Page images
PDF
EPUB

HISTOIRE DE FRANCE

DEPUIS LES TEMPS LES PLUS ANCIENS JUSQU'A NOS JOURS

[merged small][graphic]

ORIGINES.

Gaulois défendant sa maison. -Bas-relief grec ou romain encastré dans le piédestal de la Melpomene,
au Musée du Louvre.

LES

PREMIERS SOUVENIRS HISTORIQUES.
LES IBÈRES. LES LIGURES. LES PHÉNI-
CELTES.
CIENS. LES KIMRIS.

Les Gaulois sont nos ancêtres. Leurs tombeaux sont les plus anciens que l'on découvre en creu

sant notre sol. Les invasions romaines et franques ont modifié notre antique nationalité, mais seulement à la surface: le fond de la population attachée aux travaux de la terre est toujours resté le mème. Les siècles, les guerres, les révolutions, n'ont pas sensiblement altéré les traits dominants

1

[blocks in formation]

de notre caractère primitif, et c'est encore le sang gaulois qui coule aujourd'hui dans nos veines.

Si, jusqu'à ces derniers temps, l'usage a été de ne commencer l'histoire de la France que vers le cinquième siècle de l'ère chrétienne, la raison en est simplement que les Gaulois n'ayant point laissé d'annales, et nos premiers documents historiques étant écrits par quelques stériles chroniqueurs, il a fallu de longues et persévérantes études pour parvenir à dissiper peu à peu l'obscurité de nos origines mais le jour est enfin venu où, grâce à l'activité intelligente des historiens de ce siècle, nos sympathies peuvent remonter avec la lumière vers ces anciennes générations de la Gaule qui, égales par l'énergie morale et le courage physique aux premières nations de la terre, rendirent si longtemps leurs armes redoutables aux plus illustres de toutes, à la Grèce et à Rome.

Nos ancêtres, dans leur langage, se nommaient Gaëls. Les Grecs les appelaient Galates ou Keltes; les Romains, Galli; c'est de ce dernier nom que l'on a fait au moyen âge le mot Gaulois.

Comment cette terre privilégiée où nous vivons devint-elle la patrie de nos pères? Si les Celtes sont descendus originairement des plateaux asiatiques du Caucase, où la science croit voir le berceau du genre humain, combien de milliers d'années durèrent leur émigration et leurs luttes avec la nature et les hommes avant leur établissement définitif dans la Gaule? Ces questions sont de celles que l'érudition moderne est obligée de laisser sans réponse, et qui peut-être ne seront jamais résolues.

Le plus lointain souvenir de notre histoire remonte à 3400 ans en arrière de nous. On sait, en effet, d'après les bases de calcul fournies par Diodore de Sicile, Hérodote et d'autres historiens de l'antiquité, que, vers l'année 4500 avant J.-C., les Celtes forcèrent par hordes immenses les gorges des Pyrénées, détruisirent ou refoulèrent dans la péninsule les populations ibériennes, et fonderent au milieu d'elles des colonies assez puissantes et assez durables pour qu'une partie de l'Espagne ait gardé d'eux le nom de Galice et une autre celui de Celte-Ibérie.

A côté des Ibères s'étendaient les Ligures, qui étaient leurs frères, et qui, venus du sud-est derrière eux, occupaient le rivage de la Méditerranée et le nord de l'Italie jusqu'aux Apennins. C'était aussi une vaillante race; mais elle eut, deux siècles après (vers l'année 4300 av. J.-C.), un sort pareil. Une nouvelle confédération de bandes gauloises, se donnant à elles-mèmes le nom d'Ombres ou Ambrons (c'est-à-dire les Courageux), s'abattit sur le midi, envahit la péninsule Italique, et, après des luttes et des alternatives diverses qui durèrent plusieurs siecles, demeura maîtresse de presque tout le pays qui s'étend depuis les Alpes jusqu'au Tibre; la pointe montagneuse qui forme la portion de ce territoire la plus avancée au midi a gardé le nom d'Ombrie. D'autre part, les Pheniciens, ces hardis naviga

L'an 1500 avant Jesus-Christ.

teurs de Tyr et de Sidon, célébrés dans les livres des Hébreux pour leurs richesses, commencèrent, vers le treizième siècle av. J.-C., à explorer les côtes méridionales de la Gaule et à y fonder des établissements.

