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la docilité à recevoir les inspirations de l'opinion, on fera peut-être un jour aussi bien que les anciens ; c'est-à-dire qu'on a fait du chemin, mais que le but n'est pas encore atteint. Le but qu'on cherche, dont on approche, c'est une bonne et vigoureuse coloration; le but, celui qu'on cherche aussi, mais dont on s'éloigne au lieu d'en approcher, c'est la disposition des teintes, surtout pour les figures. On veut les animer comme sur la toile et on en détruit tout l'effet. Le peintre verrier et le peintre sur toile ne peuvent pas être le même homme, ou bien, ce même homme doit avoir deux talents bien distincts. Les demi teintes et les dégradations de couleurs n'étaient pas connues des verriers du XIIIe siècle ; si ceux d'à présent veulent tenir cas de ce progrès artistique, il faut qu'ils distinguent, plus qu'ils ne font, entre les nappes transparentes de nos vitres et les toiles opaques des galeries de tableaux; car tandis que nos vieux saints scintillent comme une lumière d'étoiles aux verrières de Chartres et de Bourges, saint Philippe et sainte Adelaïde sont comme de vraies nébuleuses dans la vitre royale de l'église d'Eu. Ces défauts tiennent aussi, je ne dis pas à l'imperfection du dessin, mais au contraire à trop de recherche dans les détails. Les anciens s'appliquaient à saisir et à rendre le caractère général de leurs personnages et l'ensemble de la physionomie des faits. La simplicité des traits, la vivacité des couleurs, le tranché de leurs nuances produisaient des effets plus nets, plus sommaires, plus solennels et plus sentis.

La plus difficile à remplir de ces conditions des anciens vitraux n'est pas la composition des couleurs. On a certainement retrouvé les éléments qui doivent faire de belles pâtes. Ce qu'on n'a pas encore retrouvé, le vrai secret, c'est le sens chrétien, c'est l'inspiration en vertu desquels Dieu, la Vierge, les Saints, un sujet religieux, sont compris, dessinés,

peints comme ils le sont dans la bible et dans la légende et non comme nous les voyons dans les romans et au théâtre. Cette condition essentielle, fondamentale, tient aux mœurs publiques, à l'éducation artistique de notre époque; l'éducation artistique ne se rattachant à la religion que par l'étude imparfaite et superficielle des formes et non par la méditation profonde et l'amour sincère des sentiments et des pensées de nos pères croyants, ne peut produir que de vaines imitations et des efforts inefficaces. En attendant toutefois que ces efforts obtiennent quelque succès en devenant plus sérieux, et qu'i s nous ramènent le vrai, il est bon et louable de les encourager. Rien n'empêche que l'on ne continue à s'essayer, que l'on ne fasse quelques vitres là où il n'y en a pas dans les édifices du second ordre; mais nous ne saurions trop nous élever contre la pensée de restaurer les anciennes. Vouloir toucher à des monuments aussi fragiles, c'est aggraver leur état de caducité. Le seul et le meilleur service qu'on doive leur rendre est de les soutenir pour les empêcher de tomber et pour leur donner le temps d'attendre le retour de la science et du goût.

A propos de restauration de vitraux, M. Jourdain s'engage dans des réflexions de même nature sur les restaurations de maçonnerie et de sculptures qui s'exécutent depuis plusieurs années dans les grandes églises gothiques. Il a visité presque toutes les belles cathédrales de France, il revient de Bourges, il habite Amiens, il a suivi et étudié longuement, avec attention et avec sang-froid la question sur laquelle il demande la permission de dire son avis, mais son avis tout personnel et très-réfragable.

Parlant d'abord de la maçonnerie, l'honorable membre pense qu'il est du devoir de tous les siècles héritiers des siècles antérieurs, de lutter par un sage et continuel entretien contre l'action infatigable du temps qui s'attache aux

plus puissantes œuvres des hommes pour les ruiner incessamment. Mais, ajoute-t-il, à la suite de commotions politiques et religieuses qui ont ébranlé tout ce qu'elles n'ont pas ruiné de fond-en-comble et après cinquante ans d'abandon et d'incurie qui n'ont fait que mettre de plus en plus en péril l'existence des édifices anciens, ce n'est plus seulement d'entretien, mais encore de véritables réparations qu'il s'agit de s'occuper si l'on ne veut pas voir disparaître les derniers débris de la gloire monumentale de la France.

Et par réparations, il ne faut pas seulement entendre ici les travaux de pure consolidation.

Quand il est question de remettre une pierre, mille pierres aux flancs d'une tour, aux reins d'un contrefort, aux nervures et aux tiercerons d'une voûte, il ne faut pas beaucoup plus de temps, d'argent ni d'étude, pour donner à ces matériaux les formes architecturales de l'édifice dans lequel ils doivent entrer.

