui lia les mains derrière le dos, et le chassa hors du temple.

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ment immobiles, jusqu'à ce qu'un nouveau signe de croix leur en eût rendu l'usage. Ils tombèrent à genoux, et les mages, désespérés, se frappèrent eux-mêmes avec leurs couteaux de sacrificateurs. Ce fut ensuite le proconsul Licinius qui fit traîner à son tribunal, dans sa villa de Gisai, l'ennemi des dieux de Rome.

>> Taurin fut amené entre les haches des licteurs et les images de Jupiter. Licinius parla le premier Quel est ton pays, maudite tète blanche? — Mon père est Romain, ma mère est de la Grèce. - Leurs noms? Mon père s'appelle Tarquinius, ma mère Euticia. Tarquinius, ton père! mais c'est mon aïeul, à moi. Et depuis quand t'es-tu enfui de la maison?- Je ne me suis pas enfui; mon père, le Christ, m'appelait dans les Gaules, je suis venu. - Comment te nomme-t-on? On m'appela Taurinus à ma naissance; mais mon véritable nom est celui de chrétien. Pour la même folie, voilà six ans que j'ai fait tomber la tête de ta mère.O mon Dieu, il t'a plu d'appeler ma mère avant moi, gràces te soient rendues! Quel est le Dicu que tu adores? Eh! ne te l'ai-je pas dit, ignorant? le créateur du ciel et de la terre.

>> Le proconsul hâta les apprêts du supplice.Vieillard, vieillard, reprit-il, il en est temps, prends pitié de tes cheveux blancs; adore les dieux invincibles; plus de vaines paroles, adore les dieux. - Et où sont-ils, tes dieux, Licinius? - Devant toi le dieu d'or, Jupiter; le dieu d'argent, MerEt qui a fait ces simulacres? - C'est moi qui les ai fait faire. - Ah! Et qui t'a donc fait toimème? C'est Jupiter, mon dieu. Mais tu disais tout à l'heure que c'était toi qui l'avais fait fondre.

cure.

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>> Le juge prononça la sentence de mort, et ordonna premiérement que le saint fùt cruellement battu de verges; mais en se levant sur lui, les bras des bourreaux se desséchèrent. La rage du préfet redoubla devant ce prodige. Vainement Léonilla, sa femme, implora sa clémence pour son cousin, pour le fils de son grand-père : « Es-tu donc » aussi devenue mage comme cux? s'écria-t-il; ch >> bien, par le salut des dieux, tu subiras le mème » supplice. » Et la pauvre femme, sur un signe qu'il fit aux bourreaux, fut entraînée avec le saint. « Homme de Dieu, disait-elle en pleurant, sauve» moi, si tu le peux, et je croirai en ton Dieu. » Ne crains rien, répondit Taurin, tu ne souffriras >> aucun mal. »

>> Cependant ils atteignaient le lieu du supplice. Tout à coup accourt un messager éperdu; il apporte à Licinius de tristes nouvelles son fils et un serviteur qui chassait avec lui ont été emportés par leurs chevaux et mis en pièces. « Licinius, ton >> fils Marinus est mort. » Licinius pleura; à l'instant même il rendit la liberté à la mère du jeune homme, et elle, fondant en larmes, embrassant ses genoux, lui dit : « Licinius, mon seigneur, >> croyons au Dieu de Taurin, et notre fils revivra. » Licinius se tourna vers le martyr : « Est-il vrai,

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