Longtemps après, dans l'intervalle des années 631 à 587 av. J.-C., le nord de la Gaule fut envahi et bouleversé par un peuple qui, dans la marche graduelle des races antiques, suivait les Gaëls primitifs. C'étaient les Kimris. Ils se répandirent dans les îles Britanniques, dans la Gaule entière jusqu'à la Garonne, et se maintinrent en masses compactes entre le Rhin, par lequel ils avaient débouché, l'Océan et la Seine. Peu différents de la race gaëlique, ils se fondirent avec elle autant qu'ils la refoulèrent, et devinrent les Gaulois du Nord, qu'on appela aussi les Belges.

Mais, trop à l'étroit dès lors, les Gaëls du centre organisèrent, en l'an 587 av. J.-C., sous l'influence d'Ambigat, roi des Bituriges (Bourges), et de ses neveux Sigovèse et Bellovėse, une immense émigration de trois cent mille guerriers qui partirent, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, dans la direction indiquée par les prètres à la suite de cérémonies religieuses.

[blocks in formation]

Sigovèse se dirigea vers le Rhin, entra dans la foret Noire ou Hercynie, gagna la rive droite du Danube, et s'arrêta dans les plaines qui s'étendent au midi de ce fleuve jusqu'aux Alpes Illyriennes, au nord de la Grèce.

Bellovèse fit une marche plus brillante. Ses hordes, composées surtout de Bituriges, d'Arvernes (Auvergne), d'Edues (Autun, Chalon) et d'Ambarres (Lyonnais), franchirent les barrières de l'Italie, où dominaient alors les Étrusques, population d'origine grecque, sous l'ascendant de laquelle avaient plié les Ombriens de la précédente invasion gauloise. A l'arrivée de Bellovėse, suivi bientôt de nouvelles bandes gaéliques et même kimriques, les Etrusques furent refoulés, les villes de pierre qu'ils bâtissaient réduites en cendres, et, à l'exception du petit pays de l'Étrurie propre ou Toscane, les Gaulois occupèrent de nouveau toute l'Italie jusqu'au Tibre. A l'extrémité de ce territoire, qui, du haut des Apennins, regardait vers la campagne de Rome, se pressaient, à côté des anciens Ambrons ou Ombriens et le long de l'Adriatique, la tribu des Sénons (pays de Sens), puis celle des Lingons (Langres), et celle des Cénomans (les Manceaux) sur la rive du Pô. C'étaient les peuplades devenues l'avant-garde de l'émigration gauloise en Italie.

Rome n'était encore qu'une bourgade en apparence inoffensive. Ce fut seulement au bout de deux siècles que Gaulois et Romains se rencontrèrent pour la première fois. Toujours trop à l'étroit chez eux, les Gaulois débordèrent des

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

prise, et les assiégeants étaient décimés par la famine et les maladies. On convint donc d'une capitulation, moyennant laquelle les Sénons et ceux de leurs compatriotes qui les avaient rejoints en grand nombre pendant la campagne consentirent à se retirer. Toutefois, ce fut une paix chèrement payée. Les Romains durent s'obliger à donner mille livres pesant d'or, à faire abandon d'une partie de leur territoire, et à laisser dans leurs remparts, lorsqu'ils rebàtiraient la ville, une porte qui restât perpétuellement ouverte, en mémoire de l'entrée des Gaulois. Ce pacte fameux fut juré le 43 février de l'an 390 av. J.-C. Comme on pesait l'or de la rançon, les Romains se plaignirent, disant qu'on se servait de faux poids; alors le chef ou brenn des Gaulois, appelé Brennus par les Romains, se mit à rire et jeta son épée dans la balance en s'écriant : « Malheur aux vaincus! >> L'armée gauloise se retira, harcelée dans sa retraite, mais emportant les dépouilles de Rome, qui, pour observer scrupuleusement une des clauses du traité, laissa dans ses remparts une porte ouverte dans un endroit inaccessible.