Pas beaucoup plus de temps ni d'argent, cela va sans dire, et, dans tous les cas, cela se trouve toujours sous un gouvernement qui a aussi bonne volonté que le nôtre. Mais, pas beaucoup plus d'étude, ce n'est pas l'avis de tout le monde: c'est celui de M. Jourdain. Il ne voit pas que l'architecte le plus ordinaire ne puisse raccorder une corniche ou un parement de muraille, voire même les grandes frises à simples feuilles entablées et les clochetons hérissés de crochets et de choux. Copier, pour les parties à reproduire, les parties anciennes et demeurées intactes, tout se réduit là dans l'étude et le travail de l'architecte.

Un simple maçon d'Amiens a fait tout cela et très-bien. Il a fait plus que tout cela, il a reconstruit en entier des contreforts déjà reconstruits il y a trente ans, mais rétablis alors dans le style le plus bizarre et le plus monstrueux qu'il soit possible d'imaginer. Pour réparer ces hideuses restaurations,

M. Vast Le Furme a démoli les piliers jusqu'à la racine, et c'est sur les assises inférieures et primitives qu'il a eu l'idée d'aller chercher et qu'il a reconnu, aux empreintes d'ancien ciment, la forme vraie et originale de la construction avec ses moulures et tous ses éléments d'ornementation qui vont courant de la base au sommet.

Donc on peut reproduire, en fait de maçonnerie, le style général des monuments en réparation. Il est vrai que pour cela il faut un peu d'intelligence et d'étude, il est vrai que M. Vast a de l'intelligence et qu'il s'applique, il est vrai que M. Vast, ce maçon ignoré de Picardie, mérite le titre d'architecte ; mais M. Jourdain pense que les architectes doivent être au moins..... des architectes. Du reste, continue M. Jourdain, il est bien entendu qu'aux architectes qui ne sont que des maçons, si ce n'est moins encore, qu'aux architectes qui ne daignent ou ne savent pas étudier et saisir le tempérament, la physionomie et la forme des édifices gothiques, à ces maçons il faut donner à bâtir des maisons bourgeoises, des celliers et des granges pour qu'ils vivent, et nos églises gothiques aussi.

Ce n'est pas tout cependant de reconnaître que les réparations partielles ne sont pas impossibles et qu'on peut refaire des membres en harmonie avec le corps. La forme ne suffit pas sans le fond, l'apparence sans la réalité, le style sans la solidité. Or, si, dans certains cas, dans celui du moins que je viens de citer, on a heureusement et habilement reproduit le vrai style, il faut avouer que dans beaucoup d'autres les réparations sont attaquables sous le rapport de la solidité. Voici ce qui arrive; il y aurait conscience à ne pas le dé

noncer.

Les lésions plus ou moins graves, plus ou moins profondes qu'ont subies les vieux édifices dans le cours de leur longue et orageuse existence, demanderaient aussi une réparation sé

on

rieuse, radicale et qui, participât par sa nature des conditions de longévité qu'il importe tant de conserver à l'édifice. Le bon sens suffit pour juger s'il en est ainsi. Un pan de mur, un pilier buttant, une corniche sont-ils malades? s'ils s'écroulent en entier entre les mains du maçon, il les refera en entier; rien de mieux pourvu qu'il les refasse bien, c'est-àdire avec une pierre du même grain, du même calibre, de la même coupe que par tout le reste de l'édifice. Mais si le mal n'est qu'à la surface, comme la chose arrive le plus souvent, parce que c'est la surface qui reçoit plus directement les coups des hommes et l'action de l'atmosphère, que fait-on alors? On enlève cette surface, mais seulement cette surface, creuse, mais le moins possible, à savoir, à vingt, trente ou quarante centimètres, ce qui constitue à peine l'épiderme d'une muraille qui porte 2". et 2m. et demi d'épaisseur, d'un pilier buttant dont la masse est plus énorme encore, d'une corniche et d'une frise dont la racine profonde ou les queues ne sont rien moins que les supports des galeries de plomb et des tombées des charpentes sous lesquelles elles plongent jusque dans l'intérieur du vaisseau. Ces vides tout-à-fait superficiels sont remplis à peu de frais. Comme ils ont en étendue ce qu'ils devraient avoir en profondeur, le monument n'en paraît ni plus ni moins réparé et consolidé. De fait il n'en est que plus affaibli, parce que la pierre ne traversant plus de part en part le massif de la maçonnerie, parce que le ciment neuf et frais ne se reliant qu'imparfaitement, sur un plan vertical, à un ciment ancien et desséché, la force de cohésion est rompue sans être remplacée, la maçonnerie neuve est disposée à se souffler bientôt, et des travaux auxquels on doit garantir mille ans d'existence, tomberont peut-être dans cinquante, dans vingt-cinq. L'expérience, au reste, est déjà là pour justifier cette prévision. Je connais telle cathédrale où l'on refait maintenant des réparations exécutées il y a seulement

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