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foule immense accourait des provinces de France et des pays lointains, pour mériter l'indulgence du Pardon-Général. Bientôt, suivant les mœurs du siècle, les mystères ou représentations à personnages se mélèrent à la solennité religieuse. Les actes de la vie de M. Saint-Jehan-Baptiste étaient joués sur des échafauds dressés dans les rues par des acteurs prêtres et laïques. Peu à peu ces drames se transformèrent en farces grotesques, immorales, et donnèrent lieu à de véritables désordres. Depuis le dimanche des Rameaux, les diables et diablesses du théâtre d'Enfer annonçaient la fête en parcourant la banlieue, cachés sous leurs déguisements infernaux; entre autres peccadilles, ils rançonnaient sans pitié les villageois; c'est de là que vient le dicton chaumontais: « Si plaît ai Dieu, ai l'ai sainte bonne Vierge, ai l'ai Saint-Jean not homme serai diable et j'paierons nos dettes. »

Le progrès des lumières arrêta mieux ces abus que les louables, mais vains efforts des chanoines. Nous ne savons pas pourquoi l'auteur d'une petite brochure sur la diablerie de Chaumont (car on appela ainsi la fête dégénérée,) prétend que, depuis la révolution, les rues de la ville sont désertes aux jours de ce jubilé. En 1838, témoin oculaire, nous avons vu avec joie une affluence considérable de peuple et de communiants. La procession, présidée par Mgr. Parisis, était magnifique comme les reposoirs où le St.-Sacrement s'arrêtait. Nous l'espérons, en 1849, le peuple de notre cité se souviendra de sa foi, et il honorera son protecteur par une fête splendide.

Ces différentes institutions devaient amener un changement dans le matériel de l'église; effectivement, nous la voyons s'agrandir par la construction, en style flamboyant, du chœur, du déambulatoire, du transept et des dix-huit cha

pelles dont elle rayonne. Une seule, placée sous le vocable de saint Pierre, appartient à la primitive construction. On le voit, le commencement et la fin du moyen-âge se touchent dans ce monument remarquable.

La nef sévère, aux grêles colonnettes engagées dans le pilier, aux arcades aiguës, sous lesquelles l'œil pénètre dans les bas côtés de même caractère, annonce l'œuvre du XIIIe. siècle. Sept fenêtres ogivales, simples lancettes sans meneaux, ont été percées au-dessus de baies plus anciennes. Deux arceaux en diagonales recroisés d'une nervure en arc doubleau, partagent la voûte de chaque travée en six compartiments; les clefs sont sculptées en fleurons, et les chapiteaux carrés ou hexagones se décorent de moulures, de crochets et de feuillages divers. Un cordon dissimule le retrait des murailles.

Quelle distance de la nef au chœur! Ce ne sont plus ici les lignes ascensionnelles, et austères; les nervures prismatiques se promènent en riches et lourds faisceaux sous les voûtes qu'elles semblent entraîner plutôt que soutenir. Elles naissent du corps même des piliers ronds où les colonnes sont remplacées par des flexions sinueuses. Les arceaux se mêlent à l'intrados de la voûte dans un dédale inextricable, et à chaque point d'intersection du réseau, retombent en longs culs-de-lampe. Si l'on ajoute à ces pendentifs, à ces stalactites ciselés, les galeries ornées de dentelles de pierre, les corniches chargées de rinceaux, de rubans, de clous, de coquillages qui se développent dans le chœur et les bras de la croix; cet escalier en spirale du croisillon gauche, qui monte aux combles avec tant de vitesse et d'originalité ; on comprendra qu'un art pareil ait été pris pour une aurore, quoiqu'il ne fût qu'un crépuscule. Le déambulatoire a des voûtes compliquées de tiercerets, de formerets et de liernes,

avec des clefs superbes. Les fenêtres des chapelles qui l'éclairent, sont d'un flamboyant bâtard, qui ne flamboie pas ou qui s'éteint.

Au rond-point, l'autel de la Vierge possède un rétable corinthien d'un bon travail; il voile en partie une verrière peinte de M. L..........., posée depuis deux ans. Nous ne savons s'il y a grand mal. Certaines personnes trouvent du dessin dans les médaillons qui la composent et qui représentent des mystères de la vie de la sainte Vierge; mais on ne peut se dissimuler que sous d'autres rapports cette composition est faible les couleurs sont pâles et d'un ton de lavis; les règles iconographiques sont oubliées spécialement dans l'institution du rosaire. Enfin la belle et riche fenêtre où M. Maréchal de Metz vient de placer deux des évangélistes éclipse suffisamment celle-ci pour qu'on ne trouve pas notre manière de voir trop sévère.