Cet événement, qui frappa la fameuse république, non pas lorsqu'elle était encore à son début et sans

force, mais quand elle comptait déjà trois ou quatre siècles d'existence, laissa dans l'esprit des Romains une impression profonde, et le nom de Gaulois resta toujours pour eux synonyme de terrible. La guerre ne pouvait s'arrêter là. En ces temps impitoyables, la guerre était l'extermination, et les Romains, qui n'avaient pas encore vu ce mépris de la mort et cet aveugle courage qui caractérisaient les Gaulois, sentaient qu'il fallait ou les anéantir ou périr eux-mêmes. C'était un ennemi, dit un de leurs historiens, avec lequel on ne combattait pas pour la gloire, mais pour sauver sa vie. Ils créèrent un trésor public uniquement affecté aux guerres gauloises: chaque fois qu'une telle guerre éclatait, ils déclaraient, par une formule solennelle, la patrie en danger; ils appelaient aux armes la population entière; ils appelaient aussi les dieux à leur aide; et une certaine prophétie religieuse ayant cours chez eux, qui prédisait une seconde prise de Rome par le même peuple, ils accomplirent plusieurs fois un horrible sacrifice: ils enterraient vivants dans le Forum, leur place publique, deux Gaulois, un homme et une femme, pour leur faire prendre possession, disaient-ils, du sol romain, et éluder ainsi les effets de l'oracle.

Il s'agissait donc de savoir à qui resterait l'Italie. Après deux cents ans de lutte, le génie militaire et la ténacité romaine triomphèrent. Tout le territoire, depuis le Tibre jusqu'aux Alpes, lequel portait le nom de Gaule d'en deçà des Alpes (Gaule Cisalpine), fut réduit solennellement en province romaine (194 av. J.-C.). Les Sénons avaient été, par vengeance, massacrés jusqu'au dernier homme; les Ombriens n'existaient plus; les Cénomans et d'autres s'étaient volontairement soumis; les Boïes, devenus alors la plus vaillante des nations galloitaliques, n'ayant plus que des vieillards, des enfants ou des femmes (tous leurs hommes avaient été tués), et ne pouvant se résoudre pourtant à vivre subjugués sur une terre qu'ils avaient reçue en libre héritage de leurs ancêtres, rassemblèrent les restes de leurs cent douze tribus et se retirerent de l'autre côté des Alpes Tyroliennes. Quelques années après (187 av. J.-C.), une bande nouvelle de Gaulois étant descendue des Alpes pour s'établir dans un canton inhabité de la Vénétie, les Romains l'expulsèrent, et envoyèrent signifier par ambassadeurs aux sénats gaulois qu'on punirait, à l'avenir, quiconque oserait franchir les montagnes que la nature avait imposées comme une barrière entre la Gaule et l'Italie.

La prise de Rome par les Sénons marque le moment du plus haut degré de puissance que la race gauloise ait atteint dans l'antiquité. Elle remplissait alors l'Occident depuis le nord des îles Britanniques jusqu'au centre de l'Espagne, et de là elle prolongeait ses rameaux au midi jusqu'aux peuples latins; à l'Orient, elle s'étendait du Rhin au Danube, puis jusqu'à la Grèce, l'Asie Mineure et la Syrie, où les descendants de Sigovèse, toujours rudes et sauvages malgré la splendeur énervante du ciel oriental et le voisinage de la civilisation grecque, étaient devenus la terreur des populations asiatiques. Le génie latin arrêta ce formidable développement. Peu à peu les légions romaines, qui avaient soumis la Cisalpine, réduisirent l'Espagne, détruisirent les tribus gallo-grecques de la Thrace et de la Macédoine; et, après avoir égorgé les Gaulois par centaines de mille aux extrémités de leurs possessions, Rome allait franchir les Alpes à son tour et porter le fer au cœur même de la race gaélique.

[blocks in formation]

dégénérant en éloquence surabondante et déclamatoire ou subtile, un goût très-vif du brillant et de la parure, enfin une vaillance loyale et fière facile à s'emporter jusqu'à la plus extrême présomption, tels sont les traits saillants du caractère gaulois signalés d'un commun accord par tous les écrivains de l'antiquité. La vie respire encore aujourd'hui dans plus d'un contour de ce portrait tracé depuis deux mille ans.