Le vitrail de M. Maréchal, comme toutes les œuvres de cet artiste, se distingue par la noblesse et la grandeur du dessin, par la beauté des couleurs. Mais il y a peut-être quelque chose de plus digne d'éloges que le talent des peintresverriers, c'est le zèle des vénérables prêtres et des pieux fidèles de la paroisse qui, par leurs aumônes, ont ainsi décoré la maison du Seigneur, et la chapelle bien-aimée de sa divine mère. Ainsi proteste une foi vive contre l'indifférence inqualifiable de cette municipalité pour laquelle nos monuments religieux semblent être moins que rien.

On remarque dans la chapelle St. -Nicolas un arbre généalogique. Dix personnages en pierre, assis sur ses branches, représentent les ancêtres de Marie, suivant l'évangile de saint Mathieu. Jessé est assis au pied et endormi. A sa droite, on voit la tête monstrueuse de Goliath, et à sa gauche Isaïe tenant un cartel. Un saint François-d'Assise en bois, d'un certain mérite, orne la chapelle dédiée à saint Michel

Archange. Le martyr de saint Hippolyte, écartelé par des chevaux, est peint à l'huile sur le mur, en la chapelle SainteAnne. Le lait de chaux cachait cet ouvrage assez pauvre d'ailleurs. Un religieux et une religieuse s'agenouillent et prient dans un coin de la scène. Voici la double inscription :

COMME JADIS PLAIN DE GRACE ET VERTU
SAINCT IPPOLYTE A LA FOY ADONNE
DE JESUS-CHRIST APRES ESTRE BATTU
NA PEU JAMAIS EN ESTRE DEstourné.
CE QUE VOYANT LE TYRANT EMPEREUR
TOUT ENRAIGE PLAIN DIRE ET DÉ FUREUR

PAR DES CHEVAULX INDOMITES TYRE

LUY FILT SON CORPS ET Membres descHIRER.

1549.

Nous te prions o glorieulx martyr

Par le loyer (?) que tu as mer te

Prier pour nous Dieu q soit so playsir

Après la mort le voir en trinite

Amen.

Parmi les nombreuses toiles appendues dans l'église aux membres d'architecture, plusieurs, si elles n'ont pas le mérite d'être à leur place, ont du moins une valeur propre incontestable. On attribue à Raphaël celle qui représente l'orgie d'Hérode pendant laquelle est apporté sur un plat le chef décollé de saint Jean-Baptiste. Il y a peu de convenance à étaler cette scène au fond de l'abside et sur la galerie à jour dont l'effet est perdu. Un autre tableau plus authentique s'accroche à l'un des gros piliers du chœur ; il représente saint Alexis. Le chevalier romain vêtu d'un manteau vert doublé de jaune et d'une courte tunique rouge tient le bâton de pélerin et marche récitant son chapelet. La tête d'une expression noble mélancolique et douce, est admirable et digue de son auteur André del Sarte.

Un troisième représente saint Luce, pape, refusant d'adorer l'idole que lui montre un flamine, il porte le costume pontifical moderne. Ce tableau dont les figures sont de grandeur naturelle est très-estimé des artistes qui n'hésitent point à y reconnaître le pinceau de Pierre de Cortone ou de quelque peintre héritier du génie du Carrache. Enfin je mentionnerai la mort de saint Joseph signée d'Edme Bouchardon. Cet ouvrage est un souvenir de sa jeunesse et fait d'après Carle Maratte. Il sert de rétable à l'autel de Sainte-Marguerite. Mais les bornes et le caractère de cette notice archéologique ne nous permettent pas de nous arrêter sur toutes ces pein

tures.

Dans la nef, on admire la chaire à prêcher et le banc d'œuvre sculptés en bois par un habile ouvrier nommé Landsmann, suivant les dessins du père de Bouchardon. Nous n'aimons pas le classicisme dans les églises; toutefois on ne peut se dissimuler que de pareils ouvrages révèlent un magnifique talent.

La sacristie est fort belle et voûtée comme le déambulatoire. En visitant le mobilier, nous avons trouvé beaucoup de reliquaires, les uns en bustes, les autres en tombeaux; mais aucun ne nous a paru ancien ni curieux. Un calice bien ciselé en vermeil, coupe évasée, galbe bien profilé, est décoré de scènes de la passion. Plusieurs armoires sont remplies de graduels et d'antiphonaires manuscrits sur vélin. Parmi ces infolio du XVIe siècle, il en est qui sont illustrés de miniatures, d'initiales coloriées sur fond d'or, de marges où brillent les fleurs et les arabesques. La plupart ont souffert et nul n'est de premier ordre pour la perfection du travail. II y a cependant un antiphonier qui surpasse les autres en richesse. La liturgie qu'ils renferment est langroise ou plutôt romaine modifiée par les coutumes du diocèse. On peut y voir les anciennes séquences qu'on ne chante plus, et des

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