De ces divers linéaments, le plus fortement accentué est celui de la valeur guerrière ou du mépris de la mort. Le courage était poussé à ce point, daus la Gaule, que les anciens s'en étonnaient et ne le comprenaient pas; pour nous, ce trait de caractère est d'un prix inestimable, car loin de constituer seulement un degré plus qu'ordinaire de brutalité barbare, le dédain superbe des Gaulois pour la vie procédait d'un dévouement sincère et complet à une grande idée, celle de l'immortalité de l'àme. Cet article de leur foi religieuse était leur cachet distinctif dans l'ordre moral, comme son corrélatif, le courage, l'était dans l'ordre des choses terrestres. Le mal de la mort, la peur de cet abîme inconnu, a toujours glacé même les âmes énergiquement trempées; mais dans la vie gauloise on vivait libre de cette crainte comme un immortel. L'àme pouvait se détacher de ses organes, chacun ne voyait là qu'un changement de parure, une continuation immédiate de la même activité, des mêmes sensations, des mêmes attachements. Mourir n'était pas une affaire, c'était un voyage; et le Gaulois, ignorant les tristesses de l'enfer chrétien, partait en souriant d'avance aux amis qu'il allait rejoindre.

Ce dogme enfanta une race de téméraires, mais aussi de héros. « C'étaient, dit l'habile soldat qui les vainquit, Jules César, des hommes francs, peu portés à dresser des embuscades, et habitués à combattre avec le courage, non avec la ruse. » La guerre savante, comme la faisaient les Romains, leur semblait porter une légère empreinte de lâcheté. Pour eux, ils apportaient au combat la vigueur de leur bras et dédaignaient toute disposition plus habile, aussi bien que leurs généraux dédaignaient toute combinaison stratégique. Leur orgueil, dans le danger, alfait jusqu'à refuser de s'enfuir d'une maison prête à s'écrouler. Si les historiens latins et grecs les plus sérieux ne nous en avaient conservé le témoignage, on ne saurait croire jusqu'où allait leur foi aveugle en eux-mêmes. Ils se présentaient au combat tout nus contre les Romains couverts d'armures de fer. Peu de temps encore avant César, dans toutes les batailles, on voyait sur les lignes gauloises un premier rang composé d'hommes complétement dépouillés de leurs vêtements, et n'ayant en mains que leurs armes pour combattre. C'était le privilége que réclamaient les plus beaux et les plus braves. L'ennemi lui-même, de l'aveu des anciens, éprouvait une sorte de crainte superstitieuse au spectacle de cette folie surhumaine. « Nus et distingués entre tous par la jeunesse et la beauté,

[merged small][merged small][graphic][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][merged small][merged small]

plaçaient même volontairement sur le bûcher de leurs amis, afin de continuer la vie avec eux. Ces liens de solidarité excessifs existaient même encore au temps de César entre guerriers. « Il y a de telles alliances, dit-il, que ceux qui en font partie jouissent ensemble, pendant la vie, de tous les avantages des chefs à l'amitié desquels ils sont dévoués; mais s'il arrive malheur à ces derniers, ou ils partagent le même sort, ou ils se donnent la mort. Et il n'y a pas d'exemple, ajoute-t-il, qu'il s'en soit jamais trouvé un seul qui, son ami étant tué, ait refusé de mourir aussi. » On s'expatriait ainsi du monde même pour des inconnus. La mort n'étant plus qu'un mouvement général de circulation d'une planète à une autre, il était naturel de solliciter de Dieu, dans certains cas, un délai, ou même un remplaçant. Si un homme, se sentant gravement menacé, était cependant enchaîné à la terre par des affaires trop importantes, il cherchait quelqu'un qui voulût bien s'offrir à sa place pour satisfaire aux nécessités du destin. S'il manquait de clients ou de proches pour cet office, il cherchait

hors de son clan, et il paraît que le remplaçant ne tardait pas à se présenter. Il arrivait avec ses amis, et, stipulant une somme d'or ou d'argent pour prix de sa peine, il la distribuait à ses.compagnons en cadeaux de départ. Quelquefois le prix de sa vie était une pièce de vin; on improvisait un festin, à l'issue duquel le héros de la fète montait sur une estrade, s'étendait sur le dos dans son bouclier, et tendait la gorge au coup d'épée. (Possidonius; J. César.)

Lorsque les tribus gaëliques établies au nord de la Macédoine, après avoir appelé à elles les plus aventureux guerriers de toute la race, fondirent sur la Grèce et pillèrent, en l'an 279 avant J.-C., le temple de Delphes, leur chef, vaincu à la fin par la tactique et l'indignation des Grecs, obligé de battre en retraite et désespérant presque du salut de son armée, ordonna, comme mesure suprême, de tuer tous les blessés qui embarrassaient la marche. Luimême était du nombre. Il se poignarda, et dix mille de ses soldats se tuèrent comme lui, ou furent mis à mort par leurs compagnons. A Télamone

« PreviousContinue »